dimanche 31 juillet 2011

Fait divers.

L'été, l'actualité locale est plus douce. La tragédie n'est certes jamais complètement absente (voir les accidents de la route, dans l'Aisne, cette semaine). Mais les conflits semblent moins nombreux, comme si le malheur lui aussi était en congés. Pourtant, dans le Courrier Picard d'aujourd'hui, j'ai été marqué par une photographie particulièrement violente, et même, je crois, unique en son genre, une incroyable mise en scène : un homme au visage meurtri pose avec une bouteille d'essence dans une main et un briquet dans l'autre. Le titre est sans ambiguïté sur ses intentions : c'est bien d'un projet d'immolation dont il s'agit !

Le parvis du tribunal de Saint-Quentin, devant le palais de Fervaques, en a vu d'autres : des manifestants avec banderoles, des grèves de la faim, des personnes s'enchaînant aux grilles. Mais une immolation, jamais. Autant les actes symboliques sont compréhensibles en matière d'interpellation de la Justice, autant mettre fin à ses jours ou se blesser grièvement par le feu est un geste hors-norme, sans commune mesure avec l'affaire incriminée, en l'occurrence fort embrouillée (un mariage blanc à base de manipulation familiale débouchant sur un détournement bancaire).

Quelle que soit la gravité du préjudice, le désespoir du plaignant, ses récriminations envers la Justice (il attend une réponse à ses quatre plaintes), elles ne justifient absolument pas cette atroce décision d'immolation, qu'il a fixée à demain. Je suis circonspect : est-ce une façon d'attirer l'attention via les médias, une menace pour faire peur, sans intention de passer à l'acte ? A moins que l'intention soit sincère, motivée par un coup de folie (car l'homme, en dépit de son exaspération, pourrait fort bien faire confiance à la Loi, au travail de la police et aux conclusions des magistrats) ?

Ce fait divers qui trouble notre quiétude dominicale est sans doute révélateur de nouveaux comportements des justiciables, qui s'irritent des "lenteurs" de la Justice (alors que sa précipitation lui serait préjudiciable), qui s'adressent à elle tout en ne croyant pas en elle (ce qui est évidemment contradictoire). Ce sentiment d'injustice, lui-même injuste dans son excès qui va jusqu'au fanatisme, va chercher auprès de la presse un moyen d'expression qu'il ne trouve pas ailleurs, ce qui pose un problème de déontologie journalistique : faut-il relayer ce genre de revendication au risque de lui donner une forme de légitimité ou bien faut-il l'ignorer au risque d'étouffer une injustice ? C'est aussi le statut du fait divers qui interroge : épisode judiciaire qui ne mérite que quelques lignes ou fait de société qui réclame tout un papier ?

En tout cas, espérons que l'article du Courrier Picard alarme les autorités et désarme ainsi l'acte suicidaire prévu pour lundi. Si sa conséquence est celle-là, sa rédaction n'aura pas été inutile.

samedi 30 juillet 2011

Kubrick, ce géant, ce génie.

Magnifique journée passée à Paris, non pas seulement à cause du soleil renaissant, mais parce que j'ai visité la superbe exposition consacrée au cinéaste Stanley Kubrick, à la cinémathèque, quai de Bercy. Quatre heures à déambuler parmi les panneaux, à lire tous les textes, à regarder les extraits de films : une expo grandiose, à la mesure de ce géant, de ce génie du cinéma.

Anecdote amusante et étonnante : à l'entrée, le garçon qui m'a remis mon ticket m'a demandé, pour ses statistiques, d'où je venais. Quand il m'a entendu dire "Saint-Quentin", il a demandé : dans l'Aisne ? Tenez-vous bien : il connaît la classe préparatoire de mon lycée, sa prof de philo au lycée Lakanal ayant enseigné il y a quelques années à Henri-Martin, avec un excellent souvenir de l'établissement !

De Stanley Kubrick, je retiens, pour des raisons très particulières, deux films dans une oeuvre de toute façon magistrale de bout en bout : d'abord, mon préféré, le meilleur d'entre tous selon moi, et pourtant le moins kubrickien, le moins métaphysique, le moins spectaculaire (bien qu'il le soit à sa façon) : Barry Lyndon. Ensuite, 2 001 odyssée de l'espace, non pas parce que c'est le plus connu, le plus apprécié et le plus philosophique, mais c'est parce c'est son seul et unique film optimiste.

En effet,si j'admire le génie de Kubrick, je n'adhère pas complètement à sa vision de l'humanité, foncièrement pessimiste, parfois tragique, sans grande trace d'espérance. C'est un auteur lucide, terriblement humain mais pas humaniste. Quant à la formalisation de ses films, le style est éblouissant, la technique prodigieuse mais le sens est parfois abscons. Après plusieurs visionnages, je ne saisis toujours pas très bien plusieurs scènes de 2 001. Les esthètes m'expliquent que c'est normal, qu'il n'y a rien à comprendre, qu'il faut se laisser inspirer par les images. Je veux bien, mais ça me gêne un peu, je suis trop rationnel pour ce genre d'art.

La plus belle partie de l'exposition, la plus originale, c'est la fin, le film que Stanley Kubrick n'a jamais fait, qu'il rêvait de faire et qu'il annonçait comme son plus grand, sur Napoléon, pour lequel il éprouvait une incroyable passion, jusqu'à rédiger des milliers de fiches sur sa vie et sa personnalité. Le projet était tellement gigantesque qu'il n'a jamais pu financièrement voir le jour. Curieux bonhomme que ce Kubrick, atypique, étrange, incomparable. Son oeuvre est foncièrement dérangeante, beaucoup de ces films ont provoqué le scandale, plusieurs ont été censurés ou interdits.

Mais si j'avais un dernier et seul mérite à retenir, ce serait la volonté qu'a eu constamment Stanley Kubrick de faire un cinéma de qualité, pas nécessairement facile d'accès, fortement métaphysique, qui soit en même temps populaire, grand public, et pour le dire bêtement : "commercial". C'est une vertu très rare sur le grand écran : soit nous avons un cinéma d'auteur, d'art et essai, réservé à l'élite cultivée, soit nous tombons dans le pur et simple divertissement. Kubrick a réussi le miracle de concilier les deux.

Il vous reste une journée, celle de demain, pour visiter l'expo. Sinon, faites ce que je vais faire d'ici quelques jours : prendre les dvd à la bibliothèque municipale et s'enfermer chez soi pendant quarante-huit heures, toutes sonneries débranchées, pour se passer à la suite les principaux chefs-d'oeuvre de Stanley Kubrick. Ils le valent bien !

vendredi 29 juillet 2011

J'ai des doutes.

Connaissez-vous le sketch de Raymond Devos "J'ai des doutes" ? Une femme trompe son mari qui a "des doutes" mais ne se plie jamais devant l'évidence. Le côté hilarant, c'est le comique de répétition, "J'ai des doutes" devenant le gimmick de l'histoire. C'est la même formule, dans une toute autre circonstance, qui m'est revenue plusieurs fois en tête ce matin, en discutant avec une amie, membre du Parti de Gauche de Jean-Luc Mélenchon.

Actualité aidant (c'était hier une simulation de vote des primaires socialistes à La Seyne-sur-Mer, dans le Var), elle me dit son enthousiasme pour la procédure et tient à me préciser qu'elle versera avec plaisir l'euro demandé, et même plus s'il le fallait, tellement cette consultation emporte sa ferveur. Je lui précise qu'elle peut dépasser largement l'euro, que ce sera compté comme don, mais elle se ravise : un euro, ça suffit ! J'ai des doutes.

Bon, c'était une boutade de sa part, et ma réponse en était une aussi. Nous sommes donc quitte. Je voulais simplement tester un peu le degré de son engagement. Je suis bien sûr très heureux que des électeurs de gauche, non socialistes, participent aux primaires socialistes puisque c'est le but du jeu. Mais je m'attendais à ce que mon amie s'exalte pour son champion, Mélenchon, qui est, soit dit en passant, hostile à ces primaires. Eh non, raté ! J'ai des doutes.

Sans que je lui pose la question, elle me répond que son choix, c'est Martine Aubry. Mais pourquoi ? Question de génération, me dit-elle (elle est d'un âge pas très éloigné). Je n'ose pas lui répliquer que l'argument vaut aussi pour François Hollande, qui est dans la même tranche (elle ne se renseigne d'ailleurs sur mon choix). Mais ce point générationnel me semble tellement sans aucune valeur politique que je n'insiste pas. Ce qui est certain, c'est que mon amie n'est pas séduite par une candidature "féminine" : en 2 006, elle était insensible à Ségolène Royal. Pourquoi aujourd'hui Aubry ? Affaire d'image probablement. J'ai des doutes.

Et puis, logiquement, un militant du Parti de Gauche devrait plutôt voter Arnaud Montebourg, qui représente, parmi les six candidats à la primaire, l'option la plus à gauche, et donc la plus proche du PG. Mais non ! Martine Aubry comme François Hollande sont fondamentalement des sociaux-démocrates (leur début de campagne sur la dette publique le prouve avec éclat), contre lesquels Mélenchon a la dent dure. Pourtant, mon amie fait ce choix-là. J'ai des doutes.

Je suis resté quasiment silencieux tout au long de notre rencontre. J'aime bien laisser parler, on apprend plus qu'en intervenant soi-même. Il faut mettre l'interlocuteur en confiance, voir jusqu'où il peut aller dans ses confidences. La confession est plus révélatrice que le débat, d'autant que beaucoup de gens ne demande qu'à s'épancher et être écoutés.

Néanmoins, à la fin, je ne peux pas m'empêcher de l'interroger sur son vote au premier tour de la présidentielle. Et là, brusquement, elle qui avait été si prolixe et sûr d'elle, devient silencieuse, hésitante. Je comprends vite son problème : quand on a voté Aubry aux primaires, n'est-on pas tenté de voter Aubry, n'est-il pas logique de voter aussi Aubry au premier tour des présidentielles ? Oui mais mon amie soutient Mélenchon ! Du coup, à son tour, elle a des doutes.

Il y a quelque chose dont je ne doute pas : le bien-fondé, la grande vertu des primaires, une vraie révolution pour le PS. Bien des sections, repliées sur elles-mêmes, sans réelle vie interne sinon les rituels et obligatoires rendez-vous statutaires, sans aucune expression publique régulière, vont voir surgir des centaines, des milliers d'électeurs pour décider du choix de notre candidat à la présidentielle ! C'est une innovation comme il n'y en a pas eu, dans l'organisation du parti, depuis quarante ans.

Là où j'ai quelques doutes, c'est sur les réactions de l'opinion et l'issue de la consultation. D'abord, la procédure est nouvelle, inhabituelle, peu conforme à notre culture politique nationale. Ensuite, contrairement à n'importe quelle autre élection, il y a une déconnection entre les candidats et le projet, celui-ci ayant déjà été adopté par les seuls adhérents. Le risque des primaires, c'est que la confrontation des idées s'efface devant celle des personnes et des personnalités. Mais qui ne risque rien n'a rien !

Les deux principaux challengers, Martine Aubry et François Hollande, sont issus de la même sensibilité, le courant social-démocrate. Pour voir les différences entre eux (qui sont réelles mais pas non plus très clivantes), il faut être un vieux routier du parti, un spécialiste de son histoire et de ses motions. Je crains qu'entre Martine et François, la comparaison en reste à l'image, comme manifestement pour l'amie qui m'a ce matin entretenu.

Je ne vois que deux candidats dont l'offre politique, opposée, est extrêmement claire : Manuel Valls en social-libéral et Arnaud Montebourg en socialiste radical, traditionnel clivage entre aile droite et aile gauche du PS. Quant à Ségolène Royal et Jean-Michel Baylet, ce sont des candidats atypiques : Elle, poursuivant dans sa lancée de 2 007 l'exposé d'un socialisme singulier, original, moderniste ; lui, représentant du PRG, jouant probablement sur la fibre république et laïque présente chez beaucoup de camarades. Nous verrons bien ce que tout cela donnera, mais il faut de toute façon que ça se fasse ... Et de ça, je n'ai aucun doute.

jeudi 28 juillet 2011

Chaud, l'été s'ra chaud.

Vous souvenez-vous ? Il y a eu un temps où seuls les vieux craignaient la pluie et le mauvais temps. L'été s'ra chaud ! pensait-on avec certitude, et il l'était en effet, même avec des temps de chien comme cette année. C'était dans la décennie 1970, où la jeunesse se levait pour faire la révolution, pas pour revendiquer des points de retraite en plus ou en moins. C'était l'époque des grands rassemblements politiques estivaux, qu'analyse opportunément Alexis Vrignon dans laviedesidees.fr , au 20 juillet 2 011.

Des vacances politiques ! Le concept a aujourd'hui quasiment disparu. Ces années-là, l'été n'était pas fait pour bronzer mais pour militer. Trois grands noms, trois événements marquent cette glorieuse époque qui terminait les Trente Glorieuses : Le Larzac 1973, Creys-Malville juillet 1977 et Plogoff juin 1980. Il ne s'agissait pas seulement de s'opposer à l'extension d'un camp militaire ou à la construction d'une centrale nucléaire, mais de montrer qu'on voulait aussi changer le monde, et que l'été était la saison appropriée. C'était festif et aussi parfois tragique, comme tout ce qui est sérieux (un mort à Creys-Malville).

En matière de militantisme d'été, il y a deux écoles : la première estime que c'est une erreur d'embêter les français avec la politique pendant leurs vacances, qu'ils ont autre chose à penser, que l'effet est contre-productif, que l'été doit se passer les pieds dans l'eau et non les mains dans la colle des affiches ou la bouche près du mégaphone. Par extension, ceux-là pensent que la politique doit essentiellement se concentrer sur les périodes électorales (évidemment, ceux-là ne sont pas les plus courageux ... mais sûrement les plus électoralistes).

La seconde école accepte volontiers de militer l'été, sur les plages ou n'importe où, parce que, pour elle, la politique c'est tout le temps et partout. C'est l'école gauchiste des années 70, derrière laquelle je me range tactiquement, lui substituant bien sûr le message social-démocrate. Sans être chaud, il suffirait à mon bonheur que l'été soit tiède !

Il faut attendre la décennie 2 000 pour que l'été redevienne politiquement chaud, avec les grands rassemblements altermondialistes, cette fois internationaux. Et maintenant ? Il ne reste plus que les caravanes d'été des partis politiques, l'an dernier les tongs de l'UMP, cette année les primaires du PS. On oublie que c'est Lutte ouvrière, avec d'autres idéaux en tête, qui a lancé cette idée de la caravane politique, qui n'a rien à voir avec le camping.

Depuis longtemps, l'été a cessé d'être chaud. C'est plutôt la rentrée de septembre qui nous est traditionnellement annoncée à température élevée par les syndicats. Nos hommes politiques font tout de même attention à ne plus trop ressembler à des vacanciers pendant leurs vacances. Il est devenu de bon ton de dire qu'on ne part pas ou pas très loin, qu'on garde un oeil sur ses dossiers : plus question de se vanter d'un farniente au bout du monde, même si en secret on y succombe. Les temps ont changé.

Je crois que l'été n'a vraiment plus été chaud le jour où Eric Charden a chanté, sur le mode de la dérision, "L'été s'ra chaud l'été s'ra chaud, dans les t-shirts dans les maillots, d'la Côte d'Azur à Saint-Malo, l'été s'ra chaud l'été s'ra chooooooooo". C'était en 1979 et je n'avais pas bien compris : l'été pour moi était encore chaud, je m'inscrivais en première année de politique et de philo à la fac soixante-huitarde de Vincennes, Paris 8, dans le bois. J'avais, à cause de mon âge, une révolution de retard. Pas grave : un peu plus tard, le réformisme m'a rattrapé.

mercredi 27 juillet 2011

Vive Lagardère !

Une vidéo fait en ce moment le buzz, comme on dit, sur le net : on y voit l'un des hommes les plus puissants de France, Arnaud Lagardère, patron d'un groupe média international de 27 000 salariés, pesant 3,6 milliards d'euros, flirter avec sa fiancée, lui la couvrant de baisers, elle le dominant d'une tête du haut de ses cuissardes, puis se vautrant tous les deux sur un canapé. La scène, fun et sexy, provoque un petit scandale : est-ce une façon de se tenir lorsqu'on est un homme-clé de l'économie française, un personnage public au même titre qu'un ministre ou qu'un élu de la République ?

J'avoue, au contraire, que cette exhibition me fait jubiler et que j'applaudis ses protagonistes ! Qu'un individu parmi les plus sérieux au monde, ou censé l'être, brise ainsi son image, rompt avec le conformisme qu'on attend de lui, fait un pied de nez à sa classe sociale, avoue son amour à sa belle, joue les coquins avec elle, c'est formidable et, d'une certaine façon, révolutionnaire. Les riches aussi ont le droit de se révolter : Arnaud Lagardère ne veut manifestement pas endosser le rôle dans lequel on l'enferme. C'est un fil à papa qui veut tuer ce père à qui depuis toujours on le compare sans qu'il puisse jamais l'égaler.

Alors Arnaud s'amuse, se moque de lui-même, prend de la distance avec son statut, le temps de l'enregistrement d'une vidéo. Il fait parler ce qui l'intéresse sans doute le plus au monde : son coeur, sa vie privée. Qui ne le comprendrait pas ? Je suis persuadé que cet homme, écrasé par l'énorme pouvoir économique qui est le sien, a envie de s'en libérer, momentanément, par la dérision et une forme de ridicule volontaire. Ce grand bourgeois est un être aliéné, qui doit traîner son ennui dans de très emmerdants conseils d'administration.

Ce que j'apprécie dans cette vidéo, c'est que sa mise en scène est parfaitement assumée, caméras et photographes visibles. Aucune volonté de tricher, de séduire, de manipuler mais la vérité d'un couple beau, jeune, riche, amoureux qui éclate à l'image. Arnaud a tellement dû mentir, cacher, faire semblant dans sa vie de riche héritier, qu'il décide pour une fois, en quelques minutes, de se lâcher, de rire, d'exposer ses sentiments. Comment ne pas l'en féliciter et l'encourager ?

Ce faisant, Arnaud Lagardère rejoint son homonyme, le héros du Bossu imaginé par Paul Féval, le chevalier Henri de Lagardère, amoureux fou et aventurier toujours prêt à batailler. "Si tu ne viens pas à Lagardère, c'est Lagardère qui viendra à toi !" Eh oui, Arnaud a fait aussi bien qu'Henri, sans cape ni épée : il est venu à nous par l'intermédiaire de nos écrans domestiques, a bousculé nos mentalités spontanément moralisatrices, s'est déjoué du puritanisme ambiant, a choisi de choquer le bourgeois. Tous à cheval, et au galop : vive Lagardère !

mardi 26 juillet 2011

Gobert, hommage et musique.

Il y a des gens qu'on connaît sans les connaître. Pascal Lenglet, disparu dimanche, était pour moi de ceux-là, un visage familier, quelqu'un que je ne connaissais pourtant pas, que j'ai sans doute salué mais avec qui, autant que je m'en souvienne, je n'ai jamais discuté. Il était professeur au conservatoire de musique, directeur et chef d'orchestre de l'Harmonie de Saint-Quentin, plus trivialement appelée fanfare municipale. A ce titre, Pascal Lenglet était visible dans les défilés et cérémonies de la ville, officiels et patriotiques. C'est ainsi qu'il était connu et reconnu des saint-quentinois.

A Saint-Quentin comme partout ailleurs, il y a les personnalités de premier plan, grands élus, sportifs de renom, responsables de grosses structures, qu'on voit souvent dans les pages des journaux, qui font généralement tout pour ça, et c'est normal. Et puis il y a les personnages publics tels que Pascal Lenglet, qui font le job, qui ne communiquent pas mais s'imposent naturellement sur la scène locale. Leur décès ne se contente pas d'un simple faire-part dans la rubrique nécrologique ; il est accompagné d'un article de presse qui signale leur importance.

L'Harmonie que dirigeait Pascal Lenglet n'est pas une fanfare comme les autres, même si parfois on les confond, comme Pascal Cordier, speaker du dernier défilé du 14-juillet, s'excusant d'annoncer à tort les Stimulants, groupe musical joyeux et festif, d'un genre très différent. L'Harmonie, c'est incomparable, c'est une institution. Une commune a besoin protocolairement d'un maire, d'un drapeau et d'une musique.

La République marche au pas dans ses célébrations. Pascal Lenglet tenait ce rôle-là. Il donnait de la cadence, de l'allure, de la ferveur et de la solennité à des cérémonies qui sans lui resteraient tristes et mornes. Le pouvoir n'est muet que dans ses minutes de silence ; sinon, il parle ou bien il avance aux sons des tambours et trompettes, y compris en temps de guerre, lorsque ses soldats montent au front. Mais les hommes de Pascal Lenglet constituent un pacifique et sympathique bataillon.

Fidèle de ces rendez-vous républicains, je m'y ennuie parfois ferme, et c'est logique : le style est répétitif, convenu. Mais ni plus ni moins que je ne me lasse dans une réunion politique ou professionnelle. Ça n'enlève rien à l'utilité et à la valeur de toutes ces rencontres, c'est plutôt un problème personnel que je dois certainement partager avec pas mal d'autres personnes. Pour surmonter l'ennui, il y a une règle infaillible, que je recommande à tous ceux qui se trouvent dans cette situation : fixer son attention sur quelque chose ou quelqu'un qui fera passer le temps.

Dans les honneurs rendus à la République, Pascal Lenglet m'aidait à me concentrer. Outre les sons, comme ceux du canon, qui tiennent en éveil, il y a les gestes, les mimiques, la direction du chef d'orchestre. Je ne suis pas musicien du tout, c'est pourquoi je suis fasciné par l'ascendance d'un homme sur un groupe, à partir de quelques signes et regards qui créent un ensemble, un ordre, précisément une harmonie. Je suivais sans la comprendre dans le détail la connivence qui s'opérait entre Pascal Lenglet et ses musiciens et cela donnait tout son intérêt à l'événement.

Le patron de l'Harmonie avait le visage sévère des meneurs d'hommes qui savent ne pas avoir droit à l'erreur, quand la foule est là, des chefs militaires et un ministre. On peut dire de lui qu'il était suivi, oserais-je dire obéi, au doigt et à l'oeil, quand il n'avait pas sa baguette pour insuffler le rythme. Mais cette prééminence magistrale ne lui donnait manifestement aucun esprit de supériorité.

Souvent, ceux qui sont en tête prennent la grosse tête. Pas dans un orchestre. Il arrivait à Pascal Lenglet de rejoindre le rang, de redevenir simple trompettiste, de se fondre dans le bleu de la fanfare municipale. Un chef modeste, c'est très rare, c'est même antinomique. Il faut croire que la musique, en effet, adoucit les moeurs et rabote les vanités. La politique, que Pascal Lenglet croisait par métier, produit exactement l'effet inverse.

De lui et de son Harmonie, je retiens aussi mes passages devant le palais de Fervaques, où l'on entend régulièrement monter les notes des répétitions. Francis Crépin, président de l'Harmonie, révèle que tous les deux avaient le projet d'un "ciné concert". Tiens ! Comme le "ciné philo", mais avec accompagnement musical ? Peut-être que nous aurions pu faire des choses ensemble ...

J'apprends aussi, dans le faire-part, qu'il se faisait appeler "Gobert", celui que je ne connaissais pas et qui ne me connaissait pas, mais dont j'étais pourtant, depuis des années, l'un des fidèles et anonymes spectateurs, admirateur à ma façon. A sa mémoire, hommage et musique !

lundi 25 juillet 2011

Le monstre et les anges.

J'ai assisté samedi après-midi, dans l'abbaye de Saint-Michel en Thiérache, à une représentation théâtre un peu particulière, une interprétation revue et corrigée du Malade imaginaire de Molière, par la troupe L'Etoile du rire, composée d'adultes en difficulté intellectuelle ("déficients mentaux", comme on disait autrefois avec quelque désobligeance), membres de l'association soissonnaise Arts Culture Sport, avec laquelle la Ligue de l'enseignement de l'Aisne travaille. Il a fallu beaucoup de temps (deux ans), beaucoup d'effort et de volonté aux dix-neuf comédiens pour dépasser leur handicap, apprivoiser le texte et leur parole, affronter le regard du public. Le théâtre est aussi pour eux une forme de libération.

Si j'évoque cette manifestation, c'est parce que j'y ai repensé durant tout le week-end, sur fond de tragédie norvégienne relayée par les médias, avec cette question qui s'est imposée à moi : où est la normalité, où est la folie ? Le jeune meurtrier d'Oslo est tout à fait normal, presque monstrueusement normal, physiquement, socialement et mentalement, du moins pour ce qu'on en sait jusqu'à présent. On cherche le fou furieux, on ne trouve que l'assassin méthodique. C'est un homme qui réfléchit, écrit, argumente, c'est un être rationnel, sans doute intellectuellement supérieur à la moyenne, dont les opinions ne sont pas si éloignées de celles de bien des gens autour de nous, les conséquences criminelles en moins.

Par comparaison, les personnes que j'ai rencontrées à Saint-Michel ne sont pas considérées comme "normales". Les visages sont parfois marqués, les propos ne sont pas entièrement maîtrisés, la mémoire fait par moments défaut, l'allure est lente ou au contraire trop vive, les regards ne rencontrent pas toujours votre regard ou le fixe avec insistance. Mais qui oserait parler de "folie", même douce ? Ce sont des hommes et des femmes autres, différents, qui ne sont simplement pas en phase avec les petites normes convenues de la sociabilité ordinaire.

Et alors ? Pacifiques et sensibles, peut-être plus humains que le commun des hommes, ils se rapprochent des anges, si l'on en croit une vieille expression russe. En Norvège, un homme normal s'est transformé en monstre en passant à l'acte, en appliquant des idées monstrueuses. Les catégories modernes de normalité et de folie sont finalement inopérantes, n'expliquent pas grand-chose. Il y a des fous dont le comportement est civilisé à défaut d'être conforme, il y a des individus normaux dont les attitudes sont barbares, démentes, cruelles. Je préfère distinguer entre les monstres et les anges.

dimanche 24 juillet 2011

Les chinois à Paris.

Ce blog n'est pas voué à vous asséner les malheurs du monde. Les médias réussissent très bien dans cette mission. Je veux aussi vous parler des bonheurs de l'existence. En ces temps de vacances, certains vont chercher leur plaisir très loin, sur la plage ou en montagne, en Corse ou en Croatie (villégiatures à la mode). Moi, j'ai trouvé hier mon bonheur dans le magasin GiFi de Saint-Quentin, près de Cora, en faisant une belle rencontre que j'espérais depuis trente-cinq ans, que je n'attendais même plus à force d'espérer. J'ai donc assisté à un vrai miracle, d'autant plus délectable que totalement inattendu.

Chez GiFi, en entrant, à droite, il y a un grand panier de dvd à bas prix, deux euros, généralement des navets. Je les consulte machinalement et rapidement, en vertu d'un solide principe qui guide ma vie : "On ne sait jamais". En l'occurrence, j'ai bien fait, mon bonheur était dans le panier. Je suis tombé sur un film jamais vu de moi et méconnu de beaucoup : "Les chinois à Paris", de Jean Yanne. Et pour cause : il a été interdit par le gouvernement français à sa sortie en 1975, sur protestation de la Chine communiste, un régime peu porté à l'humour quand il s'agit de le présenter comme une force d'occupation du territoire national.

A ma connaissance (mais je peux me tromper), ce film n'est pas passé à la télévision. C'est le seul du grand Yanne qui manquait à ma collection ! J'y ai souvent pensé, je m'en suis fait tout un film à défaut de l'avoir vu. "Les chinois", c'est une étape dans l'oeuvre de l'auteur, entre ses premières et meilleures réalisations ("Tout le monde il est beau ..." et "Moi y'en a vouloir des sous") et la suite, les parodies historiques ("Deux heures moins le quart ..." et "Liberté, égalité, choucroute"), que j'ai moins appréciées.

Les "Chinois", c'est aussi le moment où Jean Yanne s'éloigne hélas de ses grands rôles de composition, après avoir joué sous la direction de Chabrol et Pialat, excusez du peu. Cet homme, que j'estime beaucoup, a raté, sans doute par facilité, une grande carrière d'acteur, se contentant d'interventions remarquables dans quelques films et téléfilms, mais très en dessous de ce qu'il pouvait donner.

De même, je ne comprends pas et je regrette son départ aux Etats-Unis, qui a mis fin à son travail de réalisateur, de créateur. Je me suis toujours demandé ce qu'il faisait là-bas ! Yanne, qui avait le génie de la répartie, répondait par une boutade : "Si j'étais dans le nougat, je serais allé à Montélimart ; comme je suis dans le cinéma, je suis allé à Hollywood".

Quelques mots quand même sur ma trouvaille : c'est du Yanne tout craché, avec peut-être un rythme moins trépidant que "Tout le monde ..." et "Moi y'en a vouloir ...", mais c'est du bon ! Le tableau d'une France collabo, qui refait avec les chinois ce qu'elle a fait avec les allemands, est criant de vérité. C'est ce qui me plaît chez Jean Yanne : cette faculté, avec du comique pas toujours très fin mais assumé, de dire quelque chose de vrai sur notre société. A l'époque, la droite encore marquée par le gaullisme n'a pas trop goûté à la plaisanterie ; la gauche respectueuse de la mode maoïste s'est bien sûr abstenue de rire. Et le film est tombé dans l'oubli. Mais moi je l'adore ...

Ami(e)s saint-quentinois(es) qui ne partent pas en vacances, précipitez-vous chez GiFi, rue Georges Pompidou, il reste quelques dvd des "Chinois à Paris".

samedi 23 juillet 2011

La terreur blanche.

Nos préjugés sont bien ancrés dans les têtes. Les clichés existent pour nous rassurer. La Norvège est le pays le plus tranquille au monde ; personne ne songerait à s'en prendre à lui. Que pourrait-on lui reprocher ? Ce n'est pas comme la turbulente et impériale Amérique ... Sa monarchie parlementaire, son socialisme modéré, son traditionnel pacifisme en font un régime au-dessus de tout soupçon, un royaume qui n'est quasiment pas de ce monde.

Et pourtant, la tragédie qui l'a hier frappée nous a immédiatement renvoyés à des images de 11 septembre, et c'est tout de suite Al Qaida qui s'est imposé dans les esprits. Face à l'horreur, nous avons besoin d'explications, et rapidement. Sauf que le terroriste n'est pas musulman mais anti-musulman, avec une jolie frimousse de jeune blondinet très propre sur lui, qui n'entre pas du tout dans les cadres de notre pensée toute faite. Une gueule de fanatique sanguinaire, on ne l'imagine pas ainsi.

De plus, le criminel se prétend "chrétien", d'après ce qu'on en sait, d'un genre sûrement particulier puisque n'appliquant pas les commandements d'amour et de paix qui sont ceux de cette religion, d'après ce que nous en savons. N'allons-nous pas finir par douter de tout ? Un peu d'histoire nous rappellerait utilement que la terreur à des fins politiques (le soi-disant chrétien s'intéressait aussi à l'extrême droite) est une invention occidentale, moderne, à prétention rationnelle, et pas une violence d'illuminés orientaux un peu fous et très superstitieux.

De même, nous demeurons interloqués, à ce stade de l'enquête, devant la démarche personnelle de l'acte, la seule décision d'un individu isolé. Quand nous songeons au terrorisme, nous imaginons des groupes organisés, quand ce ne sont pas des complots internationaux. Qu'un homme dépose une bombe dans une ville puis commette un massacre sur une île, ôte la vie à plus de quatre-vingt dix personnes, nous laisse stupéfaits, abasourdis, jusqu'au scepticisme. Et pourtant, c'est bien la société contemporaine qui a promu l'individualisme, c'est-à-dire la croyance que l'individu n'a de compte à rendre qu'à lui-même, qu'il est le maître absolu de son destin et en quelque sorte du monde.

Nous avons longtemps cru que la terreur était rouge (Staline) ou verte (Ben Laden). Mais notre civilisation est travaillée par une terreur blanche, d'autant plus terrifiante qu'elle nous ressemble : la peur de la mondialisation, le refus de la différence, le rejet de la société multiculturelle, la haine des institutions et de la classe politique, la critique de la démocratie, la xénophobie, voilà le creuset qui conduit au crime collectif. Le temps des assassins est revenu, mais ils ne portent plus le même masque.

vendredi 22 juillet 2011

La mort dans la forêt.

Dans quelle société vivons-nous ? J'ai appris à ne m'étonner de plus grand-chose, mais il y a des étonnements auxquels on ne peut pas échapper. Les médias révèlent qu'il y a eu 25 suicides à l'ONF, Office national des forêts, depuis 2005, et quatre ce dernier mois. L'information me laisse interdit, consterné, troublé.

L'interprétation donnée, presque convenue, c'est que la crise qui frappe le travail dans notre société et le malaise qui en résulte sont si puissants qu'ils poussent à la mort jusque dans les forêts. Cette thèse est tellement énorme que je lui résiste. Si la vérité était celle-là, c'est que notre monde serait profondément pourri ... Depuis les débuts de l'humanité, les gens travaillent, le plus souvent durement, mais se tuent généralement pour de tout autres motifs que leur travail.

Je veux rester calme, rationnel, je me réfugie donc dans les chiffres, les calculs : 9500 agents travaillent à l'ONF, 25 ont mis fin à leurs jours en à peine 6 ans. Statistiquement, est-ce peu, est-ce beaucoup, est-ce normal ? Je n'en sais rien, mais je sais seulement que les statistiques sont bien souvent trompeuses, abusives. Après tout, si l'on s'intéressait aux suicides dans d'autres professions, peut-être ferions-nous d'aussi sinistres découvertes ?

Et puis, est-il légitime de rapprocher un acte privé, intime, tragiquement mystérieux, et une appartenance professionnelle, en établissant un lien de cause à effet entre celle-ci et celle-là ? J'hésite, je doute, je crois qu'il faut être très prudent. Mais il faut bien se risquer à une explication et rien n'empêche de faire des hypothèses. Admettons que le travail soit à l'origine du geste fatal : sa compréhension n'en serait pas pour autant beaucoup plus rationnelle, s'il est permis de trouver une raison d'abréger sa vie.

En effet, les salariés de l'ONF sont des gardes-forestiers, magnifique métier au milieu de la nature, dans la beauté des paysages, un lieu de vie, animale et végétale, pas un lieu de mort. Que l'univers de France-Télécom soit perçu comme kafkaïen et ubuesque jusqu'à vouloir le fuir et en mourir, je l'admets plus volontiers, quoique en me forçant un peu, tellement le pire des métiers ne me semble pas justifier d'en finir avec l'existence.

La routine administrative, le stress induit par les nouveaux critères de rentabilité, la pression sociale de la hiérarchie et des collègues de travail, le dédale et la laideur des couloirs, les bureaux gris et anonymes, la perte de sens de ce qu'on fait, tout cela constitue un creuset incontestablement mortifère. Mais le soleil, le vent, les couleurs et les odeurs des plantes, des arbres et des fleurs, cet environnement respire la vie, ne peut que l'encourager !

J'ai écouté, j'ai lu attentivement les commentaires, pour lever un morceau du voile. Il y a des faits objectifs : en 25 ans, l'Office national des forêts s'est séparé d'un tiers de ses agents. La menace de perdre son emploi expliquerait-elle, du moins sur des esprits fragiles, l'acte désespéré ? Je n'y crois pas. D'autres secteurs professionnels ont subi d'importantes réductions d'effectifs sans qu'on y remarque ce genre de tragédies.

Il y a une explication subjective, psychologique, là-aussi répercutée par les médias : l'isolement ! Oui, un garde-forestier exerce une activité relativement solitaire, comme le gardien de phare ou le berger de montagne. Mais la mentalité grégaire développée par notre société serait-elle si forte que la solitude en deviendrait insupportable et mortelle ?

D'autant qu'on n'est jamais vraiment seul dans la vie, qu'il y a la famille, les amis et que le métier ne fait pas le tout de l'existence. Il serait d'ailleurs paradoxal que notre monde de la communication, avec ses nouvelles technologies, soit un monde de tragique solitude, même si c'est un lieu commun de le déplorer. Et puis, a-t-on oublié que la solitude pouvait aussi avoir du bon et que le contact avec les autres amenait parfois à désespérer d'eux et par contrecoup de soi ?

Mes doutes, mon incompréhension ne sont donc pas effacés par ma réflexion en quête de rationalisation. Les remèdes proposés par l'administration des forêts ont le mérite d'exister mais me paraissent dérisoires, incapables de répondre à l'énigme douloureuse des suicides : "accompagnement personnel", "soutien des agents les plus fragiles", "évitement des situations d'isolement". Les mots d'aujourd'hui sont faits pour rassurer ; ils ne guérissent sans doute pas de blessures secrètes, très anciennes et peut-être inconsolables.

Boules puantes ?

Je porte beaucoup d'attention au vocabulaire de nos personnages publics, hommes et femmes politiques. C'est normal : quand on choisit de s'adresser à des millions d'individus, on fait attention à ce qu'on dit. Et puis, je suis comme tout le monde un peu freudien, je pense que les mots que nous employons ne sont jamais innocents, révèlent quelque chose de ce que nous sommes.

C'est pourquoi j'ai été surpris d'entendre l'expression "boule puante" à propos de l'affaire dite "Banon-DSK", impliquant indirectement et involontairement François Hollande. Celui-ci n'a rien à voir là-dedans, c'est évident, mais certains sont soupçonnés de vouloir l'y mêler, dans le but de le discréditer, de ternir son image de présidentiable. C'est de la basse politique, comme il en existe hélas depuis que la politique existe. Mais faut-il qualifier cette manoeuvre de "boule puante" ?

Par le passé, ce genre d'opérations certes nauséabondes n'ont jamais été désignées ainsi, autant que je remonte dans mes souvenirs politiques. "Boule puante", ça fait sale gosse, mauvais tour, farces et attrapes, pas très sérieux, amusement de cour d'école : ce n'est pas au niveau de ce qu'on veut dénoncer, qu'il faut plus précisément appeler amalgame, manipulation, diffamation, calomnie mais pas "boule puante".

Car c'est d'une tentative de viol dont il est question, que certaines personnalités se voient accusées d'avoir su et tû. C'est donc une affaire grave, un soupçon terrible, une atteinte à l'honneur et à la probité. Évoquer des "boules puantes", c'est rabaisser ce qui se passe, l'atténuer, en faire une polémique somme toute légère. Je suis consterné par le relâchement que trahit l'emploi de cette image, qui est tout à fait déplacé. Les "boules puantes" ne réclament pas l'intervention de la loi, ne se traitent pas devant la justice, mais débouchent seulement sur une réprimande à des garnements agités.

Dans ce laxisme langagier, je perçois aussi un refus de la responsabilité : taxer l'affaire Banon-DSK de "magouille" ou de "scandale", ce serait faire usage de termes forts, qui engagent, qui impliquent, dont on peut vous demander de rendre compte. "Boule puante", la formule prête au sourire et à la grimace, on n'en fera pas toute une histoire. Il y a même une dimension ludique dans cette expression, qu'on retient, qu'on répète parce qu'elle est plaisante à prononcer, imagée, évocatrice, quasi folklorique.

Pour les prochaines élections présidentielles, je crains le pire en matière de débat public. Notre société dévalue trop les idées au profit des personnes, des mots et des images, donc au détriment certain de la vie démocratique de notre pays. Rien de bon ne peut sortir de cette situation.

jeudi 21 juillet 2011

30 ans de navette.

J'y ai pensé toute la journée, mais nous ne devions pas être très nombreux : le retour de la navette Atlantis, son dernier voyage, trente ans d'exploration spatiale qui se terminent, un sentiment de tristesse qui me gagne. L'évènement, qui ne fait pourtant pas énormément parler de lui, est aussi important, aussi révélateur que l'arrêt des missions Apollo en 1972. Ne croyez pas que je sois seulement dans la science ; c'est bien de politique dont il s'agit.

La conquête du ciel puis de l'espace, c'est la grande aventure humaine du siècle précédent, ce qu'on retiendra de lui dans quelques millénaires, avec les guerres mondiales et le génocide juif. Sauf que la Lune, c'est le triomphe de la technique, de la volonté politique, un rêve devenu réalité, une entreprise grandiose et totalement positive, que notre civilisation a choisi néanmoins de stopper. Avec cette décision, c'est peut-être la fin du monde moderne, aventurier, avide de progrès et de succès.

Après avoir conquis le monde, il restait à l'humanité à se répandre dans l'univers. Qu'est-ce qui nous retient ? La connaissance n'a jamais été aussi puissante. L'argent ne manque pas, souvent si mal utilisé. L'intérêt est évident. Alors quoi ? Sans doute nos sociétés contemporaines sont très fatiguées, repliées sur elles-mêmes, soucieuses de leurs petits problèmes et non plus d'un grand destin. Adieu la Lune, fini Mars ? Je ne sais pas, je ne crois pas. Les hommes y reviendront, y retourneront, lorsqu'ils auront renoué avec la volonté, le courage et l'optimisme.

mercredi 20 juillet 2011

Une histoire de bagnole.

Déjeuner aujourd'hui avec un ami amiénois, ouvert, intelligent, de gauche. J'essaie depuis des années d'en faire un socialiste (il l'est de coeur mais pas de carte). Depuis des années, il hésite et résiste. A chaque fois, il me sort un nouvel argument pour ne pas adhérer. Au dessert, j'ai cru que mon affaire était cette fois bien engagée quand il m'a parlé, en d'excellents termes, du nouveau président socialiste du conseil général de la Somme, Christian Manable, qu'il connaît bien et que je ne connais pas.

Mon ami me confie qu'il a été impressionné par une décision de Manable, aux lendemains de son élection : refuser la belle voiture de fonction qu'on lui proposait pour en garder une, plus modeste. Mon ami m'a donné les marques respectives des deux véhicules, qui ne m'ont rien dit et que j'ai aussitôt oubliées, n'étant pas du tout "bagnole". Et mon ami de conclure : "Quand tous les socialistes seront comme lui et feront ça, je deviendrai socialiste". Une fois de plus, ma tentative de le faire adhérer avait échoué, alors que je me sentais près du but !

J'ai pourtant contre-argumenté sévèrement : cette histoire de bagnole, c'est de l'anecdote, il ne faut pas juger un politique sur son automobile mais sur sa politique. A la limite, c'est complètement démago : une vie austère ne garantit pas de bons résultats. Mais je n'en menais pas trop large, l'ami me sachant strauss-kahnien, donc supporter à ses yeux d'un homme friqué menant grand train de vie.

Mon ami est sympa et sincère, à bien des égards représentatif d'une certaine gauche profonde, instinctive. Je ne partage pourtant pas sa démonstration mais je peux comprendre sa réaction. Je la crois révélatrice d'un nouveau comportement de l'électorat de gauche envers ses élus et dirigeants, mais aussi d'une évolution générale des mentalités par rapport à la politique : on ne juge plus trop les hommes sur leurs idées mais sur leurs modes de vie. C'est la société de l'image qui veut ça, ainsi que la valorisation de la morale et de la psychologie au détriment de l'idéologie.

Je déplore cet état de fait mais je suis bien obligé de l'accepter après l'avoir constaté. Et puis, en toute chose il faut par principe retenir le côté positif : demander à des élus ou responsables de gauche de ne pas se couler dans une vie trop bourgeoise, avec grosses bagnoles, bons restau, vins fins, costards de frimeurs, vacances à l'étranger, en tout cas ne pas faire un étalage public d'une existence qui n'est pas celle de notre électorat, cette réclamation a du bon, est vertueuse.

Et j'ajouterais : c'est désormais électoralement payant. Quand je vois dans mes réunions le rejet fréquent et violent du cumul des mandats et des indemnités, je me dis qu'il va falloir que nous, socialistes, nous nous mettions au diapason, que cela nous plaise ou non. Il ne s'agit bien sûr pas de tomber dans le puritanisme mais de mettre en conformité les convictions et les modes de vie. Peut-être qu'alors, au prochain déjeuner avec mon ami amiénois, j'en ferai un socialiste ...

mardi 19 juillet 2011

Une tragédie sans fin.

L'été, il nous arrive toujours, l'avez-vous remarqué ? quelque chose d'incroyable, d'extraordinaire, qui tranche sur le reste de l'année. Pour les uns, c'est une rencontre amoureuse ; pour les autres, c'est la découverte d'une région, d'un pays, d'un livre. Pour moi, l'évènement a eu lieu hier et aujourd'hui, et c'est encore autre chose, que je vais vous raconter, d'autant que mes lecteurs pourront en tirer quelques profitables leçons et utiles conseils. Je ne crois pas que je vivrai plus belle et terrible histoire dans les prochaines semaines.

Tout a donc commencé hier soir, vers 23h00, devant chez moi, où je promenais à bras mon chat, comme chaque soir vers 23h00. Sauf que ma bête était tout énervée, très agitée, que j'avais du mal à la maintenir contre moi. "Monsieur" (c'est le nom familier que je lui ai donné) ne cessait de regarder vers le ciel, ce qui n'est pas dans ses habitudes ; généralement, il observe le sol et le dessous des voitures.

J'ai à mon tour levé les yeux, et là, j'ai vu, j'ai compris : un oiseau s'agitait lui-aussi, au bord de mon toit, mais pas pour la même raison que "Monsieur" : l'animal était manifestement coincé dans un trou, il battait désespérément des ailes sans pouvoir en sortir, son probable refuge s'était transformé en piège.

J'ai d'abord cru que l'empêchement était momentané, que la bête en forçant allait finir par se tirer de cette sale affaire. A minuit, je suis ressorti : évidemment, l'oiseau était toujours retenu par je ne sais quoi, déployant en vain ses ailes, piaillant légèrement. La scène était pathétique à voir, renforcée par mon impuissance à faire quoi que ce soit pour y mettre un terme. Je suis bon citoyen, républicain éclairé et ami des animaux, je me devais d'agir, ma conscience morale me l'ordonnait, même à minuit.

Une image atroce s'est imposée à mon esprit : la pauvre bête allait passer la nuit à s'épuiser d'efforts inutiles, sous la pluie, dans de terribles souffrances entraînant une mort lente, de fatigue et de faim. La torture se poursuivrait sans doute au matin, peut-être sur plusieurs jours (combien de temps met un oiseau pour mourir dans de pareilles circonstances ?). Ma chambre est sous les toits, mon lit à quelques mètres du sinistre tableau : pouvais-je dormir dans de telles conditions, avec la douleur et la mort au-dessus de ma tête ?

Qu'auriez-vous fait à ma place ? J'étais gêné mais je l'ai fait, je ne voyais pas d'autres solutions : j'ai appelé les pompiers. Gêné de les déranger pour ça : après tout, ce n'était qu'une bête, il n'y avait pas mort d'homme . Et puis, on ne sait jamais, ce n'était peut-être pas si dramatique, l'oiseau pouvait se libérer au cours de la nuit. Mais j'ai toujours entendu dire que les pompiers se déplaçaient pour sauver un chat incapable de descendre d'un arbre. Alors, un oiseau coincé sous un toit, pourquoi pas ? Bon, faire venir la grande échelle et tout le cinéma, c'est vrai qu'on hésite. Mais passer un coup de fil pour connaître leur avis, ça m'a semblé raisonnable.

Savez-vous que lorsqu'on appelle les pompiers, votre message est enregistré ? C'est ce dont m'a prévenu le répondeur automatique, et j'ai presque regretté d'avoir décroché mon téléphone. Quand le vin est tiré, il faut le boire. Au bout du fil, la personne de service a été compréhensive, m'a posé des questions (notamment sur l'espèce de l'oiseau, à quoi je n'ai pas su répondre ; plus tard, sur internet, j'ai compris que c'était un martinet) et proposé de revoir ça le lendemain, au matin, une intervention n'étant pas immédiatement possible.

J'ai eu alors le sentiment que la sagesse l'emportait : ne pas se précipiter, attendre quelques heures, avec l'espoir que la tragédie se serait dénouée d'elle-même, ou plutôt à coups d'ailes. Mais la sagesse ne tient jamais très longtemps devant la pensée qu'une créature, même animale, se débat avec une injuste souffrance. Comment pouvais-je trouver le sommeil du juste ?

La nuit, des moments de folie gagnent l'esprit. J'en étais arrivé là. L'inévitable tentation m'a pris : monter sur le toit et délivrer l'oiseau. Celui-ci n'était pas très loin de ma fenêtre, le bord du toit est plat et relativement large, l'expédition était jouable : je pouvais ainsi faire l'économie d'une nuit d'inquiétudes, de reproches et de tourments et d'une intervention matinale des pompiers.

Sauf qu'il y avait un blème : je suis accablé d'un vertige maladif, la tête me tourne dès que je monte sur un escabeau et ma maison comporte deux étages ! Il fallait pourtant que quelqu'un se sacrifie pour éviter le sacrifice de l'oiseau : j'ai délégué cette tâche héroïque à ma compagne, qui n'a peur de rien, pas même du vide. Elle a d'ailleurs parfaitement effectué sa mission, comme un vrai chat de gouttière qui irait sauver les oiseaux au lieu de les croquer. Vous croyez peut-être que mon histoire d'été arrive à son (heureux) terme ? Erreur fatale.

Il ne suffisait pas de monter sur le toit, décision valeureuse en soi mais incomplète : il fallait soustraire l'oiseau à sa prison. Ma compagne s'y est reprise à plusieurs fois, sans réussir. Se saisissant du corps de l'animal, elle ne parvenait pas à le tirer de son mauvais pas, quelque chose résistait, bloquait, probablement une patte sévèrement retenue dans une crevasse ou une fissure. Le mal restait donc invaincu et notre sommeil promis à bien des cauchemars.

L'opération n'était pas sans risque, non de chute mais de réputation : se retrouver à minuit sur un toit rue Jean-Jaurès, alors que la plupart de mes voisins bourgeois sont en vacances, c'est se faire passer pour ce qu'on n'est pas, un cambrioleur ! Je tiens à mon image, j'ai quelques responsabilités publiques et j'espère en un avenir politique : la bonne intention pouvait se retourner en fâcheux scandale. Heureusement, à cette heure, les honnêtes gens ne sont pas à leur fenêtre.

Au matin, ce matin, l'option des pompiers m'est revenue, mais une autre aussi, tant il est vrai que la nuit porte conseil : puisqu'un animal était en danger, pourquoi ne pas contacter la maison de la nature, dans le parc d'Isle, habituée à s'occuper d'oiseaux ? Mais l'appel débouchait sur un sifflement désagréable qui indique en général la présence d'un fax. Raté !

A quel saint alors se vouer ? Quand un croyant rencontre une difficulté, il prie son dieu ; quand un saint-quentinois est dans le même embarras, il téléphone à la mairie. C'est ce que j'ai fait. A l'accueil, j'ai été transféré dans un service qui m'a mis en communication avec un homme, l'homme de la situation, mon sauveur : monsieur Modderman, du service environnement de la communauté d'agglomération, responsable du centre de sauvegarde de la faune sauvage et de la maison de la nature. Au bout d'une heure, le temps pour lui de trouver un véhicule pour venir jusqu'à chez moi et il était sur mon toit. Ce monsieur Modderman, c'est Spiderman !

Il a saisi l'oiseau très naturellement, comme s'il avait fait ça toute sa vie (peut-être a-t-il fait ça toute sa vie ?) et l'a mis tout simplement dans sa poche ! Il fallait inévitablement forcer pour le libérer, une patte a été endommagée, la bête devait être soignée. Ce dénouement a suffi à ma joie une bonne partie de la journée, ma conscience allégée d'un poids. Merci, merci, merci monsieur Modderman. Comment pourrais-je remercier cet homme, qui certes n'a fait que son devoir et son métier, mais qui mérite tout de même ma reconnaissance ? Peut-être lui offrir un oiseau ... en cage.

Happy end ? J'aurais tant aimé ... Dans l'après-midi, après une nuit tourmentée et tant d'émotions, je me suis allongé et rapidement assoupi. Et savez-vous ce que j'ai entendu au plus profond de mon sommeil ? Des cris de détresse, des cris d'oiseaux ! Je me suis réveillé brutalement, dans l'angoisse et la sueur : croyez-moi si vous voulez, j'étais persuadé n'avoir pas rêvé, que ces appels au secours étaient réels. J'ai fait alors ce que je fais toujours et que je réussis plutôt bien : réfléchir. Et voilà le cheminement de ma pensée :

Pourquoi l'oiseau de cette nuit était-il prisonnier sous mon toit ? Qu'est-ce qui l'avait conduit jusque-là ? Visiblement, le haut du mur est percé d'un trou qu'utilisait l'animal pour s'abriter, se cacher. Voyez-vous où je veux en venir ? Cet endroit, c'était probablement le nid du martinet, dans lequel il venait approvisionner ses petits, qui à l'heure actuelle se sentent abandonnés, en attente d'une nourriture qui ne viendra jamais, mourant peu à peu d'inanition. J'ai sauvé un oiseau et j'ai peut-être sacrifié quatre ou cinq oisillons. Le pire, c'est que je ne saurai jamais. Ces piaillements plaintifs dans la nuit, sont-ils le produit imaginaire de mes angoisses ou les gémissements réels d'une tragédie sans fin ?

lundi 18 juillet 2011

Du pain et des roses.

En rencontrant ce matin cette responsable bien connue d'une importante association caritative saint-quentinoise, j'étais un peu gêné, je ne savais pas trop quoi lui proposer. Qu'apportons-nous ? Quelle utilité avons-nous ? Ce sont les questions qu'il faut se poser avant toute action. Je ne crois pas aux bonnes intentions, encore moins aux belles paroles : il n'y a que les résultats qui comptent quand on fait quelque chose.

Cette dame m'apprécie pour mes cafés philo. Quand j'entre dans son bureau, elle ouvre devant moi la page de L'Aisne Nouvelle de ce jour, consacrée à l'assemblée générale de la Ligue de l'enseignement, pour me signaler que nous partageons elle et moi les mêmes préoccupations, même si mon association et la sienne n'ont pas tout à fait les mêmes valeurs.

Je comprends mais je m'interroge : des jeunes en recherche de boulot, qui ont parfois à peine de quoi manger, se déplacer, se loger, qu'ont-ils donc à faire d'un café philo ? Voilà ma gêne et mon doute. J'aimerais leur apporter de l'argent et du travail ; tout le reste, aussi éminent soit-il, me paraît dérisoire, quasiment indécent.

Bien sûr, je rencontre fréquemment des publics qui ne sont pas très éloignés de celui-là, dans des difficultés que la plupart de nos concitoyens ignorent, qu'ils ne connaissent qu'indirectement, par les journaux et la télévision. Mais ça ne lève pas mes réticences et mes exigences. Je sais parfaitement que la formule "café philo" remporte un grand succès auprès de ce qu'on appelle les classes moyennes, qui cherchent à se cultiver et à échanger. Mais l'étiquette, quand elle est mal comprise, renvoie à la scolarisation : on craint de voir arriver un prof qui va faire un cours.

Ma réponse à ce problème est toujours la même : vos jeunes, que veulent-ils ? Est-ce que ça les intéresse que je vienne ? Et je propose une expérience, sur la base du volontariat, qui n'engage à rien et qu'on renouvelle ou pas, à partir des résultats. Je ne connais pas de meilleure méthode. Généralement, ça marche : on ne fait pas appel à quelqu'un qui ne servirait finalement à rien. C'est une grande loi de l'existence : ceux qui n'ont pas besoin de vous ne viennent pas vous chercher, et la politesse réciproque implique de ne pas les solliciter.

Les plus pauvres de notre société, les "exclus" comme on les désigne aujourd'hui, veulent du pain et du fric, mais pas seulement. Ce que notre société leur offre, c'est du pain et des jeux, pour reprendre la vieille formule romaine. Le beau slogan ouvrier que je retiens et qu'au fond d'eux-mêmes ils réclament, c'est du pain et des roses (rien à voir avec le PS, soit dit en passant !) : les roses, chacun y mettra ce qu'il voudra, ce sont les revendications qui ne sont pas matérielles, alimentaires ou pécuniaires.

Les roses, pour moi, c'est précisément ce que je peux, à mon niveau, leur apporter de mieux et que mon interlocutrice de ce matin m'a confirmé : non pas tellement l'accès à la culture, privilège qui n'entre pas encore dans leurs soucis, mais la libération et l'apprentissage de la parole, c'est-à-dire l'émancipation de soi. Il faut être de mentalité bourgeoise, et très fermé, pour ignorer à quel point la pratique du langage est un exercice difficile et pourtant libérateur, qui n'est pas permis à tous, qui est fortement discriminant. Dans notre société, ceux qui ont le pouvoir sont ceux qui ont la parole, qui savent en user, aussi médiocres soient-ils moralement ou intellectuellement.

En octobre prochain, quand je me rendrai au milieu de ces jeunes déshérités, mon objectif sera celui-là : non pas un débat d'idées (quelle prétention !) mais quelque chose de beaucoup plus important, la libération de la parole sur des sujets qui leur tiennent à coeur, où ils ont à dire. Dans notre société, ce sont trop souvent les mêmes qui parlent et qu'on entend.

La démocratisation, par l'école et par l'éducation populaire, c'est d'ouvrir le langage à ceux qui en sont privés, qui n'osent pas, qu'on n'écoute pas parce qu'ils se taisent. Je le sais : les milieux ouvriers sont dans le silence ou les cris de révolte. Ce n'est pas parce que les classes moyennes ont confisqué l'expression publique et représentent désormais l'opinion générale que les exclus doivent se taire, dans la honte, l'ignorance ou la culpabilisation.

Cette rencontre, nous ne l'appellerons pas "café philo", trop scolaire, "groupe de parole" non plus, trop psycho, mais "café débat", comme dans mes interventions au sein de l'EPIDE. Là aussi, dans l'annonce de ce qui est proposé (et dont la participation est bien sûr libre), les mots ont leur importance. Une nouvelle initiative pour cette association, un nouveau plaisir pour moi, un nouvel espoir pour eux ; ce sont les roses que j'ai à leur offrir.

dimanche 17 juillet 2011

Un matin de contrastes.

Ce matin, à Saint-Quentin, devant le monument du ghetto de Varsovie, pour la cérémonie commémorative de la rafle du Vel d'Hiv, ce sont les contrastes qui ont retenu mon attention. Le temps d'abord : novembre en juillet, l'automne pendant l'été, ciel gris, vent froid, pluie.

Contraste aussi dans la durée : il y a trois jours, au même endroit, on fêtait le 14 juillet, avec une grosse foule, mais aujourd'hui une petite troupe, les survivants et les descendants de la communauté juive saint-quentinoise, "nos amis", comme l'a dit le sous-préfet, Jacques Destouches, dans son discours. C'est pourtant le même rituel, mais en beaucoup plus petit : porte-drapeaux, gendarmes en armes, garde-à-vous, musique solennelle, revue des troupes par les officiels.

Et puis, contraste entre les participants et les passants, promeneurs en k-way et joggeurs fluo, indifférents ou surpris, profitant d'une pause ou d'un étirement pour jeter un bref coup d'oeil et repartir presque aussitôt.

Contraste enfin dans l'enchaînement des musiques : la Marseillaise ouvre la cérémonie, impose son ton lyrique et combatif, vite cassé par les chants juifs, de détresse et d'espoir, qui produisent en moi à chaque fois une mélancolie qui invite à la réflexion, toujours la même lorsque je me retrouve là une fois par an, en une date qui nous parle plus de vacances, de détente et de soleil que de tragédie.

Alors, deux nouveaux contrastes s'imposent à mon esprit, deux interrogations, deux mystères : pourquoi le génocide juif a-t-il été organisé par un pays, l'Allemagne, qui était en son temps à la pointe de la civilisation, en matière d'art, de littérature, de science et de philosophie ? Comme si la culture ne protégeait aucunement de la barbarie ...

Pourquoi le génocide juif a-t-il été accepté, soutenu et même devancé par les autorités françaises, pourtant héritières de la Grande Révolution et d'une puissante Troisième République ? Comment des élites, des institutions, des services publics ont-ils pu bafouer toute une tradition, des idéaux ? Comment un peuple, dans ses grandes masses, a-t-il pu suivre passivement et même soutenir avec ferveur, du moins dans les premiers temps, un régime de collaboration, de négation de l'esprit français ?

Ce qu'il y a de terrible avec la politique, c'est qu'elle montre, à travers ses évènements, la plupart des hommes sous leur jour le plus sombre, laissant un peu de lumière à quelques-uns seulement. En même temps, c'est une salubre épreuve de vérité, où les faiblesses, les lâchetés et les trahisons sortent de leur trou. L'ombre et la lumière, c'est toujours une affaire de contrastes ...

samedi 16 juillet 2011

Visite au temple.

L'été, les vacances, c'est la période d'élaboration des projets. Quand l'année scolaire reprend, les cours, les réunions, les animations, le temps est trop serré, l'anticipation est passée, il faut mettre en application, exécuter et non plus prévoir. Dans n'importe quel domaine, une bonne initiative se décide au moins un an à l'avance ; sinon c'est qu'elle est mauvaise ou minable. J'aime ce moment de liberté, d'imagination, de création, où tout est possible dans ma tête et sur le papier. Avant que les difficultés matérielles, humaines, techniques et financières n'apparaissent très vite, quand la mise en oeuvre commence.

Parmi mes nombreux projets, la plupart sont à base de partenariats. J'ai depuis longtemps abandonné l'idée qu'une manifestation pouvait s'organiser tout seul. A moins de ne pas rechercher le succès, qui n'est pas nécessairement l'objectif de tous. Certains réussissent même fort bien dans l'échec. J'essaie de ne pas me retrouver dans la catégorie des auto-satisfaits, ratant mais contents. L'année qui vient, il m'a été proposé une idée assez originale, que je veux vous évoquer, y compris vous inciter à participer.

J'ai rencontré avant-hier Marie-Pierre van den Bossche, pasteur de l'Eglise Réformée de France, exerçant à Saint-Quentin, dans le temple qui se situe rue Claude Mairesse, derrière le palais de Fervaques. C'est une personne sympathique, ouverte, férue de théologie, dont j'ai déjà pu apprécier les qualités personnelles et intellectuelles lors d'une invitation à une séance du ciné philo.

Je suis épaté par son parcours de vie : elle a renoncé à une existence bourgeoise, une carrière d'architecte, pour vivre ses convictions. Combien d'entre nous sont en capacité de s'engager autrement que par la parole, pour ne pas dire la parlote, ou les actions ponctuelles et somme toute modestes ? Le militant que je suis se sent bien inférieur à la croyante qu'elle est.

Marie-Pierre van den Bossche m'a fait visiter son édifice et nous avons disserté sur les différences entre lieux de culte catholiques et protestants ! Notre projet commun serait d'ouvrir au public extérieur les rencontres qu'elle organise entre les fidèles de son église, dans des débats animés par mes soins, qui porteraient sur des questions de société, avec l'éclairage biblique de madame le pasteur.

L'idée me plaît beaucoup, à plusieurs titres. D'abord parce qu'un groupe qui tente de briser l'entre soi et se soumet aux réflexions et aux critiques d'autrui (y compris celles des agnostiques, des anticléricaux et des athées) attire toujours ma sympathie, tant il faut d'efforts et de risques pour s'engager dans cette démarche. Ce qui est hélas naturel aux êtres humains, c'est de rester en famille, se conforter les uns les autres, se rassurer en communiant aux mêmes évidences. Que les protestants saint-quentinois acceptent de confronter leurs idées, fassent appel à quelqu'un qui n'est pas des leurs, je trouve ça plutôt bien !

Et puis, le protestantisme a toute une histoire dans l'Aisne. Allez visiter le temple-musée de Lemé, en Thiérache. Savez-vous que Calvin est né pas très loin de Saint-Quentin, à Noyon ? Enfin, en tant que laïque, comment pourrais-je ne pas m'intéresser à la précieuse contribution de la Réforme au monde moderne, révolutionnaire et républicain ! La mystique, la foi, c'est autre chose, plus intime, qui ne regarde que moi et qu'en laïque scrupuleux je réserve à la sphère privée.

Je n'oublie pas non plus que la lecture de la Bible est un travail de culture générale, au même titre que l'étude du Manifeste communiste de Karl Marx (on dit que ce seraient les deux ouvrages les plus lus au monde !). En attendant, ce projet, qui se déclinerait mensuellement, entraîne mon enthousiasme. J'aurai l'occasion de vous en reparler, comme d'autres initiatives que je complote pendant l'été ...

vendredi 15 juillet 2011

Le joly défilé citoyen.

Depuis vingt-quatre heures, tout le monde ne parle que de ça. Pourquoi voudriez-vous que je vous parle d'autre chose ? Il s'agit bien sûr de la proposition d'Eva Joly de remplacer le défilé militaire du 14 juillet par un "défilé citoyen". Je ne peux évidemment pas souscrire à ce projet, en tant que républicain et en tant que socialiste.

Aucune personnalité de mon parti n'a d'ailleurs soutenu, rien qu'un peu, la candidate écologiste. Normal : l'armée, la République et le peuple doivent être liés, et quoi de mieux que la célébration de la Révolution pour le signifier ? Je crois qu'il n'est pas besoin d'argumenter beaucoup plus ; jamais la gauche n'a remis en cause la dimension militaire de la fête nationale.

En même temps, je pense qu'on en fait trop autour de la déclaration maladroite et radicale d'Eva Joly. Et certains élus de droite ont tenu des propos déplacés sur sa vie, son passé, ses origines. Laissons ce genre d'ignominie à l'extrême droite. Ce que je remarque plutôt, c'est que Joly exprime une sensibilité d'extrême gauche, pacifiste, antimilitariste, internationaliste, qui est respectable mais que je ne partage pas.

Regardez à Saint-Quentin : les élus d'extrême gauche n'étaient pas présents au défilé du 14 juillet, comme ils ne participent à aucune cérémonie patriotique, alors que leur mandat de conseillers d'opposition implique aussi un travail de représentation. Ce sont leurs convictions qui le leur interdisent. Mais la gauche traditionnelle, réformiste, ne peut aucunement se reconnaître dans une telle démarche anarchisante.

Ceci dit, je veux être bon prince avec Eva Joly, en faisant l'effort d'imaginer ce que pourrait être, dans ma ville, ce fameux "défilé citoyen" qu'elle suggère. Je suppose qu'il rassemblerait les forces vives de la nation, la société civile. Après tout, ce n'est pas si bête !

A la place des différents corps d'armée, je verrais bien, en tête, les représentants des principaux services publics, enseignants, infirmières, postiers et cheminots. Des chars, qui ne seraient bien sûr pas d'assaut, symboliseraient les activités de ces métiers, la classe et la chambre d'hôpital par exemple. Les facteurs auraient fière allure en défilant à vélo.

J'imagine aussi, à la suite, les gros bataillons du monde associatif, qu'il serait logique d'ordonner par ordre décroissant de leur importance, ce qui reviendrait à mettre en avant la Ligue de l'enseignement de l'Aisne, ses 157 associations et ses 6677 adhérents (au jour d'aujourd'hui). Il va de soi que c'est son président qui serait désigné général en chef de cette partie du défilé, et à ce titre le premier à passer devant la tribune officielle.

Enfin, le "défilé citoyen" se terminerait par ses troupes les plus nombreuses, les plus denses, les anonymes, les quidams, les pékins, bref le peuple tout entier foulant le pavé et confronté aux regards du peuple massé sur les trottoirs. Dans le ciel, montgolfières et avions de tourisme pourraient afficher des slogans d'amour et de paix. Pourquoi pas, nous avons tous le droit de rêver, même Eva Joly.

jeudi 14 juillet 2011

Les grands enfants de la République.

C'est quoi le 14 juillet ? Le défilé militaire, le bal aux lampions et le feu d'artifice. C'est la sainte trinité de cette républicaine journée, la plus républicaine de l'année. En voulant supprimer le défilé militaire, Eva Joly gâche notre 14 juillet ! Comme si un chrétien voulait priver le Père et le Fils du Saint-Esprit ! Le 14 juillet, c'est la fête des enfants de la République et de tous les enfants : pétards pour une fois autorisés !

Pour sacrifier à la tradition, je suis donc allé ce matin voir passer le défilé. Et j'ai de la chance : dans ma ville de Saint-Quentin, qui n'est que moyenne, il y a un vrai, beau et grand défilé, comme à Paris, comme dans les grandes villes, avec des chars dans les rues (bon, un seul char, et ancien modèle, mais c'est mieux que rien) et même des avions dans le ciel, et pas n'importe lesquels, la Patrouille de France lâchant ses fumées tricolores.

Il ne manquait qu'un chef d'Etat, mais nous avions son représentant, le sous-préfet Jacques Destouches. Et le gouvernement, c'étaient les adjoints et élus du conseil municipal ! Vincent Savelli, vice-président de la communauté d'agglomération, tranchait sur le gris officiel des VIP avec son costume beige et un parapluie-parasol capable d'abriter tout un régiment.

Trois hommes ont permis la bonne organisation et la haute tenue de ce défilé. D'abord Pascal Cordier, micro à la main et boîtier aux côtés, qui ressemblait à un syndicaliste à mégaphone, la virulence en moins. Mais ce n'était que le Léon Zitrone de la matinée, commentant avec précision et compétence les prestations terrestres et célestes.

Ensuite Jean-Claude Decroix, notre indispensable maître des cérémonies, sans lequel le défilé serait cul par-dessus tête, Freddy Grzeziczak, simple adjoint, cachant Monique Ryo, première adjointe, ou les militaires descendant le boulevard Gambetta au lieu de le remonter. Grâce à celui que Christian Huguet appelle "Monsieur le Grand Chambellan", ces désordres ont été évités, le protocole a été scrupuleusement respecté.

Enfin Fabrice Leroy, en bel uniforme de la police municipale, veillant avec autorité et souplesse que la population en liesse ne déborde pas trop sur la chaussée. Un accident est si vite arrivé ... A chaque avertissement qu'il donnait aux récalcitrants et imprudents, c'est comme si une tirade de slam était interprétée, ce qui aide bien à se faire obéir (pour ceux qui l'ignorent, Fabrice Leroy est un slameur patenté).

Ce défilé saint-quentinois n'était pas d'un militarisme sophistiqué mais avait des airs familiers, avec des uniformes qu'on croise dans la vie quotidienne : gendarmes, policiers, infirmiers, pompiers, le tout entraîné par la fanfare municipale. Un deux un deux un deux, pin pon pin pon pin pon. Les enfants étaient ravis, les adultes aussi. Il y avait quand même des vrais militaires comme dans les guerres, avec du kaki et des gros fusils, des petits soldats comme ceux avec lesquels je jouais étant enfant, mais en beaucoup plus grands.

Le 14 juillet est également l'occasion d'un incroyable contraste : d'un côté la rue qui avance au pas cadencé, les corps uniformisés, de l'autre côté les trottoirs désordonnés, bigarrés, le peuple qui vient saluer son armée, la ferveur républicaine qui sent d'instinct que la liberté, l'égalité et la fraternité se protègent aussi avec des armes. David Boileau regardait passer les troupes avec la satisfaction conjuguée du commissaire de police et du jeune marié.

On croit généralement que ce genre de démonstration martiale manifeste une virilité qui exclut les femmes. Faux ! Les dames étaient à leur place et dans le rang, certes moins nombreuses que les hommes, mais le temps viendra. Elles avaient même leur originalité, policières à cheval de fière allure, dominant la foule, et militaires de charme de l'US Army qu'on croyait sorties d'un vieux film.

Dans le public, les jeunes de l'EPIDE et les enfants des centres sociaux Neuville, Europe et Champagne-Artois n'étaient pas les derniers à s'enthousiasmer, les uns entonnant avec entrain une Marseillaise devant le monument aux morts, les autres agitant des petits drapeaux tricolores tout au long du parcours. Il ne manquait que le beau temps : petite pluie, ciel gris, vent frisquet, j'ai fait remarquer à Jean-Luc Tournay, secrétaire de section du Parti communiste, que ce n'était pas encore aujourd'hui qu'on verrait la révolution !

Quand les avions sont passés au-dessus des têtes, mirages, bombardiers, biplans de la Seconde guerre mondiale, Pascal Cordier a demandé que les bras se lèvent et que les mains s'agitent, pour faire coucou aux pilotes, comme lorsque passent un train de voyageur dans la campagne ou un car de touristes japonais en ville. Le speaker nous a assuré que de là-haut nos saluts étaient vus.

La grande échelle des pompiers a terminé le défilé et déchaîné les applaudissements. Ce camion rouge vif, c'était celui de mon enfance, comme les soldats de plomb, comme les motards en miniature, devenu lui aussi géant. A n'en pas douter, le 14 juillet, c'est la fête des grands enfants de la République.

Avant de vous quitter, j'ai une nouvelle à vous annoncer, un heureux événement : au retour du défilé, j'ai jeté un coup d'oeil à mon pot (voir le billet de dimanche dernier) et je l'ai aperçue, minuscule, fine, mignonnette, à peine une tête d'épingle, point vert sortant de terre, une pousse, la vie ! C'est ma première fleur issue du ticket ensemencé et biodégradable distribué par la communauté d'agglomération de Saint-Quentin, je l'appellerais Marianne, née un 14 juillet !

mercredi 13 juillet 2011

Vous voyez, tout est bien.

Dans ma vie publique, je vais plus souvent à des enterrements qu'à des baptêmes ou des mariages. Entre la vie, l'amour et la mort, c'est celle-ci qui me réclame. C'est ainsi, c'est la vie ! Aujourd'hui, je me suis rendu aux obsèques d'André Bocquillon, ancien maire de Bernot, disparu à 90 ans, que je connaissais bien depuis quelques années, puisqu'il manquait rarement une séance du café philo.

Le café philo à Bernot, c'est un petit bijou ! La formule fonctionne en ville, mais rarement dans les villages. Bernot est une exception, tant mieux ! Nous devons cette réussite au Foyer rural, organisateur de la manifestation. André au café philo, c'était la bonne humeur, l'esprit frondeur et parfois la chansonnette ! Un brave homme ...

L'église, cet après-midi, était pleine, beaucoup d'amis et de connaissances n'ont pas pu entrer. On reconnaissait des maires et des élus du coin, pas mal d'agriculteurs puisque André Bocquillon était des leurs, entre la mairie et son tracteur. C'est étrange : il faut assister à un enterrement pour comprendre l'influence d'un homme, que lui-même ne peut pas vraiment constater de son vivant.

La cérémonie était très sobre, très digne, avec ferveur et concentration. Ce n'est pas toujours le cas. J'ai souvent assisté à des funérailles glacées, où l'assistance restait muette ou bredouillant, en contraste avec des pleurs impressionnants jusqu'à en devenir gênants.

C'est d'ailleurs logique : la mort tourne à la tragédie ou à l'absurdité quand elle ne débouche sur aucun espoir de survie. André Bocquillon était croyant, sans bigoterie puisqu'il ne faisait jamais état de sa foi dans nos débats. Cet engagement n'est sans doute pas pour rien dans l'atmosphère paisible et confiante dans laquelle se sont déroulées ses obsèques.

J'ai apprécié et retenu le beau poème de Charles Péguy (curieusement attribué aussi à saint Augustin !) lu par l'un des nombreux petit-fils d'André, qui résume parfaitement l'idée que celui-ci se faisait de la mort, dans le grand âge qui était le sien, texte que je tiens à vous faire partager :

Vous voyez, tout est bien

La mort n'est rien, je suis simplement passé dans la pièce à côté.

Je suis moi, vous êtes vous,
Ce que nous étions les uns pour les autres, nous le sommes toujours.
Donnez-moi le nom que vous m'avez toujours donné,
Parlez-moi comme vous l'avez toujours fait,
N'employez pas un ton solennel ou triste,
Continuez à rire de ce qui nous faisait rire ensemble,
Priez, souriez, pensez à moi,
Que mon nom soit prononcé comme il l'a toujours été,
Sans emphase d'aucune sorte, sans trace d'ombre,
La vie signifie tout ce qu'elle a toujours signifié,
Elle est ce qu'elle a toujours été. Le fil n'est pas
coupé, simplement parce que je suis hors de votre vue.
Je vous attends. Je ne suis pas loin,
Juste de l'autre côté du chemin.
Vous voyez, tout est bien.

mardi 12 juillet 2011

Abdel, Gilles et Jean-Pierre.

"C'est la première fois de ma vie que je rencontre un prof de philo". Quand Jean-Pierre m'a dit ça ce matin, il y avait dans sa voix et son regard un mélange de curiosité et d'admiration. Et moi, j'ai été impressionné par son élocution très maîtrisée, sa réflexion approfondie, son oeil vif et sa barbe soignée. Pourquoi ? Parce que nous ne sommes pas n'importe où mais dans la prison de Laon, que Jean-Pierre y purge plusieurs années de détention. Avec lui, il y a Gilles et Abdel, tous les trois volontaires pour participer à ce café philo pas comme les autres parce que dans un endroit pas comme les autres, un centre pénitentiaire.

Portes, grilles, contrôles, vérifications, gardiens dans les couloirs et les étages, ça n'en finit pas et c'est normal. La Ligue de l'enseignement offre aux détenus de multiples activités culturelles et artistiques. Je dois avouer que l'atelier sculpture remporte plus de succès, ces derniers temps, que le café philo. Mais qu'importe. Il y a aussi la chaleur, qui fait sans doute préférer le match de foot dans la cour au débat dans une petite pièce. Mais Abdel, Gilles et Jean-Pierre sont là, pour réfléchir à la question : pourquoi travailler ?

Je ne suis pas seul avec eux, mais en compagnie de deux intervenantes, Elodie et Patricia. Deux jeunes femmes dans une prison d'hommes, je craignais au début des problèmes. J'étais moi aussi victime des préjugés sur la supposée concupiscence de ceux qui sont ainsi mis à l'écart de la société et de la gent féminine. Autant vous dire que j'y ai constaté plus de respect que dans bien des réunions où des barbons jettent des regards salaces sur la première jeunette et se laissent à roter des propos grivois qui réveillent péniblement leur libido assoupie. Il y a une dignité de ces détenus qui, oui, m'impressionne.

J'ai salué chacun d'une poignée de main et d'un "bonjour monsieur" pour signifier que nous étions à égalité, qu'il y avait dans la pièce des hommes et des citoyens, sans autre distinction. Je l'ai fait sans angélisme : celui qui a transgressé la loi doit payer, et la prison, faute de mieux, est faite pour ça. Mais je crois au rachat, en la rédemption. Et si mes activités dans les centres de détention peuvent y contribuer, tant mieux ...

Qu'est-ce que m'ont dit Abdel, Gilles et Jean-Pierre ? Ce que m'aurait dit n'importe quelle personne dans un café philo ordinaire : dans l'idéal, nous aimerions tous échapper au travail, ne pas devoir "gagner sa vie" (expression atroce), faire ce qui nous plaît, librement, sans quelqu'un qui nous ordonne et nous contrôle. Mais il y a la réalité, qui nous fait comprendre que le travail nous introduit en société, nous met en contact avec les autres, nous rattache à une communauté. Le travail est un apprentissage non seulement d'une profession mais de la vie sociale, de ses contraintes et de ses avantages. Sans elle et sans lui, nous serions des sauvages, sans foi ni loi.

En prison, le travail est aussi ce qui sauve de la déchéance et du désespoir : travailler son corps comme son esprit. Aucun travail n'est vain, même celui qui semble le plus médiocre (il n'y a pas de sot métier, disait ma grand-mère). Il réclame des qualités qui font notre humanité. A part quelques sublimes paresseux, je n'aime pas les fainéants, les glandeurs.

Pourtant, je n'adhère pas non plus (comme quoi tout est compliqué !) à la valeur travail et je n'oublie pas que Pétain en faisait une vertu que la République au fronton de nos écoles et mairies n'a pas retenue. Un travail ne vaut que par ses effets et ses finalités. Nous avons ri avec Abdel, Gilles et Jean-Pierre en reconnaissant qu'il y a du professionnalisme, de l'ingéniosité et de l'effort y compris dans les activités les plus délictueuses, pour lesquelles ils se retrouvent là où ils sont !

Je les ai quittés comme je les ai rencontrés, par une poignée de main accompagnée d'un "au revoir monsieur". Car je compte bien les retrouver le 30 août, avec d'autres, lors du prochain café philo dans le centre pénitentiaire de Laon.

lundi 11 juillet 2011

L'intendance ne suit pas.

J'ai passé toute la journée dans un monde qui n'est pas habituellement le mien mais auquel je me suis habitué depuis quelques années, à la tête de la Ligue de l'enseignement de l'Aisne, et même avant, comme administrateur du lycée Henri-Martin : comptabilité, trésorerie, secrétariat, budget, bilan financier, convention, contrat de travail et j'en passe, c'est le monde de la gestion.

J'ai terminé l'après-midi si j'ose dire en beauté en rencontrant madame Josette Grubski, déléguée départementale de la CGPME, Confédération générale des petites et moyennes entreprises "et du patronat réel", précise la brochure qu'elle m'a remise. Comme s'il y avait un patronat "irréel" ! Mais n'est-il pas vrai qu'on utilise aussi aujourd'hui l'expression assez étonnante d' "économie réelle" ?

En tant que professeur de philosophie, mon univers est celui des idées, pas des chiffres. En tant que militant, je me préoccupe plus de politique que de gestion. En tant que socialiste, je suis spontanément du côté des salariés, pas des employeurs. Mais comme responsable associatif, je suis employeur (une quinzaine de salariés), la gestion me concerne de près. Et c'est un monde dans lequel je peux me retrouver, puisqu'il est aussi abstrait, parfois abscons, que la philosophie !

Surtout, je crois de plus en plus qu'il ne faut pas opposer politique et gestion. C'est Strauss-Kahn, entre autres, qui m'a fait comprendre ça. Je vais encore plus loin : une bonne gauche doit être une excellente gestionnaire. Au niveau local, sur quoi les citoyens jugent-ils d'abord une équipe municipale : sur ses capacités à bien gérer la ville. Ça ne suffit bien sûr pas, les choix politiques sont essentiels. Mais ceux-ci sont réduits à néant quand la compétence est absente ou limitée.

La gauche fait parfois des complexes en matière de gestion. Elle a tort. Quand un homme de droite, le général de Gaulle, affirmait, à propos de je ne sais plus quelle décision économique : "L'intendance suivra", il se trompait, il réagissait en chef militaire, pas en chef d'entreprise. Or, la France est un marché, pas une armée. La réalité, c'est que l'intendance ne suit pas, c'est qu'elle doit avancer de concert avec la décision politique.

Je tire finalement une drôle de conclusion : j'en apprends plus sur la politique quand je suis en dehors de la politique, une association m'apporte plus qu'un parti, un conseil d'administration est plus instructif qu'une réunion de section. Je vais jusqu'à me demander si le préalable pour réussir en politique n'est pas de renoncer à faire de la politique ! Mais là, j'abandonne le monde de la gestion pour revenir à la réflexion philosophique ...

dimanche 10 juillet 2011

Le ticket qui pousse.

Qui a eu cette idée géniale ? Le président de la communauté d'agglomération de Saint-Quentin, Pierre André ? Une tête pensante de ses services administratifs ? Les responsables du réseau de bus Pastel ? En tout cas, je suis enthousiaste ! Hier, en achetant mon carnet de tickets, on me donne un drôle de petit carton, à la dimension d'une carte de visite, de texture bizarrement granulée, avec cette inscription encore plus bizarre : "le ticket qui pousse". Au début, je n'ai pas compris. Pour moi, les tickets, de bus, de restaurant ou de cinéma, ça ne pousse pas, hélas. Mais celui-ci oui, manifestement !

J'ai compris en retournant le carton et en découvrant les explications, agrémentées de petites illustrations : "Des graines de fleurs ont été intégrées dans le papier ! Prendre le ticket ensemencé, le faire tremper 30mn, le planter dans du terreau léger. Arroser, exposer au soleil. Planter à l'intérieur ou à l'extérieur à l'abri du froid". Et voilà ! Génial, je vous dis. Ça me fait penser à ce que je trouvais, quand j'étais enfant, dans Pif-Gadget. Ce dimanche, je m'y suis mis, je me suis occupé de mon "ticket qui pousse". Et ce n'est pas si facile que ça, pour l'urbain, le citadin que je suis.

D'abord, il m'a fallu de la terre. C'est bête : nous vivons sur terre ; normalement, on devrait facilement trouver de la terre un peu partout. Rien de plus simple, basique, banal que la terre. Eh bien non, j'ai été embarrassé, ne sachant pas où aller la chercher. Dans un jardin public, c'est interdit. Dans un jardin privé, il faut solliciter un ami qui a peut-être autre chose à faire. Aller à la campagne, dans un champ ? Ça m'a semblé compliqué, incertain. J'ai posé la question, on m'a répondu : la terre, ça s'achète. Je n'y avais pas songé ! Tout s'achète aujourd'hui, même la terre, alors qu'on pourrait penser qu'il suffirait de se baisser pour en extraire gratuitement ...

Je me suis donc rendu dans un magasin où l'on vend de la terre, sous plastique bien sûr, comme la viande. A nouveau, j'ai été confronté à un problème qui m'a rendu perplexe : les catégories de terre sont nombreuses, avec des noms que je ne connais pas, des qualificatifs compliqués. Jusqu'à ce jour, je pensais que la terre était comme la République, une et indivisible ; je constate qu'il y en a de multiples sortes. Mais ce n'est pas de la terre banale, vulgaire, celle qu'on trouve sous nos pas, sur cette planète. Non, c'est de la terre de luxe, de bourgeois, du terreau plus exactement, travaillée, enrichie, vitaminée, qui fait pousser très vite n'importe quoi.

J'ai finalement fait mon choix, un peu au hasard, à défaut de bien connaître les critères. Je pensais en avoir terminé avec les difficultés. Erreur ! De retour chez moi, des problèmes techniques se sont posés (au bout du compte, ce "ticket qui pousse", ce n'est peut-être pas si génial que ça !). J'ai mis dans un verre d'eau le ticket ensemencé, biodégradable, m'attendant à ce qu'il se décompose dans le liquide au bout d'une demi-heure, libérant les graines enfermées dans le papier, n'ayant plus alors qu'à les récupérer.

Le délai passé, j'observe : rien à la surface, rien au fond. Où sont passées les graines ? Idiot que je suis ! Il m'a fallu plusieurs longues minutes pour comprendre que les semences demeurent incrustées dans le carton imbibé, que c'est lui qu'il faut enfouir dans la terre. Planter du papier pour récolter des fleurs, c'est nouveau pour moi.

Mais mes petits ennuis ne sont pas finis. J'ai déniché dans ma cave un beau pot bien rond, couleur brique, ni trop gros, ni trop petit, dans lequel j'ai déposé ma terre. Mon grand-père disait en se plaignant : "la terre est basse". Les jardiniers d'appartement que nous sommes devenus pourraient dire : "la terre est sale". Même le terreau, qui est une terre plutôt propre, sans bestioles dégoûtantes, salit les mains et la moquette.

Une fois ce pot rempli, je me suis demandé à quelle profondeur il fallait enterrer le ticket : trop bas, je crains que mes petites pousses n'apparaissent jamais, ou difficilement, ou tardivement, comme l'épave au fond des mers y reste ou met du temps à remonter ; trop près de la surface, je crains que les semences ne lèvent pas, n'ayant pas l'humus suffisant pour nourrir leur croissance. Dans l'incertitude, j'ai opté pour le moyen terme, quoique plus près de la surface que du fond. Je ne sais pas si mon raisonnement est vrai, mais il est rassurant.

Une fois toutes ces tâches achevées, j'ai légèrement arrosé puis disposé le pot dans un endroit lumineux, sous une véranda. J'ai suivi scrupuleusement toutes les étapes et recommandations du mode d'emploi, tout de même moins complexe que le montage d'un meuble Ikea. A l'heure qu'il est, rien n'a poussé, aucun plant n'est encore sorti de terre. Je n'ai aucune idée du temps que ça prendra, je pars complètement à l'aventure (plusieurs jours, plusieurs semaines ?).

Je porte autant d'attention à mon pot qu'à mon chat. Je scrute, j'attends, je suis impatient : quand viendra le miracle de la vie, l'éclosion des fleurs ? J'aurai d'ailleurs la surprise de découvrir quelle fleurs sont enfermées dans mon "ticket qui pousse". Seront-elles belles, grandes, volumineuses, nombreuses ? J'espère que mon pot sera à la hauteur ... Mes amis bourgeois ne partageront pas ce plaisir, eux qui ne prennent pas le bus, n'auront donc pas droit à leur "ticket qui pousse", n'apprécient de toute façon que les fleurs coupées et réduisent le jardinage à une activité prolétarienne.

François Mitterrand aimait à regarder pousser ses rosiers. Ce n'était pas chez lui qu'une préoccupation de jardinier mais un exercice politique : l'apprentissage du temps qui passe, de la longue durée, de la patience nécessaire, de la persévérance qui va avec, de l'espoir quant au résultat. Je me demande si la communauté d'agglomération de Saint-Quentin n'a pas voulu, mine de rien, délivrer un message en distribuant ce "ticket qui pousse" : faire de la politique, c'est semer modestement puis attendre, parfois longtemps, la récolte. Qui n'a pas compris ça ne réussit pas en politique. J'ai compris.

Et puis, en dehors de toutes considérations politiques, planter et cultiver des fleurs développent en soi une sorte de sagesse, des qualités morales d'attention, de précision, d'anticipation : si on ne prend pas soin d'une plante, qui est un être fragile, elle meurt. Le petit jardinage nous rend meilleur. Il faut lire là-dessus Jean-Jacques Rousseau, dont nous fêterons l'an prochain le 300ème anniversaire de la naissance. Il a fait de la botanique une philosophie. "Le ticket qui pousse", je suis sûr qu'il aurait aimé.

samedi 9 juillet 2011

La petite reine de Coucy.

Les hauteurs de Coucy-le-Château reçoivent ce week-end le championnat UFOLEP cyclosport. Le village médiéval est à son aise dans l'événement : les seigneurs d'autrefois accueillent la petite reine d'aujourd'hui. Et moi j'aime ça : le vélo est avec la boxe les seuls sports qui trouvent grâce à mes yeux assez peu sportifs ! Je pratique l'un sur les routes du Berry et l'autre dans la politique axonaise. Le plus dangereux des deux n'est pas nécessairement celui qu'on croit.

Coucy cet après-midi, c'était un beau succès, la matinée seulement contrariée par une bonne averse et quelques chutes (mais chuter dans le cyclisme, c'est comme échouer en politique : c'est fréquent, il suffit juste de se relever et de repartir). L'UFOLEP étant la plus grosse association affiliée à la Ligue de l'enseignement, j'ai eu l'insigne honneur, en tant que président, de remettre les récompenses aux vainqueurs. Et il y a toute sorte de récompenses comme il y a toute sorte de vainqueurs : médailles, coupes, bouquets, maillots, paniers garnis ... et la bise ou la poignée de main du président par dessus le marché !

Quelle ambiance ! Coucy est envahi pacifiquement, la forteresse n'a plus besoin de défendre sa population. Barbecue fumant, camping-cars et bien sûr des vélos partout. Ce n'est pas vraiment une compétition sportive mais une fête populaire, l'anti-Tour de France. J'aime le vélo parce que cette activité n'a rien de fanatique même si elle exige une volonté de forçat. Elle est surtout profondément ancrée dans notre imaginaire national, elle est en ce sens-là, élevé et fondamental, très politique.

Ca tombe bien : dans Philosophie magazine de cet été, Laurent Jalabert dialogue avec Jean-François Balaudé, philosophe et cycliste. Celui-ci explique que son sport favori repose sur deux principes : hyperbolique ("on est conduit, par la logique de l'effort, à aller jusqu'au bout de soi-même") et agonistique ("la recherche du dépassement de soi-même ne s'atteste que dans la confrontation avec les autres, qui permet de mesurer sa propre valeur").

Finalement, les deux principes se retrouvent en politique. Car qu'est-ce qu'un homme politique ? Un boxeur (principe agonistique : s'affronter aux autres)) qui chevaucherait une bicyclette (principe hyperbolique : aller au bout de soi)) ! C'est pourquoi tellement se cassent la gueule ...

Je ne résiste pas à vous offrir deux derniers extraits de la pensée de Jean-François Balaudé. D'abord sur le cyclisme et la beauté :

"Il m'arrive, même lorsque je suis dans une course, d'éprouver un vrai plaisir esthétique à contempler le paysage, en passant au-dessus d'un col ou en contournant un lac. Cela peut participer également de cette expérience de la sortie de soi, le sentiment d'être un avec ce que l'on voit".

Enfin sur le cyclisme et la mort :

"Cette expérience des limites n'est pas sans rapport avec la familiarisation avec la mort. On touche du doigt à ce moment-là quelque chose qui est de l'ordre de l'inconnu : un au-delà de soi, un état en somme où l'on ne serait plus. Le fait de toucher ces limites de conscience et de souffle dans l'effort extrême, c'est déjà se préparer, non par épuisement, mais par excès de vitalité, à passer de l'autre côté".

Faites du vélo, vous deviendrez philosophes, et aussi politiques. Le plus compliqué des deux n'est pas nécessairement celui qu'on croit.

vendredi 8 juillet 2011

Du côté des fous.

J'ai passé ma matinée à Prémontré, dans l'EPSMDA, l'établissement public de santé mentale départemental de l'Aisne, un sigle qui désigne un hôpital psychiatrique au milieu de la magnifique forêt de Saint-Gobain. La Ligue de l'enseignement propose des activités culturelles aux patients : peinture, sculpture, lecture, théâtre, cinéma, etc. Nous avons trois salariés sur le site et quatre intervenants. C'est donc un projet d'envergure, que je tiens à visiter régulièrement.

L'environnement est impressionnant, presque baroque : de beaux et grands bâtiments, des allures de château ou de palais, un jardin comme on en voit à Versailles, et à l'intérieur ceux qu'on appelle pudiquement les patients, parce qu'on n'ose plus dire malades mentaux, encore moins fous. Eux aussi sont impressionnants, à leur façon : leurs corps se posent et évoluent différemment des nôtres, les regards sont absents ou parfois excessivement vifs, la parole surtout trahit les pathologies, son débit et son contenu.

Sont-ils hommes ou sont-ils enfants ? Les deux semble-t-il, quand je les vois, au milieu d'eux, s'affairer à leurs diverses activités artistiques et travaux pratiques, bruyants et agités comme une classe d'école primaire. Et puis, il y a des moments de magie, quand je tombe sur une peinture réalisée par l'un deux ou bien quand j'entends au piano une interprétation magistrale (une pièce est réservée à cet effet).

Dans notre société normalisée, sécuritaire et rationaliste, j'ai envie d'être du côté des fous, parce qu'ils nous ressemblent plus qu'on ne croit, parce que nous avons nous aussi nos folies. La haine, la laideur, le malheur sont tout autant chez les gens dits normaux. Anciens drogués, dépressifs profonds, débiles mentaux, c'est toute une humanité qu'on cache et qui est pourtant immense, qui déborde très largement le modèle de l'homme raisonnable tel que la civilisation moderne l'impose depuis Descartes.

Les fous sont parmi nous, la folie est en nous, il suffit de bien observer ou d'ouvrir un livre d'histoire. Ne refoulons pas cette vérité, laissons-nous perturber par ceux qui sont autres, différents, misérables et géniaux, ni pires ni meilleurs que nous.

jeudi 7 juillet 2011

Hélas les vacances ...

C'est triste, un lycée vide, désert, sans élèves ni profs. J'ai dû subir ce désolant spectacle en traversant mon établissement, cet après-midi. Avec l'oral du bac, c'est vraiment la fin de l'année scolaire, la fermeture. Les vacances, je n'aime pas. A la télé, on est obligé de se taper des rediffusions. La vie politique tourne au ralenti. A Saint-Quentin, il ne se passera plus rien (politiquement), sauf Xavier Bertrand qui ne manquera pas d'être comme chaque année présent.

Non, je n'aime pas les vacances. Elles symbolisent pour moi l'inactivité, l'ennui, l'absence. Si je poussais un peu, j'y verrais presque un signe de mort. A part ne rien faire, qu'est-ce qu'on peut faire pendant des vacances ? Rien en tout cas de très intéressant. Lire, écrire, se cultiver, s'amuser, rencontrer des gens ? Mais je n'ai pas besoin des vacances pour ça, je le fais toute l'année ! Je vais même jusqu'à me demander à quoi elles servent, les vacances ?

Partir ? C'est fatiguant (regardez les routes, les gares, les aéroports). L'épreuve des valises à remplir, à transporter et à déballer est en soi insupportable, dissuasif. Et puis, partir où et pourquoi ? Le jeu n'en vaut pas la chandelle. Aller à l'étranger ? Merci bien : ici ou ailleurs, c'est à peu près la même chose, les mêmes gens, le folklore en plus. Camping, charter, voyage organisé, aucunes vacances ne trouvent grâce à mes yeux.

Je crains que cette période de quasi néant ne nous rende encore plus stupide que nous avons tendance à l'être. Plage, montagne, campagne, tout ça je ne le sens pas très bien. Difficile pour moi de patienter en mettant par exemple en place mes projets de l'année scolaire à venir : trop de gens sont absents, le téléphone sonne dans le vide, les courriels restent sans réponse. J'espère donc que l'été va passer très vite, comme un mauvais moment à oublier. Il n'en subsistera que des photos que personne ne regardera.

Pourtant, en tant que socialiste, je me dois de défendre le droit aux vacances. C'est un progrès social, une émancipation à l'égard du travail, une possibilité de détente et d'épanouissement, une avancée en matière de civilisation. Les vacances, c'est excellent ... pour les autres. Dans ma grande générosité, je leur laisse. Quelques jours dans ma ville natale, un passage dans la capitale, sinon c'est Saint-Quentin, et c'est très bien.

mercredi 6 juillet 2011

Cette force qui nous perd.

L'affaire DSK m'aura sûrement amené, mine de rien, à réviser l'idée que je me faisais de la politique. Chez Strauss et ses disciples, il y avait cette intuition, très forte, qu'avec de l'intelligence, on pouvait se sortir de tout. Le rôle de l'intelligence, en politique, est pourtant sujet à caution. J'y ai cru, j'espère encore un peu, mais les ressorts de l'activité publique et collective sont faits aussi d'aveuglement, de préjugés, de stupidité. Aujourd'hui, je ne donne plus très cher de l'intelligence en matière politique.

La force des convictions m'a longtemps persuadé que les idées menaient le monde. Maintenant j'hésite ... Le strauss-kahnisme, c'est une ligne social-démocrate pure et dure, qui n'a d'équivalent à l'heure actuelle, dans un tout autre registre, que la pensée "démondialisatrice" de Montebourg. Le vrai débat théorique et politique entre socialistes est là. Or, nous assistons à tout autre chose : un affrontement entre deux personnalités social-démocrates, l'une un peu plus à droite, l'autre un peu plus à gauche, Hollande et Aubry, mais sans véritable différence ou choc des projets.

En lisant ces jours-ci "Mitterrand, carnets de route" de Michèle Cotta, je suis surpris de voir à quel point, dans les années 70, le débat idéologique était vif au sein du PS alors qu'il a aujourd'hui pratiquement disparu. Voir Martine Aubry ralliée aussi bien par des sociaux-démocrates (qui en toute logique devraient choisir Hollande) que par la gauche du parti (qui en toute logique devrait soutenir Montebourg), voir d'anciens ségolénistes fervents ne plus soutenir Ségolène, c'est constater que les considérations tactiques l'ont emporté sur les idées. Il ne sert à rien d'ailleurs de s'en navrer : c'est toute une société qui a basculé dans une autre façon de faire de la politique, avec des cohérences qui ne sont plus celles d'autrefois, des fidélités à géométrie variable.

Le malheur de DSK, c'est qu'il n'avait pas rencontré le malheur avant la funeste affaire du Sofitel. Foncièrement optimiste, cet homme n'était pas fait pour la tragédie dans laquelle il s'est finalement retrouvé. Sa nonchalance lui faisait ignorer toute inquiétude, tout sens de la fatalité. La politique est pourtant minée par le destin. Mitterrand, comme Strauss, courait le jupon mais savait que l'histoire était tragique et les hommes mauvais. Trop d'insouciance, trop d'assurance, c'est ce qui faisait la force de DSK, c'est ce qui l'a perdu. Tout strauss-kahnien est un peu comme ça, sûr de soi et confiant en l'intelligence des hommes et des événements : c'est faux, il va falloir s'y faire, et je vais devoir me méfier.