jeudi 30 juin 2011

Que le meilleur perde !

La force avancée d'Eva Joly sur Nicolas Hulot dans la primaire écologiste, et donc sa probable victoire, me ramènent à l'un de mes livres politique de chevet : "Que le meilleur perde", de Michel-Antoine Burnier et Frédéric Bon, paru en 1994. Leur surprenante thèse : en politique, on ne cherche pas à gagner mais à échouer, on ne rêve pas du pouvoir mais d'opposition ! Je dois reconnaître que bien des événements, à quelques exceptions près, confirment cette théorie, le dernier en date étant le résultat d'hier chez EELV.

Sauf à penser que la politique est totalement irrationnelle et hasardeuse, des critères objectifs permettent de déterminer un bon candidat. C'est le cas d'Hulot : d'abord, c'est un communicant, un homme des médias, une image qui passe bien. Ensuite, c'est un personnage populaire, apprécié, une figure sympathique. Enfin, il incarne une écologie ouverte, modérée, raisonnable et rassembleuse. De par son histoire, ses engagements, Hulot est beaucoup plus sensible à l'environnement et à ses problèmes que Joly. Mais c'est pourtant elle et pas lui qui est en situation de l'emporter ! Pourquoi ?

Les précieuses qualités pour les uns sont d'irréparables défauts pour les autres. Hulot médiatique ? C'est la preuve qu'il est vendu au système. Hulot populaire ? Le parti ne pourra donc plus le contrôler . Hulot écolo ouvert ? C'est qu'il trahit le noyau idéologique de l'écologie. Voilà comment des vertus se transforment en vices, comment des forces se retournent en faiblesses.

Et puis, un groupe se donne généralement pour représentant celui ou celle qui incarne la moyenne du groupe, pas ce qu'il y a de meilleur en lui, à moins que les circonstances ne soient exceptionnelles. Mais les Verts nous ont habitués : il y a quelques semaines, ils mettaient en minorité Daniel Cohn-Bendit, qui leur avait pourtant donné une victoire historique. Une fois de plus, Burnier et Bon ont hélas raison : que le meilleur perde !

mercredi 29 juin 2011

La politique autrement.

Je veux revenir sur ce qui a occupé mon week-end et la semaine passée : les assemblées générales, départementale et nationale, de la Ligue de l'enseignement. Depuis quelques années déjà, cet engagement associatif est devenu pour moi plus important que tout, plus gratifiant, plus intéressant que la politique. Je crois qu'à Saint-Quentin toute une génération de femmes et d'hommes de gauche est écartée depuis quinze ans et pour encore un bon bout de temps des responsabilités électives. Ça ne durera pas éternellement mais quand même longtemps, à mon avis. C'est pourquoi la vie associative est pour eux une sorte de compensation, de dérivatif.

Je me dis aussi, et ça n'est pas une forme de consolation, que le monde associatif, c'est l'essence même du politique, le pouvoir en moins ! A la Ligue de l'enseignement, je peux oeuvrer pour ce qui me tient à coeur, je peux faire la démonstration de mon utilité, dans des activités qui sont généralement chères à un militant de gauche : la défense de l'école publique et des valeurs laïques, les manifestations périscolaires, l'éducation populaire, le sport d'épanouissement, l'aide aux populations en difficulté, exclus, marginalisés mais aussi le débat d'idées. Et si c'était ça la vraie politique ? En tout cas la politique autrement ...

Dans ce monde associatif, j'y suis en contact avec les réalités, alors que la politique locale me semble souvent hors-sol, presque surréaliste, méritant seulement qu'on s'en amuse, aussi sérieux pourtant soient ses enjeux. J'essaie malgré tout de résister à la tentation de l'ironie, de faire comme si, même si j'ai horreur de faire semblant. Et puis, à défaut d'occuper la mairie ou d'espérer gagner, il faut bien participer à la vie de la cité, apporter sa pierre, même si on rêverait d'un travail dans de toute autres conditions.

A la fin d'une existence, il n'y a qu'une seule question sérieuse qu'on se pose à soi-même : qu'as-tu fait ? Je n'aimerais pas répondre : j'ai attendu, j'ai espéré, je me suis opposé mais je n'ai rien fait concrètement, je n'ai rien apporté de précis dont on puisse se souvenir. En politique, la grande faucheuse ce n'est pas la mort, c'est l'oubli. Ce n'est certes pas indigne d'attendre, d'espérer et de s'opposer, mais ça ne correspond pas à l'idée que je me fais de la politique, qui passe par l'exercice des responsabilités. C'est peut-être en dehors de la politique qu'on fait le mieux de la politique.

Dernier conseil avant l'été.

Lundi soir, le conseil municipal de Saint-Quentin a commencé de manière peu habituelle : des manifestants nous attendaient dans le hall d'entrée ! C'est rarissime. Et plus rarissime encore : non pas une manif mais deux ! Celle des Verts pour soutenir l'intervention de leur élue, Nora Ahmed-Ali, contre le passage d'un train de déchets nucléaires dans la ville le 7 juin et celle de la CGT, Guy Fontaine en tête, pour protester contre le départ forcé de la bourse du travail.

Les cégétistes étaient moins nombreux que les écologistes mais médiatiquement plus visibles, avec leur chèque géant représentant le total de l'astreinte journalière à laquelle le syndicat est soumis. Une tentative d'accrocher la banderole au balcon du conseil municipal a tourné court avec l'irruption de plusieurs policiers municipaux. Parmi les antinucléaires, on pouvait reconnaître, venus de Château-Thierry (!), l'ancien maire socialiste Dominique Jourdain, Danièle Bouvier, responsable EELV, ainsi que Michèle Cahu, conseillère régionale, et Armelle Gras, deuxième sur la liste régionale du MoDem.

A l'intérieur de la salle, le débat qui m'a semblé le plus intéressant, le plus politique, a touché aux tarifs de la cantine scolaire. Xavier Bertrand a justifié leur importante augmentation par le coût des denrées, de l'introduction de la nourriture biologique, de la lutte contre le gaspillage, arguments tout à fait admissibles. Ces tarifs ont été calculés en fonction des quotients de la CAF (caisse d'allocations familiales), afin d'éviter les effets de seuil : là aussi, le raisonnement est recevable.

Mais l'opposition a fait remarquer que l'affectation de sommes importantes pour la vidéosurveillance et les clubs sportifs pourrait tout aussi bien servir à réduire les coûts de la cantine scolaire. Xavier Bertrand aura beau jeu de rétorquer que le sport fait aussi marcher l'économie et que la sécurité a un prix, il n'empêche que nous entrons, avec ce débat, au coeur de l'interrogation politique : quelles doivent être les priorités ? Comment doivent se répartir les subventions ? Quels objectifs, quel projet se donne une municipalité ?

Une petite métamorphose lors de ce dernier conseil municipal avant les vacances d'été, celle de l'élu du POI (parti ouvrier indépendant), Michel Aurigny ! Ce trotskyste lambertiste est d'habitude fort long et compliqué dans ses interventions interminablement chiffrées, sans doute étayées mais très peu adaptées à la communication. Or, cette fois, il a été d'une simplicité biblique, si j'ose ainsi qualifier ce laïque intransigeant. Son commentaire du compte administratif a été particulièrement efficace.

Est-ce la disparition récente de Peter Falk qui m'influence, j'ai même trouvé du Columbo chez Aurigny ! Sa façon de poser, mine de rien, presque en jouant les naïfs, des questions courtes et précises au maire de Saint-Quentin faisait mouche, à tel point que Xavier Bertrand avait du mal à contenir son irritation. Bon, j'aime bien Peter Falk, j'en profite pour lui rendre ce petit hommage, mais je ne suis pas devenu lambertiste pour autant !

mardi 28 juin 2011

Les primaires, c'est parti.

Martine Aubry a donc "proposé" ce matin sa candidature aux primaires socialistes, sans grande surprise. J'ai apprécié sa déclaration, dont le contenu me convient. Mais je reste fidèle à mon premier choix, après la mise hors-jeu de DSK : François Hollande. Qu'importe d'ailleurs : les deux, Martine ou François, sont sociaux-démocrates, femme et homme de qualité, socialistes authentiques et irréprochables.

Je n'ai pas à me désoler qu'ils soient l'un et l'autre en rivalité : je crois aux vertus de la concurrence politique, pourvu que le souci de rassemblement soit présent. Nous ne sommes pas dans un rapport de forces où tous les coups seraient permis mais dans un débat d'idées, en vue de déterminer quel pourrait être le meilleur candidat à la présidentielle.

Qu'on n'oublie pas, dans cette primaire qui commence vraiment aujourd'hui, la candidature d'Arnaud Montebourg, que je trouve originale, dont j'estime le sérieux. Elle a le mérite de renouveler intellectuellement l'aile gauche avec le concept de "démondialisation". Je ne partage bien sûr pas cette analyse et ce projet, mais le débat entre socialistes est fait pour enrichir les opinions de chacun, et pas pour s'exclure mutuellement. Une aile gauche rénovée peut aussi nous apporter collectivement.

Les bons et les méchants.

J'ai passé le week-end à Granville, en Basse-Normandie (cette fois-ci, pas d'erreur mon cher Pierre Bihet !), pour l'assemblée générale de la Ligue de l'enseignement. Et savez-vous quel phénomène étrange m'est arrivé ? Un sifflement désagréable dans les oreilles. J'ai d'abord cru au vent ou au ressac en ce pays maritime, mais non, le temps était au calme. Même les mouettes ne pouvaient pas être rendues coupables de ce bizarre sifflement. N'ayant aucun problème auditif, ce n'est pas non plus de ce côté-là qu'il fallait aller chercher.

Alors quoi ? Ce n'est qu'au retour, à Saint-Quentin, que j'ai compris, mes espions gentiment attitrés me l'ont rapporté et la presse l'a confirmé : à la fête des libertés organisée par la section locale du PCF, la gauche social-démocrate n'était pas, elle, à la fête ! Les critiques ont fusé. C'est d'ailleurs parfaitement logique : les communistes du cru ne sont pas franchement pro-socialistes. Ils poussent très loin le curseur de la social-démocratie puisqu'ils y rangent Jean-Luc Mélenchon, en lequel pourtant je ne me reconnais pas (et lui réciproquement !).

Pourtant, le PCF local ne trouve aucune gêne à s'allier au PS local. C'est parce qu'il y a, pour eux, de bons socialistes comme le général Custer estimait qu'il y avait de bons indiens : politiquement morts, repeints en rouge vif, avec lesquels on s'allie pour se faire élire. Pour moi, pas de ça en 2014 ! Les socialistes, les vrais, les méchants dans mon genre, forcément réformistes, auront leur propre liste, ouverte à leurs alliés traditionnels et à la société civile. Le goudron et les plumes, ça suffit ! Ni Custer, ni Lucky Luke. Et peut-être qu'alors mes oreilles siffleront moins ...

lundi 27 juin 2011

Nora et ses hommes.

Facebook annonce pour ce soir 18h00 une "manifestation antinucléaire" devant la mairie de Saint-Quentin, afin de soutenir l'intervention de Nora Ahmed-Ali, élue EELV, en conseil municipal. L'occasion m'est ainsi donnée de faire un petit historique de la présence écologiste sur la ville. Quand je m'y suis installé, en 1998, les Verts n'avaient ni représentant, ni section. Un an plus tard, c'est Nora qui investissait ce créneau politique encore vierge, après avoir été sympathisante socialiste quelques mois.

Nora Ahmed-Ali, certains s'amusent de ses prises de parole, de ses réactions un peu inhabituelles, décalées. Mais qui, avant ou après, a fait aussi bien qu'elle dans le domaine qui est le sien ? Elle a très vite intégré les règles de la politique, a su durer pendant plus d'une décennie, ce qui n'est pas rien. Nora, c'est un mélange de raideur et de souplesse, une persévérance têtue qui la rend incontournable (et tous ceux qui ont voulu la contourner ont échoué !).

Qui se souvient qu'en 2001 elle a fait reculer la terrible Odette Grzegrzulka, alors députée socialiste, afin d'obtenir une meilleure place sur la liste municipale ? Moi je me souviens très bien. En matière politique, j'ai une excellente mémoire. Ce qu'a fait Nora, en convoquant une conférence de presse, il fallait oser ! Et ça a marché !

On vous dira peut-être que les écologistes ne se sont pas énormément développés sur Saint-Quentin, que leurs résultats électoraux sont faibles, qu'ils n'organisent pratiquement jamais de manifestations publiques, qu'aucun grand leader national n'est venu les soutenir. C'est vrai, mais est-ce leur objectif ? On contrôle mieux un petit noyau qu'un large groupe ouvert à toutes les ambitions.

Et puis, les Verts saint-quentinois sont des réalistes : ils savent qu'ils ne peuvent accéder à rien sans le PS, ils ccollent donc à la roue, comme on dit en matière de cyclisme. Quand il s'agit des municipales, Nora Ahmed-Ali se félicite de bien travailler avec les membres de la "motion" d'Anne Ferreira (elle a finement compris que dans les rapports de forces qui rythme le PS il convenait de soutenir le pôle dominant). Quand il s'agit des législatives, elle prône l'union derrière la candidate du PS, se réservant probablement une place de choix pour la municipale qui suivra. On aura beau sourire, je trouve que c'est bien joué, et les résultats sont là pour l'attester.

En dix ans, Nora Ahmed-Ali a toujours su se ménager des soutiens, d'indispensables seconds rôles, des lieutenants en quelque sorte, qui l'ont aidée sans la détrôner. Ils sont quatre, précisément et successivement :

D'abord Christophe Genu, présent sur la liste d'Odette en 2001, écolo de tendance anar, qui a quitté les Verts après qu'Alain Lipietz ait été exclu en 2002 de la compétition présidentielle au profit de Noël Mamère. Christophe est toujours actif dans les mouvements sociaux, mais un poste d'élu ce n'est pas trop son truc.

A partir de 2002, c'est Frank Delattre qui a joué auprès de Nora les numéros deux, quoique numéro un des Verts dans l'Aisne. Très différent de Genu, à l'opposé même, Frank est le gendre idéal pour la famille socialiste, celui avec qui on ne se fâchera jamais, l'homme qui rassure dans un milieu politique qui inquiète. Il aurait pu être le leader saint-quentinois de l'écologie. Mais il est beaucoup plus avisé que cela : candidat à plusieurs élections, il a très vite réussi, conseiller régional et maire-adjoint, mais à ... Soissons.

Frank s'éloignant, c'est un autre homme qui s'est imposé auprès de Nora Ahmed-Ali, sans la supplanter : Jean-Marie Desmidt, ex socialiste, futur NPA et PCF. Le dernier en date, c'est Jean-Philippe Daumont, depuis les cantonales de cette année, nouveau venu dans le paysage politique local, comme l'était avant lui Christophe, Frank et Jean-Marie. Mais pour combien de temps ? La durée, élément-clé du succès en politique. Les hommes passent, Nora, elle, est toujours là.

dimanche 26 juin 2011

Amour et nettoyage.

Trois jours loin de Saint-Quentin, et je me jette au retour sur la presse locale, pour connaître l'actualité politique. Et j'apprends quoi ? D'abord un entretien de Nora Ahmed-Ali dans le Courrier Picard de jeudi : La conseillère municipale d'EELV monte dans son parti puisqu'elle a été élue au comité national des Verts. Elle récolte sans doute dix ans de présence écologiste sur la ville, ce qui est à remarquer tellement à gauche les visages changent, les leaders se renouvellent vite.

Ce qui m'a frappé, c'est cette drôle de photo du Courrier, où Nora et Jean-Philippe Daumont, récent candidat écolo, se dédoublent dans un miroir, donnant l'impression de clones ou de jumeaux. Est-ce un clin d'oeil à la question de Nadia Nejda restée sans réponse : "Vous êtes combien de militants localement ?"

En tout cas, les deux représentants ne sont pas sur la même longueur d'onde : Jean-Philippe est pour Hulot, Nora pour Joly. Lui a envie de remettre ça aux législatives (après avoir trouvé "pas mal" son score de 5,96% aux cantonales) ; elle est favorable à une candidature unique (c'est peut-être son féminisme viscéral qui l'amène à opter pour Anne Ferreira).

Au reproche de leur absence dans la vie locale, Nora Ahmed-Ali ne se laisse pas démonter : "On a l'impression d'être très présents. On est épuisé" (sic). Avec néanmoins cette réserve que "aller couper des rubans", qu'elle considère comme de la "politique politicienne", c'est pas son truc.

Nadia Nejda n'en poursuit pas moins ses torturantes interrogations : après avoir taxé d' "un peu inaudible" la conseilère d'opposition et ses "interventions qui font très cliché", il y a cette question stupéfiante, qui déstabilise à juste titre Nora : "Est-ce vrai que vous aimez Xavier Bertrand ?" Je ne vous donne pas la réponse, achetez le journal !

On parle beaucoup des primaires socialistes en ce moment, dans la presse régionale aussi. Le Courrier Picard de samedi, dans ses pages picardes, fait le tour des villes où ça ne se passe pas bien entre PS et UMP : "Le Parti socialiste fait face à de nombreux obstacles, tandis que l'UMP lui met des bâtons dans les roues". Pas étonnant, depuis que Jean-François Copé a lancé l'offensive initiée par le député de l'Oise Edouard Courtial.

Ce qui est étonnant en revanche, c'est qu'à Saint-Quentin, ville de Xavier Bertrand, tout se passe très bien, selon L'Aisne Nouvelle de samedi : "aucune entrave de la mairie", "aucun mouvement d'hostilité". A tel point que le maire pourra se rendre dans les bureaux de vote, "si le coeur lui dit".

Le seul hic, c'est que les écoles ne seront pas mises à disposition pour cette consultation, à cause d'une donnée technique aussi surprenante que l'amour prêté à Nora pour Bertrand et un peu vexante pour les socialistes : "On est obligé de nettoyer et désinfecter après le vote", dixit le secrétaire de section, qui en profite pour donner une information d'importance : "Aucun des militants de la section ne déposera de candidatures à ces primaires". Est-ce pour cette raison que Xavier Bertrand est tellement gentil avec nous ?

vendredi 24 juin 2011

Interruption.

Pas de billet jusqu'à dimanche soir. Je suis à Granville, en Haute-Normandie, à l'assemblée générale de la Ligue de l'enseignement.

jeudi 23 juin 2011

Les derniers jours du bac.

J'ai rencontré une parente d'élève, blanche comme la craie, les yeux dans le vide, la voix étouffée. Que se passe-t-il ? je lui demande. C'est à cause de l'exercice annulé au bac S à la suite d'une fuite, elle me répond. Les gens sont aujourd'hui devenus des gaulois : un petit problème et le ciel leur tombe sur la tête. Et quand ce sont leurs enfants qui sont concernés, et quand c'est un monument national, le baccalauréat, qui est mis en cause, c'est quasiment la fin du monde.

J'ai fait auprès de la maman mon métier d'enseignant, c'est-à-dire de la pédagogie, en lui tentant de la rassurer, en lui expliquant que ce n'était pas si grave que ça, que rien n'était perdu pour sa fille. D'abord, l'exercice incriminé n'est qu'un parmi l'épreuve de mathématiques, qui elle-même ne constitue pas tout l'examen. Donc, l'inquiétude est infondée et le désespoir mal placé : si sa fille est une bonne élève, ou même une élève seulement moyenne, elle aura logiquement son bac, avec ou sans ce fichu exercice de probabilités qui a fuité. Un candidat peut avoir une très mauvaise note dans une épreuve fortement coefficientée, il peut encore se rattraper ailleurs : le bac est fait pour ça, c'est un examen à multiples épreuves.

L'argumentation purement scolaire n'a pas suffit à calmer la dame, je l'ai senti. Je lui ai donc sorti le grand jeu philosophique, auquel tout le monde est censé succomber : au pire, l'élève repassera le bac l'an prochain et cette fois-ci réussira, car on imagine mal le ministère ne pas prendre pour la session 2012 des mesures de sécurisation draconiennes. Quand on est jeune, un an de plus, un an de moins, ça n'a guère d'importance. Il n'y a que pour le vieillard qu'une année gagnée ou perdue fait vraiment une différence. Pour ma part, j'ai eu mon bac à 19 ans au lieu de 18 ans en général, parce que j'avais redoublé mon CE2. Ça n'a fondamentalement rien changé à ma vie.

Mais ma dialectique pourtant affûtée n'a pas convaincu la parente d'élève. Elle a entraîné notre discussion sur un autre registre, celui de la justice, un peu à la Calimero, dans le genre : ma fille a passé l'épreuve, elle a bossé, il n'est pas juste qu'on la prive de ses points, elle n'est pas responsable de ce qui se passe. A nouveau, j'ai tenté de faire mon philosophe : la justice est une notion compliquée. Qu'est-ce qui est juste, qu'est-ce qui ne l'est pas ? La vie est faite d'injustices, et le bac aussi !

Il y a des élèves qui ne travaillent pas de toute l'année et qui empochent quand même le précieux diplôme : ce n'est pas juste. L'inverse aussi se produit, et c'est encore moins juste. Certaines années, les sujets sont plus faciles que d'autres années, ou au contraire plus compliqués : ce n'est donc pas juste. Plein de choses sont injustes, ça n'empêche pas de croire en la justice. Ce qu'il faut surtout distinguer, c'est l'injustice volontaire et l'injustice involontaire : dans le cas qui nous préoccupe, c'est le hasard d'une fuite qui compromet l'ensemble de l'examen, ce n'est pas une volonté de triche. Celle-ci est scandaleuse, pas celle-là.

J'ai voulu pousser encore plus loin mon raisonnement, voyant qu'il ne prenait pas vraiment : les cris de justice qui s'élèvent depuis quelques heures et qui songent à aller devant les tribunaux sont plutôt des réactions individualistes. On se plaint parce qu'on craint pour soi ou pour son enfant, parce qu'on défend ses intérêts, tout à fait légitimes mais purement particuliers, qu'il ne faut pas confondre avec l'amour de la justice ou un pur désir d'égalité.

La preuve : au lieu d'enlever les quatre points de l'épreuve à tout le monde, beaucoup de parents voudraient qu'on les donne à tout le monde, ce qui reviendrait à commettre une injustice à rebours mais à l'identique. Dans cette perspective, les gains individuels seraient préservés, peu importe qu'on soit bon ou mauvais. Il y a parfois beaucoup d'hypocrisie dans les revendications de justice et d'égalité.

En choisissant de neutraliser l'épreuve de probabilités, le ministre a cru contenter tout le monde et les réactions montrent qu'il n'a satisfait personne. La solution la plus juste (dans l'absolu, rien n'est juste ou injuste, tout est relatif) aurait été de ne rien faire, sinon poursuivre et condamner le ou les fautifs. Pour le reste, cette fuite a des effets minimes. Posté la veille de l'examen, à 21h00, sur un site assez peu fréquenté, pouvant être perçu comme un canular, le sujet dévoilé n'a dû toucher et convaincre qu'un tout petit nombre de candidats, suffisamment peu pour que l'examen n'en soit pas menacé dans ses principes sacrés de justice et d'égalité.

La tricherie et les tricheurs ont toujours existé, y compris au bac ; c'est une imperfection à la marge qui ne déstabilise pas la perfection de l'ensemble. Mais voilà : notre société puritaine est obsédée par la pureté et le zéro défaut. Dès qu'il y a un "dysfonctionnement" quelque part, elle crise, elle ne supporte pas. Et puis, le baccalauréat est une épreuve individuelle : que des tricheurs soient injustement récompensés ne prive pas les non tricheurs d'être justement récompensés. Alors où est le problème ? On passe son bac en se concentrant sur sa copie, pas en regardant et jugeant ce que font, en bien ou en mal, les autres candidats.

Luc Chatel a cédé à l'une des plaies de notre société, la judiciarisation des problèmes, mais en n'allant pas au bout de sa démarche, il en sera la première victime. Se référant au principe juridique d'égalité, il a annulé l'exercice et recommandé la bienveillance dans la notation de l'épreuve, pour ne pas léser les candidats perdant le bénéfice de l'exercice annulé. C'est une demi-mesure, pédagogiquement intenable et juridiquement incomplète. En matière de droit, si l'on opte pour ce registre qui n'est pas le mien, c'est recommencer l'épreuve qui est la solution la plus juste. Le ministre ne s'y risque pas, sachant les difficultés matérielles que représente cette solution.

Les défenseurs du bac, qui croient bien faire en déplorant la fuite et en demandant un nouvel exercice, se font en réalité les fossoyeurs du bac, en renforçant les soupçons sur une organisation globalement irréprochable. Le mieux est l'ennemi du bien ; en l'espèce, c'est flagrant. La boîte à rumeurs et à fantasmes vient de s'ouvrir et il sera difficile de la refermer : d'autres épreuves, dans d'autres disciplines, se voient reprocher fraudes et fuites, sans qu'aucune vérification sérieuse de ces allégations ne soit entreprise. Ne serions-nous pas en train de vivre les derniers jours du bac ?

Une fois avoir dit tout ça à ma mère d'élève, toujours aussi blanche, hagarde et sans voix, j'ai terminé en lui confiant ma certitude que sa fille serait bachelière dans quelques jours, sans doute avec mention, que les protestations de justice et d'égalité seraient vite oubliées, que l'ordre retrouverait tous ses droits, que l'événement litigieux deviendrait en août un souvenir cocasse de plage, en attendant la prochaine polémique excitant notre société.

mercredi 22 juin 2011

Speed ou lambin ?

Quelle mémorable journée que celle d'hier ! Non, je ne veux pas parler du 30ème anniversaire de la fête de la musique. Tout le monde en parle, et à Saint-Quentin c'était très bien, la foule ayant investi le centre ville. La journée que je veux évoquer, internationale elle aussi, c'est celle de la lenteur ! Bon, je vais essayer de le faire en prenant mon temps. Mais je crois que ça vaut vraiment le coup.

Quelle idée, tout de même, de songer à organiser une journée de la lenteur ! A vrai dire, je reste perplexe, je ne sais pas trop quoi en penser. D'un côté, je trouve ça bien : dans une société de la vitesse, de la rapidité et de l'urgence, la lenteur devient quasiment un mot d'ordre révolutionnaire. Tout va beaucoup trop vite, c'est certain.

Du zapping au flashmob, on a le sentiment que la précipitation s'est transformée en vertu alors qu'elle est un vice, synonyme d'inconstance, de superficialité, d'insatisfaction. La réflexion a besoin de lenteur ; la bêtise, elle, est fulgurante. Prendre son temps, c'est une forme de sagesse, tout le monde le comprend. La revendication de lenteur est même politiquement anti-sarkozyste, puisque l'actuel président de la République se donne une image vive, nerveuse, où les problèmes doivent être réglés dans l'instant.

D'un autre côté, j'hésite, je suis sceptique : la défense de la lenteur me gêne un peu. D'abord, autour de moi, je ne trouve pas que les gens soient particulièrement speed. Observez la rue, votre milieu personnel ou professionnel : il y a pas mal de lenteur, de mollesse, de résistance, de laisser aller, de farniente. Après tout, la lenteur est une forme de confort que la société de consommation ne peut que rechercher.

La dénonciation du stress est bien la preuve que la rapidité de mouvement ou d'esprit, dans les activités ou la vie, n'est pas appréciée. Ce sont les médias, les personnages publics et l'idéologie ambiante qui laissent penser, par leurs discours et leurs comportements, que la lenteur aurait été sacrifiée dans la civilisation moderne. En réalité, elle est bel et bien là, c'est une aspiration que nous privilégions.

Pourtant, en ce qui me concerne, je n'aime pas la lenteur. Dans mon Berry natal, une personne lente est traitée de "lambin" et ce n'est pas un compliment. Contrairement à ce qu'on croit aujourd'hui, le monde ancien valorisait la rapidité et dépréciait la lenteur. Quand il m'arrive d'être lent, par exemple dans la compréhension d'une situation ou la réalisation d'une tâche, je m'irrite, je le regrette, je voudrais être plus vif.

La lenteur me fait penser au règne végétal, à ces algues qui lentement dérivent au fil de l'eau. Être vivant, bien vivant, c'est être vif. La lenteur renvoie à l'hibernation, à la torpeur, à la mort. Une action lente, ça n'existe pas. La lenteur, c'est l'inertie, l'engourdissement, la maladie, parfois la débilité. Décidément, après y avoir bien réfléchi, cette journée internationale de la lenteur ne me plaît pas du tout.

Avec la promotion de la lenteur, c'est une morale de limaces ou de légumes qu'on veut nous imposer. La lenteur est l'alibi des fainéants et des impuissants. Ce n'est pas révolutionnaire comme je pouvais le croire au départ, c'est très conservateur. En politique, je n'aime pas ceux qui sont lents, qui ne font rien, qui ne décident pas, qui se contentent d'attendre. On les repère tout de suite : ils ont les mains dans les poches, la bouche cousue ou bâillant, la mine terne, le regard au plafond et ils rangent à peine leur chaise quand la réunion est finie.

Les lambins font beaucoup de mal à notre société, parce qu'ils ont pour eux la force la plus terrible qui soit : la force d'inertie. Ce sont des poids morts qui entraînent facilement dans leur chute ceux qui les approchent. La lenteur est contagieuse, il faut s'en protéger. Bonaparte était speed, Louis XVI était lambin. Hier, c'était la journée internationale de la lenteur, mais heureusement qu'il y a eu son contre-feu, la fête de la musique, qui ne se soumet pas, elle, à la lenteur. Mais je me dépêche de terminer ce billet, trop s'attarder n'est jamais bon, il faut vite passer à autre chose !

mardi 21 juin 2011

Afficher ses convictions.

Je ne comprends pas très bien tout le barouf qui est fait en ce moment autour des primaires socialistes. Elles seraient paraît-il attentatoires aux libertés publiques, aux règles élémentaires de la démocratie. Bigre ! Donner la parole aux citoyens, leur permettre de choisir, organiser un vote, ce serait une menace, presque un danger pour la République ! Moi je dirais plutôt que c'est une étape supérieure de la démocratie : au lieu de réserver la désignation d'un candidat au seul parti et à ses militants, tous les citoyens sont impliqués. Si les mots ont un sens, la République y gagne, elle n'y perd rien.

Mais que penser de ces électeurs qui devront décliner, lors de la procédure, leurs opinions politiques en versant un euro et en signant une déclaration ? Là aussi, je ne vois pas très bien où est le problème. D'abord, il faut rappeler que la pré-sélection d'un candidat lors d'une consultation qui ne s'adresse qu'aux électeurs de gauche n'est pas assimilable à l'élection des représentants du peuple qui mobilise l'ensemble du suffrage universel. Dans le premier cas, il est normal, logique que les participants attestent de leur engagement partisan (sinon c'est n'importe quoi !). Il n'empêche que le secret de leur vote est préservé, comme dans tout bon système démocratique.

Je crois qu'on confond ou qu'on fait semblant de confondre le secret du vote, essentiel en République, et le secret des convictions, contraire à l'esprit de la République. En effet, pour que la vie démocratique soit effective, il faut que les convictions s'affichent, se proclament, afin d'alimenter le débat. Si chacun reste dans son coin en ne disant plus rien, rasant les murs avant de se cacher dans l'isoloir, ce n'est plus la démocratie. Les convictions ne doivent pas rester d'ordre privé si l'on veut que la vie publique fonctionne. Il faut qu'elles se manifestent.

Mais n'y a-t-il pas un droit à garder ses convictions pour soi ? Et n'y a-t-il pas un risque, peut-être même un danger à les exposer à autrui ? J'en conviens, chacun est libre d'exprimer ses idées sur l'oreiller, dans sa cuisine ou à son chat, nulle part ailleurs et à personne d'autres. Je reconnais aussi qu'il faut un peu de courage, quelquefois de l'audace pour dire ce qu'on pense, car la vie est pleine de risques. Ces constats ne me conduisent pourtant pas à élever la couardise et la frousse en règles de fonctionnement de la vie publique !

Quand on a des convictions, c'est pour les exprimer aux autres, pas pour les garder pour soi. J'admets qu'on puisse ne pas avoir de convictions politiques (car ce n'est pas non plus une obligation républicaine) ou qu'on soit incertain de ses choix, mais alors qu'on se taise, qu'on reste chez soi et qu'on ne se plaigne pas. Pour tous les autres, de gauche et fiers de l'être, les primaires seront l'occasion de se montrer et de décider. Afficher ses convictions, ce n'est pas ficher les convictions !

De ce point de vue, cette procédure sera un grand moment de pédagogie républicaine, de rappel de ce qu'est un comportement démocratique. Et puis, j'en suis certain, tous les partis vont y venir, y compris l'UMP : les Verts ont commencé, le PCF s'en est rapproché ce week-end, et ce n'est pas fini ! Les primaires, c'est l'avenir. En démocratie, quand les citoyens ont pris goût à être consultés, ils ne peuvent plus s'en passer.

Je fais souvent un rêve : dans les réunions politiques ou associatives auxquelles je participe, si beaucoup plus de mains se levaient, si beaucoup plus de bouches s'ouvraient, si beaucoup plus de coeurs se livraient, la vie publique s'en trouverait grandement améliorée. On se casse parfois la tête à vouloir changer les structures. Mais ce sont les mentalités qui doivent évoluer ! Il n'y a qu'une seule liberté fondamentale en République : celle d'ouvrir sa gueule quand d'autres voudraient que vous la fermiez. Pour ma part, je n'ai jamais renoncé à cette liberté, quoi qu'il m'en coûte.

lundi 20 juin 2011

Une gauche à rebours.

Le PCF a désigné ce week-end à plus de 60% son candidat à la présidentielle, Jean-Luc Mélenchon. Mais à Saint-Quentin, la section a voté à 80% pour Emmanuel Dang Tran, alors que celui-ci a fait 4% au niveau national. Les points de vue de chacun sont respectables et on peut être minoritaire et avoir raison. Comment cependant ne pas remarquer une fois de plus et déplorer en ce qui me concerne que la gauche saint-quentinoise est à rebours de ce qui se fait généralement partout ailleurs ?

Ce n'est pas un phénomène nouveau. Cette dernière décennie, nous assistons au parti socialiste à un mouvement de social-démocratisation, de rénovation, de modernisation : Ségolène Royal y a contribué et DSK s'apprêtait à continuer. A Saint-Quentin, c'est au contraire, dans la même période, la radicalisation qui l'emporte, la prédominance du socialisme traditionnel, à travers son projet, ses choix et ses alliances.

Electoralement, nous sommes également à rebours : aux cantonales de 2004, une vague rose permet au PS de conserver ses sortants et de conquérir de nombreux cantons, sauf à Saint-Quentin. En général, les électeurs votent ici localement à droite et nationalement à gauche. Une ville populaire se donne à un maire UMP, un bassin d'emploi douloureusement frappé par le chômage vote pour un ministre du Travail de droite. Cherchez l'erreur !

Même l'extrême gauche locale est à rebours de sa réalité nationale. Ce n'est pas la figure populaire de Besancenot et son NPA qui dominent cette famille politique, c'est l'obscur et très radical POI. La gauche saint-quentinoise est donc décalée, pittoresque, parfois folklorique. Ses racines idéologiques sont originales mais marginales (poperénisme, lambertisme, communisme identitaire). C'est ce qui fait son intérêt mais aussi ses limites. Un tel patchwork pourra-t-il un jour gagner ? J'en doute fort et c'est mon problème. Et s'il venait à gagner, quelles en seraient les conséquences en matière de gestion municipale ? Je préfère ne pas le savoir ...

dimanche 19 juin 2011

Très classe.

J'aime beaucoup les effets de contraste. C'est ce qui rend la vie intéressante. C'est ce qui fait aussi qu'une société est complexe. Dans la même journée et la même ville, la mienne, Saint-Quentin, deux mondes se sont rassemblés, distinctement, deux univers très loin l'un de l'autre : la brocante de Saint-Martin et le jazz dans le jardin horticole des Champs-Elysées.

D'un côté le milieu populaire qui suit la fanfare, de l'autre la middle class autour du Middle Jazz Quintet. Les premiers sont quelques milliers, beaucoup de jeunes, les seconds quelques centaines, d'un âge souvent avancé, à part une minorité de trentenaires distingués et leurs enfants, qui ont encore la force de s'asseoir sur la pelouse. Quelques spectateurs sont restés debout, craignant à tort l'herbe mouillée.

Sur scène, la performance est très classe : smoking, claque et claquettes, du grand art. Colette Blériot, Stéphane Lepoudère et Vincent Savelli font le tour de la foule, saluent et discutent : la politique ne perd pas ses droits devant la musique. Classe contre classe, le centre contre les faubourgs ? Oui et non. Frédérique Delalande, directrice du centre social Saint-Martin, est là avec ses djeun's, qui s'emparent de la scène et introduisent mouvements et couleurs dans le noir et blanc du swing. Amédée Zapparata a eu raison de ne pas céder au mauvais temps, qui finalement a renoncé à se manifester.

Les parapluies de St Quentin.

Samedi midi devant le monument de l'école publique et le soir lors de la cérémonie commémorative du 18 juin 1940 (voir billets d'hier), j'ai pu assister à un phénomène instructif, une petite expérience amusante qui n'est possible qu'en temps de pluie : l'ouverture des parapluies. Qu'est-ce que ce geste a-t-il de si intéressant ? Il m'a fait découvrir quelque chose dont je n'avais pas eu conscience jusqu'à hier (mais je suis plutôt capuche ou tête nue, pas très parapluie) : pas une personne, je dis bien pas une seule personne n'avait, dans les deux manifestations, un parapluie identique à un autre. Je le certifie, j'ai observé avec beaucoup d'attention.

Et alors, me direz-vous, où veux-je en venir avec cette histoire de parapluies tous différents, tous uniques ? Reportez-vous, si l'âge vous le permet, trente ans en arrière : cette diversité aurait été impensable. A l'époque, pas si lointaine tout de même, la toile des parapluies était triste comme la pluie, noire comme un ciel d'orage. Ils avaient la même forme, la même taille : les parapluies étaient uniformes. C'est pourquoi on se trompait facilement quand il fallait récupérer son pépin, confondant celui du voisin avec le sien : mais quelle importance, c'était quasiment les mêmes ! On ne distinguait que le parapluie d'homme, lourd et sombre, et le parapluie de femme, plus clair et plus léger.

Aujourd'hui, la société a changé. Foncièrement individualiste, elle attribue à chacun son parapluie personnalisé. Et puis, nous sommes entrés dans un monde ludique, fantaisiste, et ça se voit jusqu'à la tête des parapluie. Pourtant, rien n'est plus fade, moins original que cet objet purement utilitaire, à qui on ne devrait demander rien d'autre que de nous protéger des gouttes d'eau. Mais non : le narcissisme est si fort qu'il a gagné nos parapluies. Avant, la distinction était une pratique d'aristocrate; maintenant, tout le monde veut se distinguer.

Samedi, j'ai repéré des parapluies ahurissants, des sortes d'étendards, presque des déguisements, avec des couleurs de toutes sortes, des motifs artistiques, des petits Mickey, des slogans, des pubs Malboro, des grands comme des parasols et des étroits comme des cloches, des bariolés et des unis. Certains ressemblaient à des champignons, d'autres à des coccinelles. J'ai même vu, je vous jure, un parapluie avec des oreilles ! Le tout formait involontairement un tapis persan ou un manteau d'Arlequin, dont je ne garantis cependant pas la valeur esthétique ... Moralement, aucun des porteurs ne semblait sentir au dessus de sa tête le poids du ridicule, même pas les parents sous le parapluie aux oreilles.

Saint Martin la brocante.

Que faut-il pour une bonne inauguration ? Un micro qui fonctionne, des élus qui ont préparé de jolis discours et un verre de l'amitié au kir et gâteaux secs pour terminer. Généralement, ça se passe comme ça à Saint-Quentin, et partout ailleurs je crois. Sauf dans le quartier Saint-Martin, au moment de sa brocante annuelle qui attire toujours beaucoup de monde. C'était ce matin.

Pas de micro, pas de discours, pas de verre de l'amitié. Ici, on est en quartier populaire, les choses se passent autrement. La fanfare des Stimulants attend en embuscade en bas de la rue de Paris. A 11h00, elle remonte l'artère et parcourt le trajet jalonné de stands et de ventes de toute sorte (du vieux vélo au soutien-gorge en passant par le manuel de cuisine 1950). Les Stimulants sont faits pour stimuler et réussissent plutôt bien, surtout en ce matin légèrement frisquet et venteux.

Arrivée à mi-chemin, la musique passe devant la buvette où se retrouvent élus et personnalités. On reconnaissait Claude Cartigny, président de l'association pour le développement du quartier Saint-Martin, en grande conversation avec Jean-Marie Ledoux, autre figure du quartier. Une seule élue de la municipalité était présente : Colette Blériot, adjointe aux quartiers et conseillère générale du canton centre.

Accompagnée de Lionel Josse, président du comité des fêtes et organisateur de l'événement, et de sa fidèle Madeleine Marchandise, l'élue a suivi la fanfare, distribuant des sourires et des petits signes de la main aux passants et aux exposants, comme une reine de beauté qui aurait perdu son char. Un nono a croisé le bruyant défilé, Antonio Ribeiro, arrivant en sens inverse et regardant passer la troupe comme l'aurait fait n'importe quel quidam ou une vache à l'approche d'un train (normal, les nonos vont toujours à contre-courant, voir billet d'hier).

Le temps a tenu bon, la foule était nombreuse, les Stimulants pétaient la forme, Colette Blériot était contente d'être Colette Blériot et moi d'être là. Je suis revenu avec une figurine de Batman (je les collectionne) et un Simenon. La vie est belle quand c'est la brocante annuelle au quartier Saint-Martin.

samedi 18 juin 2011

Les nonos.

Il n'y a pas à Saint-Quentin de bobos. Notre ville est trop populaire, pas assez chic pour ça. Les bourgeois bohèmes, c'est pour la capitale ou les grandes villes, pas chez nous. Des bourgeois, oui il y en a, mais des traditionnels, qui vont à la messe et qui votent à droite. Quelques bohèmes aussi, pas des masses. Les deux réunis, non je n'en vois pas, ou alors des faux, qui jouent à faire comme si.

Si nous n'avons pas de bobos, je repère cependant à Saint-Quentin une catégorie sociologique tout aussi intéressante : les nonos. Bon, c'est de mon invention et ça vaut ce que ça vaut, mais je vous en parle quand même. Nonos est le diminutif de nouveaux notables. De qui s'agit-il ? De gens en vu, sollicités par la presse, engagés politiquement, exerçant une certaine influence, dont on parle mais qui ne correspondent pas à l'image classique du notable de province. Leurs réactions sont décalées, inattendues, ce sont des personnages.

Je vois quatre figures connues, des nonos très représentatifs du genre :

- Antonio Ribeiro : il fait beaucoup causer en ce moment, les journalistes se délectent à la lecture de son blog qui est devenu un must, bientôt peut-être collector. Ce conseiller municipal délégué est une créature de la gauche passée à droite, inclinant aujourd'hui à devenir centriste après avoir songé à rejoindre Europe écologie. Les nonos sont très souples, très plastiques dans leurs convictions. Ce sont des hommes d'aujourd'hui, des zappeurs politiques. Très libres aussi : Ribeiro n'hésite pas à s'en prendre aux francs-maçons de son équipe municipale !

- Stéphane Monnoyer : nono lui aussi, jeune, ambitieux et vibrionnant, passant de Philippe de Villiers à François Bayrou, n'hésitant pas à attaquer Xavier Bertrand alors que le MoDem dont il est le représentant local fait partie de la majorité municipale. Mais un nono, ça ose tout, c'est d'ailleurs à ça qu'on le reconnaît. Monnoyer pense maintenant à s'allier à l'opposition de gauche, où il espère peut-être y trouver l'appui de nonos comme lui.

- Daniel Wargnier : plusieurs fois candidat à de multiples élections, c'est un nono vieillissant mais très alerte, jusqu'à en devenir fatiguant. Il est membre de Génération écologie mais pourrait très bien se retrouver ailleurs. C'est un nono taquin, fantaisiste et poète : il accompagne ses rimes d'un jet de postillons qui le fait ressembler à la voiture balai qui nettoie chaque samedi la place du marché. Il est membre de plusieurs associations, connu comme le loup blanc au pelage un peu miteux. Je l'aime beaucoup mais pas longtemps.

- Nora Ahmed-Ali : c'est un nono femme, conseillère municipale d'opposition, responsable des Verts à Saint-Quentin. Elle apporte dans ses interventions une touche de candeur et de fraîcheur qui font son charme. Nora conjugue tout au féminin, sa force et son originalité viennent de là. Le jour où le vicaire à la basilique sera une femme, elle exultera. Les nonos sont aussi des novateurs.

Il y a bien d'autres nonos à Saint-Quentin que ces quatre-là, emblématiques. Nous aurons l'occasion d'en reparler. Mais ôtez-moi d'un doute : ne serais-je pas un nono moi aussi ? Dites-moi que ce n'est pas vrai !

De Condorcet à de Gaulle.

Le boulevard Gambetta était barré cette fin d'après-midi par deux véhicules de police, gyrophares allumés, interdisant toute circulation. Non ce n'est pas Chicago et une scène de film policier américain : seulement la cérémonie de commémoration de l'appel du 18 juin à Saint-Quentin. Quand les enfants des écoles sont là, il y a du monde parce que les parents viennent regarder ou filmer. Le mauvais temps n'a dissuadé personne, pas même le ministre et maire de la ville.

Les élèves de Collery et Camille Desmoulins apportent de la jeunesse et des couleurs dans la foule âgée et blanchie. Ils ont interprété avec allant le Chant des partisans et la Marseillaise, un peu hésitants sur le deuxième couplet ("Amour sacré de la patrie, conduis, soutiens nos bras vengeurs ..."). Les haut-parleurs laissaient passer leurs rires. Les grands drapeaux des adultes d'un côté, les petits drapeaux des enfants de l'autre : voilà qui fait une belle cérémonie.

A la fin, la pluie s'est abattue, les parapluies ont concurrencé les bannières tricolores, les élus sont restés très dignes sous la bourrasque, saluant les militaires et les anciens combattants. La belle voix grave de Maxime Henocque a beau répéter chaque année le même texte de l'appel, je n'en suis pas lassé, j'y puise à chaque fois des réflexions pour notre présent, trois en particulier :

- La force des convictions : dans l'action politique, il n'y a que les idées qui comptent. De Gaulle n'a pas hésité, tergiversé, calculé : son amour de la patrie et sa défense de la République ont emporté la décision.

- Le refus des rapports de forces : si de Gaulle avait été strictement réaliste, il aurait rejoint Pétain, qui avait le bon sens pour lui. Après une telle défaite et un ennemi si puissant, une Europe occupée, des puissances américaines et soviétiques indifférentes, la raison conduisait au compromis, en attendant des jours meilleurs. Le rapport de forces, c'est toujours le triomphe des lâches. Pour rejoindre Londres, il fallait être un peu fou et très déraisonnable.

- Le sens de l'anticipation : de Gaulle n'avait pas le nez collé sur l'année 1940, il envisageait l'avenir, dans une sorte de prophétisme, prévoyant que l'URSS et les USA ne resteraient pas longtemps neutres, que l'Empire français était une solution de repli et de résistance.

Une journée qui commence par célébrer Condorcet et qui finit en commémorant de Gaulle est une belle journée, que la pluie rend encore plus belle.

De l'eau dans les flûtes.

Tous les amis de l'école publique étaient ce midi dans le jardin des Champs-Elysées, à Saint-Quentin, devant le monument érigé à la mémoire de ses fondateurs, Condorcet, Paul Bert, Jean Macé, Jules Ferry, Ferdinand Buisson. Mais la pluie aussi s'était donnée rendez-vous. Les discours ont eu lieu face à une assistance de parapluies. Une minute de silence a honoré Claude Gransard, récemment disparu. Puis Jacqueline Hargous, présidente de l'association des amis de l'école publique, organisatrice de la traditionnelle cérémonie, a rappelé qui étaient les cinq grands personnages.

Au moment de l'allocution de la maire-adjointe à l'éducation, Françoise Jacob, j'ai tiqué d'entendre citer Paraschool, une officine privée de cours particuliers. Les laïques sont ainsi, très chatouilleux sur cette question. Et puis, madame Jacob est entrée dans une énumération détaillée et fastidieuse des sommes affectées aux travaux et aménagements dans les écoles, alors que j'aurais préféré une intervention sur les valeurs républicaines. Les laïques aiment bien ça aussi, surtout quand la pluie met un peu le moral dans les chaussettes.

Quand il a fallu déposer les gerbes au pied du monument, je me suis retrouvé avec des fleurs dans les bras ! C'est Jean-Claude Decroix, chef du protocole, qui m'en a chargé, le bouquet étant barré d'un ruban au nom des "personnels enseignants" et ne trouvant nul acquéreur. Tant qu'à faire ... Sauf qu'à l'instant d'effectuer cette tâche inattendue, une dame venue de nulle part l'a revendiquée et reprise. J'ai bien sûr laisser faire. C'est comme en politique : tout le monde m'y voit et au dernier moment quelqu'un se pointe pour me piquer la place !

La cérémonie s'est terminée par la chorale des enfants et toujours la pluie. C'est à la flûte qu'ils ont interprété un émouvant hymne à la joie. Vincent Savelli, vice-président du conseil d'agglomération, a même versé quelques larmes, mais je crois qu'elles venaient des gouttes d'eau dégoulinant de son parapluie. La musique un peu poussive et tristounette ressemblait à des sifflements de petits asthmatiques. L'institutrice l'a justifié en disant, mi-sérieuse mi-rieuse, qu'il y avait "de l'eau dans les flûtes". Et zut ! Une bien belle célébration quand même.

No sport.

Saint-Quentin a reçu du journal L'Equipe le titre prestigieux de ville moyenne la plus sportive de France. Très bien. Mais je ne peux pas m'empêcher de penser à la réponse de Winston Churchill quand on lui demandait le secret de son âge avancé : "no sport". Ça me convient, je m'y reconnais.

A part un peu de vélo dans le Berry quand j'étais gamin et une tentative avortée de jogging autour du parc des Champs-Elysées, le sport m'est étranger. Je trouve que notre société en fait trop. J'y vois le signe inquiétant que nous nous préoccupons plus de notre corps que de notre esprit. A quand Saint-Quentin ville moyenne la plus cultivée ou la plus spirituelle de France ?

Le conformisme sportif m'est insupportable : ce n'est plus une activité physique salutaire, c'est devenu une mode, une norme, une forme de vanité. Faire du sport pour garder la ligne, quelle horreur ! C'est petit-bourgeois au possible ! Que cherchent-ils donc tous à se torturer ainsi comme des damnés, à suer comme des bêtes ? Faire fondre les graisses et gonfler les muscles pour plaire encore, pour séduire sans doute. C'est triste, ce sont des soucis d'adolescent(e)s pour adultes mal assumés. Je bois de la bière, je bouffe des sucreries, je prends du bide et je m'en fiche, je suis l'ambassadeur le plus lamentable de la ville moyenne la plus sportive de France !

Pourtant, et la vie est bizarre, je suis très attaché au sport par mes responsabilités associatives. En tant que président de la Ligue de l'enseignement, je fédère deux unions sportives de grande importance, l'USEP et l'UFOLEP, je m'intéresse et je participe à leurs activités. Je n'aime pas le sport quand il traduit le narcissisme contemporain, mais je défends son rôle social et sanitaire, d'intégration et d'éducation, sport populaire contre sport petit-bourgeois si vous préférez.

Politiquement, l'attention portée aux manifestations sportives locales m'a toujours semblé surfaite. J'ai connu une époque où mes camarades aimaient à se montrer dans la tribune officielle du palais des sports. On me reprochait de ne pas utiliser les invitations gratuites. Se faire voir devant des milliers de spectateurs, c'était considéré comme un must, électoralement payant, une sorte de devoir professionnel du bon militant et du bon candidat.

Je n'y ai jamais cru : des milliers de spectateurs ne font hélas pas des milliers d'électeurs. En revanche, je déplore qu'au fil des scrutins aucun réflexion sérieuse ne soit menée sur la politique sportive et le financement des clubs. J'ai l'impression que c'est une vache sacrée, une question taboue : comme si la popularité du sport autorisait que l'argent afflue sans s'interroger.

Je remarque que les flashmob organisés à Saint-Quentin pour décrocher le titre de ville moyenne la plus sportive de France ont pour lointains ancêtres les fameux lendits des Fédérations des oeuvres laïques d'après guerre, quand des centaines d'exécutants se rassemblaient dans d'immenses chorégraphies sportives. C'était moins spontané et moins rapide mais l'esprit était le même. Alors vive le sport ? Pour les autres, pourquoi pas ...

vendredi 17 juin 2011

La culture et le reste.

La semaine dernier, à Chauny, j'ai animé un débat à la suite de la projection du documentaire de Régis Sauder, "Nous, Princesses de Clèves", dans le cadre des Chemins de traverse(s) de l'ACAP. Ce film montre combien un roman difficile, celui de Mme de La Fayette, peut être approprié par des jeunes gens, garçons et filles, de banlieues déshéritées. La littérature est une invention formidable : elle permet l'identification à des personnages qui nous font comprendre, aussi lointains et étrangers sont-ils, ce que nous sommes. C'est en s'éloignant de soi, par la lecture, qu'on revient à soi.

On se souvient de la sortie de Nicolas Sarkozy contre "La princesse de Clèves", selon lui inutile à étudier quand on passe un concours administratif. Réaction plutôt étrange d'un chef de l'Etat contre un monument de la culture française qu'il est pourtant censé défendre. Étrange aussi pour un adepte de la valeur travail que de refuser l'effort que demande l'étude de l'oeuvre. De Gaulle et Pompidou en seraient estomaqués. Même Giscard ou Chirac n'auraient pas osé !

Pendant le débat, j'ai pensé à la polémique lancée à Saint-Quentin par son maire sur la culture populaire. Qu'est-ce qui est populaire, qu'est-ce qui ne l'est pas ? Aragon est d'un accès aussi peu évident que Mme de La Fayette, et pourtant le Parti communiste de la grande époque a su populariser son oeuvre auprès des milieux populaires. A vrai dire, la popularité ne se décrète pas, elle se travaille. Ceci dit, les prochaines élections municipales ne se joueront pas là-dessus mais sur l'emploi : bilan de Xavier Bertrand d'un côté, projet de l'opposition de l'autre.

C'est comme au niveau national : mon parti a engagé cette semaine le débat sur le mariage homosexuel et la dépénalisation du cannabis. Pourquoi pas, c'est sans doute nécessaire, mais il ne faudrait pas que la gauche s'enferme dans cette image-là. La présidentielle se décidera sur les thèmes sociaux, pas sociétaux. A Saint-Quentin, avec la population qui est la nôtre, il ne sera question que de ça. La gauche normalement devrait s'y sentir à l'aise.

jeudi 16 juin 2011

Jour de bac.

Comme depuis que je suis devenu enseignant, j'ai surveillé ce matin l'épreuve de philosophie du bac. La grande nouveauté cette année, la crainte et l'incertitude, c'était la prohibition absolue des téléphones portables. Un candidat surpris en sa possession, même pour consulter l'heure (pas besoin, les salles sont équipées de pendules), même l'appareil éteint, c'est l'exclusion immédiate et l'interdiction de tout examen pendant cinq ans. J'ai insisté auprès de mes élèves, l'usage du portable en classe étant très répandu, au grand dam des enseignants (mais les hommes politiques ne donnent pas l'exemple en se comportant très mal dans les réunions publiques). Chez moi tout s'est bien passé.

Comme chaque année, je m'amuse à rapprocher les sujets de philosophie de nos préoccupations politiques. Et généralement ça marche ! En L, les candidats ont dû bûcher la question : "L'homme est-il condamné à se faire des illusions sur lui-même ?" En politique, c'est fréquent mais c'est indispensable : sans l'illusion de pouvoir gagner, on n'agirait pas et on ne gagnerait jamais.

En ES, il fallait disserter sur "La liberté est-elle menacée par l'égalité ?" C'est tout le problème du capitalisme qui privilégie la liberté économique au détriment de l'égalité sociale et toute la tragédie du communisme qui instaure l'égalité collective en sacrifiant la liberté individuelle. J'ai la faiblesse de croire que le socialisme démocratique, lui, concilie la liberté et l'égalité.

En S, les candidats se sont demandés : "Peut-on avoir raison contre les faits ?" Normalement non, puisque "les faits sont têtus", aimait à rappeler Lénine. Mais la politique ne consiste-t-elle pas à forcer le destin, à faire mentir les faits ? Dans la même série, le commentaire de texte est allé puiser chez Pascal, dans ses "Pensées", avec quelques lignes fort utiles pour tout militant politique :

"Dire la vérité est utile à celui à qui on la dit, mais désavantageux à ceux qui la disent, parce qu'ils se font haïr (...) La vie humaine n'est qu'une illusion perpétuelle ; on ne fait que s'entre-tromper ou s'entre-flatter. Personne ne parle de nous en notre présence comme il en parle en notre absence (...) Peu d'amitiés subsisteraient si chacun savait ce que son ami dit de lui lorsqu'il n'y est pas, quoiqu'il en parle alors sincèrement et sans passion. L'homme n'est donc que déguisement, que mensonge et hypocrisie, et en soi-même et à l'égard des autres. Il ne veut donc pas qu'on lui dise la vérité. Il évite de la dire aux autres ; et toutes ces dispositions, si éloignées de la justice et de la raison, ont une racine naturelle dans son coeur".

Il n'y a pas d'âge pour passer son bac !

mercredi 15 juin 2011

Moderne ou pas.

Hier, au centre social de Guise, l'atelier-philo que j'anime depuis plusieurs années, dans le cadre d'un stage d'insertion, s'est penché sur la modernité ou le modernisme, en se posant la question : "Ce qui est moderne est-il forcément bon ?" J'ai trouvé nos réflexions particulièrement inspirées (ce n'est pas toujours le cas !). Est-ce la présence d'une journaliste de L'Aisne Nouvelle qui a suivi jusqu'à la fin notre débat, stylo en main ? Peut-être ...

Quand un regard extérieur est là, le groupe se sait observé, fait attention, se comporte différemment, donne le meilleur de lui même. C'est un phénomène humain assez étrange mais compréhensible : replié, le groupe devient stérile, ne parle qu'aux siens, tombe dans la répétition, s'expose aux déchirements. L'entre soi est délétère, il faut en sortir pour qu'une pensée collective porte ses fruits. C'est une grande leçon pédagogique et politique.

Être moderne, à la page, nouveau, de mode, jeune, tendance, in, avec son temps, surtout pas vieux jeu, est-ce une forme de supériorité ? C'est ce que laisse croire généralement notre société. La cuisine moderne, pratique, fonctionnelle, adaptée est, depuis les débuts de la société de consommation, l'idéal de la ménagère, en opposition aux fourneaux de grand-mère. Homme moderne, femme moderne, qui ne souhaite pas l'être ? Une certaine gauche se pique d'être moderne, contre l'ancienne, la traditionnelle, la vieillotte.

En préparant cette animation, je me suis demandé ce qui caractérisait le monde moderne, par opposition aux civilisations passées. J'ai trouvé dix points sur lesquels je me suis appuyé durant nos échanges : le confort matériel et moral, la prolifération des technologies, la généralisation de l'individualisme, les valeurs démocratiques, l'égalité entre l'homme et la femme, la survalorisation de l'enfant, le culte de la jeunesse, l'éducation de masse, la négation de la vieillesse et de la mort, l'art abstrait. Mais ça se discute, et c'est fait pour ça ...

Le tandem et la danseuse.

En souhaitant aujourd'hui un "tandem Hollande-Aubry" en vue des prochaines élections présidentielles, Gérard Collomb, maire socialiste de Lyon, a une vision très juste de la situation. Après l'élimination de DSK, la situation est complètement chamboulée, la place des uns et des autres est remise en cause, l'avenir, de souriant, devient incertain. Dans ce genre de configuration, il faut privilégier l'unité des socialistes. Mais comment ?

Aller à la primaire en laissant faire, sans s'interroger au préalable sur les enjeux, c'est prendre le risque du casse-gueule. Plusieurs candidats, dont deux dans un mouchoir de poche, et les autres qui vont emporter la décision par leur ralliement, c'est le plus mauvais contexte qui pouvait se présenter aux socialistes, c'est la bagarre assurée, le déchaînement des rapports de forces. L'unité passe par une entente, un accord entre les deux favoris, Hollande et Aubry. C'est possible, puisque Strauss-Kahn et Martine l'ont fait.

Mais l'unité n'est recevable que si elle a un sens. Pas question d'une synthèse artificielle qui ne serait qu'un arrangement entre des intérêts. Hollande et Aubry, au-delà des inévitables nuances, partagent en commun une même ligne social-démocrate. Derrière les discours parfois vaguement gauchisants de la première secrétaire qui sont là pour faire plaisir à l'aile gauche, sa pratique gouvernementale et son parcours de vie n'ont jamais dérogé au réformisme. Hollande est plus clair et plus conséquent dans ses choix et propositions, mais les différences entre les deux ne sont perceptibles qu'aux spécialistes.

C'est pourquoi Gérard Collomb a raison de demander des "primaires de confirmation". Les primaires véritables sont celles qui mettront un jour en lice un socialiste avec des candidatures issues d'autres partis et d'autres traditions. Nous n'en sommes pas encore là mais je suis persuadé que cela viendra. En attendant, il faut se contenter d'un débat entre socialistes. La logique des choses voudrait que nous ayons trois candidats : Manuel Valls pour l'aile droite, Arnaud Montebourg pour l'aile gauche et un ticket Hollande-Aubry pour la social-démocratie. Mais qui a dit que les choses étaient logiques en politique ? En tout cas, le tandem me va, alors que l'échappée en danseuse m'inquiète.

mardi 14 juin 2011

Réponse à deux commentaires.

Les commentaires postés sur ce blog sont rarement pertinents, souvent bêtement polémiques ou très personnels. Je suis obligé de les supprimer. C'est pourquoi je suis heureux aujourd'hui de souligner deux récentes interventions, fort intéressantes, qui prêtent au débat. Je leur réponds d'autant plus volontiers qu'elles portent sur un sujet qui m'est cher : l'avenir de la gauche locale.

Lormont est un fidèle lecteur et intervenant de ce blog. Hier, il remarquait qu'Anne Ferreira, pour l'emporter, devra faire oublier qu'elle a milité pour le non lors du référendum européen de 2005. Comme lui, j'ai voté oui et j'ai déploré qu'une minorité de socialistes n'ait pas respectée le choix majoritaire des militants. Mais l'affaire est passée, le Parti socialiste s'est mis au clair sur l'Europe, nous sommes là-dessus unanimes désormais. Anne Ferreira n'a donc pas à faire oublier quoi que ce soit, ni moi à rappeler mes positions d'alors. Le solde est liquidé, le problème est derrière nous.

Simon Dubois-Yassa, membre du Parti de Gauche, est lui aussi intervenu en réaction au billet d'hier, et déjà dans les commentaires du 2 juin, avec une analyse remarquable sur la gauche saint-quentinoise, dont je vous recommande la lecture. Il s'en prend avec raison à la théorie des "cycles", véritable ineptie politique. D'après celle-ci, les échecs de la gauche locale ces dix dernières années seraient dû à une mauvaise passe, un coup du sort, une baraka à rebours : il y aurait des décennies avec et des décennies sans. La gauche locale serait dans les basses eaux : on n'y pourrait rien, il suffirait d'attendre, le cycle nous serait inévitablement favorable un jour, de nouveau.

Cette superstition est évidemment aberrante mais pas complètement idiote : elle permet aux responsables de la Bérézina de s'exonérer de toute responsabilité, sur l'air du "on n'y peut rien, ce n'est pas de notre faute, le cycle ne nous est pas favorable, mais ne vous inquiétez pas, la chance électorale reviendra". Rien n'est plus déprimant, démobilisateur et faux que cette théorie des "cycles". Elle justifie l'inaction, mettant la réussite ou la défaite sur le compte de la fatalité. Simon a bien senti l'imposture derrière un tel point de vue.

A propos des alliances à gauche, Simon a cette réflexion : "le problème ce n'est pas l'autre gauche, c'est certains qui la représentent". Par "autre gauche", je suppose qu'il désigne l'extrême gauche. J'ai ici un léger désaccord avec lui : bien sûr les personnes ont leur importance, mais l'essentiel est tout de même dans la ligne politique suivie. Et c'est ce qui cloche à Saint-Quentin. Prenons l'exemple du Parti Gauche, puisque Simon Dubois-Yassa en fait partie : cette formation n'a aucun représentant dans la ville et le PCF local rejette totalement sa stratégie. Voilà un vrai problème pour le rassemblement des forces de gauche. Et je ne parle même pas de l'extrême gauche, dont on sait quelle considération elle porte au Parti socialiste !

Enfin, je partage la conclusion de Simon : à Saint-Quentin, à gauche, "il faut qu'une vraie dynamique s'engage, avec un projet, avec de nouvelles têtes". Oui, c'est exactement cela, une dynamique, un projet, avec néanmoins un bémol pour les "nouvelles têtes : aux cantonales, on a donné et on s'est cramé. Les "nouvelles têtes" devront être vraiment nouvelles, c'est-à-dire issues de la vie associative et syndicale, de toute cette population de gauche, ces citoyens engagés qui n'appartiennent pas à un parti mais qui voudraient bien qu'un jour la gauche locale accède aux responsabilités.

Simon reporte ses espoirs sur Anne Ferreira, moi aussi mais sous conditions. La vie politique m'a appris à être prudent : les êtres humains sont faillibles, les lignes politiques sont beaucoup plus certaines. Le débat je le crois ne fait que commencer. L'important est qu'il ait lieu, qu'il ne soit ni confisqué ni étouffé. Lormont et Dubois-Yassa y ont contribué à leur façon. Je souhaite que d'autres interviennent et que le mouvement se poursuive. C'est ainsi que la gauche locale pourra progresser et se réformer, à travers la discussion collective.

lundi 13 juin 2011

Les défis d'Anne Ferreira.

C'est presque fait. Depuis l'entretien d'Anne Ferreira, vice-présidente du conseil régional de Picardie, dans L'Aisne Nouvelle de samedi, nous comprenons qu'elle sera candidate aux législatives de 2012 et aux municipales de 2014, même si le journal titre avec un point d'interrogation et que la politique réserve souvent d'énormes surprises. Pour devenir députée de l'Aisne et maire de Saint-Quentin, Anne devra, à mon sens, relever trois défis :

Passer de l'envie au désir : à la lecture de l'entretien, nous sentons nettement transparaître les incertitudes, les hésitations, les prudences. Bref, Anne aimerait bien, mais son désir ne s'exprime pas encore avec force. Il le faut pourtant, et assez vite : la gauche saint-quentinoise est en quête d'un leader qui puisse la motiver, lui insuffler l'énergie qui lui manque après dix ans de défaites locales successives. Contre Xavier Bertrand, nous avons besoin de passion. Il faut qu'Anne nous montre qu'elle aime la politique, qu'avec elle on peut gagner. Car personne d'autres ne peut tenir ce rôle, seulement le leader attitré.

Élargir son entourage : c'est la difficulté de tout homme ou femme politique, savoir sortir du cercle des proches pour devenir le candidat de tous, et pas seulement celui d'un groupe. A Saint-Quentin, cette tâche n'est pas facile puisque ce sont les rapports de forces qui dominent et qui tranchent, quasiment au sens de la coutellerie. Du coup, l'instinct clanique l'emporte, pour la survie politique de chacun (à cet égard, je suis une exception mais aussi un malheureux exemple).

Nora Ahmed-Ali, conseillère municipale verte, fait une remarque révélatrice dans le même numéro de L'Aisne Nouvelle : "Je suis satisfaite du travail réalisé avec Jean-Pierre Lançon et Carole Berlemont qui appartiennent à la même motion qu'Anne Ferreira" (la "motion", c'est le texte autour duquel se font les regroupements politiques strictement internes au PS dans un congrès). Pour que Nora souligne ce point, c'est dire combien il est important dans l'esprit de l'actuelle opposition, alors qu'il est pour moi très secondaire, et même électoralement néfaste. Anne doit absolument sortir de la logique des "copains" pour entrer dans celle des citoyens. Elle ne doit pas s'adresser à quelques-uns mais à tous les Saint-Quentinois (y compris ceux de droite).

Être claire sur les alliances : c'est là où j'ai une divergence très sérieuse avec Anne Ferreira, qui pourrait me conduire à ne pas me ranger derrière elle aux municipales (aux législatives, la question ne se pose pas, les alliances sont conclues au niveau national et l'extrême gauche n'en fait évidemment pas partie). Mais au niveau local, depuis trois ans, alors que la section n'en voulait pas, nous sommes prisonniers d'alliances avec trois formations radicales qui privent les socialistes d'une légitime représentation au conseil municipal et qui sont incompatibles avec la ligne politique de notre parti. Je souhaite donc qu'Anne Ferreira désavoue ces alliances incohérentes et sans avenir et s'engage à ne pas les reconduire. Or, ça ne semble pas être son point de vue puisqu'elle répond à L'Aisne Nouvelle : "Moi, ça ne me pose pas de problème".

Il n'y a pas lieu bien sûr de se précipiter et le débat collectif peut clarifier la situation (à condition que ses conclusions soient respectées, contrairement à la fois précédente). Au milieu des hésitations et des incertitudes que traduit l'entretien de samedi, les positions peuvent sans doute évoluer. Je le souhaite vivement. Sinon, il faudra songer, pour les prochaines élections municipales, à une autre perspective.

dimanche 12 juin 2011

Quand la droite vote à gauche.

C'est une bonne nouvelle : Chirac votera Hollande, mon candidat préféré après la défection de DSK. A droite, on fait la gueule, évidemment : l'ancien président est populaire, comme tous les anciens présidents. Dans ce genre de situation, on feinte : ce serait une blague, de l'humour sans doute corrézien, avec à la limite une pointe d'ironie envers Sarkozy. Ils ont tout faux : Chirac n'a pas fait une boutade, sa réflexion est construite. Je le cite : "Je voterai Hollande, sauf si Juppé est candidat". Bin oui : Juppé c'est son préféré, "le meilleur d'entre nous" avait-il dit en 1995 avant de le nommer Premier ministre.

Tout ça est normal et pas fantaisiste pour un sou : dans ses mémoires sorties il y a quelques jours, Chirac égratigne Sarkozy, un ambitieux et un ingrat qui lui a pris sa place sans lui demander et sans le remercier. Certes, l'inélégance est monnaie courante en politique, mais ce n'est pas une raison pour ne pas s'en plaindre. Une seule phrase contre Sarkozy au milieu de 600 pages ? Il n'y a que dans "Le comte de Monte Cristo" que la vengeance s'étale sur 2000 pages. Dans la vie ordinaire, quelques mots suffisent.

Chirac votant Hollande, ça ne me surprend pas. Mon camarade n'incarne pas le socialisme traditionnel (la place est désormais prise par Montebourg) mais la social-démocratie (Aubry est à moitié tradi et à moitié soc-dém afin de rassembler tout le monde ; c'est très bien pour le Parti mais pas bon pour la présidentielle). Après tout, Chirac avait de vagues sympathies communistes dans sa jeunesse. On l'a souvent présenté comme un radical-socialiste. A la fin des années 70, il a défendu un "travaillisme à la française", puis s'est fait élire en 1995 sur le fameux thème de la "fracture sociale". Il n'en reste pas moins un homme de droite, mais très modéré si on le compare à Sarkozy.

A gauche aussi, certains font la gueule en apprenant le soutien de Chirac à Hollande. N'est-ce pas un cadeau empoisonné ? Notre candidat ne devient-il pas aussi celui de la droite ? Mais non ! Au lieu de gémir, pourquoi ne pas se réjouir ? Chaque jour qu'un homme de droite vote à gauche est un jour de fête, car c'est comme ça qu'on gagne une élection. La gauche en France a toujours été sociologiquement minoritaire ; elle ne peut l'emporter que si elle détache vers elle une partie de l'électorat du camp adverse. Chirac avec nous, c'est cadeau !

A Saint-Quentin, c'est pareil. Pour le moment, c'est la gauche qui vote à droite. Mais j'attends le moment où la logique va s'inverser et nous faire gagner. Évidemment, ce n'est pas en restant avec la maison Lambert et compagnie, qui représentent cacahuètes, que la gauche va renverser la vapeur. Imaginez un peu que Pierre André, qui est chiraquien, prenne modèle sur Jacques Chirac et vote pour moi aux prochaines municipales, contre le sarkozyste Xavier Bertrand. Pas mal, non ? La gauche sortirait enfin de la mouise et aurait cette fois de sérieuses chances de gagner.

Vous m'avez compris : depuis que Jean-Paul Lesot a reçu vendredi des mains de la première adjointe Monique Ryo tous les pouvoirs sur la ville, je me mets à rêver, je crois moi aussi que tout est permis, en ces fêtes du bouffon. Profitons-en, la municipalité de Saint-Quentin retrouvera ses prérogatives entières ce soir.

samedi 11 juin 2011

Elle court, elle court.

Depuis quelques jours et même plusieurs semaines, ce n'est plus l'information qui rythme notre vie politique, c'est la rumeur. DSK, Tron, Ferry, où est la vérité ? C'est bien là le problème : un débat public qui n'est plus en quête de vérité, qui ne repose plus sur des convictions mais qui se repaît de rumeurs, voilà le spectacle accablant qu'il nous est donné de subir.

Ce n'est pas nouveau, me direz-vous : c'est vrai, et c'est très ancien. Je crois même que la rumeur est liée à la nature humaine : avoir des convictions c'est difficile, regarder en face la vérité c'est très dur, exprimer sincèrement ce qu'on pense ce n'est pas évident. Il reste alors la rumeur, qui n'engage pas, vous dédouane de toute responsabilité : faire parler les autres au lieu d'assumer ses propres paroles, c'est tellement plus facile !

Et puis, la rumeur qu'on fait circuler permet de faire l'intéressant, de faire croire qu'on sait tout alors qu'on ne sait rien. La rumeur, c'est le savoir des ignorants, l'intelligence des idiots. Mais surtout, la rumeur ne se contente pas d'être bête : elle est foncièrement méchante. C'est le vice du faible, le courage du lâche, l'audace du trouillard. Qui n'a pas senti ses oreilles siffler à l'approche d'un petit groupe en train de minablement dégueuler sur votre compte ? La rumeur a toujours mauvaise haleine et le regard fuyant.

La politique plus qu'aucune autre activité est prompte à la rumeur, puisque l'enjeu est le pouvoir, que les hommes sont prêts à tout pour l'avoir, au détriment des idées. Ma vision n'est pas pessimiste mais réaliste : c'est ainsi depuis la nuit des temps, et nous sommes encore dans cette nuit même si les temps ne sont plus les mêmes. Et ça ne m'empêche pas d'honorer l'activité politique. Mais je refuse de me soumettre à ses plus sombres aspects.

Impossible ? Mais non ! C'est une question de principes : dire ce qu'on croit être la vérité quoi qu'il puisse en coûter, ne pas manipuler ou instrumentaliser les autres, afficher ouvertement ses désaccords, renoncer à toute flatterie et hypocrisie, ne pas se renier pour quelques miettes de pouvoir, oui c'est possible, oui c'est un antidote à la rumeur.

vendredi 10 juin 2011

Bon sang mais c'est bien sûr ...

A la suite de mon billet d'hier, un commentaire pertinent a répondu à mon interrogation sur l'absence du nom de Xavier Bertrand devant son titre de maire, dans les cartons d'invitation de la municipalité. Mon interlocuteur explique que c'est en vue des prochaines élections législatives, dans un an, pour ne pas intégrer le coût dans les comptes de campagne. Pas bête du tout ! Pourquoi n'y ai-je pas pensé plus tôt ?

Mine de rien, c'est un scoop : l'actuel ministre se prépare à être candidat ! Que faut-il en déduire ? Qu'il pense ne plus être ministre en mai-juin 2 012 ? Parce que Nicolas Sarkozy aura perdu ? Parce que Xavier Bertrand, en cas de victoire de la droite, n'est pas certain de retourner au gouvernement ? Parce qu'il veut booster son camp puis céder de nouveau la place à sa possible suppléante, aujourd'hui députée en titre, Pascale Gruny ? Conjectures, conjectures ... Ce qui est certain, c'est qu'il y pense et prend ses dispositions. Comme quoi un simple carton d'invitation peut trahir une intention ! A moins que je ne me plante en beauté et qu'il faille revenir à mes deux premières hypothèses exposées hier ...

A droite, c'est sur les rails pour 2 012. Et à gauche ? Le nom d'Anne Ferreira est souvent cité. Le secrétaire de section l'a quasiment intronisée dans une récente déclaration au Courrier Picard, mais à propos des municipales. L'Aisne Nouvelle nous en dira plus bientôt. Ma position est simple : la circonscription est réservée à une femme, notre choix est par conséquent limité. Anne Ferreira est la plus ancienne dans le grade le plus élevé, vice-présidente du conseil régional de Picardie. Il est donc logique que ce soit elle qui s'y colle. Sauf à imaginer un parachutage, toujours un peu humiliant : ce serait l'aveu qu'aucune socialiste n'est capable. Quant à aller chercher une "tête nouvelle" parmi les socialistes locaux, on a vu aux dernières cantonales ce que nous coûtait cette tactique.

Mais si Anne y va, il faudra qu'elle montre aux Saint-Quentinois qu'elle en veut, qu'elle a la niaque : s'affronter à Xavier Bertrand, ce ne sera pas une aimable promenade. Pas question d'une campagne mou du genou. Ah si j'étais une femme ! En ces temps de dénonciation du machisme, je pourrais faire prévaloir ma part féminine qui est présente en moi comme en chaque homme. Mais je ne suis pas certain que l'argument suffise à faire valider ma candidature auprès des instances fédérales du Parti ...

Pour les municipales, c'est différent : les hommes ne sont pas exclus et l'échéance est encore lointaine. Fidèle à ma méthode défendue en 2 007, je crois en la concertation en vue d'une candidature unanime. Aucune personnalité, aucune compétence ne doivent être exclues, pas même moi ! Mais le choix sera aussi politique et stratégique : je continuerai à combattre les calamiteuses et incohérentes alliances avec l'extrême gauche. A bon entendeur salut !

jeudi 9 juin 2011

Xavier Bertrand a disparu.

Avez-vous remarqué ? Au début, je n'ai rien vu. Puis un ami m'a dit et m'a montré : Xavier Bertrand a disparu. Non pas physiquement, mais c'est tout comme : son nom s'est effacé. Regardez bien à votre tour, c'est flagrant, et l'absence se fait sentir une fois qu'on l'a repérée : je veux parler des invitations que la ville de Saint-Quentin envoie pour convier aux multiples manifestations locales. Les noms et prénoms des organisateurs figurent, ainsi que ceux du premier magistrat, sauf depuis quelque temps : "Xavier Bertrand", c'est fini ; il ne reste que le titre, "Le Maire de Saint-Quentin".

C'est curieux, cette disparition. Je me suis interrogé. Pourquoi ça ? D'autant que l'espace blanc introduit un déséquilibre entre le maire et les puissances invitantes. Esthétiquement, c'est moins joli, moins harmonieux. Y aurait-il un sens politique ? On sait que Xavier Bertrand aime à "donner du sens". Alors, pourquoi pas sur un carton d'invitation ? Détail, me direz-vous. Mais justement : Xavier Bertrand se plaît à se montrer comme l'homme du détail, enclin à chercher la petite bête pour la bonne cause. Alors ?

Ma première explication, ma première hypothèse, c'est la modestie de Xavier Bertrand, l'homme s'effaçant, au sens propre du terme, devant la charge. Il cesse d'être un nom pour se réduire à une fonction. Là où tant d'hommes politiques s'évertuent à ce que leur nom soit mentionné un peu partout, Xavier Bertrand en fait le sacrifice. Ce qu'il est n'importe pas, mais seulement ce qu'il fait. Modestie et grandeur.

Ma deuxième explication, ma seconde hypothèse sont exactement inverses aux premières. Xavier Bertrand ne veut plus être un parmi d'autres sur le carton d'invitation, mais se distinguer. En ne mentionnant que son titre, il fait d'abord comprendre qu'il est tellement connu que le maire de Saint-Quentin ne peut être que lui, sans aucune autre précision. Surtout, ce blanc au dessous de sa qualité se remarque, souligne son titre. C'est alors une appellation de majesté. "Xavier Bertrand", c'est trop commun, trop familier. "Le Maire de Saint-Quentin" rehausse l'homme, comme un titre de noblesse (en l'occurrence démocratique). Louis XVI ne se faisait pas appeler Louis XVI mais "Sire" ou "Sa Majesté". En disparaissant, Xavier Bertrand apparaît encore plus ; il y a des absences qui rendent très présents, comme ceux dont on parle parce qu'ils ne sont pas là.

Je ne sais pas laquelle de ces deux hypothèses est vraie. Je crois que rien n'est innocent ou gratuit en politique, y compris en politique municipale. Mais peut-être que j'exagère beaucoup ...

mardi 7 juin 2011

S'indigner n'est pas lutter.

Je ne crois pas du tout en l'avenir du mouvement dit des indignés, ces jeunes qui campent sur les places de grandes villes européennes pour exprimer leur mécontentement. Il me rappelle celui des sans logis, il y a quelques années, dont on ne parle plus alors que le problème demeure. J'ai aussi en mémoire, quinze ans avant, du mouvement des chômeurs, qui s'annonçait prometteur, puis très vite plus rien, sauf le chômage de masse toujours présent. Ces formes de protestation, en partie tributaires des médias, souvent s'estompent quand les caméras s'éteignent, existent rarement dans la durée. Ce sont des réactions compulsives du corps social, généralement sans lendemain. Mais le mal être qu'elles traduisent, lui, demeure.

Je ne crois pas non plus que l'indignation soit une catégorie politique ou un concept idéologique. C'est un sentiment, une posture morale, une façon d'être offusqué, scandalisé par une situation qu'on réprouve. Mais je ne sens pas dans l'indignation une véritable force de contestation : les indignés ne sont pas des révoltés, encore moins des révolutionnaires, ils ne remettent pas en cause le système économique et social dont ils déplorent les conséquences, ils ne sont pas porteurs d'une critique radicale de la société, ils n'offrent aucun projet alternatif. C'est pourquoi ce mouvement n'a pas grand-chose à voir avec Mai 68.

Quels sont les reproches des indignés ? Que notre société moderne ne leur permette pas de satisfaire les objectifs que par ailleurs elle promeut : un travail intéressant et correctement payé, un logement confortable et assez grand, une vie de famille, les moyens de se cultiver et de se divertir. L'impossibilité de ce minimum pourtant garanti par la civilisation consumériste provoque l'indignation, à juste raison.

Mais ça ne suffit pas à constituer une lame de fond remettant en cause le système. Je ne suis même pas certain que les indignés se reconnaissent dans la gauche ou l'extrême gauche. Le dernier mouvement authentiquement contestataire remonte à une dizaine d'années, avec les grands rassemblements altermondialistes, son fer de lance politique Attac, sa figure de proue José Bové. Les indignés, c'est autre chose, c'est très différent.

Le lien qu'on fait avec l'ouvrage à succès de Stéphane Hessel, "Indignez-vous", n'est pas complètement pertinent. L'ancien résistant évoque des sujets tout différents, le conflit israëlo-palestinien par exemple, sans rapport avec ce qui se passe à Madrid ou à Athènes. Le rapprochement avec les récentes révolutions au Maghreb est encore plus indigent : dans ces pays, la jeunesse se soulevait en faveur des droits politiques, des libertés fondamentales, dont elle ne manque pas en Europe.

Le mouvement des indignés nous parle de la contradiction qui mine nos sociétés riches : la jeunesse est devenue une valeur, tout le monde cherche à rester jeune le plus longtemps possible. En même temps, les jeunes ont du mal à trouver un boulot, un appartement, ils ne parviennent pas à se faire une place. L'indignation est le dépit devant une réalité qui n'est pas à la hauteur de ce qu'elle annonce. Cet écart insupportable entre les faits et l'idéal engendre l'exaspération.

Pour ma part, quand je procède à une rapide introspection, je ne trouve pas l'indignation dans la gamme de mes attitudes, de mes affects. Autant que je m'en souvienne, je ne m'indigne pas, de rien. J'appréhende trop la passivité et la spontanéité dans ce comportement. A la limite, s'indigner est une facilité (le Front national aussi s'indigne du sort qui lui est fait, qu'il a pourtant amplement mérité). Je préfère lutter, combattre. L'indignation se nourrit de la déception et peut conduire au désespoir. Elle a un présent, qu'il faut tenter de comprendre et bien sûr respecter ; mais elle n'a guère d'avenir. Ne vous indignez pas, agissez !

lundi 6 juin 2011

Ce que révèle l'affaire.

Dans l'affaire DSK, il ne s'est rien aujourd'hui passé : le passage devant le tribunal était de pure forme. Strauss a confirmé qu'il plaidait non coupable. Cinq minutes, c'est tout. Mais une journée entière de mobilisation médiatique. RTL a commencé son "édition spéciale" dès 4h30 du matin ! A vrai dire, nous sommes en plein délire, qui promet de se prolonger encore de longs mois.

Ce fait divers nous parle plus, dans les réactions qu'il suscite, de la société française que de lui-même. Une affaire privée, certes exceptionnelle, déclenche d'incroyables passions publiques. Le luxe de détails qu'on nous assène au fil des reportages est littéralement étourdissant, et parfaitement inutile. La vérité nous est inconnue, les protagonistes ne se sont pas exprimés et des tonnes d'informations nous sont données.

Un mauvais roman est en train de se mettre en place, sur le mode feuilleton. Toute une fiction s'élabore, chacun construisant son scénario et projetant parfois ses fantasmes. Certains imaginent déjà un procès politique : la femme pauvre contre l'homme puissant, des rôles inventés pour l'occasion. L'argent, le sexe, le pouvoir, l'Amérique, une série télévisée se prépare, du moins c'est tout comme. Je suis consterné parce que c'est consternant.

L'affaire DSK révèle nos plus mauvais instincts, notre voyeurisme fondamental, l'attrait du spectacle qui habite l'homme moderne. Mais que faudrait-il faire, comment se comporter ? Retrouver la décence, la pudeur, la retenue, la discrétion, accepter de se taire ou de parler d'autre chose, demeurer silencieux, patient, recueilli. En sommes-nous encore capables ?

Dix jours après.

Dix jours après l'ouverture de ce nouveau blog, je vous dois un premier petit bilan. D'abord, vous êtes demeurés fidèles. Je craignais une perte dans le transfert. Mais non ! Le public est toujours aussi nombreux. Fait amusant : le précédent blog continue à être consulté, avec un afflux non négligeable mais dégressif. C'est un astre mort qui poursuit sa course dans l'espace ...

Dans cette métamorphose, je n'ai pas perdu au change. J'ai reçu quelques remarques sur la forme, mais pas de déception ou d'abandon. Les changements pourtant sont nets. J'ai renoncé aux "bonjour à toutes et à tous", "bonne soirée" et autres politesses. Je ne surligne plus les mots ou les formules importants. Les commentaires sont plus sévèrement sélectionnés et je n'y réponds plus.

Pourquoi ces choix ? Pour gommer les aspérités, arrondir les angles, atténuer l'aspect polémique, donner à mon style un peu plus de courbes et un peu moins d'arêtes. Je ne cherche nullement à affadir mes propos ; il y aura encore du sel et du feu. Mais je ne veux plus entrer dans les querelles mesquines, les conflits personnels, les oppositions stériles.

Ceux qui ont une question à me poser ou veulent un échange plus personnel peuvent me contacter sur ma messagerie privée (disponible sur mon profil, à la rubrique "contact"). Mais ce ne sera plus public. J'avais au départ songé illustrer certains billets par des photos. J'y renonce, ce n'est pas une bonne idée : le texte se suffit à lui-même, des vignettes ne pourraient que distraire l'attention (mon autre blog, en revanche, privilégie désormais l'image sur l'écrit ; vous pouvez vous y reporter si vous le souhaitez ; consulter là aussi le profil).

J'ai tenté de diversifier les sujets de réflexion, de respecter ce qu'annonce le sous-titre : politique - culture - société - vie locale. Ce n'est plus un blog militant, même si c'est toujours un blog engagé. Je m'efforcerai de vous faire part, plus souvent, de mes activités associatives, professionnelles et autres. Prochain debriefing : dans cinq ans !

dimanche 5 juin 2011

Un débat très technique.

Café philo hier après-midi sur le thème de la technique, à la bibliothèque Guy-de-Maupassant : il faisait chaud, lourd, et nous avons eu droit à quelques gouttes d'eau, qui ont tout de suite inquiété certains participants. C'est ainsi, nous ne sommes plus habitués aux contrariétés de la nature. Et la technique, nous promet-elle mieux ? Pas vraiment. Voici quelques réflexions glanées ou inspirées au fil de la discussion :

La technique, c'est souvent un mode d'emploi, pour l'installer et la faire fonctionner. Sauf que celui-ci est généralement ésotérique, incompréhensible. Même en français, c'est du chinois ! Et puis, la technique dont la mission est de marcher tombe fréquemment en panne. Ah la panne ! C'est la négation de sa toute puissance ! L'existence même du réparateur, à qui l'on fait inévitablement appel, est la preuve ontologique que la technique est fondamentalement imparfaite puisqu'on a anticipé ses "dysfonctionnements" (un terme qui se répand dans une société où la technique se répand, quoi de plus logique ?). Enfin, le mythe de sa rationalité s'effondre quand un bon coup de pied ou de poing fait redémarrer la machine sans qu'on sache évidemment pourquoi. Comme si la technique craignait son créateur et obtempérait devant sa colère.

La technique est-elle au moins utile ? Si elle a une raison d'être, c'est bien celle-là. Mais combien de fois la surprenons-nous en état de futilité, vanité, superficialité ? J'ai demandé à chaque participant de quelle technique il pourrait volontiers se passer. Et a contrario laquelle il ne pouvait pas abandonner. Pour moi, il s'agit du décapsuleur quand il me faut ouvrir une bouteille ... Je peux ignorer à peu près tout le reste.

La technique a aussi pour mission, initiale et historique, d'alléger le travail, faciliter la vie et économiser le temps. C'est à voir ! La technique est devenue dans le monde moderne technologie hyper-compliquée, sophistiquée à l'extrême, subtile jusqu'à vous donner mal de tête. Quand elle ne se constituait que de simples outils, son usage était relativement facile. Même un illetré pouvait y accéder. Aujourd'hui, elle réclame que nous soyons intelligents pour nous confronter à son intelligence grandissante.

Mais le temps qu'on perd à cause d'elle est consternant : avec l'internet, les opérations sont plus rapides mais elles prennent plus de temps ! Il ne suffit pas d'envoyer un courriel, il faut vérifier que l'adresse est la bonne, que le destinataire l'a bien reçu, qu'il l'a effectivement lu et il faut surveiller sa réponse dans le lot de courriels que nous recevons d'autre part. Quelle fatigue la technique !

Rassurons-nous et étonnons-nous du constat que la technique fait des miracles, que ce produit de la science débouche sur une forme de religion, avec ses apprentis sorciers. On n'arrête pas les progrès de la technique, paraît-il : ça promet ! En tout cas, l'homme préhistorique avait besoin d'elle pour entrer en civilisation et l'enfant en raffole, s'en amuse, tellement la technique est ludique. Je n'oublie pas non plus sa beauté, qui en fait parfois l'égale d'une oeuvre d'art.

Pour terminer, j'ai proposé, comme à mon habitude depuis que la bibliothèque Guy-de-Maupassant est la résidence du café philo, une bibliographie et une filmographie, très personnelles, dont je vous livre quelques titres : le grand ethnologue Leroi Gourhan explique, dans "Le geste et la parole", que l'intelligence primitive se développe à travers le maniement des outils. Aristote va encore plus loin puisqu'il assure, dans un très beau texte ("Les parties des animaux", 687a7-687b9, livre IV) que la main de l'homme est le tout premier outil. Descartes, lui, nous invite à devenir "comme maître et possesseur de la nature" ("Discours de la méthode", 6ème partie), considérant le vivant à l'image de la machine ! Diderot et D'Alembert, en rédigeant "L'Encyclopédie", redonnent à la technique toute sa noblesse, auparavant contestée par la pure spéculation philosophique.

C'est à partir du XIXème siècle, avec Karl Marx, qu'on va s'inquiéter de la puissance de la technique, quand la machine s'allie au capitalisme pour certes développer l'économie mais aussi exploiter l'humanité et même détruire la civilisation (lire "Le capital", livre premier, 4ème section, chapitre 15, sur la machine outil). Au XXème siècle, la critique de la technique va devenir encore plus virulente. Je vous conseille deux penseurs : Martin Heidegger (lecture difficile) et Jacques Ellul (abordable).

La pensée ne réside pas seulement dans la philosophie mais aussi dans la littérature et le cinéma. Je vous invite à lire le "Frankenstein" de Mary Shelley, ou comment la technique se retourne contre son créateur, et bien sûr Jules Verne, qui fait d'une technique, le sous-marin, le véritable héros de "20 000 lieues sous les mers". Aldous Huxley anticipe très tôt les biotechnologies et leurs dangers dans "Le meilleur des mondes".

Au cinéma, Charlie Chaplin dénonce les techniques industrielles dans "Les temps modernes". Avec "2 001 odyssée de l'espace", Stanley Kubrick porte un regard un peu plus optimiste sur les techniques du futur. Quant à Jacques Tati, la plupart de ses films s'amusent des vanités et légèretés de la technique contemporaine. Je retiendrais en particulier "Trafic", une satire de l'univers de l'automobile. Bonne lecture, bonne distraction, bonne réflexion !

Mon prochain passage à la bibliothèque, samedi, avec une conférence cette fois-ci, suivie d'un débat avec la salle, sur le rire.

Les Dany et les Cécile.

Congrès d'Europe Ecologie Les Verts (EELV) à La Rochelle ce week-end. Pour un parti, quel titre, quel sigle ! Il ne fallait sans doute pas mécontenter les uns ni les autres : au lieu de choisir ou d'inventer, on a additionné. C'est beaucoup plus simple et ça donne un nom compliqué. Je pense à ces textes politiques illisibles à force d'ajouts et de retraits. Mais tout le monde est satisfait parce que tout le monde a été pris en compte : n'est-ce pas finalement l'essentiel ?

Ce congrès écologiste (j'en reste à cette formule, la plus compréhensible) s'est très bien passé. A deux détails près : l'absence de Daniel Cohn-Bendit et la bourde de Nicolas Hulot. Les deux écolos pourtant les plus populaires de France n'étaient pas à la fête. Dany a été qualifié de "Schtroumpf grognon". Mais pourquoi ? Parce qu'il n'est pas tout à fait d'accord avec la ligne politique de son parti. Quand Rocard dans les années 70 n'était pas en phase avec Mitterrand, l'appelait-on "Schtroumpf grognon" ? Pourquoi un désaccord politique entraînerait-il aujourd'hui un qualificatif qui a pour but de psychologiser et de ridiculiser ?

Quant à Nicolas Hulot, il a avoué avoir eu un penchant politique pour Borloo. Ce n'est pas très nouveau, ce n'est guère étonnant, il a dit ce qui lui est passé un moment par la tête. Mais voilà : un congrès politique n'est pas un exercice de sincérité. Pan sur Hulot ! Rien de bien grave pourtant dans ses propos. Dany et lui, ce ne sont pas des "politiques" classiques ; ils détonnent donc, même dans ce parti peu classique qu'est EELV, mais qui le devient de plus en plus.

Cécile Duflot, elle, est la reine du congrès. De son côté, tout va bien, pas de problème : sa motion rafle 50% des voix et sa candidature pour un troisième mandat à la tête du parti est plébiscitée par 92% des votants. C'est assez extraordinaire, et cela doit nous faire réfléchir sur ce qu'est la politique : Daniel Cohn-Bendit est un personnage historique, un leader charismatique, une figure très populaire ; il a conduit aux dernières régionales les écologistes à un niveau électoral jamais atteint auparavant par eux ; il est l'inspirateur et le fondateur d'EELV ; et il se ramasse 26% dans le vote sur les motions !

Duflot n'est rien de tout cela. Elle a hérité d'un qualificatif, dont on ne sait s'il est flatteur ou ironique : BBB, brune banale de banlieue. A côté de Dany, c'est l'eau et le feu, la fadeur et l'exubérance. Et le gagnant n'est évidemment pas celui qu'on croit ou qu'on pourrait espérer. En habile politique, Duflot est d'accord avec tout le monde, Joly, Hulot et même Dany, pour être surtout en accord avec elle-même. Si elle renonce à la présidentielle, ce n'est pas pour renoncer au pouvoir mais au contraire pour mieux y accéder. Le seul pouvoir qui compte est celui qu'on peut prendre ou conserver, en l'occurrence la tête de l'appareil.

Cécile Duflot, c'est la froide ambition, la triste patience, la soumission tranquille. Elle a compris qu'on ne l'emporte en politique qu'en ressemblant à ceux qui peuvent vous faire roi en leur permettant de s'identifier à leur leader. Cohn-Bendit ne ressemble à personne d'autres qu'à lui. Les Cécile Duflot sont légion dans les partis. Ce sont ceux qu'on ne remarque pas, qui sont là au bout de la table à attendre leur heure, dans d'interminables réunions où il ne se passe rien. Ils ont compris que la réussite passait par le retrait, le silence et l'acquiescement.

Parmi les successeurs de Lénine, il y avait Trotsky et Staline, l'exubérant, le génial, l'inquiétant, et l'homme ordinaire, effacé, rassurant. C'est bien sûr le second qui l'a emporté. Les Dany ne gagnent que dans des circonstances exceptionnelles, parce que ce sont des personnalités exceptionnelles. Les Cécile leur sont préférées le reste du temps, dans le cours ordinaire des choses qui n'exige que des gens ordinaires.

samedi 4 juin 2011

Gérard Martin, que j'aimais bien.

Gérard Martin est mort. J'ai du mal ce soir à écrire cette phrase. Je l'ai appris bêtement, presque par hasard, en parcourant la nécrologie de L'Aisne Nouvelle. J'ai de la peine. Ces mots-là, je les écris rarement. La peine, ce n'est pas un sentiment que j'éprouve souvent. Mais là, oui : une méchante tristesse s'est emparée de moi, une sorte de mélancolie.

Gérard Martin, je l'aimais bien, c'est tout, c'est énorme. Il y a tant de gens que je n'aime pas, qui m'emmerdent. Lui non. Pourtant, ce n'était pas un ami (un ami, c'est quoi, au fait ?). Nous n'avons jamais pris un verre ensemble. Mais c'était mieux que ça : une estime que je crois réciproque, un respect silencieux. Gérard lisait mes billets, depuis pas mal de temps. Il a même laissé quelques commentaires sur mon précédent blog.

Politiquement, nous étions complètement en désaccord, lui d'extrême gauche, NPA et syndicaliste de Solidaires 02, délégué départemental, moi social-démocrate, strauss-kahnien. Et pourtant, quelque chose je crois passait entre nous. Je vais essayer de vous dire quoi, ce que j'aimais chez cet homme : son militantisme sans ostentation, son engagement dépourvu de tout intérêt personnel, cette défense tenace et modeste de ses convictions.

Et puis, cet homme était gentil, profondément gentil. Il portait sur moi un regard doux et compréhensif, tout en ne partageant pas mes idées. C'est bête à dire mais je le dis. Nous nous retrouvions sur les "valeurs". C'est à la fois peu et beaucoup. Par deux fois, je l'avais choisi comme invité de mon ciné philo : pour débattre du film "Capitalism, a love story" de Michael Moore sur la finance et du film "Les mains en l'air" de Romain Goupil sur les enfants d'immigrés clandestins (Gérard militait aussi au Réseau éducation sans frontière).

Nous étions ensemble quand j'avais fait venir Alain Krivine au village du livre de Merlieux, il y a trois ans. Sinon, c'est dans les manifs qu'on se croisait, lui toujours un peu timide, et moi aussi. Ce que j'appréciais en lui, c'est son militantisme ferme mais non fanatique, décidé mais sans gloriole. Bref, un homme de bonne volonté, un bon gars comme on dit chez moi. La mort est toujours moche, injuste, cruelle même. Celle de Gérard Martin plus qu'une autre. Parce que je l'aimais bien.