lundi 31 octobre 2011

Le crocodile et les lunettes.

"L'exercice de l'Etat", le dernier film de Pierre Schoeller, relève un difficile défi, rarement réussi au cinéma : filmer le pouvoir. Très difficile peut-être parce que le pouvoir par essence ne se montre pas (le rôle du directeur de cabinet magistralement joué par Michel Blanc), sinon sous forme d'apparence, de jeu, donc de tromperie. Là, c'est réussi. Pas d'éloge ni de dénonciation de la politique, mais une dissection, une mise au jour et à plat.

La première image est onirique et énigmatique : une femme nue s'offre à un crocodile qui l'avale ! Quel est le sens de la métaphore ? Le pouvoir carnassier qui se précipite sur la France vulnérable ? Ou bien l'homme politique vulnérable qui est broyé sous les mâchoires de l'Etat, monstre froid ? La double interprétation catactérise ce film consacré à l'activité gouvernementale : chacun s'en fera sa propre idée. La mienne confirme quelques intuitions que j'ai depuis longtemps :

D'abord, la politique est moins affaire de conviction que d'adaptation. Non pas que les convictions soient absentes (le ministre du film croit dur comme fer qu'il ne faut pas privatiser les gares ferroviaires) mais elles sont secondaires (le même ministre acceptera finalement de piloter le processus de privatisation). La politique, ce n'est pas tant une affaire de crocodiles qui s'affrontent que de chapeaux qu'on avale, avec le sourire. L'essentiel est de tenir bon, quoi qu'il arrive, y compris un terrible accident de la route dont le ministre est la victime, ce qui accroît finalement sa popularité ! La tragédie n'a pas sa place en politique, mais plutôt la plate comédie.

Ensuite, la politique est une posture, parfois un spectacle, toujours une mise en scène qu'il faut soigner : bref, une question de représentation. Non pas par vanité de l'homme politique (c'est un boulot de chien, pas de crocodile, où il faut se forcer à plein d'activités inintéressantes) mais parce que le pouvoir n'est pas ce qu'on croit : entièrement dépendant du contexte et de mille facteurs imprévisibles et insaisissables, le pouvoir en réalité ne peut pas grand-chose mais doit faire semblant qu'il peut beaucoup et parfois tout.

Enfin, la raison d'être du pouvoir, sans laquelle il ne serait qu'un théâtre d'ombres sans importance, c'est sa capacité à affronter des problèmes, constamment, et à trouver des solutions, efficacement. Le ministre et son directeur de cabinet gèrent et règlent quotidiennement de multiples difficultés, petites et grandes. La finalité du pouvoir, telle en tout cas que nous la montre le film de Schoeller, c'est bien celle-là.

A ce propos, une petite anecdote amusante me revient à l'esprit : le jeudi 02 septembre 2010, Xavier Bertrand inaugurait une plaque commémorative à l'emplacement de l'ancienne prison de Saint-Quentin. En fin de cérémonie, il salue à son habitude chacun, droit dans les yeux et d'une main ferme. Avec moi était présent un militant socialiste, Joseph, qui était confronté ce jour-là à un sérieux problème : il venait de casser ses lunettes. Plus précisément (car un problème doit être précisément exposé), l'une des branches de sa monture s'était décrochée, la minuscule vis dans la paume de mon camarade.

Quand le ministre s'est présenté pour nous tendre la main, celle de Joseph n'a pas pu bouger. Xavier Bertrand a vite compris le problème et pas confondu avec une impolitesse ; il a eu cette phrase qui m'est restée en mémoire, mot pour mot : "Là, je ne peux rien pour vous", avec un visage d'homme navré de ne pas avoir, pour une fois, une solution à proposer (car ce genre de vis pour ce genre de lunettes est si petite qu'il faut un canif et beaucoup de calme et de concentration pour réparer).

Ce "Là, je ne peux rien pour vous" signifiait que le maire en avait la volonté, même pour un incident si personnel et si dérisoire (pas pour Joseph évidemment, qui était inquiet à l'idée de perdre la petite vis), mais pas les moyens. Il aurait pu ne rien dire, ne pas remarquer le désarroi de mon camarade, ou seulement lui exprimer le voeu que le dommage soit surmonté. Mais non, le "Là, je ne peux rien pour vous" exprimait cette intention de trouver coûte que coûte une solution, qui rencontrait ici sa limite dans la durée (le ministre devait partir) et la possibilité matérielle (pas de pointe de couteau à sa disposition).

Ainsi est aujourd'hui l'homme politique, de droite ou de gauche, et souhaité comme tel par la population : l'homme qui apporte à tout prix une solution à nos problèmes, menus ou gigantesque, locaux ou planétaires. "Il n'y a pas de problèmes, il n'y a que des solutions", ainsi pourrait être sa devise. Alors, l'idéologie importe peu, à une époque où les citoyens réclament à corps et à cris du "concret".

A l'opposé, sans solution ni problème, j'ai beaucoup aimé une scène du film assez émouvante jusque dans son aspect comique : Michel Blanc est en peignoire dans sa cuisine, mitonnant un petit plat en écoutant avec nostalgie le discours d'André Malraux lors du transfert des cendres de Jean Moulin au Panthéon. C'est le seul moment où la politique d'autrefois surgit dans cette ambiance très contemporaine : un temps où le mot "problème" était peu utilisé, surtout en politique (c'est un terme qui ressort surtout du domaine de la technique ou de la psychologie moderne), où on parlait moins de "solution" que de "projet", de "programme" ou d' "idée". Mais la politique a bien changé depuis Moulin, Malraux et de Gaulle. En mal ou en bien ? Je vous laisse choisir ; pour moi, c'est tranché.

dimanche 30 octobre 2011

Baston à la Bastille.

J'ai passé ma journée à Paris, invité le matin à animer la séance du prestigieux café des Phares, place de la Bastille, le premier café philo créé au monde, qui fêtera l'an prochain son vingtième anniversaire. C'est la quatrième fois que j'ai eu ce redoutable honneur, la tâche n'étant pas si facile, malgré mes treize années d'entraînement dans l'Aisne ! Manager quatre-vingt personnes, organiser les prises de parole, respecter le délicat équilibre entre l'expression du public (indispensable) et les commentaires de l'animateur (attendus), ce n'est pas simple. Ajoutez à ces difficultés la durée de la rencontre (1h45) et vous avez la mesure du défi. Mais quel plaisir de s'y frotter !

J'ai débuté en rappelant qui j'étais, en parlant de Saint-Quentin et de l'Aisne (Xavier Bertrand et Yves Daudigny devraient m'être reconnaissants !) et j'ai terminé sur le trottoir (non, ce n'est pas ce que vous croyez), discutant devant les Phares, après la séance, avec les participants, qui apprécient ce moment informel de libres échanges, à la façon du prêtre qui s'entretient avec les fidèles à la suite de la messe sur le parvis de son église.

Les sujets sont proposés par l'assistance, à charge pour l'animateur d'en retenir un qui l'inspire tout particulièrement. C'est donc un travail sans filet, sans préparation : je suis condamné à improviser. Le plus dur n'est pas ce qu'on croit, la gestion du débat, mais le choix du sujet, forcément embarrassant quand une quinzaine sont suggérés.

Parmi eux, ce matin : Comment définir le mal ? Autrui est-il mon semblable ? La parole a-t-elle encore un avenir ? et même celui-ci, inattendu, incongru : tagada pouet pouet ! C'est la tradition iconoclaste des Phares, dans la veine de l'école des Cyniques. Une fois, j'ai entendu un très provocateur : Dieu est-il pédophile ? Ça déchire, comme disent les jeunes, mais c'est plus sérieux qu'on ne pense ...

Ne voulant pas ajouter la difficulté à la difficulté, j'en suis resté à un sujet plus sage mais néanmoins intéressant : admirer, est-ce juste ? pour conclure en substance qu'un homme n'admirant rien ni personne serait un bien triste individu, mais qu'aussi l'admiration est un sentiment passif, un regard soumis dont il faut s'émanciper avec l'âge, le pire étant chez celui qui cherche à se faire admirer.

Après le café philo, je suis allé dans un café sans philo prendre un café et ... regarder : place de la Bastille, c'est un vrai spectacle pour les yeux, Paris tout craché, et je n'ai pas été déçu. Le passage des passants, la ronde des automobiles, la bande de patineurs et même un groupe de manifestants, tout ce beau monde tellement différent se retrouve autour du Génie, se côtoie et s'ignore. C'est ça la grande ville et c'est formidable : la différence dans l'indifférence ...

Ce qui est moins formidable, c'est quand la manif tourne à la baston, et c'est ce qui s'est passé. D'esprit curieux et fasciné par la violence collective, j'ai laissé mon café et je suis allé voir de près ces jeunes qui jouaient du bâton et du fumigène devant l'opéra Bastille, avant que les CRS ne les délogent. J'ai discuté, m'immergeant dans le groupe de rebelles passablement excités, bloquant la circulation, s'en prenant parfois à des automobilistes ou pétant des cabines téléphoniques, et j'ai vite compris : c'étaient de jeunes Turcs protestant contre les Kurdes, à leurs yeux coupables de terrorisme.

Une calme jeune fille m'a expliqué que son peuple était martyr, que les autres étaient les bourreaux et que les médias occidentaux intoxiquaient l'opinion. Je ne connais pas grand-chose à ce conflit, mais je suis sorti de cette discussion, interrompue par les gaz lacrymogènes, en me disant que la guerre civile entre communautés était le plus tragique des affrontements.

Dans l'après-midi, j'ai été confronté à un autre affrontement, celui du pouvoir politique, mais au cinéma cette fois, en regardant le film de Pierre Schoeller, L'exercice de l'Etat, une chronique sèche, précise et désenchantée sur les sommets de la politique, sans héros ni salaud, mais sans non plus grands hommes que nous pourrions admirer. Tiens, l'admiration, on y revient. Sans réponse à la question : qui serait aujourd'hui digne d'admiration dans le personnel politique ? Mais comme j'ai dit aussi qu'on pouvait et devait se passer de ce sentiment ... Apprécier, estimer, n'est-ce pas suffisant ?

samedi 29 octobre 2011

Chez les révolutionnaires.

Une candidate à l'élection présidentielle de 2012 de passage à Saint-Quentin, c'est un événement politique ! C'était ce soir, avec Nathalie Arthaud de Lutte Ouvrière, dans la salle Saint-Martin. A l'entrée, les militants vous accueillent d'un sourire et veillent à ce que chacun ait une place assise, un peu comme les ouvreuses d'autrefois au cinéma. J'ai cru apercevoir, parmi eux, madame Chabanne, directrice de cabinet de Xavier Bertrand : mais non, c'est juste une personne qui lui ressemble. Comme la coiffure de Nathalie Arthaud, cheveux courts, pas de sophistication, ressemble à celle d'Arlette Laguiller.

A côté de la tribune, il y a un joli bouquet de drapeaux rouges. Au mur, des affiches typiquement LO : une phrase toute simple mais percutante, qui vaut bien un long discours. Mais les discours, il en faut : à la tribune, derrière une immense banderole "La crise du capitalisme ne doit pas être payée par les travailleurs", Jean-Loup Pernelle et Anne Zanditénas encadrent la candidate, qui commence son intervention par le célèbre "travailleuses, travailleurs". Parmi le public, des jeunes, même des enfants, un communiste, William Lesur, et un socialiste, moi. Et au milieu, une caméra de Canal+ qui suit toute la réunion.

Le public est très attentif. C'est totalement différent d'une réunion politique ordinaire : aucune sonnerie de mobile ne perturbe, personne ne se lève ni discute avec le voisin. Le fond de la salle et les côtés sont occupés par les militants LO qui observent, surveillent : aucun visiteur n'est debout. Il s'en dégage une ambiance particulière, concentrée, organisée, silencieuse, que je n'ai jamais éprouvée ailleurs dans une réunion publique. Même les applaudissements sont sérieux, justifiés, un peu métalliques. La salle ne se soulève pas d'enthousiasme, elle est trop persuadée de ce qu'elle entend pour se laisser aller à ça. Pas de rire, pas d'humour, grosses ficelles de la politique, mais la certitude de la vérité, qui économise les effets de manches et les facilités rhétoriques. Pas d'artifice dialectique non plus.

Qu'est-ce que je pense de l'intervention d'Arthaud ? Ce qu'un socialiste ne peut que penser : sa logique est implacable mais ce n'est pas la mienne. La sienne est révolutionnaire, même si le mot de révolution n'est pas prononcé. En revanche, elle utilise à plusieurs reprises le terme d'explosion sociale. En l'écoutant, je rapproche plus ses idées de l'anarcho-syndicalisme que du trotskysme : il est plus question de luttes sociales que de pouvoir politique ; il ne s'agit pas de construire un parti qui vise à conquérir l'Etat mais à favoriser la mobilisation des travailleurs. Les élections, LO y participe mais n'y croit pas plus que ça.

C'est pourquoi toute une partie du discours de Nathalie Arthaud me convient, et j'ai applaudi : l'irrationalité du capitalisme ("la maison des fous", l'a-t-elle appelé), la quête dévastatrice du profit (l'impressionnante image du capitalisme qui meurt étouffé dans sa graisse), l'exploitation des peuples, la responsabilité de la bourgeoisie, oui tout cela m'agrée, parce que c'est une analyse historique pertinente. Mais après ? Comme LO n'est pas, à la différence du PS, dans une logique de pouvoir, elle n'a pas vraiment de programme électoral. J'ai seulement noté l'expropriation des banquiers et la création d'un système bancaire unique et centralisé. C'est là où je ne suis plus d'accord : le communisme, les peuples ont déjà donné et ça a partout échoué ...

Et puis, il y a ce renvoi dos à dos de Sarkozy et Hollande, la critique fondamentale des gouvernements socialistes. Sur ce point, j'aurais aimé que mes camarades socialistes saint-quentinois soient présents : ils auraient pris conscience que s'allier avec LO, c'est un contresens historique évident, une hérésie politique, presque de la sorcellerie. William Lesur a demandé, dans la partie débat de la soirée, si LO songeait à se rapprocher du Front de Gauche, NPA et POI. Réponse : non. Comme il ne peut pas y avoir deux églises catholiques, il n'y a pas deux partis révolutionnaires : le seul authentique, c'est Lutte Ouvrière. Les autres ne remettent pas vraiment en cause le système. Le PCF a toujours cru pouvoir infléchir la ligne du PS à gauche en s'alliant avec lui. Résultat : c'est l'éternel cocu de l'histoire (la formule est de moi, pas d'Arthaud).

Ce que j'apprécie, c'est l'internationalisme de LO, qui la conduit à rejeter la démondialisation et le protectionnisme de Montebourg, qu'un certain patronat pourrait fort bien à son tour revendiquer, le passé l'a déjà prouvé. Ce que j'aime, c'est la rigueur de ces militants : on comprend vite qu'ici c'est du sérieux. Les discours ne débutent pas, comme chez les socialistes, par des remerciements à rallonge. Et ils se terminent, bien sûr, par L'Internationale, poings levés, et pas par le pot de l'amitié cher à mes camarades.

Inutile aussi de ranger sa chaise, rituel socialiste bien connu : les militants sont là, nombreux, pour s'occuper du matos, pendant que d'autres discutent avec le public pour tenter de le convaincre. Pas collectivement, mais d'individu à individu : les yeux recherchent le contact, la bouche questionne et engage la conversation, les oreilles écoutent beaucoup. C'est un peu comme avec les témoins de Jéhova : pas facile de s'en défaire mais les militants LO, eux, ne sont pas à votre porte, un pied dans la maison.

Ainsi, une dame s'est entretenue avec moi, bien que j'ai décliné mon identité socialiste. Au contraire, ma franchise a semblé la stimuler. Manifestement, nous avons affaire à des militants politiquement aguerris, très bien formés. Beaucoup n'étaient pas de Saint-Quentin, mais ce n'est pas gênant à leurs yeux : la révolution n'est pas locale, Marx et Lénine ont voyagé à travers toute l'Europe ... Quand le public quitte la salle, un drapeau rouge l'attend pour recevoir un peu d'argent : c'est la "collecte au drapeau", depuis longtemps disparu au PS.

Cette soirée m'a plu, bien que je ne partage pas la plupart des vues qui ont été développées. Mes premiers militants LO, je les ai rencontrés en mai 1979, dans la petite salle de réunion de la mairie de Saint-Amand-Montrond, dans mon Berry natal. Ils étaient deux, homme et femme, un couple, et j'avais été frappé par leurs cheveux courts, à une époque où les gauchistes avaient plutôt les cheveux longs. Mais les partisans d'Arlette ne sont pas des gauchistes : seulement des révolutionnaires.

Je me souviens encore de la question que je leur avais posée : nous étions en pleine crise de la sidérurgie, des coups de feu avaient été tirés à Longwy contre des CRS lors d'une manif. LO était-elle prête à prendre les armes ? La réponse, quoique prudente, raisonnée et conditionnelle, avait été affirmative, et moi, à 19 ans, j'étais très impressionné. Ça me changeait complètement des socialistes, mobilisés essentiellement pour les élections et autour de leurs élus. En LO, je percevais une sorte de pureté, un désintéressement, une clarté dans les convictions que je ne retrouvais pas ailleurs (encore aujourd'hui, le NPA m'irrite dans sa volonté de faire jeune et moderne). Aux élections européennes de juin 1979, je votais pour la première fois et la dernière fois de ma vie extrême gauche, LRC-LO, Krivine-Laguiller.

J'ai revu des militants LO plus tard, aux alentours de Paris, dans leur domaine de Presles, pour la fête annuelle des révolutionnaires, une fête de l'Huma en plus petit et Ricard en moins, où l'on pouvait entendre Pierre Perret. C'était un temps bien différent du nôtre, où mon grand-père, communiste, me disait qu'Arlette Laguiller était payée par le patronat pour diviser la gauche ! (je n'en croyais bien sûr pas un mot). Des communistes s'alliant avec l'extrême gauche, c'était inconcevable. Et l'extrême gauche s'alliant avec des socialistes, c'était ubuesque. J'ai peut-être tort mais j'en suis resté là. Et quand je vois des militants LO vendre leur journal dans Saint-Quentin, contre vents et marées, dans le froid ou sous la pluie, je garde pour eux une estime que je n'accorde à aucun autre.

Brassens et les cons.

Trente ans aujourd'hui qu'il nous a quittés : Georges Brassens aurait souri aux hommages qu'on lui rend, à la statue qu'on érige, aux écoles qui portent son nom, lui qui détestait, en bon anar, toute forme de protocole et d'admiration. Ses chansons de référence, L'auvergnat, La mauvaise réputation, Les copains d'abord, ne sont pas mes préférés, tellement elles ont été diffusées et célébrées. Je retiens des chansons plus discrètes, inattendues, singulières, par exemple La prière, étonnant et énigmatique "Je vous salue Marie" dans la bouche d'un athée et anticlérical démonstratif.

Surtout, j'ai mes deux titres de choix, que je garderai si je devais brader tout le reste. D'abord, Les passantes, magnifique et mélancolique chanson d'amour, à propos de ces brèves rencontres pleines d'avenir mais qui ne durent que quelques secondes, dont on se rappelle les promesses à la fin d'une vie d'échec et d'ennui.

Ensuite, Pauvre Martin, dont je me demande si ça n'est pas, en partie du moins, Georges Brassens lui-même, l'homme modeste, humble, sans prétention, n'ayant que le travail pour toute richesse, sauf que lui, l'homme à la guitare et à la pipe, est passé à la postérité. Tous les Martin du monde, ce sont les pauvres, les anonymes, les invisibles, qui meurent sans qu'on se rende compte qu'ils ont vécu :

Pauvre Martin, pauvre misère,
Creuse la terre, creuse le temps.
(refrain)

Pauvre Martin, pauvre misère,
Dors sous la terre, dors sous le temps.
(final)

De Brassens, on retient aussi sa dénonciation des autorités établies, flics, curés et autres représentants du pouvoir. Mais il avait un adversaire beaucoup plus vaste, plus puissant, plus universel : la connerie, qu'il a si j'ose dire immortalisée dans Quand on est con on est con (vérité première, axiome de base, constat général, logique implacable) et puis Les imbéciles heureux qui sont nés quelque part, un con d'un genre particulier quoique très répandu, fier de lui, de ses origines, de sa famille, de sa ville, bref fier de sa connerie.

Aujourd'hui, Georges Brassens qu'on commémore tant serait très mal vu. S'attaquer à la police, au clergé et aux puissants, c'est devenu banal, ça passerait très bien, c'est ce qu'on voit tous les soirs à la télé. Mais dénoncer les cons, qui sont légions (surtout le soir devant leur télé), là ça ne passerait plus, beaucoup trop de gens se sentiraient visés, qui brandiraient le droit au "respect", feraient figure de "victimes", demanderaient la "compassion" pour eux-mêmes.

Le dernier à s'être attaqué aux cons, dans la lignée de Brassens, c'est Renaud et son Hexagone, dans les années 70, avec l'estocade de fin, qui ferait hurler en 2011 braves gens et bons citoyens :

Si l'roi des cons perdait son trône,
Y'aurait 50 millions de prétendants.


Brassens reviens, les cons sont toujours là !

vendredi 28 octobre 2011

Un homme de droite.

Quand je me demande si je suis vraiment de gauche, il me suffit d'écouter un homme de droite et mes incertitudes disparaissent. Hier encore, en regardant Nicolas Sarkozy à la télévision, j'en ai fait le constat. Je suis socialiste modéré, je reconnais facilement les torts de la gauche et les vérités de la droite, mais il y a des choses qui ne passent pas, qui établissent un clivage certain entre les deux camps.

Par exemple l'explication de la dette colossale de la France. Je suis d'accord avec le président sur le diagnostic : le manque de compétitivité de l'économie nationale. Mais je diverge sur les causes : pourquoi jette-t-il la pierre, constamment, aux 35 heures (qu'il n'abroge pourtant pas) ? Pourquoi remonte-t-il si loin, en 1981, et s'en prend à la retraite à 60 ans ? Nicolas Sarkozy reproche aux socialistes de n'avoir pas réformé le pays. Mais si ! Sauf que les réformes de gauche ne sont pas les réformes de droite, et c'est normal.

Il est curieux que le chef de l'Etat, en déplorant l'état de notre économie, ne remette jamais en question les responsables économiques, le patronat, les dirigeants d'entreprise. A qui la faute si la France n'a pas su innover, se réindustrialiser, s'adapter à la mondialisation, créer des emplois ? Ni les chômeurs ni les salariés ne peuvent être mis en cause : ils sont les victimes de la crise, ils n'ont aucune responsabilité dans l'endettement, les délocalisations, le chômage.

Ce que Nicolas Sarkozy ne fait pas, ne peut pas faire puisqu'il est un homme de droite, philosophiquement conservateur du système économique actuel, c'est contester cette société de consommation (je préfère ce terme à celui, moins précis, de capitalisme) qui nous conduit à dépenser plus que nous gagnons. Le ferait-il qu'il scierait la branche sur laquelle lui et ses amis sont assis.

Critiquer la consommation, le gaspillage, les injustices qui en découlent, l'aliénation des masses, les inégalités, c'est plus facile à dire qu'à faire. Mais c'est déjà bien de le dire et de tenter de le faire. Je ne crois pas à la révolution, mais c'est la direction qui importe, le cap qu'on se donne, et les réformes progressives qui s'ensuivent. Voilà ce que j'appelle le socialisme modéré.

Je n'ai pas aimé non plus, hier soir, le soupçon que le président de la République a porté sur ceux qui manifestent, font grève, descendent dans la rue. Il a employé à leur propos le terme de "nuisance". Ah comme on reconnaît là l'homme de droite ! Grève et manif, ça n'entrera jamais dans son code génétique, c'est au contraire pour lui et les siens un puissant répulsif.

Mais c'est très bien ainsi : la vie serait triste s'il n'y avait que des hommes de gauche. Je ne verrais alors que leurs défauts et je me mettrais de nouveau à douter de leurs vertus. L'existence de la droite est une bénédiction pour qui veut s'assurer, comme moi parfois, qu'il est bien de gauche et que la gauche a raison. Elle n'existerait pas que j'irais, par nécessité, jusqu'à l'inventer. C'est vous dire ma tolérance à l'égard de mes adversaires politiques ...

jeudi 27 octobre 2011

La démocratie électronique.

La démocratie a toujours été bouleversée dans ses fonctionnements par le progrès technique, sans que ses finalités en soient altérées. Au XIXème siècle, c'est la naissance de la presse moderne qui a contribué au développement de la République. Avec la télévision et l'internet, nous assistons à l'instauration d'une démocratie électronique qui modifie nos comportements. Les primaires citoyennes en ont été une étape importante et un accélérateur.

D'abord, la télévision a joué un rôle déterminant là où, auparavant, il n'y a pas si longtemps, c'étaient les débats internes au parti qui décidaient du résultat. Et puis, l'information sur les modalités du vote a circulé sur le net beaucoup plus qu'à travers les sections, les affiches et les tracts. Enfin, les militants ont fait une drôle de découverte, le stylo électronique qui élimine les possibilités de fraude. Jamais le parti socialiste n'aura été dépossédé à ce point des moyens du militantisme classique, en pleine mutation.

Depuis les années 30 du siècle dernier, la scène politique française avait ses figures familières : le journal d'opinion vendu à la criée, le militant distribuant ses tracts sur le marché, le collage nocturne des affiches, le boîtage dans les quartiers, la réunion publique dans une salle municipale, un préau d'école ou l'arrière d'un café. Depuis quelques années, nous sentions que ces vénérables rituels avaient pris du plomb dans l'aile. Aujourd'hui, on peut dire que l'oiseau est agonisant.

Bien sûr, rien ne meurt jamais vraiment. Il y aura des survivances, sous forme de folklore. Le distributeur de tracts sera regardé comme les enfants s'amusent devant les autruches au zoo. Le colleur d'affiches sera vu comme quelqu'un qui dégrade inutilement l'environnement. La réunion publique qui ne regroupe que ceux qui sont déjà convaincus (quand la salle n'est pas vide ...) fera plaisir à ses seuls organisateurs. Mais l'essentiel se jouera ailleurs, sur les réseaux sociaux : c'est ce que les primaires citoyennes ont démontré avec éclat. Et nous ne sommes qu'au début d'un processus de fond ...

La démocratie électronique ira encore plus loin : la fin d'un autre rituel républicain, le bureau de vote avec son urne, ses isoloirs et ses bulletins de vote, avec la formule quasi sacramentelle, "a voté". Cette petite messe démocratique s'est dégradée depuis pas mal de temps : plus personne n'y vient endimanché, certains ne s'y rendent même plus du tout, à voir les taux d'abstention. La solennité autant que la fréquentation se sont perdues. A ce rythme, nous allons tout droit vers le vote électronique, non pas avec des machines à voter à la façon américaine, mais de chez soi, bien tranquillement, sur son ordinateur.

Ce qui me fait penser à ça, c'est un scrutin complètement électronisé mais passé inaperçu : les élections professionnelles dans l'Education nationale, la semaine dernière. Le vote papier a été remplacé par le vote internet. Tout s'est très bien passé malgré la nouveauté et l'apparente complexité, les syndicats sont satisfaits, les résultats ont été très vite connus et aucunement contestés. Ce qui est possible pour une profession qui rassemble deux millions de fonctionnaires le sera pour un électorat plus vaste.

L'électronique simplifie tout et réduit, sinon supprime, les dysfonctionnements. Les élections politiques seront à leur tour bénéficiaires de l'avancée technologique ; on voit mal comment il en serait autrement. D'autant qu'elles sont moins compliquées que les élections professionnelles des personnels de l'Education nationale, où il y a quatre niveau de votes, de multiples listes aux sigles parfois inconnus et difficilement identifiables. Et là, on ne peut pas trop compter sur la télé pour clarifier les enjeux ! Et pourtant, ça marche.

Voter à la maison, d'un clic, réduira probablement l'abstention. La démocratie, qui fonctionne que si l'on participe, ne pourra que s'en féliciter. Les principes républicains (choix, anonymat et individualité du vote) ne seront pas enfreints. Bientôt, l'urne, l'isoloir, la table et ses bulletins iront au grenier ou constitueront les pièces d'un musée, que nostalgiques et grincheux pourront visiter en se disant que "c'était mieux en c'temps-là", comme aujourd'hui des classes d'autrefois sont reproduites, avec la baguette du maître, le poële à charbon et les tables à encrier. L'école n'en est pas morte, la démocratie elle aussi vivra.

mercredi 26 octobre 2011

Ciel mon Tintin !

Vous vous souvenez de la célèbre exclamation de la Castafiore dans les Bijoux, quand on lui vole son précieux coffret. En regardant la bande-annonce du film de Spielberg consacré au héros de Hergé, en salles aujourd'hui, j'ai eu la même réaction : et si on m'avait volé mon Tintin ? Quelques images suffisent à se faire une petite idée, donnent un très sûr avant-goût : je trouve ce Tintin numérisé forcément artificiel, trop sophistiqué, alors que celui de mon enfance, avec sa ligne claire, était d'une simplicité absolue, mélange de pureté et de naïveté.

Et puis, quelle idée d'adapter le Secret de la Licorne, qui n'est pas le plus emblématique des albums, qui n'est que le prélude au Trésor de Rackham le Rouge ! A tout prendre, j'aurai choisi Tintin au Tibet, le meilleur, le plus beau, le plus émouvant de tous les Tintin. Mais voilà : Spielberg veut-il nous émouvoir ? Je crois plutôt qu'il veut nous en mettre plein la vue, à l'américaine.

J'irai voir quand même, bien sûr. Tintin c'est mon héros, bien au-dessus d'Astérix et Lucky Luke. J'en ferai même fait l'objet d'une conférence, à Saint-Quentin le 21 janvier prochain, dans la bibliothèque municipale, une lecture philosophique des aventures de Tintin et Milou. Car Hergé, mine de rien, donne à penser : le jeune garçon drôlement coiffé et drôlement sapé est un symbole du bien qui s'entoure pourtant de personnages douteux, borderline, Haddock l'alcoolique fini, ordurier, Tournesol le savant timbré et radiesthésiste, les Dupont(d), flics méchants et ratés, la Castafiore, mégère et mante religieuse, Séraphin Lampion, casse-couilles de première, Rastapopoulos, sadique et pervers, et la galerie n'est pas terminée ... Même Milou n'est pas toujours très net dans sa tête !

En ce jour de sortie du film de Spielberg, j'aimerais rendre hommage au premier film tiré de l'oeuvre d'Hergé (je ne parle pas des films d'animation, qui ne sont que des copies peu convaincantes de la BD), Tintin et la toison d'or, en 1961, une réussite, avec de vrais acteurs, et quels acteurs ! Charles Vanel, Georges Wilson, Dario Moreno et le merveilleux Jean-Pierre Talbot dans le rôle du petit reporter. Il y a eu une suite en 1964, Tintin et les oranges bleues.

Ces deux films, réalisés respectivement par Jean-Jacques Vierne et Philippe Condroyer, avaient le mérite de ne pas chercher à imiter l'original mais de créer une oeuvre propre, en même temps complètement fidèle à l'esprit des Tintin et Milou. Spielberg n'a qu'à bien se tenir ! Je ne suis pas certain qu'il parvienne à égaler le travail de Vierne et Condroyer. En tout cas, je le jugerai par rapport à ces deux-là, tonnerre de Brest !

mardi 25 octobre 2011

Les sentiments malins.

Je suis allé voir dimanche matin Polisse, film de Maïwenn, primé à Cannes, avec Joey Starr parmi les comédiens. Ce n'est pas un mauvais film puisqu'on ne s'ennuie pas une seconde, qu'on est pris de bout en bout par cette chronique rondement mené de la BPM, brigade de protection des mineurs. Mais ce n'est pas non plus un bon film.

Le terme le plus juste, le plus précis : c'est un film malin, à l'image de notre époque, un film qui reflète parfaitement les obsessions et les tares de la société d'aujourd'hui. C'est pourquoi ce film plaira : il ressemble trop à ce que nous sommes devenus, il nous tend un miroir dans lequel il est toujours agréable de se regarder, même lorsqu'il montre des choses désagréables.

Dès le générique, on sent l'entourloupe : passe la chanson du générique de l'émission "L'île aux enfants", ce qui amuse les trentenaires, ne rajeunit pas tous les autres, mais comme les vieux barbons jouent aux trentenaires tout le monde est content. L'effet aurait pu être décalé, jouer sur l'ironie : non, c'est purement gratuit, un simple effet de mode. Mal parti pour un film à peine commencé ...

Après, il y a les thèmes, les tics, le réchauffé de l'actualité, nos phobies sociales contemporaines : la peur de la pédophilie, l'omniprésence des problèmes personnels (avez-vous remarqué que nous vivons dans une société où tout le monde a des problèmes personnels ? Ici, les flics en ont autant que les délinquants et les victimes), les histoires de cul et par dessus tout la présence, la prédominance, l'exacerbation des sentiments : comme nous tous désormais, les flics carburent aux sentiments, bons ou mauvais, de colère ou de joie, d'amour ou de haine, peu importe pourvu que ce soit du sentiment.

Il n'y a pas si longtemps, l'éthique du professionnalisme (chez les flics, les profs ou autres métiers) consistait à faire abstraction de ses sentiments, ne jamais se laisser guider par eux ni les mettre en avant, cultiver une distance de bon aloi, garder la tête froide surtout dans les circonstances délicates. Époque révolue : libéralisme, socialisme, la place maintenant est au sentimentalisme.

Du même tonneau est le mélange de la vie privée et de la vie professionnelle, qui est la trame de Polisse, dans un constant va et vient qui donne par moments le tournis. Malin, très malin : ce film nous conforte dans nos clichés, nos préjugés, nos conformismes. Il ne nous fait pas réfléchir sur l'existence du mal qui frappe l'innocent par excellence, l'enfant. Il ne nous émeut même pas à force de vouloir nous émouvoir à tout prix par de gros effets à la limite du comique.

La fin est surchargée, mal fichue, "trop" comme disent les jeunes : le suicide de la fliquette anoxérique dans son commissariat. La boucle est bouclée, reniflez bien fort, mouchez-vous, frottez vos yeux mouillés, ce n'est pas grave, dans quelques heures vous aurez tout oublié. Polisse est dans la lignée des Petits mouchoirs (celui-ci était quand même pire) : un cinéma sentimentaliste, comme il y a aujourd'hui une politique sentimentaliste, tout aussi malin l'un que l'autre.

Allez, je vais me venger en allant voir un film pas malin du tout, sans l'ombre d'un sentiment, The Thing, de Matthijs van Heijningen Jr, le remake du Carpenter qui m'avait tellement emballé il y a trente ans, un temps où nous étions moins sentimentaux et moins malins.

lundi 24 octobre 2011

Des primaires saint-quentinoises.

Le succès des primaires citoyennes rend la procédure irréversible et exemplaire. Elle se justifie quand la gauche est en difficulté. C'est pourquoi son application à Saint-Quentin pour les prochaines élections municipales mérite d'être réfléchie. Le fait que le système soit pour le moment réservé à l'élection présidentielle n'empêche nullement son extension. Au contraire, faire de la politique c'est avoir un peu d'imagination, ne pas en rester à ce qui existe, penser à autre chose, anticiper l'événement.

Les dernières municipales dans notre ville ont été désastreuses en matière de préparation : tête de liste suscitant une majorité d'abstentions, alliances et liste refusées mains imposées : les pires conditions pour espérer gagner, et pour cause, nous avons perdu. Qui veut recommencer ça ? Pas moi ! Contre la défaite à répétition, une possible solution : les primaires citoyennes au niveau local. J'y vois trois avantages :

1- Le chef de file (puisque c'est sur son nom que se prononcerait la primaire) aurait une pleine et entière légitimité. Le problème, récurrent à Saint-Quentin, du leadership serait enfin levé, sans contestation possible. Au lieu d'un "patron" désigné par quelques-uns, quasi autoproclamé, nous aurions un véritable leader porté par un millier d'électeurs. Ça fait une sacrée différence !

Un chef ne s'impose qu'au mérite et au respect. Issu de tractations au sein d'un petit nombre, il ne fait pas le poids, quelles que soient sa volonté et sa personnalité. Je n'ai jamais cru au sauveur suprême, pas plus à Saint-Quentin qu'ailleurs. Je ne crois qu'au suffrage universel, en l'occurrence le peuple de gauche souverain.

2- Des primaires citoyennes organisées localement permettraient de régler très largement le problème des alliances, qui sera l'épineuse question, le sujet à controverse et donc à division en 2014 : s'allier à nouveau avec l'extrême gauche (Anne Ferreira est plutôt pour) ou se contenter de nos partenaires traditionnels (je soutiens à fond cette solution) ? Il est inutile de se disputailler entre nous là-dessous, chacun ayant son point de vue, parfaitement légitime et parfaitement discutable.

Comme souvent en politique, c'est l'événement, les circonstances qui décideront du résultat. Mais il serait bon d'anticiper. C'est là où les primaires citoyennes seront profitables : un chef de file qui dispose du soutien populaire saura s'imposer plus facilement à nos partenaires, qui n'auront plus alors l'initiative. On imagine mal, dans de telles conditions, un parti marginal et extrémiste comme le POI (trotskyste lambertiste) proposer un hallucinant "protocole d'accord" à partir duquel se trament de pauvres et rapides négociations, à la façon dernière.

3- Des primaires saint-quentinoises permettront de mobiliser notre électorat, qui en a bien besoin, au regard des résultats électoraux de ces dernières années et de la participation à la primaire citoyenne de ce mois d'octobre. Au moins mille électeurs, sans doute beaucoup plus pour une consultation locale, a-t-on conscience que c'est un atout formidable, le début d'une dynamique qui peut conduire jusqu'à la victoire, jusqu'à l'installation à Saint-Quentin d'une municipalité de gauche à dominante socialiste ? Le jeu n'en vaut-il pas la chandelle ? Aucun socialiste ne devrait hésiter là-dessus, tous devraient dire oui à des primaires locales, tellement les avantages sont flagrants.

Et pourtant, il y a hésitation. Pourquoi ? Comme toujours en politique, pas de mystère : les raisons sont politiques. La fraction la plus dure de l'aile gauche est hostile aux primaires, par choix idéologique parfaitement estimable mais que je ne partage pas : le culte du parti, le pouvoir des militants rend inconcevable pour elle de déléguer le choix du candidat aux simples sympathisants, aux "non-cartés".

Les votes lors de la convention pour la rénovation en juin 2010 atteste localement de ce rejet des primaires. Elles sont aujourd'hui organisées parce que le parti l'exige et que l'aile gauche ne peut pas vivre en perpétuelle sécession, comme en 2005 lors de sa campagne pour le non à la constitution européenne alors que le parti avait très majoritairement opté pour le oui. On peut s'essuyer les pieds sur la démocratie une fois mais pas deux.

La situation est-elle donc bloquée ? Non, en politique une situation n'est jamais bloquée, et je ne désespère pas de voir finalement adopter des primaires citoyennes à Saint-Quentin. Comment ? Le peuple de gauche a pris la parole une fois, il n'acceptera pas de se la voir confisquée. Une pétition demandant l'organisation de primaires saint-quentinoises, si elle rassemble au moins plusieurs centaines de signatures sera obligatoirement prise en compte. Cette perspective me semble tout à fait envisageable, d'autant que d'autres villes vont s'engager dans cette voie.

Reste maintenant les modalités techniques. De ce point de vue, il n'y a pas d'obstacle. Il suffit de reprendre ce qui s'est fait au niveau national, appliquer strictement les mêmes procédures. Ce sera d'autant plus facile au niveau d'une simple municipalité. Il faudra sans doute revoir et améliorer quelques points d'organisation : plus de bureaux de votes, six au lieu de trois, un pour chacun des six grands quartier de Saint-Quentin, et ne pas procéder à des changements d'adresse d'un tour à l'autre. La presse locale pourrait, si elle le souhaite, se charger des débats entre les candidats. Alors là, oui, les visages des hommes et des femmes de gauche redeviendraient dans cette ville plus souriants.

dimanche 23 octobre 2011

Cet homme est dangereux.

Cet homme est dangereux. Je l'ai compris ce matin, au petit déjeuner, en lisant l'entretien du dimanche dans le Courrier Picard, dont il était l'invité. Je veux parler de Christophe Coulon, qualifié par le journal de "nouveau patron" de la droite au conseil régional de Picardie. Un "patron", c'est toujours un homme dangereux puisque c'est un homme de pouvoir. Mais celui-là plus que les autres. Pourquoi ?

D'abord, comprenez-moi bien : Christophe Coulon n'est en soi pas plus dangereux que vous et moi. Je l'ai connu tout petit, il y a quelques années, à Saint-Quentin, lorsqu'il était dans l'ombre de Xavier Bertrand, sympa, ouvert, pas méchant. Qui craignait alors une ombre ? Mais il est maintenant en pleine lumière. Dangereux oui, pour la gauche bien sûr, et je vais vous l'expliquer.

La politique est pleine de brelles et de manchots. C'est normal, il en faut et ceux-là ne sont pas dangereux. Lui n'en fait pas partie. De droite et intelligent, voilà la définition pour moi de l'homme politiquement dangereux. En parcourant l'entretien, à travers ses propos, six qualités, intellectuelles et morales, apparaissent, pas si fréquentes que ça dans le milieu :

- Le réalisme : "Je suis celui qui met les mains dans le cambouis. La politique c'est aussi cela. Il faut savoir prendre des coups, mais aussi les rendre". Tout le contraire du type qui s'abrite derrière un parapluie.

- L'honnêteté : "Claude Gewerc connaît bien ses dossiers. Nicolas Dumont est plutôt brillant. Et Philippe Massein tient la route. Il faudra faire avec tout ça". Un homme de droite qui est capable de dire du bien de ses adversaires de gauche est un bon, un fort. Le faible, lui, leur dégueulerait dessus sans chercher à voir plus loin.

- La modestie : "Je suis encore un bleu à la Région". Je parie que Christophe Coulon ne va pas le rester très longtemps ...

- Le courage : "Je suis peut-être un apparatchik. C'est aussi pour ça que j'ai voulu me confronter au suffrage universel, autrement que sur un scrutin de liste". Bien vu : le scrutin de liste c'est pour les brelles et les manchots, la victoire assurée quand on est bien placé, sans bouger le nez. Ce n'est pas ça la politique.

- La lucidité : "Il ne serait pas anormal que les régions bénéficient d'une fiscalité supplémentaire qui leur redonnerait une certaine autonomie financière". C'est évident : les régions sont aujourd'hui fiscalement à poil.

- La clarté : "Je connais bien le FN, je le combats depuis toujours".

Christophe Coulon est à la région ce que Nicolas Fricoteaux est au département de l'Aisne : deux hommes de droite dangereux parce que modérés, habiles, patients et intelligents. Les gueulards et les nullards, eux, ne font peur qu'aux mouches. De plus, Coulon est jeune, 38 ans, et déjà doté d'une belle panoplie : chef de la droite picarde, chef de l'UMP axonaise, conseiller municipal d'Aulnois-sous-Laon et directeur de cabinet du sénateur-maire de Laon !

Cet homme ira loin, je le sens. Rendez-vous dans dix ou quinze ans, sur ce blog, et nous en reparlerons, c'est certain.

samedi 22 octobre 2011

Wargnier censuré !

Mon livre "Les Saint-Quentinois sont comme ça", qui sortira en décembre, a été expurgé de quelques chapitres jugés litigieux par mon éditeur et son avocat. Quelle époque ! Nous vivons en République et il faut un homme de loi sur son épaule avant de s'exprimer. Victime de cette (auto)censure, un texte consacré à Daniel Wargnier, dont parle beaucoup, ces temps-ci, L'Aisne Nouvelle. Je me suis dit que je pouvais vous offrir ce passage que personne d'autres que vous ne lira jamais. Du coup, je vous laisse juge de ma prudence, excessive ou justifiée. Lecteurs, vous êtes les seuls juges entre les mains desquels j'accepte d'être livré.

Quant à Daniel Wargnier, il m'en voudra peut-être de ne l'avoir pas immortalisé sur papier, au beau milieu de quatre-vingt autres personnalités et personnages de Saint-Quentin. Tant pis, la presse locale le vengera. Pour ce qui est des propos qui suivent et que j'ai reproduit dans leur intégralité, je suis sûr qu'il ne m'en voudra pas : il a trop d'humour pour s'offusquer, jouer les divas outragées. Voici donc l'extrait en question :


Daniel Wargnier, retraité de l’Education Nationale, traîne ses guêtres dans de nombreuses manifestations municipales, sans qu’on sache très bien pourquoi. Dans la rue, il donne souvent l’impression de se parler à lui-même. Sa bouche qui maugrée, son allure d’éternel bougon laisse à croire qu’il s’engueule avec sa propre personne. C’est un rustaud de corps et de tête. Son visage a des airs de poupon gentil les bons jours et de Popeye furieux les mauvais jours. C’est un poète-né qui n’aurait pas évolué ou mal grandi. Il récite à l’impromptu des vers de son cru, fait des références littéraires invérifiables.

C’est un autodidacte sauvage à dominante scientifique, qui a des intentions de pédagogue. Il propose régulièrement des conférences sur des sujets divers et variés. Sur l’eau, à la Maison de l’Environnement, il est même arrivé à Daniel Wargnier d’attirer deux personnes. Quand il parle, on ne sait pas très bien ce qu’il veut dire. C’est un savoir ésotérique pour public de catacombes. Sa tête est une pâte à modeler dont un enfant aurait fait un bonhomme rigolo. Sa bouche semble retenir les mots et les phrases, à la façon d’un bovin en train de ruminer, les malaxant et les rendant incompréhensibles.

Wargnier est ce qu’on appelle un personnage. Comme les OVNIS, il semble venu de nulle part et aller n’importe où sans qu’on comprenne pourquoi. Il participe activement au salon Art et Littérature au côté de Madame Polvent, Esmeralda qui aurait trouvé sur le tard son Quasimodo. Il dispute des parties de boules aux Champs-Elysées, s’engage dans des initiatives de protection de la nature au sein du parc d’Isle. Car la grande affaire politique de sa vie, c’est l’écologie.

Cet homme à la faconde spontanée, au bagout ténébreux, était condamné à faire de la politique comme d’autres font des omelettes, en cassant beaucoup d'oeufs. Ce bavard baveux aux postillons redoutables transforme n’importe quelle rencontre en copain. Les femmes craignent ses baisers mouillés de limace. Sa grosse voix monte parfois, ses petits yeux deviennent furibonds, ses rires d’ours inquiètent un peu, mais il ne fait vraiment peur qu’aux très jeunes enfants qui croient voir en lui un ogre ou un méchant de bande-dessinée.

Daniel Wargnier est trop inclassable pour avoir fait un choix politique classique : son souci de l’environnement, sa tendance volontiers protestataire auraient pu le conduire chez les Verts. Mais c’est à Génération Ecologie qu’il a posé ses valises, auprès de Jean-Robert Boutreux. Ce mouvement a connu son époque de gloire il y a une vingtaine d’années, en participant à des majorités et des gouvernements de gauche. Aujourd’hui, il s’est égaré dans le ciel politique de la droite.

Wargnier a défendu ces couleurs dans des élections cantonales. Sa face de baroudeur ronchon a été ainsi dupliquée à des milliers d’exemplaires par voie de tracts, affiches et professions de foi. Wargnier est devenu une vedette, grand parmi les grands, le temps d’un scrutin et d’une campagne. Il n’a récolté que quelques pourcentages de voix, mais cette présence dans la cour d’honneur suffit à son bonheur. C'est un OVNI qui se plaît à jouer les étoiles filantes.

Rien n'est sûr.

Le Monde du 19 octobre a publié une étude sur les élections législatives de 2012, en examinant chaque circonscription et en établissant des pronostics de résultats, avec l'aide de l'Observatoire de la vie politique. Cinq types de circonscriptions ont été ainsi étiquetées : sûres à droite, sûres à gauche, gagnables à droite, gagnables à gauche, favorables à la gauche. Ce n'est pas un sondage, toujours aléatoire ; c'est une prévision qui se veut sérieuse.

Je me suis évidemment précipité sur la deuxième circonscription de l'Aisne (secteur de Saint-Quentin) pour savoir qui, d'Anne Ferreira ou de Xavier Bertrand, allait l'emporter : gagnable ou favorable à gauche, sûr à droite ? Je me doutais un peu de la réponse, mais on a parfois des surprises. Là non : la circonscription est donnée "sûre" pour l'UMP.

Faut-il que la gauche désespère ? Non, la politique est un combat, ce n'est pas un constat. Les tiroirs sont pleins d'études qui ont été démenties par la réalité. Au contraire, un défi est lancé aux socialistes : à nous de le relever, de faire mentir Le Monde et l'Observatoire de la vie politique. Quelle a été leur méthodologie ? S'appuyer sur les résultats des élections locales de ces dernières années. A cette aune, c'est sûr que la gauche est perdue. Mais de quoi est-on sûr en politique ?

Si Nicolas Sarkozy est battu, Xavier Bertrand sera-t-il entraîné dans la défaite, chutant lui aussi ? Ce n'est pas sûr. Les électeurs distinguent de plus en plus les scrutins et ne votent plus systématiquement pour une étiquette. De fait, la droite saint-quentinoise a un ancrage local puissant ; il n'est pas certain qu'une débâcle nationale l'entame.

Malgré ces circonstances objectivement peu favorables, Anne Ferreira est-elle condamnée à échouer ? Ce n'est pas sûr non plus. Le contexte national jouera peu (à Saint-Quentin, depuis dix ans, il n'y a pas corrélation majeure et décisive entre les résultats nationaux et les résultats locaux), mais plutôt l'énergie que notre candidate mettra dans la campagne, le style qu'elle adoptera, les choix tactiques qu'elle fera, sa présence sur le terrain et dans l'événement.

La question du rassemblement sera, comme toujours en politique, déterminante. De ce point de vue, il y aura fort à faire, tout un passif à solder, une autre image à promouvoir, des efforts en matière de communication. D'autant que tout va aller très vite, que la campagne, mine de rien, est déjà commencée. Anne Ferreira battant Xavier Bertrand, est-ce difficile à croire ? Rien n'est sûr dans ce fichu métier qu'est la politique ...

vendredi 21 octobre 2011

Epatant l'EPIDE !

C'était ce matin la célébration des trois ans du centre EPIDE à Saint-Quentin, l'endroit où il fallait être, où tous les gens importants étaient. Je ne suis pas important mais j'y étais, parce que j'interviens une fois par mois dans l'établissement, pour animer un café philo qui se passe d'ailleurs très bien, les jeunes donnant entière satisfaction.

L'EPIDE, a priori ce n'est pas évident quand on est de gauche. Pour un éducateur, l'aspect militaire peut déplaire. Profonde erreur ! Cet aspect est léger, les jeunes acceptent volontairement la discipline, elle leur est profitable. Le taux de réussite est admirable. Foin des préjugés, vive l'EPIDE, et bon anniversaire !

Ce matin, dans la salle de restauration où la veille même j'avais animé la séance de café philo, les officiels ont donné à la cérémonie tout son éclat. Ce n'est pas du baratin ou du protocole : les "volontaires pour l'insertion" (c'est ainsi qu'on les appelle) ont besoin de cette fierté dont la vie, pour eux difficile et ingrate, les a privés.

Le directeur, Michel Devisscher, a remis des diplômes après la cérémonie des couleurs. Un chèque a été versé aux restaurants du coeur, correspondant aux bénéfices d'une mini-entreprise créée dans l'établissement. Monsieur le sous-préfet et monsieur le ministre-maire étaient à ses côtés. Quand je vous dis qu'il fallait en être ! Non loin de ces éminences, Christian Huguet et Maurice Dutel étaient droits et attentifs. Quand un drapeau tricolore claque quelque part au vent, quand des hommes se mettent au garde à vous, le docteur et le colonel répondent présent. Même les arbres semblent se mettre en position militaire sur leur passage ...

Jacques Destouches a fait un beau discours de sous-préfet, revigorant, républicain et citoyen. C'est un plaisir que d'écouter cet homme-là : la diction est parfaite, le mot est précis, le ton est juste, le contenu est adapté. Et aucun papier sous les yeux ! Dans ces moments-là, monsieur le sous-préfet n'est plus qu'une bouche dont la parole est d'or.

Le débit est régulièrement interrompu ou plutôt scandé par des heueueueueu qui n'ont rien à voir avec une vulgaire hésitation : à ne pas confondre avec le heu-heu-heu haché de celui qui cherche ses mots et ne les trouve pas parce qu'il ne les a pas. Non, le heueueueueu du sous-préfet est lissé, élégant, préfectoral et non pas rugueux, trébuchant, balbutiant. Ce n'est pas un défaut, c'est une respiration dans le discours, presque une ponctuation.

Nous avons tous un tic de langage qui singularise nos interventions, leur donne leur personnalité, rythme la phrase. Le heueueueueu de monsieur le sous-préfet vient du fond de la gorge, ce qui signale immédiatement sa gravité. Quand l'onomatopée sort de sa bouche et parvient jusqu'à nos oreilles, c'est une caresse, un envoûtement. Encore une fois, rien à voir avec le désagréable heu-heu-heu qui rappelle le toussement ou un moteur de voiture qui a du mal à démarrer.

Xavier Bertrand, quand son tour est venu de s'exprimer, n'a pas ce genre de tic de langage, à l'exception d'un léger accent qui se dévoile à la prononciation de certains mots, comme "Saint-Quentin". Je ne vois pas d'où cela lui vient, il y a quelque chose de chantant dans ses intonations. Cette perfection dans la prise de parole le perdra. "Il est trop", comme disent les jeunes. Il lui manque l'apparente imperfection de Jacques Destouches et ses heueueueueu. Ne sait-il pas que c'est ainsi qu'on relève l'éclat d'une rhétorique ?

Je voudrais illustrer mon assertion par un exemple tiré de René Descartes, dans sa "Lettre à Chanut" : le philosophe évoque un amour d'enfance, une jeune fille qui louchait légèrement, cette petite imperfection faisant tout son charme. Ne parle-t-on pas alors d'une coquetterie dans l'oeil ? Il en va de même pour la beauté d'un discours : les heueueueueu de monsieur le sous-préfet sont une coquetterie dans le langage qui renforce son charme. C'est pourquoi, sur ce point en tout cas, Xavier Bertrand lui est inférieur : il devrait se laisser aller à une faiblesse mineure, en inventer une si besoin, pour que la force de sa voix y gagne.

En sortant de l'EPIDE, à la fin de la cérémonie, j'ai été hélé par Pascal Cordier, qui voulait s'entretenir avec moi. Nous avons parlé blog of course, et politique subséquemment. Après, je suis rentré à la maison.

jeudi 20 octobre 2011

Un non événement.

Comment dire de ne pas parler de quelque chose sans en parler ? C'est compliqué. Ce n'est pas une contradiction, c'est un paradoxe. La naissance de la fille de Carla et Nicolas Sarkozy est un heureux événement pour eux et un non événement pour nous. Il ne m'intéresse pas, ne me regarde pas. Et pourtant, tout le monde en parle. En laïque que je suis, je rappelle que la séparation de la vie publique et de la vie privée est aussi importante que la séparation des églises et de l'Etat. Ces dernières années, nous l'avons un peu oublié, les deux ont une fâcheuse tendance à se croiser et se confondre.

Un homme public, responsable politique, ne devrait jamais faire état de sa vie privée, qui ne concerne que ses proches et lui. Bien sûr, la curiosité humaine pousse à écouter aux portes et regarder par le trou de la serrure. Il faut le refuser. A première vue, ce n'est pas bien méchant, c'est même plutôt sympathique, cette peopolisation. Mais c'est aussi dangereux, car favorable à toutes les manipulations.

Une naissance, un mariage, un deuil réjouissent, émeuvent ou attristent. Dans les trois cas, les affects sont remués. La vie, l'amour, la mort ne laissent pas indifférent. Quand les sentiments parlent, la raison se tait, n'ose plus intervenir. C'est ainsi que la manipulation devient possible. Le cerveau est désemparé devant les élans du coeur.

L'amitié non plus n'a pas sa place en politique, pas plus que dans des relations professionnelles bien comprises. Ou bien c'est le mensonge à quoi on a affaire, l'apparence trompeuse, qui est la pire des choses. Mon idéal est celui d'une politique complètement rationalisée, débarrassée de toute passion mauvaise, subjectivité, querelles personnelles. Lénine voulait que le gouvernement soit un conseil d'administration et que l'Etat s'inspire du fonctionnement de la Poste française, que le révolutionnaire russe admirait. Imaginez un peu : une section socialiste gérée comme un bureau de poste !

Ceci dit, je n'ai pas trop de crainte en ce qui concerne les manipulations affectives. Les électeurs ne sont pas dupes, savent faire la part des choses : on ne les prend pas si facilement par les sentiments, le bénéfice politique est nul. Mais le principe ne supporte pas de dérogation. La monarchie met en scène la naissance, le mariage et la mort de ses princes. La République est muette et aveugle là-dessus.

Je ne vois qu'une seule exception : la maladie. Elle aussi est intime, mais ses conséquences portent sur la vie publique, dans le sens de la nuisance, parfois de l'empêchement. L'homme politique doit dévoiler s'il est malade ou pas. Sinon, il n'a rien d'autre à dire. Depuis cinq ans que je rédige quotidiennement des billets de blog, je n'ai jamais relaté ma vie privée, sauf sous forme d'anecdotes ou de faits mineurs, la plupart du temps amusants. Pour vivre heureux, vivons cachés. Même quand on est malheureux.

mercredi 19 octobre 2011

4 leçons pour gagner.

La nette victoire de François Hollande sur Martine Aubry offre l'occasion d'une réflexion presque chimiquement pure sur la victoire en politique. Pourquoi ? Parce que les deux finalistes, de l'avis de tous les observateurs, étaient idéologiquement très proches. Ce ne sont donc pas fondamentalement leurs idées qui les ont départagés. Ce n'est pas non plus les tempéraments : Martine avait autant les qualités personnelles pour être une bonne candidate que François. Alors quoi ?

Eh bien c'est la démarche politique, purement politique, qui a fait la différence. C'est pourquoi il est intéressant d'y réfléchir, à travers cette question que beaucoup se posent, qui semble mystérieuse mais qui ne l'est pas : qu'est-ce qui fait qu'on gagne ou qu'on perd ? Ces premières primaires citoyennes sont un cas d'école : Martine Aubry, première secrétaire du parti, contrôlant et ayant le soutien de l'appareil, aurait normalement dû l'emporter. Au départ, François Hollande était un outsider à 5% d'intentions de votes. Comment a-t-il pu arriver à la victoire de dimanche soir? Quatre raisons à cela :

1- François Hollande est parti tôt en campagne, Martine Aubry très tard. Il s'est donné un cap, n'en a pas changé, n'a pas cessé de se déterminer seulement par rapport à lui-même et ses objectifs. Elle a lié son sort à celui de DSK et a constamment réagi en fonction de son rival et de la situation, variant selon les aléas et circonstances. Pas bon.

2- François Hollande a endossé très vite les habits d'un président, se montrant rassembleur, indépendant, au dessus de la mêlée. Martine Aubry est restée finalement chef de parti, coordinatrice de courants, femme d'appareil (dont elle n'a pourtant pas la mentalité). Pas de quoi séduire les électeurs.

3- François Hollande a exprimé de bout en bout une cohérence idéologique, celle de la social-démocratie, jamais prise en défaut. Martine Aubry a parlé à gauche mais a pensé centre gauche. Ses soutiens allaient des strauss-kahniens à l'aile gauche d'Emmanuelli. Dans l'Aisne, on a retrouvé ensemble René Dosière et Anne Ferreira. Qui peut croire à ça ?

4- François Hollande s'est battu sur des idées mais sans attaques personnelles. Martine Aubry a cédé à cette tentation, pour essayer de se refaire, dénonçant la mollesse, le flou et l'indécision de son concurrent. Ça n'a rien donné. Les gens n'aiment pas ça. Débats d'idées oui, querelles personnelles non.

Partir tôt, rassembler dans la cohérence, s'en prendre aux idées mais pas aux personnes : voilà ce qui permet de gagner, quand l'inverse fait perdre. Ces leçons valent à tout niveau, national ou local.

mardi 18 octobre 2011

Navrant.

En lisant l'entretien de Jean-Pierre Lançon, secrétaire de la section socialiste de Saint-Quentin, dans L'Aisne Nouvelle d'aujourd'hui, j'en suis resté navré. Oui, c'est le sentiment que j'ai éprouvé : navré. Voilà un camarade qui attire ma sympathie par sa bonhomie, dont j'estime la vigueur dans le combat syndical mais qui politiquement me désole. Trois points m'ont navré dans cet entretien :

- Navrante l'explication du taux de participation inférieur à la moyenne nationale dans les primaires sur la ville : passer par des justifications techniques (pas assez de bureaux de vote, changement de bureaux entre les deux tour) c'est rester à la surface des choses, ça n'explique rien du tout. Ailleurs, les socialistes ont souvent été confrontés aux mêmes difficultés, parfois pires, qui n'ont nullement empêché une forte participation. Quant à la théorie de la caméra de vidéo-surveillance qui aurait dissuadé les électeurs, elle est proprement aberrante.

- Navrant le refus de tirer les leçons du scrutin : toute élection, quelle qu'elle soit, mérite et exige qu'on analyse les résultats et qu'on tire des conséquences pour les échéances à venir. C'est le b-a ba de la politique. De quoi ou de qui faut-il avoir peur pour refouler ainsi un débat qui va de soi, où tous les points de vue peuvent être admis et confrontés ? Non vraiment, je ne comprends pas.

- Navrant le refus d'envisager des primaires locales pour les élections municipales, au moment où les primaires nationales sont un succès. Gilles Demailly, dans le Courrier Picard d'aujourd'hui, fait cette proposition pour la gauche amiénoise. Pourquoi pas à Saint-Quentin ? Pourquoi Jean-Pierre qualifie-t-il ce projet d' "illusion" ? Je ne lui demande pas de partager mon avis, seulement d'en discuter. Pourquoi cette perspective, possible ailleurs, serait-elle impossible à Saint-Quentin ?

Déjà, après notre défaite aux dernières élections cantonales, battus par l'extrême droite, nous aurions dû au moins nous inquiéter, être préoccupés par l'avenir, réfléchir à un changement de cap. Je n'impose pourtant rien à personne (je n'en ai pas de toute façon les moyens), je n'attends pas que mes camarades se renient et je ne demande rien pour moi-même : simplement, je souhaite à Saint-Quentin une gauche qui s'ouvre, qui discute et qui ne se contente pas du statu quo. Si c'est trop demander, je trouve ça navrant.

Le dernier espoir, c'est Anne Ferreira, candidate aux élections législatives, dont l'intérêt évident est de sortir d'une ligne qui l'enferme dans un couloir sans fin qui ne mène pas à la victoire.

lundi 17 octobre 2011

Retour à la normale.

Aidée par la dynamique des primaires, boostée par l'avancée de François Hollande à Saint-Quentin, la gauche locale doit se retrouver, redevenir "normale", pour reprendre l'adjectif qui a fait le succès de notre candidat. Pas question de cliver : il n'y a pas d'un côté une gauche molle dont je serais le représentant social-démocrate et de l'autre une gauche sectaire menée par la poperéniste Anne Ferreira. Si nous voulons nous en sortir, devenir crédible, il nous faut une seule gauche, ni sectaire ni molle, mais forte et solide. Je crois que tout le monde peut s'accorder là-dessus.

Pas question non plus d'effacer les différences. Quand comprendra-t-on à Saint-Quentin qu'elles enrichissent, qu'il n'y a pas à les redouter ? Ma gauche n'est pas molle mais modérée ; celle d'Anne Ferreira n'est pas sectaire mais traditionnelle : ces qualificatifs me semblent les plus précis, les plus justes et les moins polémiques. Gauche modérée et gauche traditionnelle, c'est ensemble vers une gauche normale qu'il faut aller. Mais c'est quoi exactement une gauche normale ?

Si j'aspire à la normalité, c'est que j'estime que la situation de la gauche saint-quentinoise est anormale. Elle l'est en effet, pour trois raisons :

1- Ses alliances sont anormales : Saint-Quentin est la seule ville en France où les socialistes se sont unis à trois organisations d'extrême gauche, à l'initiative du POI, parti ouvrier indépendant. Citez-moi un précédent quelque part dans notre pays : vous n'en trouverez pas. L'anormalité est carrément ici une anomalie, aggravée par une alliance avec des communistes orthodoxes anti-Mélenchon et anti-socialistes. Là, on passe de l'anomalie à la bizarrerie.

Par opposition, une gauche normale se contenterait d'alliances normales avec les communistes normaux du Front de Gauche, les Verts, le PRG et le MRC.

2- Sa ligne politique est anormale puisque radicale, vérifiable à plusieurs reprises par ses position et votes en conseil municipal. Je prendrai deux exemples anormaux : en matière d'emploi, le refus des services civiques alors que le PS soutient ce dispositif ; en matière de sécurité, le rejet de la vidéo-surveillance alors que ce système est utilisé par de nombreux maires socialistes (il suffirait normalement d'en circonscrire rigoureusement l'usage, mais pas d'en nier la nécessité).

Une ligne politique normale, pour la gauche saint-quentinoise, consisterait à s'inspirer de notre ligne politique nationale, très éloignée de la radicalité locale.

3- Ses procédures sont anormales puisque les votes de la section ne sont pas suivis : en 2008, la tête de liste a été désignée avec une majorité d'abstentions signifiant son rejet. De même, les votes majoritaires invalidant la liste et les alliances n'ont pas été respectés. Statutairement, rien à redire, c'est possible. Mais qui oserait dire que c'est politiquement normal ?

Des procédures normales dans la gauche saint-quentinoise, ce serait la stricte application du principe majoritaire, et non l'imposition d'un leader, d'une liste et d'alliances dont nous ne voulions pas.

Mais voilà : la situation est tellement anormale que c'en devient la norme et que c'est la normalité qui paraît anormale. La désignation de François Hollande, les résultats des primaires à Saint-Quentin peuvent favoriser un retour à la normale, une remise des pendules à l'heure. L'heure normale, bien sûr.

dimanche 16 octobre 2011

Pour une gauche "normale" à St Quentin.

Surprise ce soir à Saint-Quentin : alors que le résultat du premier tour des primaires citoyennes laissait penser à une victoire possible de Martine Aubry (trois points d'écart seulement avec François Hollande), c'est celui-ci qui arrive en tête, de quelques dizaines de voix (580 contre 558). Pourtant, les élus socialistes locaux sont tous aubrystes. Le taux de participation a, lui, un peu progressé (1138 votants).

Depuis quelques semaines, j'avais souligné l'importance du résultat des primaires pour l'avenir de la gauche saint-quentinoise et les prochains scrutins locaux. Dès le premier tour, le score d'Arnaud Montebourg, inférieur à son score national alors qu'il était le candidat le plus à gauche de la primaire, était une indication, renforcée par la première place prise par François Hollande. Indication de quoi ? Que nous avons dans notre ville un électorat de gauche modéré, en hiatus avec la ligne prise par notre section il y a trois ans, opposition frontale, ton radical et alliance avec l'extrême gauche.

Ce soir, je demande à Anne Ferreira, première des socialistes saint-quentinoises de par son mandat d'élue, future candidate aux législatives, de prendre en compte ce résultat, d'en tirer les conséquences, d'ouvrir une discussion politique, interne ou publique, à partir de cette réalité électorale. A Paris, un candidat "normal" a été désigné ; à Saint-Quentin, une gauche "normale" doit désormais pouvoir exister, se développer et gagner.

Je demande également à Anne Ferreira qu'à l'instar de François Hollande elle ne soit plus la représentante d'un courant mais le rassembleur de tous les socialistes, qu'elle s'ouvre à l'ensemble de la société civile. Dans ces lendemains de primaires citoyennes parfaitement réussies par notre parti, je crois que ce sera pour elle à la fois son devoir et une belle occasion à ne pas laisser passer.

Hollande-Aubry.

Je n'éprouve ce soir aucun sentiment de triomphe à la très nette victoire de François Hollande. D'abord parce que c'était quasiment acquis, depuis quelques jours. Ma seule préoccupation était l'écart entre les deux finalistes, faible ou pas. C'est réglé.

Ensuite parce qu'il n'est jamais bon qu'un socialiste l'emporte sur un autre socialiste : c'est tout le parti qui en pâtit, ce sont des divisions durables qui s'installent. Ce soir, mon état d'esprit n'est pas celui d'un vainqueur, surtout pas. Si Hollande a été qualifié, Aubry n'a pas été disqualifiée. Je souhaite d'ailleurs qu'elle retrouve son poste de première secrétaire.

Enfin parce que l'heure est maintenant au rassemblement et qu'on ne se rassemble pas avec soi-même ou ses copains mais avec les autres, tous les autres, qui ne pensent pas nécessairement comme vous. Je souhaite, à ce propos, une sorte de ticket Hollande-Aubry pour la présidentielle, même si je sais parfaitement que ce n'est pas dans la tradition française. Mais les primaires non plus.

Et puis, le résultat de ce soir est moins un aboutissement qu'un commencement, celui de la campagne des présidentielles : si victoire il y a, ce sera celle-là, pas celle d'aujourd'hui. Ma dernière pensée ira à Dominique Strauss-Kahn, n'oubliant pas qu'il avait de grandes chances d'arriver premier de ces primaires citoyennes, si le destin n'en avait pas décidé autrement. Mais lui aussi a sa place, toute sa place, dans la nouvelle aventure politique qui démarre ce soir.

Les fantômes du district.

La politique est pleine de fantômes dans le grenier, parfois de cadavres dans le placard. A la suite de Xavier Bertrand au dernier conseil municipal, Guillaume Balout a consacré un grand article dans L'Aisne Nouvelle de ce week-end à réveiller ces fantômes (sous le titre "L'agglo reste sourde à l'opposition"). Ça pourrait faire un roman à la Dumas, genre Vingt ans après. Mais là, c'est moins le vicomte de Bragelonne que le comte de Monte-Cristo. Et quand on cherche à se venger en politique, ça fait très mal, d'autant que le plat est froid et coriace.

De quoi s'agit-il ? D'une histoire d'hommes et de pouvoirs, comme il y en a eu des millions depuis que le monde existe, banale à pleurer à moins d'en rire, sans mérite, sans crime et sans gloire : deux types veulent en dézinguer un troisième pour prendre sa place. Ce sont des malins de la procédure, ils évincent le siège de l'opposition (de droite) au district (un nom de fantôme, que plus personne ne connaît aujourd'hui, sauf dans une série télévisée américaine) afin de se construire une majorité (de gauche) aux petits oignons. Ce sont des as des croix et bâtons, les "buquettes" comme disait le camarade Brugnon. Ça suffit à leur bonheur, avoir le district à eux.

Je n'étais pas là, on m'a raconté. Et puis, les fantômes ont la vie dure et ils continuent jusqu'à nos jours, et pour combien de temps encore, à foutre la pétoche. Il faudrait un exorciste pour les chasser pour de bon. Il y en a un à Saint-Quentin : moi. Pour arrêter avec cette mauvaise histoire de "putch" au district (aujourd'hui communauté d'agglomération), que les socialistes traînent derrière eux comme le fantôme son boulet, c'est très simple : il suffit de rompre la chaîne, ne plus rien avoir avec ces affaires-là. C'était le choix politique conjoint d'Odette Grzegrzulka et d'Anne Ferreira en 2000, acté par un vote unanime en section. J'aimerais que nous en revenions à cette sage position, qui à l'époque avait été rendue publique, par l'intermédiaire du secrétaire de section que j'étais alors.

Vous me direz peut-être que c'est une vieille histoire, très lointaine. Sans doute, encore que ce ne soit pas si lointain que ça. Et je vous l'accorde : je préfère préparer l'avenir. Mais qu'est-ce qu'on fait quand les fantômes frappent à la porte et font méchamment coucou à la fenêtre, aidés par la droite qui prend un malin plaisir à ce supplice chinois ? Ne rien dire, c'est consentir. Parler, c'est se positionner : les socialistes saint-quentinois d'aujourd'hui n'ont pas à assumer ce qui s'est passé sous la municipalité communiste d'autrefois. Ce n'est plus notre histoire, nous voulons tourner la page, ouvrir une nouvelle période pour la gauche locale, dans laquelle c'est le parti socialiste qui aura le leadership. Voilà ce que nous disions il y a onze ans, voilà ce que je continue à défendre aujourd'hui, même si de l'eau a coulé depuis sous les ponts, et pas toujours très propre.

Mes principes sont les suivants : un socialiste ne doit pas chercher à dézinguer un autre socialiste, quel qu'en soit le prétexte. Toute division entre nous doit être proscrite. Le débat d'idées propre à une organisation démocratique oui, et nous en manquons, d'où le succès de ce blog. Mais pas la bagarre pour les places. Je débats beaucoup mais jamais je ne me bats pour une place (les mauvais esprits diront que c'est la raison pour laquelle je n'en ai aucune, et ils n'auront peut-être pas tort, mais ça c'est une autre histoire, personnelle, qui ne regarde que moi).

Puisque nous parlons de place, revenons à celle que l'opposition mériterait d'avoir au conseil d'agglomération, puisque tel est le sujet du papier de Guillaume Balout. Il est évident, étant donnée l'importance de cette structure, que la gauche saint-quentinoise devrait y être représentée. C'est d'ailleurs le cas dans d'autres endroits, comme dans feu le district de Saint-Quentin, avant le fameux "putch". Pierre André, son président, ne peut qu'accepter ma requête puisque, en bon exorciste, je viens de chasser les fantômes. Il ne devrait plus y avoir aucune raison à faire obstruction en 2014.

samedi 15 octobre 2011

Un seul tour suffirait.




Belle affiche, n'est-ce pas ? Mais il manque quelqu'un : Martine Aubry, bien sûr ! Dans une photo de famille, il faut être au grand complet. La gauche "solide et sincère", nous en faisons tous partie ! "Gauche molle", "gauche dur" ce sont des slogans de campagne, du toc, du chiqué. Tous socialistes, point.

Bien sûr, je n'ignore pas que cette belle affiche clôt le second tour des primaires. Mais justement, ce second tour, je n'aime pas, je pense qu'on aurait pu et dû s'en passer. C'est pourquoi j'avais souhaité que l'un des six candidats l'emporte dès dimanche dernier, en dépassant les 50% : l'affaire aurait été pliée, l'élu bénéficiant d'une incontestable légitimité, la droite ne pouvant pas ou moins le contester.

Ce deuxième tour aura été inutile. Le débat de mercredi entre Hollande et Aubry n'aura rien appris de plus aux électeurs, les arguments de l'un et de l'autre étant déjà très largement connus. Ce deuxième tour aura été surtout néfaste et même dangereux, opposant deux sociaux-démocrates qui ont dû forcer leur nature pour se distinguer. Les petites phrases assassines ont émaillé les deux derniers jours de campagne, surtout du côté de Martine Aubry. Mais le challenger est poussé au crime s'il veut rattraper son retard sur le favori.

S'il fallait revoir la procédure des primaires citoyennes, je proposerais un seul tour, ce qui est techniquement possible et politiquement souhaitable. L'actuel système ressemble trop à la Vème République et son scrutin présidentiel, que la gauche a critiqués depuis les origines, qu'elle ne devrait donc pas copier en interne.

Il oblige, entre les deux tours, à des ralliements souvent tactiques fauteurs de troubles, de divisions, ne suscitant que rancoeur et rancune. Le distinguo entre "vote à titre personnel" et "consigne de vote" fait sourire l'électorat qui le perçoit comme une hypocrisie, à tort ou à raison. Inévitablement, demain soir, il y aura un vainqueur et un vaincu, ce qui rendra plus difficile le rassemblement ultérieur pourtant indispensable.

Imaginons, ce qui n'est pas exclu, que le choix se fasse sur le fil du rasoir, à très peu de voix près : le vainqueur serait fragilisé, la droite en ferait à coup sûr des gorges chaudes. Le pire, ce serait une différence si minime qu'elle prêterait à des contestations. Je n'ose même pas y penser.

Ce qu'il faut bien comprendre, c'est que les primaires ne sont pas une élection à proprement parler mais une désignation : le concept de majorité ne s'applique donc pas. L'objectif est de désigner le meilleur candidat, c'est-à-dire celui qui arrive en premier. Ce n'est pas choisir un projet comme dans une élection nationale ou locale, puisque le parti socialiste a déjà son projet, que le candidat désigné aura la charge d'appliquer. Il n'y a nul besoin de rassembler autour de soi une majorité. Il suffit d'arriver en tête pour être la tête. Un seul tour mettrait un terme à bien des défauts et périls apparus cette dernière semaine.

vendredi 14 octobre 2011

Rien ne sera comme avant.

Ces primaires citoyennes qui se terminent auront bouleversé, quel qu'en soit le résultat, la vie interne du parti socialiste et, au-delà, la vie politique française. Les conséquences seront profondes et durables, tant nationalement que localement. Rien ne sera comme avant. Trois transformations ont affecté le PS ces dernières semaines :

1- Les citoyens l'emportent sur les adhérents : les "cartés", comme on les appelle, sont désormais privés d'une prérogative fondamentale en politique, la désignation de leur candidat. Le parti y perd mais la démocratie y gagne. Localement, ce n'est plus un cercle restreint de militants qui décident du choix mais la mouvance des sympathisants, mobilisables par les réseaux associatifs ou sociaux de toute sorte. Le PS sera donc moins enclin à recruter de nouveaux membres qu'à influer sur la société civile.

2- Les médias l'emportent sur l'appareil : durant ces primaires citoyennes, le rôle des médias aura été fondamental, les quatre débats entre candidats déterminants. Le travail que menait auparavant l'appareil aura été effectué très largement par les médias. Le parti socialiste, dans ces conditions, que cela plaise ou non, est obligé d'entrer dans la logique de la communication et ses exigences. Au plan local, où c'est la presse qui joue dans ce domaine un rôle essentiel, les socialistes ne pourront plus négliger leur rapport aux journalistes et leur présence dans les pages d'actualités.

3- Les personnes l'emportent sur les courants : tout le monde a pu constater que la logique des courants, structurante au PS, avait explosé en vol durant ces primaires. L'aile gauche traditionnelle, anti social-démocrate, s'est ralliée à la social-démocrate Martine Aubry, délaissant celui qui aurait dû être son candidat naturel, Arnaud Montebourg. Celui-ci, contre toute attente, a finalement choisi de soutenir un autre social-démocrate, François Hollande, pourtant très éloigné de sa "démondialisation". Et au final, les électeurs doivent départager, dimanche, deux candidats appartenant à une même sensibilité, celle de Jacques Delors.

Bref, il est évident que les courants ne veulent plus rien de dire, que de recomposition en recomposition ils vont plus sûrement vers leur décomposition. Une autre logique les a remplacés, celle des personnalités, des tempéraments. Au plan local, les leaders d'opinion seront préférés aux candidats anonymes issus de tractations entre courants. Est-ce un bien, est-ce un mal ? Chacun jugera mais l'évolution est inéluctable. Pour ma part, je pense qu'aucun système n'est en soi parfait, que le meilleur est celui qui se trouve être en adéquation avec la société à un moment donné.

L'esprit et la règle des primaires essaimeront dans tout le parti, s'étendront à toutes les élections, tellement leur succès aura été grand. Même l'UMP y viendra. Décidément non, rien ne sera plus comme avant.

Nous voulons une gauche qui gagne.

Arnaud Montebourg a donc choisi, "à titre personnel" : ce sera François Hollande. Sur le coup, j'ai été surpris, je m'attendais à ce qu'il n'indique aucune préférence, même "personnelle". Et puis, à la réflexion, ça se tient : Montebourg est fondamentalement, depuis longtemps, un rénovateur. Il est loin de partager toutes les idées d'Hollande, mais le point commun, assez fort, c'est le désir de mettre fin à une certaine culture politique qui sévit encore dans nos rangs, celle de ce que Vincent Peillon appelle "le très vieux parti socialiste", que je nomme plus volontiers la culture d'appareil, aggravée par une mentalité, celle de la gauche dure, "la gauche sectaire", telle que l'a qualifiée François Hollande.

Cette culture politique est aussi ancienne que le parti socialiste. Son premier représentant a été Jules Guesde, qui ne jurait que par la lutte des classes, alors que Jean Jaurès, son adversaire, voulait inclure la République parlementaire dans l'héritage socialiste. L'affrontement s'est poursuivi, sur les mêmes bases idéologiques, entre Guy Mollet et Léon Blum, ou, plus près de nous, entre Jean Poperen et Michel Rocard. A chaque fois, la gauche dure se distingue par trois caractéristiques :

1- La violence de ses jugements : l'autre, avec lequel il y a désaccord, est disqualifié, carrément rejeté en dehors de la gauche, soupçonné de se compromettre avec la droite. Ainsi, François Hollande est présenté par Martine Aubry comme "le candidat du système". A Saint-Quentin, discutant récemment, en toute amitié, avec une conseillère municipale d'opposition, celle-ci me reprochait d'être "pro-municipalité". Dans les deux cas, même réflexe : assimiler l'autre à un traître au socialisme.

2- Les pratiques opportunistes : cette gauche dure, qui donne des leçons de révolution, n'est pas plus révolutionnaire que vous et moi, sinon elle suivrait Mélenchon. Mais elle est dans la tactique, mariant la carpe et le lapin pour occuper des places ou conquérir le pouvoir. Ainsi, à Saint-Quentin, on est peu regardant sur les alliances, allant jusqu'à pactiser avec l'extrême gauche la plus sectaire, les lambertistes du POI.

3- Les attaques personnelles : c'est sans doute l'attitude la plus détestable. La bagarre pour les idées, autant qu'on voudra, j'adore ça ! Mais les reproches mesquins, les petites piques, les crasses, non c'est insupportable. Ainsi, Martine s'en prend au tempérament de François, accusé d'être mou, flou, indécis. Qu'elle critique son projet, très bien, c'est la démocratie, et ça ne peut que nous faire collectivement progresser. Mais toucher à la psychologie des individus, surtout pas !
Un journaliste local me rapportait que dimanche soir une petite pique très personnelle avait été portée contre moi par un responsable socialiste, dont je ne dirai rien parce que je n'entre jamais dans ce jeu-là, parce que je ne partage pas cette culture du dénigrement, mais je l'évoque à l'instant pour m'en désoler, pour affirmer qu'il faut en finir, à Paris comme à Saint-Quentin et dans tout le parti.

Désormais, François Hollande a derrière lui tous les autres candidats, à l'exception de Martine Aubry. Le résultat semble donc acquis, même si des surprises ne sont jamais à exclure en politique. C'est aux citoyens de gauche d'en décider librement dimanche. J'invite les lecteurs de ce blog se reconnaissant dans la gauche à participer au second tour des primaires citoyennes et à voter François Hollande, pour dire qu'à Saint-Quentin aussi "nous voulons une gauche qui gagne", pour reprendre l'expression de Vincent Peillon.

jeudi 13 octobre 2011

Deux sociaux-démocrates.

Le dernier débat des primaires citoyennes a été très différent des trois précédents, qui offraient une grande diversité, entre Valls le social-libéral, Montebourg le démondialisateur, Baylet le radical-socialiste, Royal la moderniste rénovatrice et les deux tenants de la social-démocratie, Aubry et Hollande. Ne restant plus que ces deux-là en lice, les échanges évoluaient dans un même cadre idéologique, qui me réjouit puisque c'est intellectuellement le mien, mais qui n'offre aucune alternative vraiment tranchée. A la limite, si j'en restais à l'émission d'hier soir, je pourrais tout aussi bien voter Aubry qu'Hollande dimanche prochain, tellement ils se différencient assez peu. Mais je n'en reste heureusement pas là.

Certes, les tempéraments ne sont pas les mêmes. Mais vote-t-on pour des psychologies ? Martine s'en est pris à François, mais dans les détails, pour regretter son "flou", lui demander d'être "précis" : les mots trahissaient une critique non frontale, pas fondamentale, d'ordre plus technique que politique. Par certains côtés, j'avais l'impression hier de regarder deux bons gestionnaires de gauche en rivalité, pas franchement en opposition, en concurrence ou en adversité.

Il y a bien sûr de quoi se réjouir : le débat était sérieux, de haute tenue, sans démagogie. Mais il y manquait la passion qui n'existe que dans les grands affrontements. Le plus étonnant (mais là encore j'en suis satisfait), c'est que les idées d'Arnaud Montebourg, médiatiquement promues depuis trois jours, n'ont pas du tout été au coeur des échanges. Normal : ces deux sociaux-démocrates que sont Hollande et Aubry peuvent les écouter, en reprendre quelques éléments en les atténuant, ils ne peuvent aucunement assumer leur radicalité.

Sur le fond, la culture sociale-démocrate de François Hollande et Martine Aubry, en opposition avec l'anticapitalisme d'Arnaud Montebourg, se traduit par trois forts accords entre eux : une économie ouverte hostile à tout protectionnisme, le recours à la négociation et au contrat plutôt qu'à la loi, un Etat stratège mais pas dirigiste.

Le vrai débat qui aurait eu un sens politique profond, c'est entre la social-démocratie et le socialisme traditionnel, dont Montebourg défend une version modernisée. Ce débat-là aurait été structurant et clivant, comme il l'a toujours été dans l'histoire du socialisme, entre les réformistes et les révolutionnaires, comme nous disions il n'y a encore pas si longtemps. Mais la social-démocratie étant devenue hégémonique au sein du parti, l'aile gauche n'a plus d'influence et d'impact qu'à la marge, même si l'héritage est toujours présent et fructueux.

Alors, on vote pour qui dimanche ? En ce qui me concerne, je n'ai pas changé, c'est toujours Hollande, social-démocrate conséquent, alors que Martine Aubry est une social-démocrate complexée. Et puis, on juge aussi un candidat par son entourage : celui d'Hollande est idéologiquement cohérent, celui d'Aubry est baroque, de certains strauss-kahniens autour de Cambadélis à l'aile gauche d'Hamon, Emmanuelli et Lienemann. Enfin, dans une procédure, les primaires, qui n'est pas une élection mais une désignation, il est essentiel de soutenir le mieux placé pour battre la droite, celui qui a été placé le premier, avec un écart non négligeable puisqu'il est de neuf points.

Mon vote Hollande de dimanche aura également une signification locale : manifester l'existence à Saint-Quentin d'un électorat de gauche modérée, qui ne se reconnaît pas dans la gauche dure (pour parler comme Martine !) alliée à la gauche extrême. D'autant que dans notre ville, l'écart entre Hollande et Aubry est beaucoup plus resserré (trois points), ce qui rend incertain et très intéressant le résultat de dimanche prochain.

mercredi 12 octobre 2011

Le panache et les larmes.

Quand Ségolène a pleuré dimanche, même Arnaud Montebourg a été ému. Qui n'est pas ému quand aujourd'hui quelqu'un, à la télé notamment, pleure ? Nous vivons dans une société où l'on pleure et où l'on rit beaucoup, surtout sur les plateaux de télévision. Quand c'est une personne qui coule parce qu'elle vient d'être battue, on n'ose rien dire, on "compatit". Pleurer et compatir, c'est la morale contemporaine.

Mais qui ose encore se demander si pleurer n'est pas une faiblesse, quand on fait de la politique et qu'on prétend diriger un Etat ? Un président de la République qui pleure sur lui-même, ça donnerait quoi ? Car Ségolène s'est émue de son propre malheur (pleurer devant le malheur d'autrui, c'est autre chose). L'idée que je me fais d'un dirigeant en qui je veux accorder ma confiance, c'est un homme ou une femme capable de maîtriser ses émotions, ne pas se laisser déborder par ses sentiments. D'autant que perdre une élection alors qu'on a eu l'honneur, la fois précédente, de la gagner et d'être désignée, ce n'est pas vraiment un drame.

Si j'en étais resté aux larmes de Ségolène Royal, qui signe peut-être la fin de sa carrière politique, j'aurais un piètre image d'elle. Mais voilà, il y a eu ce geste magnifique, magnanime et très élégant d'aujourd'hui : son soutien à François Hollande. Ce panache vient effacer les pitoyables larmes. Enfin, comme prise d'un sursaut de haute politique, Ségo a compris, a su surmonter rancoeur et rancune, dépasser ses réticences personnelles dont on comprend la puissance et la légitimité, pour n'avoir à l'esprit qu'un seul et unique intérêt : celui du parti socialiste, et au-delà celui de la gauche et de la France.

Sa grandeur est là : soutenir sans aucun marchandage, sans nulle pression, celui qu'elle a pourtant combattu, dans sa vie publique comme dans sa vie privée. Il faut de la force en soi pour faire ça. C'est tout le contraire de Montebourg, et c'est très bien ainsi. Ségolène sort de ces primaires citoyennes la tête haute. La faiblesse lacrymale de dimanche soir est heureusement oubliée.

Ca ne va pas.

Le Courrier Picard n'est pas tendre avec la gauche locale ces derniers jours. Dimanche et lundi, deux articles ont mis en avant la faible participation aux primaires citoyennes à Saint-Quentin. Ce matin, c'est la manifestation syndicale d'hier soir qui est qualifiée de "flop", le journal s'amusant du décalage dans l'estimation du nombre de manifestants, celle de la police étant supérieure à celle des syndicats, ce qui est une première historique mondiale !

Dans ce genre de situation, soit la gauche crie au complot, à la manipulation, s'en prend à la presse et aux journalistes ; soit elle a le courage de regarder la vérité en face, de reconnaître que quelque chose ne va pas chez elle, qu'il faut l'analyser, en tirer les conséquences et changer. Pour ma part, depuis plusieurs années, j'ai choisi de baisser le masque, de déchirer le voile : je ne m'intéresse plus qu'à la vérité, je ne recherche pas la consolation ni le bouc émissaire, je veux que la gauche se transforme.

D'abord, écartons les faux procès et les accusations mesquines : ni les organisations, qui font leur possible, ni les militants, peu nombreux mais dévoués, ne sont à blâmer. Le mal vient de la situation, du contexte, des circonstances et de l'histoire. C'est pourquoi il ne suffirait pas de changer les individus pour que la gauche locale change. C'est une transformation en profondeur qu'il faut souhaiter, un changement des structures et des mentalités.

Le travail sera long et immense. A défaut, les manifs continueront à faire flop, les sympathisants à se démobiliser et les candidats à être battus par la droite et l'extrême droite. On s'en sort comment ? Je vois trois préconisations immédiates :

1- Redonner au parti socialiste la place qu'il a perdu depuis plusieurs années et qui pourtant lui revient à gauche : la première. Ne plus se laisser devancer par les communistes et l'extrême gauche, camarades certes respectables et fréquentables mais qui doivent rester à leur place, celle que leur attribue l'électorat, des minoritaires, parfois des marginaux, de tout façon en position très secondaire par rapport au PS.

2- Se donner une ligne politique de gauche modérée, ouverte, raisonnable, à l'image de celle du parti socialiste à l'échelle nationale, une ligne Hollande-Aubry-Royal, ces trois camarades, quoi qu'on en dise, n'ayant pas de fortes oppositions idéologiques. Une ligne politique qui inclut nos sympathisants, la société civile, le monde associatif et culturel, à l'image des primaires citoyennes.

3- Se choisir un leader incontesté, rassembleur, animateur plus que chef de courant, incarnant l'avenir plutôt que traînant à ses basques le passé, capable de susciter l'enthousiasme et de faire espérer en une possible victoire.

Tout cela ne suffira pas, mais tout commencera par là. Alors, le Courrier Picard éprouvera sûrement un peu plus de tendresse à l'égard de la gauche locale, et nous serons tous un peu mieux respectés.

mardi 11 octobre 2011

Arnaud en fait trop.

Je ne l'ai pas vu hier soir sur France 2 mais je l'ai lu ce matin dans Libé, et je n'ai pas trop aimé : Arnaud Montebourg en fait trop, aidé en cela par les médias. Les règles de la primaire continuent de s'appliquer même à ceux qui ne sont plus candidats. Et je regrette qu'Arnaud s'en prenne si vivement, et si personnellement, aux deux "impétrants", ainsi nomme-t-il François Hollande et Martine Aubry, avec ce "mépris et condescendance" qu'il leur reproche pourtant dans Libération. Mais le mécanisme psychologique qui consiste à attribuer à autrui ses propres travers est bien connu.

Il faut qu'Arnaud revienne à la raison et à la modestie. Il n'est pas le "faiseur de roi" qu'on dit. C'est le peuple de gauche qui décide et ce n'est pas un roi qu'il se choisit. N'oublions pas que le minoritaire c'est lui, qu'il ne vient qu'en troisième position, que les idées sociales-démocrates sont sorties largement majoritaires des primaires citoyennes. Ses 17% ne sont que l'étiage traditionnel de l'aile gauche au parti socialiste. Cette sensibilité a d'ailleurs connu dans notre histoire des scores parfois supérieurs à celui-là. Modestie et lucidité, par conséquent.

"J'ai sorti le PS du formol", affirme le camarade Montebourg. Il charrie : l'entreprise de rénovation du parti a commencé il y a trois ans, sous la conduite de Martine Aubry. Arnaud n'a tout de même pas réinventé le socialisme à lui tout seul depuis dimanche soir ! Je sens beaucoup de présomption dans cette posture, et je m'en désole, car Arnaud est intelligent.

Et puis, cette lettre envoyée aux deux candidats, en les sommant de répondre, renvoyant la balle dans leur camp, c'est insupportable. Qu'Arnaud défende ses positions, qu'il prenne ses responsabilités et fasse son choix, mais qu'il n'administre pas ce genre de leçons, qu'il cesse ce petit jeu des enchères et surenchères. D'autant que ses attaques seront reprises par la droite, qui déjà s'amuse et se sert du "faiseur de roi".

Pourtant, l'entretien d'Arnaud Montebourg à Libération devrait satisfaire le partisan de Hollande que je suis, car c'est surtout en direction de Martine Aubry qu'il décoche ses flèches. Mais je sais que dimanche soir il faudra rassembler, et qu'on ne peut pas rassembler après avoir divisé. La cohérence idéologique d'Arnaud l'amènera à ne pas choisir, puisqu'il renvoie dos à dos François et Martine. Qu'il laisse donc ses électeurs se déterminer, sans en rajouter inutilement. Le prétentieux contre les impétrants, c'est un casting qui dessert le parti socialiste. On a toujours tort d'en faire trop.

lundi 10 octobre 2011

Le délire ou l'avenir.

Tout occupé que j'étais à analyser les résultats de chaque candidat aux primaires dans la ville de Saint-Quentin, j'avoue que j'ai délaissé le taux de participation locale. Et puis, 1003 votants c'est pour moi spontanément formidable, quand on sait qu'auparavant c'est dans le cercle restreint de quelques dizaines de personnes que la désignation se jouait. La grande vertu des primaires citoyennes, la voilà !

Les deux millions et demi de participants m'ont tellement surpris et enthousiasmé que j'en ai aussi un peu oublié la participation dans ma ville. Mais si on se penche sur la question, ça donne quoi ? Il y a les chiffres, auxquels on ne coupe pas : 33955 inscrits à Saint-Quentin, ce qui donne 2,95% de votants. C'est un score beaucoup plus faible que le national et que l'Aisne.

Et puis, plus subjectivement, il y a cet article ce matin dans le Courrier Picard, pas très gratifiant, évoquant les "bureaux de vote quasi vides", leur nombre insuffisant et la difficulté de les localiser. Le pompon, c'est cette rumeur délirante à propos des caméras de vidéo-surveillance qui auraient soi-disant dissuadé certains électeurs de se déplacer ! J'en reste sans voix, c'est consternant ...

Pourtant, rien de très étonnant, dix ans d'échecs électoraux parfois sévères, les divisions, l'absence de leader clairement identifié, l'hégémonie de la droite, tout cela ne peut que démobiliser et même démoraliser notre électorat. Je m'empresse de dire que la responsabilité, comme toujours en politique, est collective. Il n'y a pas à incriminer telle ou telle personne. Simplement, ayons la lucidité d'admettre ce que tout le monde constate, puisque nos défaites sont publiques. Profitons de ces primaires et de ce millier de sympathisants venus vers nous pour rebondir, préparer un avenir plus heureux, plus rassemblé, plus dynamique.

Satisfactions et incertitudes.

Les résultats des primaires citoyennes sont aussi localement un enjeu interne extrêmement important, surtout à Saint-Quentin où la culture du rapport de forces est très présente dans les têtes. De ce point de vue, moi qui répugne pourtant à cette culture-là, qui incline plutôt au consensus, j'ai quelques motifs de satisfaction :

D'abord, François Hollande arrive en premier, ce qui n'était pas gagné d'avance. Dans beaucoup d'autres villes en France, c'est Martine Aubry qui occupe la première place. De plus, il fait 3 points de mieux que son score national (42,8 contre 39,2). C'est donc la preuve qu'il existe dans notre ville un électorat de gauche réformiste, social-démocrate, modéré.

Ensuite, le candidat le plus à gauche de ses primaires, Arnaud Montebourg, réalise 2 points de moins que son résultat national (14,6 contre 16,8), ce qui est assez surprenant dans une ville, Saint-Quentin, où la gauche s'est radicalisée depuis ses alliances à l'extrême gauche. Normalement, dans le contexte idéologique local, Montebourg aurait dû faire un bien meilleur score. Ce n'est pas le cas. Ce qui prouve là aussi que l'orientation vers la gauche de la gauche n'est pas nécessairement appréciée par notre électorat.

Mais si j'ai aujourd'hui de réels motifs de satisfaction qui redessinent l'avenir de la gauche saint-quentinoise, je me dois d'être sincère et objectif : j'ai aussi des incertitudes et des inquiétudes. D'abord, le score de Martine Aubry est supérieur de 8 points à son score national (38,9 contre 30,7), ce qui fait beaucoup. Bien sûr, Martine est tout autant social-démocrate que François, et il n'y a pas de grandes différences idéologiques entre les deux candidats. Sauf qu'à Saint-Quentin, où rien n'est jamais vraiment comme ailleurs, les aubryistes ne sont pas du tout sociaux-démocrates mais aile gauche, idéologiquement plus proches de Montebourg et Mélenchon, mais soutenant par tactique Aubry. Compliquée, la grille de lecture de résultats locaux dans leur signification interne !

L'évidence, c'est que chez nous Hollande et Aubry ne sont qu'à quatre points de distance, que le second tour va donc se jouer ici au couteau (ce n'est qu'une image, ne la prenez pas pour un instinct belliciste ou une déclaration de guerre !). Si on rapproche les scores de ceux qui sont politiquement proches, c'est même Martine Aubry qui devrait l'emporter à Saint-Quentin dimanche prochain. Mais la politique n'est heureusement pas un problème d'arithmétique : c'est la dynamique qui joue, l'élan, le mouvement, pas la sèche et hasardeuse addition.

Mon souhait est le même que celui émis hier soir (je change assez rarement d'avis, surtout en quelques heures) : que le débat reste digne dans les jours qui viennent, que nos électeurs demeurent tout autant et encore plus mobilisés dimanche prochain, qu'aucun candidat, en lice ou battu, ne se livre à de pitoyables marchandages comme hélas la politique en est trop souvent coutumière, qu'aucune consigne de vote ne soit donnée, que chaque citoyen soit laissé complètement libre de son choix. Alors, le vainqueur, Martine ou François, sera respecté et soutenu par tous les socialistes.