jeudi 12 décembre 2013

La laideur du monde



La laideur envahit progressivement le monde. Il suffit de voir nos grandes villes, l'urbanisme moderne et même nos campagnes. Les cités antiques étaient peuplées de temples, de statues et de fresques, celles du Moyen Age de cathédrales et de chapelles. Aujourd'hui, il n'y a pas d'équivalent : toutes les grandes constructions sont purement utilitaires, dépourvues d'intention esthétique, routes, ponts ou immeubles. Certes, jadis, les centres urbains étaient sales et la plupart des gens mal soignés, ce qui n'est plus le cas. Mais globalement, la laideur s'est répandue à travers le monde, de façon souvent inconsciente. En tout cas, la beauté n'est plus cet idéal qu'on recherchait et vénérait par le passé.

Le plus impressionnant, mais le moins souvent évoqué, c'est la laideur ordinaire des comportements. J'ai trois exemples actuels en tête, mais nous pourrions les multiplier :

1- Le vapotage. Le mot lui-même n'est pas beau. Vapoter, ça me fait penser à ... crapoter ! Une "cigarette électronique", c'est presque une contradiction dans les termes. Il y a de la sensualité, de l'élégance dans l'acte de fumer, sa gestuelle, le nuage de fumée qui s'en échappe, quelque chose d'inspiré et de méditatif. On a l'impression que le tabac rend beau et intelligent. Une femme qui fume dégage d'elle un sentiment d'érotisme (c'est pourquoi, pendant longtemps, c'était très mal vu). La forme, la couleur, le toucher de la cigarette sont agréables. Même le paquet est évocateur de plaisir. Les puritains, moralistes et hygiénistes de notre temps ont mis fin à tout cela, en le condamnant et en l'interdisant en certains lieux, pour notre bien, disent-ils. A la place, nous avons l'ignoble vapotage, qui ne fait que le bonheur des commerçants. Cette fausse cigarette, en métal froid, qui renvoie de la fausse fumée, est très vilaine. Elle a aboli le geste de la main, si gracieux, que révélait la vraie cigarette. Ceux qui vapotent sucent un embout qu'ils cachent au creux de leur main, comme une pipe qui aurait perdu son culot : ce n'est pas beau du tout. Vous n'avez plus une cigarette entre les lèvres, mais un tuyau dans la bouche, comme les grands malades.

2- La poussette renforcée (ou sécurisée). La naissance d'un enfant, c'est très beau, c'est le triomphe de la vie. C'est pourquoi le nouveau-né reçoit un véhicule digne de son avènement. Jusque dans les années 80, c'était le landau, surélevé, fin, très joli, un véritable petit nid douillet pour l'enfant, une sorte de carrosse, qu'on poussait tranquillement, qui était fait pour susciter la curiosité et l'admiration. Depuis, sur nos trottoirs, il a été remplacé par une ignoble poussette, sombre, trapue, grossière, fonctionnelle, suréquipée, qui fait peur quand on la voit arriver. Elle fait penser à une chaise roulante pour handicapés. Le gamin à l'intérieur est parfois protégé par un plastique transparent qui le fait ressembler à de la viande surgelé. C'est affreux. Comment des parents peuvent-ils infliger ce spectacle désolant ? C'est l'obsession de la sécurité qui a tué la beauté. Le côté pratique des choses, privilégié aujourd'hui, diminue ou carrément abolit l'aspect esthétique des objets.

3- La zumba. Quoi de plus beau qu'un homme et une femme dansant ensemble ? Les danses collectives, celles des indiens par excellence, ont pour elles une beauté spirituelle. Même le rock n'est pas sans une dimension esthétique. La zumba, le mot nous le fait sentir, c'est n'importe quoi, esthétiquement parlant. Est-ce d'ailleurs une danse, ou plutôt une gymnastique ? Cette activité très en vogue est bâtarde. Les mouvements sont désarticulés, les musiques sont des prétextes, les participants sont vêtus n'importe comment : la zumba, c'est carnaval. Beaucoup d'histoires d'amour sont nées sur des pistes de danse. D'une séance de zumba, il n'en ressortira aucun sentiment un peu grand, seulement la satisfaction d'avoir bougé, dans une société où l'individu est de plus en plus sédentaire. La zumba, c'est la fierté du ridicule assumé. Après tout, c'est peut-être une forme de libération de l'être humain, qui serait allé jusqu'à s'affranchir de l'exigence de beauté (on sait que l'esthétique impose toujours des canons).

Cigarette électronique, poussette surdimensionnée, danse zumba, ce sont trois exemples parmi d'autres de défaites de la beauté, de laideurs du monde. Revenons un peu à la politique et aux prochaines élections : dans les prérogatives d'une municipalité, il y a l'aménagement de la ville. Je rêve d'une liste qui mettrait à son programme la revendication de la beauté. Encore faudrait-il que ses candidats ne vapotent pas, ne trimbalent pas leurs gosses ou petits-enfants en poussette contemporaine, ni n'aillent le soir transpirer sur des airs de zumba ...

4 commentaires:

Anonyme a dit…

vous avez raison c était bien plus esthétique quand les rouleaux tue mouches balancés aux lustres et que les hommes chiquaient le tabac.
vive la beauté de la gare noircies par le charbon des locomotive a vapeur et les caniveaux avant le tout à l'égout.

Emmanuel Mousset a dit…

C'est ce que j'ai tenu à préciser dans mon billet, que vous m'obligez à répéter : les rues du Moyen Age étaient sales et certains comportements dégoûtants. Mais il faut avoir une vision globale, et pas particulière. Et puis, les laideurs du passé n'effacent pas les laideurs d'aujourd'hui.

Anonyme a dit…

Les tue-mouches existent encore le tabac à chiquer aussi mais que dire des chewing-gum qui maculent les trottoirs...A quand les totems "mâchouilleurs propres" n'en déplaise à l'hygiène bucco-dentaire.

Emmanuel Mousset a dit…

Remarque très juste. Les trottoirs des lycées Henri-Martin et Saint-Jean ressemblent à des peaux de panthère, mais très laides, tachetés de chewing-gum écrasés. J'ajoute qu'un visage qui mâchouille un chewing-gum est lui aussi très laid, bovin, grimaçant (c'est pitoyable de voir certains élus s'adonner à cet exercice lors de réunions ou de cérémonies, preuve qu'ils s'emmerdent profondément).