samedi 21 décembre 2013

Mort sur ordonnance



Le débat public le plus affolant, et même le plus terrifiant, de cette semaine a porté sur le suicide médicalement assisté (comment une telle expression peut-elle exister sans faire réagir, sans scandaliser ?). Le point de départ de ce projet, c'est une conférence de citoyens, une sorte de panel dont personne ne se demande comment il a pu être constitué. Voyez la différence de traitement et de jugement entre ce cénacle citoyen et le rapport d'élus et d'experts chargés d'une réflexion sur l'intégration (préconisant la fin de la loi portant sur le voile à l'école) : le premier a été porté aux nues, le second a été descendu en flèche. Par les temps qui courent, le simple citoyen est bien vu, le spécialiste et le représentant du peuple sont discrédités. C'est consternant mais c'est ainsi.

Que dit donc cette conférence de citoyens ? Que le suicide en fin de vie est à recommander, mais pas l'euthanasie. C'est un peu contradictoire : quand on veut l'un, on veut forcément l'autre, tous les deux visant à abréger des souffrances insurmontables et irréversibles. Mais je vois bien la distinction : le suicide est volontaire, l'euthanasie est provoquée par le médecin. Ceci dit, l'euthanasie réclame l'assentiment antérieur du patient, et le suicide n'est pas si libre qu'il le prétend, puisqu'il est médicalement assisté. Et puis, au moment de décider du geste fatal, est-on certain que le malade possède tout son discernement ? Les notions de liberté, d'autonomie et de choix n'ont plus guère de sens dans une situation de souffrance et de détresse.

Le débat sur l'euthanasie mérite d'être mené. Mais faire du suicide, même sous conditions très strictes, un terme juridique, une forme de droit, c'est très grave. Et c'est encore plus grave médicalement assisté. Car on n'empêchera pas cette notion de s'élargir, de légitimer plus ou moins toute forme de suicide, aux yeux de l'opinion publique. Si la souffrance physique justifie légalement et médicalement qu'on mette fin à ses jours, qu'est-ce qui peut empêcher que la souffrance morale ne réclame pas le même droit ?

Je comprends parfaitement qu'on veuille en finir avec la vie, par faiblesse, par folie, par malheur. Certains philosophes de l'Antiquité et les samouraïs en font même un point d'honneur. Mais ce geste tragique ne peut pas être inscrit dans la loi, se présenter comme un droit parmi d'autres. Personnellement, je crois qu'il faut se battre pour vivre, même dans les pires circonstances, et ne pas se laisser aller à mourir. J'ai été très choqué par le suicide récent d'un couple d'octogénaires dans un hôtel de luxe parisien. On les a retrouvés la tête asphyxiée sous un sachet en plastique. C'est atroce. Qu'est-ce qui peut expliquer d'en arriver là ? Je me demande si notre société, qui exalte la bonne santé, l'autonomie et la jeunesse, ne finit pas par pousser au crime. La peur de la dépendance, de la décrépitude et de la séparation se sont insinuées dans beaucoup d'esprits.

Ce matin, sur France-Inter, j'ai entendu des propos hallucinants de Christophe Barbier, du magazine L'Express. Pour soutenir le suicide médicalement assisté, il a défendu l'idée d'un suicide altruiste (sic), quand on comprend qu'on est devenu un poids pour la société, inutile, de trop, et qu'on veut généreusement l'en libérer ! On croit rêver, mais c'est un cauchemar. Le rejet de l'assistanat est tel que le vieillard ou le grand malade vont se sentir le devoir (car ce n'est plus seulement un droit) de se supprimer pour ne pas gréver le budget de l'Etat ou de leur famille. Logique odieuse, obscène, barbare : la raison d'être de la société, c'est l'assistance dont elle fait bénéficier tous ses membres, en particulier ceux qui en ont le plus besoin. Etre assisté, c'est un progrès de la civilisation, c'est même son fondement : c'est un principe d'humanité. D'ailleurs, les partisans du suicide médicalisé se contredisent, puisqu'ils demandent à leur tour d'être assistés dans cette démarche.

Derrière tout ce débat, il y a une dérive que j'ai souvent dénoncée : un affolement du droit, notre société se tournant systématiquement vers la loi ou le règlement pour traiter ses problèmes et trouver des solutions. Le droit envahit tout, s'occupe de tout, normalise les comportements, moralise les rapports entre les individus, impose une idéologie collective. Initialement, la loi avait un champ d'intervention limité, une fonction emblématique : elle n'était pas censée répondre à toutes nos difficultés, à nos angoisses privées, à nos interrogations métaphysiques. La loi aujourd'hui gère notre vie, notre mort, notre santé, notre sexualité ... Jusqu'où va-t-on aller comme ça ?

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