dimanche 1 décembre 2013

Sexuellement correct



Je suis d'accord avec la plupart des lois adoptées par la majorité parlementaire de gauche. C'est normal, puisque je suis socialiste. Mais j'ai tout de même quelques rares désaccords. C'est le cas avec le projet de loi sur la prostitution, actuellement débattu à l'Assemblée nationale. Pourtant, il y a du bon dans ce texte : l'aide aux prostituées qui veulent s'en sortir, et surtout l'abrogation du délit de racolage, que l'on devait à Nicolas Sarkozy. Mon désaccord, c'est avec la pénalisation des clients, assortie d'une sanction de 1 500 euros.

En gros, il y a trois visions de la prostitution, que je ne partage pas :

1- La vision bon enfant et réac : la prostituée au grand coeur, son julot voyou mais sympa, le client qui va aux putes parce qu'il n'y a pas de mal à se faire du bien. C'est aussi le folklore très IIIe République du bordel, la visite à la prostituée faisant partie du parcours initiatique du jeune homme. Une expression est censée justifier cette vision : la prostitution serait "le plus vieux métier du monde". C'est évidemment un cliché mensonger : il y a beaucoup plus "vieux" (cueilleur, chasseur, artiste ou guerrier) et ce n'est pas un "métier", mais le plus souvent une vie de souffrance, de violence et d'exploitation.

2- La vision professionnelle et progressiste : la prostitution est perçue comme un libre choix, un travail comme n'importe quel autre. Il n'y a plus de putes, mais des "travailleuses du sexe", et un syndicat chargé de défendre leurs intérêts (véridique !). Dans certains pays, on trouve des eros center, comme il existe des centres culturels ou des centres sociaux. La prostitution est alors la traduction de la libération des moeurs et de son droit au plaisir, y compris tarifé. La légalisation est réclamée, au même titre que celle du cannabis. Cette vision a beau paraître plus clean, je n'y adhère pas du tout : il n'y a ni véritable choix, ni plaisir partagé dans la prostitution. Faire l'amour, même dans les règles de l'art, n'est pas un travail.

3- La vision puritaine et féministe : la prostitution est considérée comme un mal à combattre, à éradiquer. C'est une approche idéaliste, en quête d'un monde parfait, sécurisé, débarrassé de tout vice. Ce puritanisme (au sens précis d'une exigence de pureté, de propreté) n'est plus du tout religieux mais encore très américain: il repose sur un mélange de morale et de psychologie qui se donne le droit comme bras armé. C'est la règle des comportements "appropriés" et du "sexuellement correct". Sauf que la vie n'est pas ainsi faite, qu'elle est rarement "appropriée" et "correcte", comme on dit aujourd'hui. C'est pourquoi je ne partage pas non plus cette vision irréaliste et réductrice.

Cette troisième vision de la prostitution inspire le projet de loi gouvernemental. Maud Olivier, députée PS à l'origine de celui-ci, résume sa philosophie en une phrase : "Peu importe la sanction, l'important est de marquer l'interdit". Avec l'usage de ce dernier mot, nous quittons donc l'ordre pénal de la sanction pour entrer dans l'ordre moral de la punition. C'est d'ailleurs une nouvelle confirmation de l'évolution de notre droit : la loi en direction des citoyens tend à devenir une norme s'adressant aux personnes privées et encadrant leurs moeurs. Je déplore cette dénaturation de la juridiction : on ne devrait pas légiférer sur les pulsions humaines, du moment qu'elles ne sont pas criminelles. C'est pourquoi je suis hostile à la pénalisation des clients des prostituées.

La prostitution est la rencontre éphémère entre une malheureuse en manque d'argent et un malheureux en manque de sexe. Ni l'une ni l'autre ne doivent être pénalisés. La prostitution, c'est aussi un ménage à trois : la prostituée, le client et le proxénète. Celui-ci est un délinquant, un trafiquant en tout genre. C'est lui, et lui seul, qui doit être implacablement pourchassé par la loi.

4 commentaires:

Anonyme a dit…

Bonjour,
J'insiste : je suis d'accord avec vous sur ce sujet.

J'aimerais bien qu'au moins un commentaire où je vous le dis soit validé : je ne vois pas pourquoi le précédent ne semble pas vous avoir semblé correct.

Emmanuel Mousset a dit…

Si ça vous fait plaisir ...

Anonyme a dit…

Moi je suis contre et j'aimerais aussi que mon commentaire soit validé.
Je trouve qu'il y a une grande cohérence dans votre système de pensée.
Après la défense de Polanski,
après la défense de DSK,
voila la défense des clients de la prostitution.
Il y a dans cette ligne de conduite plus qu'un signe, non?

Emmanuel Mousset a dit…

Oui, le signe, c'est que j'aurais dû devenir avocat au lieu de prof de philo. En plus, ça m'aurait aidé en politique : la candidature d'un avocat, ça ne se refuse pas ...