samedi 2 août 2014

Ce n'est pas bien



A entendre Barack Obama reconnaître que son pays a pratiqué la torture à la suite des attentats du 11 septembre 2001, on est partagé entre l'admiration et l'interrogation. Il est admirable que le chef de la plus grande démocratie du monde fasse l'aveu d'un acte aussi terrible, aussi barbare. On a alors envie d'applaudir à la sincérité, à la transparence, tout simplement à ce qu'on appelle le bien. Le président américain l'a dit : ce n'est pas bien, c'est contraire à nos valeurs.

En même temps, cet aveu me laisse interrogatif, sceptique. D'abord, il y a le ton avec lequel il est prononcé : doux, calme, sans colère ni indignation, mais plutôt dans le registre du constat. Et puis, Obama en reste à une parole : aucune décision politique ne suit, aucune sanction n'est prise, aucun responsable n'est désigné, on demeure dans la réprobation morale. On se dit tout aussi bien que la torture pourrait recommencer, comme ces gens qui affichent des regrets mais n'en poursuivent pas moins leurs méfaits.

Remarquez aussi que l'aveu n'a pas débouché sur un quelconque mea culpa ou demande de pardon pour les Etats-Unis, envers leurs victimes (sans parler de réparation). Pourtant, la repentance est un genre très prisé dans les démocraties modernes. D'autre part, le président américain pouvait fort bien prendre les mesures pour interdire désormais les agissements tortionnaires, sans cet étalage public qui laisse dubitatif. Tous les pays ont pratiqué la torture, y compris les démocraties, y compris la France, la plupart du temps dans des situations exceptionnelles de guerre. L'aveu d'Obama n'apprend rien de nouveau, et il aurait pu citer d'autres atrocités commises par l'armée américaine, par exemple au Vietnam. C'est sûrement cette façon qu'il a de découvrir la Lune, ou de nous le faire croire, qui retient et qui limite mon premier mouvement d'admiration.

Quant à sa sincérité, elle a été largement forcée par un rapport qui sera rendu prochainement public et qui fait état de ces actes de torture. Nous sommes plus dans l'anticipation habile que dans la franchise la main sur le coeur. Mais le plus intéressant dans cette intervention présidentielle, c'est son soubassement culturel. Les Etats-Unis d'Amérique ne se comprennent bien, dans leurs faits et gestes, que si on les rapporte à la culture protestante qui fait toute l'histoire et les institutions de ce pays. Dans cette religion chrétienne, à la différence du catholicisme, la confession personnelle et secrète, par l'intercession du prêtre, n'existe pas, mais l'aveu direct et public des fautes est largement pratiqué, comme si l'énonciation de la vérité, devant tous, lavait du péché (sa démonstration la plus triviale, c'est le cercle d'alcooliques abstinents, au sein duquel chacun raconte comment il est sorti de la perdition).

On se souvient de l'aveu comique et hypocrite de Bill Clinton, déclarant à la télévision qu'il n'avait pas eu de rapports sexuels avec une jeune stagiaire de la Maison Blanche, sa conscience morale ou sa rouerie politique distinguant fellation et pénétration. En plus tragique, et le mensonge en moins, nous sommes, avec Barack Obama, dans le même univers mental, qui d'ailleurs imprègne de plus en plus la France, pas du tout menacée par l'islam mais largement conquise par le protestantisme. La parole est rédemptrice par elle-même, faisant l'économie des actes. Pour ma part, je pense que les démocraties n'ont rien à gagner à dévoiler ainsi leur part d'ombre. Elles y perdent encore plus de crédit auprès de leurs opinions. Car se contenter de dire la torture ce n'est pas bien n'avance pas à grand chose tant qu'on ne se donne pas les moyens réels de la proscrire ou de la punir.

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