mercredi 3 septembre 2014

Rebs borderline



Mais quelle mouche a piqué François Rebsamen, avec sa déclaration de guerre contre les chômeurs fraudeurs, à contrôler encore mieux et à radier encore plus ? Entendons-nous bien, pour ne pas créer de faux débats : tout le monde est contre la fraude, pour l'application stricte de la loi, y compris à l'égard des chômeurs. Le problème n'est donc pas là, mais dans l'usage politique de ce thème, la volonté de le mettre en avant, de poser la fraude comme une question essentielle, alors que ce n'est pas le cas (la question essentielle, c'est la création d'emplois, pas la fraude au chômage).

Pire, les propos tenus par le ministre du Travail tendent à accréditer le préjugé, hélas populaire, que les demandeurs d'emploi ne feraient pas tout leur possible pour remédier à leur situation et trouveraient confortable d'y végéter, en profitant de l'aide sociale. Ces idées-là sont évidemment d'extrême droite (le thème éculé du chômeur fainéant), quand ce n'est pas d'une partie de la droite, et il est significatif que le Front national se soit réjoui de ces déclarations. A tous ceux qui profèrent de telles insanités, je ne me rabaisserais pas à leur répondre ni à argumenter contre eux : je leur demanderais simplement de se mettre volontairement au chômage, eux ou leurs enfants, puisque cette situation leur paraît tellement avantageuse et enviable. Vous verrez alors, ces petits salauds ne le feront pas ...

Je sais bien que Rebsamen est revenu sur ses propos, que ce qu'il avait dit n'était pas ce qu'il avait voulu dire : trop tard, la parole publique ne s'énonce qu'une fois, pas deux ! Quand on parle dans le micro ou qu'on passe à la télé, on fait attention, on sait qu'on est écouté et regardé par des millions de personnes, pas toujours bienveillantes, prêtes à s'emparer du moindre mot, de la petite phrase, pour alimenter leurs fantasmes, leurs rancoeurs, leur haine, par exemple à l'égard des chômeurs, boucs émissaires de choix.

J'ai lu et entendu que le ministre avait voulu lever un "tabou". Quel "tabou" ? Que vient faire ce terme ethnologique et psychanalytique dans le débat politique ? Quand on est de gauche, et on peut l'être de multiples façons, il y a une ligne qui ne varie pas, qui est immuable, identitaire, génétique : on se range du côté de ceux d'en bas, les chômeurs, les smicards, les immigrés et autres. Si vous êtes en dehors de cette ligne-là (et vous avez le droit), vous n'êtes pas de gauche.

En social-démocrate ou social-libéral, je me sens très bien. Avec Manuel Valls, je crie sans problème : j'aime l'entreprise ! En sachant, c'est tout de même curieux que personne ne l'ait fait remarquer, et surtout pas les gueulards de La Rochelle, que l'entreprise n'est pas faite que de patrons, mais aussi de cadres, d'employés, d'ouvriers et même de simples citoyens que sont les consommateurs et les clients. Avec Emmanuel Macron, je n'ai aucun mal à m'interroger sur de possibles dérogations à la loi sur les 35 heures, quand ces exceptions sont profitables à certaines entreprises. Avec François Hollande, je me réjouis que le pacte de responsabilité donne des moyens financiers considérables aux entreprises pour relancer la croissance et l'emploi. Tout ça me va, à 100%. Mais tout ça n'a de sens et de valeur à mes yeux que si l'ensemble des Français en profitent, en matière d'emploi et de pouvoir d'achat, et surtout ceux qui en ont le plus besoin, les sans emplois et les bas salaires. Sinon, ce n'est pas la peine.

La gauche social-démocrate s'adresse à tous les Français, gouverne pour tous les Français. Elle reconnaît le rôle éminent des chefs d'entreprise dans l'économie du pays et les aide autant qu'elle peut. Elle défend l'économie de marché et rejette toute solution étatiste, collectiviste propre au socialisme traditionnel. Mais elle reste solidement campée sur cette ligne qui fait sa raison d'être : la défense des petits, des faibles, des catégories populaires, contre tous les mensonges qui s'abattent sur eux, dont le mythe infâme du chômeur fainéant, fraudeur et heureux de l'être.

La ligne de front, la ligne de partage est là, très simple : ce sera toujours Sarcelles contre Neuilly, non pas dans un schéma de lutte révolutionnaire ou de revanche de classe, mais dans une perspective social-démocrate de réformes, au sein de la République parlementaire. Rebs, comme on l'appelle entre camarades, a eu un moment de trouble, d'oubli, d'égarement. Tournons la page, n'y pensons plus.

Aucun commentaire: