mardi 21 octobre 2014

La liberté avant tout



Un rapport officiel, rendu public aujourd'hui, révèle ce chiffre accablant : 8 Français sur 10 sont pour l'interdiction des signes religieux dans les entreprises. Ce que je craignais se répand peu à peu : la réaction liberticide, l'intolérance à la religion, la normalisation des comportements. Tout a commencé avec la loi contre les signes religieux à l'école, il y a 10 ans, qui a donné le mauvais exemple, qui a ouvert la voie aux aspirations autoritaires. Faut-il rappeler (mais oui, manifestement il le faut) que la liberté religieuse est expressément inscrite dans la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 ? Nous sommes en train d'assister, depuis une décennie, dans l'opinion, à un affolant désir de restriction des libertés publiques, sous couvert de juridisme.

Cette mauvaise et terrible nouvelle justifie hélas mon dépôt d'une contribution sur ce sujet, dans le cadre des Etats Généraux du parti socialiste. En effet, le PS est historiquement le parti de la laïcité, qu'il doit définir, défendre et appliquer. "La laïcité, c'est la liberté", tel est le titre de mon texte, que j'ai publié sur ce blog il y a quelques jours. Contre toute religion qui prétend à l'hégémonie (ce qui a longtemps été le cas de l'Eglise catholique), la laïcité garantit la liberté à chacun de vivre sa foi ou son athéisme, de les manifester comme il l'entend, au même titre qu'une expression politique, syndicale ou philosophique. C'est ce point qui est aujourd'hui contesté par ceux qu'il faut bien appeler les ennemis de la liberté.

Ce qui se cache derrière tout ça, nous le savons bien : la xénophobie, le racisme, le rejet de nos compatriotes musulmans et des bouffées d'antisémitisme de temps en temps. L'extrême droite a récupéré, dénaturé et perverti la notion de laïcité, en lui faisant dire le contraire de ce qu'elle est, en la transformant en mot d'ordre contre la liberté, la tolérance et le droit à la différence. Une partie de l'opinion publique, y compris progressiste, tombe dans le panneau : la pulsion xénophobe au nom de la laïcité, il fallait l'inventer, le Front national l'a fait. Bientôt, dans la rue, si la tendance se poursuit, s'amplifie et se généralise, nous serons giflés ou agressés parce que nous portons une croix, une kippa ou un voile.

Le paradoxe, c'est que jamais la religion a été aussi peu présente et influente dans notre société. Pendant des millénaires, les hommes ont pratiqué des cultes de toute sorte, adoré des dieux variés, prié et cru en un autre monde, à des forces surnaturelles. Aujourd'hui, ce qui prime dans la civilisation moderne, c'est la science, la technologie, le bien-être, plus du tout la religion. A la radio, à la télévision, les préoccupations des auditeurs et des spectateurs vont à la santé, au sport, aux loisirs, rarement à la spiritualité ou à la théologie. Moins il y a de religion, plus il y a d'hostilité à la religion : l'apparent paradoxe est aussi une explication, les êtres humains respectent ce qui est fort, pas ce qui est faible.

A la racine, l'explication est plus profonde. Dans un monde hyper-rationalisé, ultra-technologique, la religion représente une forme de résistance, d'aspérité, d'anomalie, presque de monstruosité. Les croyants, de quelque religion que ce soit, apparaissent comme des extra-terrestres, venus d'un autre monde. Leur présence dérange et inquiète. D'un trouble purement personnel, sans doute partagé par beaucoup devant l'énigme de la foi, on fait surgir un imaginaire et périlleux "trouble à l'ordre public", qui découlerait du port de signes religieux, qu'on veut alors prohiber de la société. C'est hallucinant. Les républicains, laïques, athées, libres penseurs, qui ont souvent souffert par le passé des injonctions de la religion, doivent aussi se faire les meilleurs défenseurs de sa liberté d'expression, parce que celle-ci est au fondement de leur système de pensée.

4 commentaires:

Anonyme a dit…

A quand des cours de théologie,à savoir la connaissance des religions et philosophie(boudhisme)et diverses croyances dont celles du monde"invisible"(Tobby Nathan)dans l'éducation nationale laïque?Chacun partirait avec les mêmes connaissances et garderait son libre arbitre pour les analyser et avoir ses propres croyances.
Quand on pense que les trois grandes religions ont tous la même origine avec Abraham ou Ibrahim.Jérusalem est le berceau de ces religions et pourtant le sang est toujours versé afin que l'un ou l'autre prenne le pouvoir,attitude de domination qui perdure toujours.

Emmanuel Mousset a dit…

Non, la théologie doit être réservée aux facultés de théologie. Dans l'école publique, les connaissances de base sur les religions sont enseignées.

Anonyme a dit…

Le 21ème siècle sera-t-il otage des religions?voir M.Onfray.

Emmanuel Mousset a dit…

Ce sont plutôt les religions qui sont otages de ce siècle, entre persécution, instrumentalisation et dérision.