dimanche 19 octobre 2014

Le mauvais coup d'Aubry



En politique, il n'y a pas de milieu : on est pour on contre, d'accord ou pas, on soutient ou on combat. Aujourd'hui, dans le Journal du dimanche, Martine Aubry a fait son choix, elle a franchi le pas : elle est contre, pas d'accord, elle critique la politique du gouvernement. Dans les grandes lignes comme dans le détail, à quelques exceptions près, elle se désolidarise de ce que font François Hollande et Manuel Valls, il n'y a aucun doute là-dessus.

Pour enfoncer le clou, en toute cohérence, elle avance ses propres propositions économiques : mieux cibler les aides aux entreprises, soutenir autrement la croissance, créer davantage d'emplois aidés, soutenir le pouvoir d'achat. Même au plan idéologique, elle se différencie, opposant la "nouvelle social-démocratie" qui est la sienne, la société du "care, du share et du dare" (sic), au social-libéralisme, dont on sent bien qu'il est, pour elle, l'option du gouvernement.

Il n'y a pas de politique sans stratégie : Martine Aubry choisit de soutenir les "frondeurs", elle prend quasiment leur tête, se présente implicitement en leader, en recours. Pour que tout le monde comprenne bien, elle a déposé aujourd'hui même une "contribution" collective, dans le cadre des Etats Généraux du parti socialiste.

Voilà, j'ai essayé de vous restituer, aussi fidèlement et honnêtement que possible, l'intervention de Martine Aubry dans le JDD. Maintenant, ce que j'en pense, vous vous en doutez, je n'ai pas l'habitude de virevolter : c'est un coup de tonnerre à gauche, et un mauvais coup porté au PS et au gouvernement. Son seul mérite, c'est que ce n'est pas un coup de poignard dans le dos, exercice fréquent en politique. Non, le poignard est enfoncé dans le ventre, en face à face, les yeux grands ouverts, et bien profond. Mais la sincérité n'est pas une circonstance atténuante : un coup de poignard est un coup de poignard, qui fait mal.

Il y a deux ans, Martine Aubry a refusé d'entrer au gouvernement, de mettre les mains dans le cambouis, de prendre des risques, de participer au travail collectif des socialistes. Pendant deux ans, elle s'est murée dans un silence prudent, malin, ne soutenant pas activement ses camarades. Aujourd'hui, profitant de l'impopularité de l'exécutif, voyant qu'une "fronde" se lève au sein de la majorité, elle en profite, elle s'engouffre dans la faille, elle veut l'agrandir : elle attaque. Et ce n'est, je suppose, qu'un début !

En politique, je l'ai dit au début, on est pour ou contre, pas dans l'entre-deux : Aubry aujourd'hui est devenue une adversaire interne. Contre l'axe Aubry-Montebourg-Hamon, j'appelle à soutenir la ligne Hollande-Valls-Macron. C'est dit brutalement, mais quand on a un poignard fiché dans le ventre, on a ce genre de réaction. Elle est d'autant plus vive que Martine Aubry instrumentalise un beau débat lancé par le PS, celui des Etats Généraux, qu'elle transforme en champ de bataille des pro et des anti-gouvernementaux. Au lieu de déposer au pot commun une réflexion personnelle, elle lance une sorte de "motion" de congrès, les signataires qui vont avec ; elle joue non seulement du couteau mais aussi du rapport de force, selon une tradition bien ancrée chez certains camarades, et politiquement désastreuse (pas pour eux, mais pour le parti, la gauche et la France).

Où va Martine Aubry en faisant ça ? Nulle part, dans le mur. Elle nous refait le coup de Fabius en 2005, lors du référendum sur la Constitution européenne : le socialiste le plus moderniste, honni jusque-là par l'aile gauche, avait viré sa cuti pour prendre la tête des anti-européens, en contradiction avec tout son parcours politique. L'aile gauche, qui est pleine de petits chefs, était toute émoustillée d'avoir enfin son grand homme. Et ils ont gagné, le référendum a échoué, le couteau avait bien fonctionné, contre la direction du parti et la majorité de ses adhérents. Les "frondeurs" de l'époque ont alors cru tenir un leader de marque pour les présidentielles de 2007. Mais Laurent Fabius est vite retourné à ses premières amours : le couteau, c'est comme le feu, il ne faut pas trop jouer avec.

Martine Aubry, ce sera la même chose : les "frondeurs" seront au bout du compte les cocus de service, l'aile gauche les dindons de la farce. Et pourquoi ? Parce qu'en politique, on ne gagne pas très longtemps à des coalitions hétéroclites, baroques, inconséquentes. Au fond, qu'est-ce que les "frondeurs" et surtout l'aile gauche rejettent dans l'actuel gouvernement ? C'est son socle idéologique, c'est la social-démocratie. Or, que dit Aubry ? Qu'elle se réclame de la social-démocratie. Et ce n'est pas parce qu'elle lui accole un adjectif, social-démocratie "nouvelle", que ça change grand chose. Aubry est dans une trajectoire personnelle, à ce titre condamnée à l'échec. En attendant, que de dégâts ne s'apprête-t-elle pas à faire ! Ni le parti, ni le gouvernement, ni la gauche n'avaient besoin de ça. Oui, décidément, c'est un très mauvais coup que nous a porté aujourd'hui Martine Aubry.

5 commentaires:

Anonyme a dit…

Ce que vous reprochez à M. Aubry c'est sans doute ce que vous avez toujours fait avec le résultat que vous dites d'ailleurs. ça mène ou? Nulle part. Dans le mur.

Anonyme a dit…

Recluse volontaire dans son beffroi de LILLE , elle sinistrose et jette l’anathème sur tout ce qui bouge sans son accord ... Est ce une logique politique ,ou une amertume de circonstance ??
C'est la continuité de ses réflexions amères sur la réforme régionale mais cette fois c'est au niveau national qu'elle porte son offensive et quelle offensive !!!

Emmanuel Mousset a dit…

Au premier commentaire : non, je n'ai jamais critiqué le parti socialiste. Au contraire, au niveau national comme au niveau local, j'ai toujours sévèrement condamné ceux qui trahissaient sa ligne politique. Ce sont eux qui nous font perdre les élections, en introduisant la division.

Anonyme a dit…

Vous plaisantez je suppose. Vous ne faites que critiquer toujours et partout.
Mieux vous "condamnez", c'est tout dire, ça ne laisse même pas la place au débat.

Emmanuel Mousset a dit…

Est-ce que j'ai une tête à plaisanter ? A Saint-Quentin, je suis le meilleur soutien du gouvernement. Je condamne ce qui est condamnable, c'est-à-dire les "socialistes" félons et renégats. Quant au "débat", il y a des salons pour ça : en politique, on combat.