jeudi 9 octobre 2014

Quand Barto a failli pleurer



J'ai feuilleté en librairie le livre de Claude Bartolone, président de l'Assemblée nationale. Intéressant. Une page m'a cependant interpellé, un moment de sa vie où mon camarade a failli verser des larmes : "j'en aurais pleuré", écrit-il exactement. C'est rare, un homme politique qui se laisse ainsi gagner par l'émotion, et qui l'avoue publiquement. C'est un monde où l'on garde plutôt les yeux secs. Mais quel événement a donc provoqué chez Bartolone un tel état ? La disparition de Mandela, la défaite de la gauche en 2002, des licenciements massifs dans une grande entreprise, ... ? Les occasions de pleurer sont finalement assez nombreuses (et je ne parle que des larmes de souffrance, pas des larmes de joie).

En fait, vous n'y êtes pas : Barto a failli pleurer le 25 août dernier, en voyant à l'île de Sein, lors des commémorations du Débarquement, le président de la République sous la pluie. Voilà l'événement qui l'a touché, qui a remué sa sensibilité, qui l'a conduit au bord des larmes. On se souvient de la chanson de Georges Brassens : "un p'tit coin de paradis, contre un coin d'parapluie". Manifestement, pour Claude Bartolone, le parapluie, c'aurait été, en la circonstance, le paradis, un signe du ciel.

Mais pourquoi cette hyper-émotivité de notre président de l'Assemblée nationale ? Est-ce qu'il craignait pour le costume mouillé du chef de l'Etat ? Non, mais pour son "image" : il demande à François Hollande d'y être "plus attentif" (c'est dans le livre). Merci du conseil, mais depuis quand est-il humiliant, déshonorant, négatif d'être tête nue sous la pluie ? De Gaulle, Mitterrand et d'autres grands de ce monde y ont été confrontés plus d'une fois, et leur "image", loin d'être abaissée, en était relevée : l'homme qui affronte, stoïque, les éléments déchaînés est une beau symbole de force, de volonté et de noble indifférence. A voir cette crâne et virile attitude, on en éprouve un sentiment de fierté, on se dit que la France est dignement représentée, on mépriserait au contraire la venue d'un serviteur en gants blancs abritant peureusement le président sous un grand parapluie. Barto, lui, à l'inverse, a failli en chialer comme un gamin.

L'anecdote m'a frappé, presque troublé : comment le quatrième personnage de l'Etat dans l'ordre protocolaire peut-il en arriver là, réagir aussi puérilement ? L'explication est sûrement dans l'esprit de l'époque, d'autres personnes ayant réagi ainsi : nous avons peur de tout, même de la pluie, nous avons le culte de la sécurité, vive les parapluies !

Mais il y a aussi une explication plus personnelle : le livre de Claude Bartolone s'intitule "Je ne me tairai plus - plaidoyer pour un socialisme populaire". Pourquoi dit-il, un peu bizarrement, qu'il ne se taira plus ? Parce que Bartolone s'est tu toute sa vie : il fait partie de ces hommes politiques, très nombreux, qui se sont construits et qui ont réussi dans le sillage d'un autre, en l'occurrence Laurent Fabius. Une ombre, ça s'agite, mais ça ne parle pas. Barto a toujours collé à Fafa : "je lui apportais tout ce que je pouvais", confesse-t-il, désabusé après 30 ans d'ingratitude. En politique, les suiveurs, les n°2 finissent toujours mal, c'est ma petite théorie.

Aujourd'hui, Bartolone est orphelin, solitaire, écorché vif : un peu de vent chargé de pluie qui souffle sur le chef de l'Etat, et voilà que son coeur s'emballe et que ses yeux rougissent. "Je ne me tairai plus", dit-il rageusement. A 63 ans, il est bien temps.

4 commentaires:

Anonyme a dit…

Que HOLLANDE soit sous la pluie avec les anciens sans précaution particulière; soit ; mais lire son discours sous un déluge avec des lunettes de comique américain, c'est là où son attitude a fait rigoler une majorité de gens ... Et quand on dit lire ce discours , c'était en réalité ânonner.

Emmanuel Mousset a dit…

Habité par l'esprit de dérision de notre époque, vous ramenez tout à la rigolade. C'est dommage.

Anonyme a dit…

Je ne vois vraiment pas pourquoi les hommes politiques pourraient ne pas être émus voire pleurer.

Emmanuel Mousset a dit…

Oui, mais pas pour une histoire de parapluie.