mercredi 12 novembre 2014

Je cherche après Titine



"Etre plein à craquer" : c'est une expression très convenue. Mais il se trouve que c'est la plus juste pour qualifier l'affluence, hier soir, dans la salle du Splendid, à l'occasion du spectacle "La Grande Guerre en concert". Il y a des initiatives qui marchent, qui mobilisent la grande foule, et d'autres qui n'attirent pas : il faut toujours se demander pourquoi. Le succès a ses raisons. La gratuité n'explique pas grand chose : j'ai connu des entrées libres qui n'intéressaient pas. Le bénéfice revient aussi à la Municipalité, qui délègue aux associations ce type d'événements et leur assure un soutien massif, provoquant adhésion, reconnaissance et sympathie.

La Grande Guerre, avec son Centenaire, est dans l'air du temps. Cette tragédie, un siècle après, nous parle, à plusieurs voix, comme je l'ai dit dans mon billet d'hier. C'est le fond de la réussite populaire. Mais il y a aussi et surtout l'idée et la qualité du spectacle : illustrer le conflit par des musiques et des chansons. Francis Crépin, en présentant la soirée, a souligné combien le choix n'était pas évident : traiter en concert et en chorale ce que d'aucuns ont qualifié de "boucherie" ne va pas de soi. Pourtant, les airs et les chansons traduisent aussi bien une époque qu'une conférence savante.

Nous avons été gâtés. Techniquement, c'était parfait. Quand on pense que ce sont des bénévoles qui prennent de leur temps, qui travaillent à nous offrir une telle performance, bravo ! La première partie était assurée par l'Orchestre d'Harmonie et la Batterie Fanfare, la seconde par la Grande Chorale de Saint-Quentin. L'un et l'autre ont été éblouissants. La salle s'est bien sûr levée aux premières notes de la Marseillaise, et des chansons populaires ont été reprises en choeur. La musique militaire incite forcément au patriotisme (hommage au jusqu'au-boutiste Georges Clémenceau), alors que la chanson exprime plus souvent le dégoût de la guerre, l'aspiration pacifiste (jusqu'à des textes qui passaient pour scandaleux, "La chanson de Craonne" ou "Maudite soit la guerre"). En ce sens, la soirée était bien équilibrée, dans une tonalité d'ensemble que je qualifierais d'humaniste.

Personnellement, ce qui m'a le plus touché, ce sont ces chansons qui sont, pour certaines, très antérieures à la Première guerre mondiale, dont les airs et les paroles nous sont restés en tête, que nous sommes capables de fredonner bien longtemps après, hors de leur contexte : "Auprès de ma blonde" et "La Madelon", bien sûr, mais surtout, pour moi, "Je cherche après Titine". Ce ne sont pourtant pas des sommets impérissables du génie humain, mais ces textes ont quelque chose d'éternel, sans qu'on sache très bien pourquoi. "Titine", c'est l'amusement, le plaisir, la drôlerie retrouvée, dans une époque qui ne s'y prêtait pas, faite de violence, de souffrance et de mort. En un siècle, il s'en est passé des choses, mais "Titine" est toujours là, on ne l'a pas oubliée, alors même que tant d'autres souvenirs, beaucoup plus importants, ont été effacés.

Moi-même, j'ignore pourquoi j'ai toujours eu cet air en tête, je ne sais plus par qui, comment il m'a été transmis. Mon arrière-grand-mère, qui avait connu la Grande Guerre, s'appelait Célestine, et on l'appelait "mémère Titine". Il y a ce refrain, qui marque, qui entraîne, qui chante de lui-même. Et puis, "Titine", c'est une leçon de vie : nous cherchons tous après Titine, et nous avons bien du mal à la trouver. Mais qui est-elle ? Titine, c'est la quête éternelle des êtres humains, l'objet secret de nos désirs, en qui chacun mettra ce qu'il voudra, un père, une mère, un idéal, l'homme, la femme, l'enfant, l'autre tout simplement, auquel nous tenons, que nous cherchons parce que nous l'aimons, que nous avons perdu ou pas encore rencontré, et que nous ne trouvons pas. Au retour du Splendid, et pour sûrement encore longtemps, j'ai eu et j'aurai "Titine" à l'esprit : "Je cherche après Titine, Titine, ah Titine ! Je cherche après Titine, et ne la trouve pas".

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