mercredi 21 janvier 2015

Apartheid



Dans la bouche du Premier ministre, lors de ses voeux à la presse, le mot d'apartheid appliqué à la France a pu paraître excessif. C'est le moins qu'on puisse dire. Le mot est même plus que ça : il est faux. L'apartheid est un système de séparation des races mis en place en Afrique du sud, délibérément organisé par l'Etat, perçu positivement par lui. C'est donc sans rapport, de près ou de loin, avec les difficultés françaises d'intégration des populations immigrées.

Et pourtant, je pense que le Premier ministre a bien fait de l'employer, précisément parce qu'il est le chef du gouvernement, leader de la majorité parlementaire, homme politique. Utilisé par un sociologue ou un historien, le terme d'apartheid aurait été ridicule et mensonger. Mais le discours politique ne repose pas sur une savante analyse, un commentaire des faits : c'est un langage en action, pour lancer un message, préparer l'avenir, mobiliser l'opinion et les décideurs, faire réagir. De ce point de vue, Manuel Valls a parfaitement réussi, et ceux qui lui reprochent son excès témoignent en réalité qu'il a visé juste.

Le début d'année tragique que la France a connu ne peut pas se panser (ni se penser) avec seulement des considérations morales, aussi indispensables soient-elles ("je suis Charlie"). Il faut aborder le fond de la situation. Il y a bien sûr des mesures symboliques, mais secondaires, pas essentielles (la Marseillaise à l'école, le service civique, voire national). Si c'était aussi simple que ça, ce serait tellement mieux ! Mais il ne faut pas non plus chercher à se rassurer à bon compte. Il y a évidemment les élémentaires mesures de protection, militaire, policière, législative, informatique. Là aussi, on ne touche pas au noeud du problème, qui est économique et social.

A première vue, le terrorisme islamiste, puisque c'est lui notre ennemi, de l'avis de tous, n'a rien à voir avec la crise économique et le délitement social. Les fanatiques proviennent de tous les milieux, et n'ont pas besoin d'être des miséreux pour passer à l'acte sanglant. Il y a cependant une leçon historique, quel que soit le type de terrorisme : c'est qu'il recrute sur un terreau de mécontentement, de protestation, de colère et de misère. Sans cette base, il est vite asséché. Les jeunes terroristes français ont vécu dans des milieux difficiles, tant au plan familial que social. L'origine du mal est là, même si sa croissance est causée par des éléments extérieurs, d'actualité internationale.

Je crois que c'est le signal fort que le Premier ministre a voulu adresser aux Français, par l'intermédiaire de la presse, en se saisissant du mot surprenant d'apartheid. Il aurait pu dire : ghetto, ségrégation, discrimination, exclusion, l'idée aurait été exactement la même, mais le terme beaucoup moins fort. Nous n'aurions pas retenu ces expressions rebattues, devenues, à force, indolores. Le recours à apartheid fait mal, est fait pour ça. Car c'est aussi toute la classe politique, les gouvernements successifs et les collectivités territoriales qui se sentent, du coup, responsables. Ce mot n'avait jamais été employé par une autorité d'aussi haut niveau : le choc invite à la prise de conscience.

Manuel Valls a enfoncé le clou en précisant : apartheid territorial, social, ethnique. C'est l'évidence, le bon sens, le principe de réalité : des communautés d'origine immigrée de plus en plus entre elles, dans des cités misérables, livrées à la drogue, à la violence, à l'insécurité, avec des taux de chômage monstrueux. Le voilà, l'apartheid, et le terrain duquel, demain, surgiront de nouveaux terroristes, si rien n'est fait, si aucun avenir n'est promis à ces populations et à leurs jeunes. Le Premier ministre a opportunément rappelé les émeutes incroyables d'il y a dix ans, qui ont obligé le gouvernement d'alors a décréter l'état d'urgence, qu'on n'avait vu que durant la guerre d'Algérie ! La mesure de la situation a-t-elle vraiment été prise depuis ?

Guerre aux terroristes, oui. Mais aussi guerre au chômage, à l'habitat dégradé, aux trafics illicites, à la misère sociale. Guerre à l'apartheid !

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