mercredi 28 janvier 2015

Cabezas entre en guerre



Depuis plusieurs mois, à Saint-Quentin, c'est la mobilisation générale, à cause du centenaire de la Grande Guerre. Nous sommes tous en bleu horizon. Hier soir, Hervé Cabezas, conservateur du musée, a mis à son tour sac au dos. Pourtant, cet homme raffiné n'est pas du genre poilu. Mais il nous a gratifiés d'une belle conférence sur "l'empreinte de la guerre de 1914-1918 dans les collections du musée Antoine Lécuyer". Au préalable, le thème a fait l'objet d'un article dans la Revue des Musées de France à la fin de l'an dernier, auquel vous pourrez utilement vous rapporter.

Hervé Cabezas nous revient du Japon, en mission professionnelle. C'est donc par la fameuse courbette de déférence qu'il a salué ses invités. Le micro en main, qu'il tient comme une coupe de champagne, il a présenté à tous ses meilleurs voeux, dans un esprit très parisien : ses souhaits n'ont pas porté sur arrêter de fumer ou moins manger de chocolat (les gens de la capitale savent les soucis de ligne), car ces bonnes résolutions ne sont jamais tenues. Non, Monsieur le conservateur nous a conviés à une visite trimestrielle d'un musée de Picardie, à commencer par celui de Beauvais, récemment rénové.

Après cette élégante et amusante introduction, il en est venu au vif du sujet : non pas la représentation de la Première guerre mondiale dans les oeuvres du musée, mais plutôt comment ses collections ont été remodelées par le terrible événement. Au tout début, la première réaction a été de cacher nos trésors aux occupants. Mais les Allemands ont très vite tenu à les préserver, dans un souci de propagande, pour démentir la réputation de pillards et de barbares qu'on leur faisait. Ce qui n'a pas empêché les déprédations, comme ce tableau de Francis Tattegrain servant de porte pour se protéger du froid, et qui a fini évidemment en lambeaux ! Lorsque Saint-Quentin a été vidé de ses habitants en 1917, les collections du musée ont été transportées à Maubeuge. Ces départs sans inventaire ont entraîné de nombreuses disparitions, par exemple les pièces d'archéologie mérovingienne ou les 3 500 monnaies d'or et d'argent.

Il parait qu'il y a un dieu pour les ivrognes. Il y en a aussi un, manifestement, pour les conservateurs de musée. Au bout d'un demi-siècle jusqu'à nos jours, des oeuvres réapparaissent, en Allemagne, en Angleterre ou ailleurs, dans des salles de vente. Ainsi, la "Mort de Lucrèce", tableau de Jérome Preudhomme, a été retrouvée et rachetée en 1976. Et puis, il y a des découvertes à la façon du capitaine Haddock, tombant presque par hasard sur le trésor de Rackham le Rouge dans la crypte du château de Moulinsart : Hervé Cabezas a retrouvé une partie de la collection mérovingienne de Théophile Eck, dans une caisse de bouteille d'eau d'Evian oubliée dans un coin du musée !

Si les dieux de l'art nous sont propices, il faut aussi compter sur les efforts des hommes. Certaines absences sont remplacées, la perte d'un pastel étant compensée par l'acquisition d'un nouveau. Avec l'argent des dommages de guerre, des achats viennent compléter les collections. Et puis, il y a ces émouvantes histoires de restitution, quand un particulier se rend compte, chez lui, en Allemagne, que le bel objet rapporté par son grand-père est accompagné d'une étiquette jamais aperçue, qui désigne le propriétaire. Un siècle après, l'honnêteté et l'amour de l'art conduisent notre homme sur les chemins de Saint-Quentin, jusqu'à la porte de son musée, pour une rencontre inattendue et heureuse avec son conservateur et un retour aux origines pour l'oeuvre.

A la fin de sa conférence, Hervé Cabezas nous a tendu une dernière coupe de champagne (verbale) en évoquant la ville de Detroit (qu'il prononce à l'américaine), capitale de l'automobile en faillite, dont les habitants ont préféré sacrifier l'augmentation de leurs retraites à la disparition de leur musée. Prenant bien soin de ne faire aucune analogie avec Saint-Quentin (qui aurait pu provoquer un incident diplomatique), le conservateur a simplement voulu annoncer, dans ce mélange de sérieux et d'humour qui le caractérise, la création d'une nouvelle association, les amis du musée Antoine Lécuyer, 20 ans après la disparition de la première association. Les membres fondateurs se sont alors exprimés, en la personne de François Gascoin, entouré de Maryse Trannois, Pomme Legrand et Annette Poulet.

Monsieur le conservateur nous a alors quittés sans tarder, pour ne pas rater le train de 20h16, le dernier pour Paris. Je l'imagine roulant vers la capitale, la tête pleine de préoccupations artistiques, rejoignant, une fois arrivé, des salons littéraires et mondains, conversant et trinquant avec des intellectuels et des esthètes, durant toute la nuit, avant de retrouver le lendemain son bureau de Saint-Quentin. Mais je me demande si je n'ai pas un peu forcé hier soir sur la coupe de champagne, même virtuelle.


En vignette : Madame Satan. Séduction, tableau de George Achille-Fould, qui illustrait l'invitation à la conférence. Observez bien le visage, on dirait Annette Poulet, qui pourtant n'a rien d'un démon !

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