lundi 12 janvier 2015

Génération Charlie ?



Difficile de juger d'un mouvement collectif sur l'instant. Nous verrons dans quelques semaines, dans quelques mois ce qu'il en restera. Mais, de fait, le phénomène social est bien là, massif, inédit, historique. "Je suis Charlie" est peut-être plus qu'un slogan d'indignation face à une ignoble tuerie : c'est un mode d'identification qui porte loin, qui remet en question les mobilisations citoyennes traditionnelles, qui peut ouvrir sur de nouvelles perspectives. Ce que je note surtout, qui est impressionnant, c'est que l'élan a été totalement spontané, que sa force doit tout au peuple motivé et rien aux partis, syndicats et associations. C'est un soulèvement sans leader, sans organisation, sans récupération. Il faudra y réfléchir et se demander quelles suites lui donner.

En ce qui me concerne, je suis Charlie depuis très longtemps. D'abord, c'est une question d'âge : quand on est adolescent dans les années 70, on lit le journal de Cavanna et Choron. Longtemps après, j'ai beaucoup apprécié la période où l'éditorialiste était Philippe Val, dont j'ai souvent commenté dans mon précédent blog les réflexions. Ma dernière référence à Charlie, c'était le jour de Noël, quand j'ai dit tout le bien que je pensais de son numéro hors-série sur "la véritable histoire du petit Jésus". Je fais en quelque sorte partie de la "génération Charlie", canal historique.

Aujourd'hui, il y a une "génération Charlie" paradoxale, un peu déroutante. Par exemple, l'établissement scolaire, catholique et privé, Saint Jean La Croix, à Saint-Quentin, a rempli sa façade vitrée du fameux slogan (en vignette), alors que l'équipe de Charlie hebdo revendiquait le droit au blasphème, qu'elle a pratiqué de nombreuses fois, les cathos en faisant souvent les frais. Mais je me réjouis bien sûr de cette ouverture d'esprit.

En revanche, logique est le soutien de Didier Perrier, de la compagnie théâtrale L'Echappée. Samedi soir, à l'issue de la représentation de sa dernière pièce "Y'a d'la joie", au centre social Europe, Didier a manifesté sa solidarité à "Charlie", non pas en reprenant le slogan, mais en lançant : "vive l'art, vive la création, vive l'insolence, vive la vie, nom de dieu !" sous les applaudissements du public.

Le Cinéquai02, lui aussi, est Charlie, puisqu'il projettera le 21 janvier, à 20h00, le documentaire de Daniel Leconte, sorti en 2008, "C'est dur d'être aimé par des cons", qui relate le procès intenté au journal par des organisations musulmanes, après la publication des caricatures de Mahomet. J'avais passé ce film en son temps, dans le cadre du ciné philo. Cette fois, c'est le journaliste Manuel Caré qui animera le débat. La recette sera intégralement reversée à Charlie hebdo.

Tout le monde se revendique de la "génération Charlie" ? Non, pas tous. Les communistes de Saint-Quentin, qui ont l'esprit rebelle, font de la résistance, Corinne Bécourt, leur secrétaire de section, en tête. Ils partagent l'émotion générale, défendent la liberté d'expression, condamnent les attentats mais refusent d'entrer dans l'élan d'union nationale, qu'ils voient comme une manipulation de l'opinion. Pour eux, il n'a pas été question de défiler avec Merkel, Sarkozy, Junker et Hollande, qui ont une part de responsabilité dans la tragédie, étant des impérialistes, des "va-t-en guerre", des financeurs du terrorisme. Point de vue étonnant, iconoclaste, que je ne partage pas du tout, mais que j'ai tenu à restituer aussi honnêtement que possible. Les voix dissonantes, c'est ça aussi la liberté, la démocratie.

1 commentaire:

Erwan Blesbois a dit…

Les événements récents nous ont privé d'un débat sur le dernier livre de Houellebecq, qui n'aura peut-être plus jamais lieu. En fait je pense que l'ennemi de Houellebecq n'est ni l'islam (sans parler de l'islam radical), ni le FN ; mais le libéralisme économique et les valeurs qu'ils véhiculent. Des valeurs formatées pour les petits bourgeois, du prêt à penser pour les petits bourgeois ; comme on nous fournit du prêt à penser pour les morts de Charlie, je n'entrerai pas dans ce piège à cons. Houellebecq imagine la victoire sans triomphe et sans violence d'un islam modéré sur la France et par extension probablement sur l'Europe et je crois que cela lui fournit un soulagement. Le soulagement d'imaginer que d'autres valeurs peuvent l'emporter sur le libéralisme économique et la frustration radicale qu'il opère sur l'homme moyen contemporain, sans oublier que ces valeurs individualistes sont au fond d'une extrême violence derrière leur aspect inoffensif, et d'ailleurs Bernard Maris qui a publié "Houellebecq économiste", était un ami de Houellebecq et l'un de ses fervents partisans et pourfendeur comme lui du libéralisme économique. Personnellement je définirais ce dernier et toute la pollution qui l'accompagne ( pollution publicitaire, télévisuelle, économique, morale, environnementale etc...) de principe décadent et hypocrite. Un islam modéré, dans une hypothèse très optimiste, pourrait être une occasion de régénération morale et spirituelle. Car l'être humain ne peut s'accommoder d'une morale individualiste, il a besoin de partage, donc de religion. Houellebecq est un cynique qui crache sur les valeurs de la démocratie ou de la république, car ce n'est pas le pouvoir du peuple, mais celui d'une oligarchie qui prend les décision à notre place : nous ne vivons pas selon lui en réelle démocratie, comme le montre le tour de passe-passe sur les traité européen que les peuples ont rejeté, et qui ont finalement été imposés par décret. Le problème est que la violence des islamistes est aveugle et irréfléchie, et qu'elle décime finalement ceux qui pourraient être pourquoi pas leurs alliés, dans une hypothèse modérée.