mardi 31 mars 2015

Leçons de campagne



1- La politique gouvernementale ne doit pas changer. Ce ne sont pas des élections locales qui peuvent infléchir une ligne nationale. Après trois ans de gouvernance social-démocrate et deux qui restent à accomplir, on ne va pas se mettre à réorienter la politique du gouvernement ! Changer à mi-parcours, ce serait la pire des décisions, quoi qu'on pense de cette politique. Et puis, pour faire quoi à la place ? Tirer la leçon des urnes ? Oui, allons-y : les Français ont mis en tête l'UMP et assuré un beau succès au FN. En toute logique, il faudrait droitiser la politique gouvernementale : pas question ! Garder le cap, intensifier les réformes, c'est la seule solution. Le PS a perdu les élections départementales non pas parce qu'il ne gouverne pas assez à gauche (ça veut dire quoi, d'ailleurs ?), mais parce que les résultats se font attendre.

2- Il faut continuer le combat contre le FN. Le grand vainqueur du scrutin, c'est l'extrême droite, si l'on compare avec les précédentes élections cantonales. L'UMP a progressé de quelques points, arrivant en premier, mais le FN a fait un bond en avant, s'implantant désormais dans nos villes et campagnes, captant à son profit une partie de l'électorat populaire qui auparavant votait à gauche. C'est le FN qui peut mettre en échec le PS lors de la prochaine présidentielle : c'est donc lui qu'il faut combattre en priorité, danger pour la République. Le Premier ministre a vaillamment relevé le défi, lancé l'offensive, limité ainsi la casse dans les rangs socialistes : il faut poursuivre cette offensive anti-FN.

3- Le rassemblement de la gauche est possible. Sa division est l'une des causes de la défaite. Mais la désunion n'est pas une fatalité, contre toute apparence. Qu'est-ce qui rassemble ? Soyons réalistes : ce ne sont pas les idées (sinon, les partis ne se mettraient jamais d'accord); c'est la perspective du pouvoir, l'accès aux responsabilités, la répartition des places. En 1981, Marchais et Mitterrand se détestaient, le PCF faisait voter en sous-main pour Giscard. Mais la dynamique de la victoire a conduit les communistes à entrer au gouvernement. Aux primaires citoyennes de 2011, Montebourg, au second tour, a rallié Hollande, alors qu'il était politiquement plus proche d'Aubry. Pourquoi ? Parce que Hollande avait le vent en poupe, parce qu'il incarnait une possible prise de pouvoir. Aujourd'hui, au sein du PS, l'aile gauche, profondément hostile à la politique social-démocrate de Hollande, ne fera pourtant jamais sécession, parce qu'en dehors du parti, elle ne serait plus rien, elle perdrait son peu de pouvoir (bien qu'elle n'ait aucune influence sur la ligne politique actuelle). En politique, le pouvoir est la clé de tout, même quand c'est une petite clé. Le pouvoir, personne ne le refuse, sauf les fanatiques et les philosophes, mais ils ne sont pas très nombreux, surtout au PS. L'approche des présidentielles et des législatives de 2017 rassemblera tout le monde, quand il faudra y réfléchir à deux fois pour préserver ses intérêts électoraux. La politique, en démocratie, est rarement composée de suicidaires.

4- Le parti socialiste doit changer. Des sections exsangues, le fond du panier, les intellectuels qui désertent, des places fortes qui tombent, une immersion dans la société civile qui se réduit comme peau de chagrin, des élus qui gèrent ce qu'il leur reste de clientèles : le PS d'aujourd'hui, c'est la SFIO à la fin des années 60, avant que François Mitterrand ne refonde totalement le parti à Epinay. Il nous faut un nouveau congrès d'Epinay, non pas idéologique (le parti est définitivement social-démocrate), mais organisationnel. Car il n'y a plus vraiment de parti socialiste à la base, malgré les efforts de Camba : la gauche aujourd'hui, c'est l'action gouvernementale. Mais il faut bien une structure large et efficace pour la défendre et la populariser. C'est ce qui nous manque, c'est ce qu'il faut construire.

5- Il faut préparer les prochaines victoires. Les élections régionales, à la fin de l'année, ce sera difficile. Nous resterons probablement dans le prolongement des départementales. L'espoir, ce sont les présidentielles, avec cette fois les résultats de la politique gouvernementale, les divisions au sein de l'UMP, Sarkozy pas forcément meilleur candidat de la droite, le FN siphonnant les voix de l'UMP. Dans ce contexte, Hollande peut jouer sa partie et espérer gagner. La fenêtre de tir est étroite, mais elle existe. La leçon des départementales, c'est que le PS résiste à son étiage traditionnel, 20 à 22% de l'électorat. Par le passé, il a connu des défaites beaucoup plus lourdes, qui ne l'ont pas empêché de gagner quelques années plus tard (cantonales de 1992 et législatives de 1993, vraies catastrophes, mais victoire aux législatives de 1997). Si le PS a beaucoup perdu dimanche dernier, c'est aussi parce qu'il avait beaucoup gagné dans la décennie. Les résultats électoraux ne se jugent pas dans la fixité d'un scrutin, mais à travers une évolution sur plusieurs années. Un mouvement de balancier rythme notre vie politique. De plus, la présente défaite de la gauche a été amplifiée par sa division et la percée de l'extrême droite. Pour être honnête, le parti socialiste n'est pas en grande forme, mas il garde la forme. En attendant de prochaines victoires.

lundi 30 mars 2015

Refondation après défaite



En ce lendemain de défaite départementale pour la gauche, je retiens, dans le flot des interventions, deux d'entre elles, qui me semblent particulièrement pertinentes. D'abord, l'entretien de Julien Dray sur le site de L'Express : je n'ai pas toujours été d'accord avec Juju, mais là, il vise très juste. Un commentaire après un échec électoral, c'est l'exercice le plus difficile. Il le réussit très bien. Son analyse, que je résume : le PS a perdu non pas parce qu'il ne fait pas une politique assez à gauche (le PCF et l'extrême gauche échouent tout autant), mais parce qu'il ne répond pas à des questions devenues lancinantes sur l'identité, la nation, l'Europe, dont s'est saisie l'extrême droite.

Le PS souffre d'un déficit idéologique : il n'a plus l'hégémonie intellectuelle qu'il exerçait autrefois et qui préparait ses victoires électorales. Il lui faut donc renouer avec un projet progressiste, émancipateur et conquérant. Car aujourd'hui, on vote moins socialiste par envie que par fidélité. Julien Dray invite la gauche à se recentrer sur l'éducation et la culture (par exemple en suggérant que 100% d'une classe d'âge accède au niveau bac). Quant au parti socialiste, il peut mourir, s'il ne décide pas de tout changer, du sol au plafond. Cet appel à la refondation me parait plus important que les bisbilles entre courants en vue du congrès. A suivre, donc.

L'autre intervention remarquable est locale, axonaise : c'est la déclaration d'Yves Daudigny, président du Conseil général de l'Aisne, juste avant que ne tombent hier soir les premiers résultats dans le département, qui ne donnent la majorité ni à la droite, ni à la gauche, mettant le FN en position d'arbitre. Il n'est pas possible de vivre pendant 6 ans sous la menace de l'extrême droite. C'est pourquoi une alliance des républicains est nécessaire pour gérer le département, en excluant le Front national, qu'il faut absolument mettre hors-jeu. Yves Daudigny en appelle donc à une majorité de gestion, clairement républicaine, clairement anti-FN. Espérons qu'il sera entendu, jeudi prochain, lors du vote du nouveau président. Belle initiative politique de Daudigny, qui nous quitte ainsi la tête haute !

Julien Dray, Yves Daudigny, deux appels auxquels j'adhère entièrement, que j'applaudis.

dimanche 29 mars 2015

Ouf et bravo !



A l'heure qu'il est, avec les résultats que je sais, mon sentiment est au soulagement et à la gratitude. D'abord, la honte absolue a été évitée : l'extrême droite ne dirigera pas l'Aisne. S'il n'y avait que ce résultat-là, ce serait une grande satisfaction, pour tous les républicains. Mais il y a aussi tous ces candidats de gauche qui, ce soir, ont résisté et gagné : bravo aux communistes de Tergnier et Chauny ; bravo aux socialistes de Laon, de Château-Thierry, de Bohain, de Ribemont.

Une déception et une tristesse : la défaite de Jean-Jacques Thomas, figure du socialisme axonais, premier vice-président du Conseil général de l'Aisne et ancien premier secrétaire du PS départemental, qui s'est beaucoup investi pour son canton et la ville d'Hirson, dont il est maire. Une pensée aussi pour Jean-Pierre Balligand et Yves Daudigny, au moment où l'assemblée départementale change de majorité : depuis 17 ans, sous la présidence de l'un puis de l'autre, la gauche, dans ses différentes sensibilités, a dirigé l'Aisne, dans le sens du développement économique et de la préservation de l'action sociale. Son bilan est bon, sa défaite n'est due qu'au contexte national et à la percée de l'extrême droite. Ce bilan positif, j'ai pu en prendre toute la mesure dans le domaine associatif et éducatif, en tant que président de la Ligue de l'enseignement de l'Aisne (FOL) pendant huit ans. Merci pour cette action !

A partir de demain, une nouvelle page s'ouvre pour la gauche axonaise. Il lui faudra plus d'unité et plus d'ancrage populaire. Une campagne se termine, une autre commence : pour les élections régionales, en décembre prochain. Le début de la reconquête.

samedi 28 mars 2015

L'Aisne en face



Les élections départementales se terminent demain. A tout point de vue, elles feront date, auront été exceptionnelles. Pour la première fois, les médias nationaux (grands quotidiens, magazines, télévisions, radios) et même internationaux se seront penchés sur le sort de notre département. Une notoriété dont on se serait bien passé, regretteront certains. Sans doute, mais les faits sont les faits, il ne sert à rien de se voiler la face ou de refouler la réalité : quels que soient les résultats de demain, l'Aisne, terre pauvre, terre de gauche, s'est dès le premier tour donné au Front national.

Les médias sont-ils responsables de cette montée de l'extrême droite ? C'est l'excuse facile qu'on brandit à chaque défaite, lorsqu'on ne veut pas assumer sa part de responsabilité, en reportant la faute sur les autres. Les médias ont certes beaucoup parlé du FN, mais comment faire autrement lorsque ce parti a le vent en poupe ? Surtout, les médias ont fait connaître les dérapages des candidats du FN, ce qui n'était pas fait pour contribuer à son succès. Plus on parle du FN, plus on révèle sa vraie nature, et c'est très bien comme ça. La mise en accusation des médias, en cette fin de campagne, est donc une réaction paresseuse, irresponsable et malhonnête.

Au contraire, nous avons énormément à apprendre de ce que nous disent les médias. Ils sont un miroir grossissant mais toujours intéressant, qui nous font mieux connaître et comprendre ce que nous sommes. Les élus et les militants n'ont pas forcément la distance et la neutralité nécessaires pour une analyse froide et détachée de la situation. Ils y mettent souvent de l'affect, du personnel et, dans la défaite, beaucoup de ressentiment, de l'auto-justification qui empêchent un regard objectif. L'instinct de survie conduit au repli sur soi, avec sa règle d'or : on n'y est pour rien, on ne change rien, on continue comme avant, en attendant la prochaine défaite.

Il faut écouter et lire les commentaires et les analyses des journalistes, des chroniqueurs, des intellectuels, tout en menant bien sûr notre propre réflexion. Mais ne pas mourir du réflexe de la forteresse assiégée (qui est d'ailleurs en ruines). La défaite n'est grave que si on en tire aucune conséquence, ce qui condamne alors à reproduire l'échec. Dès lundi prochain, la gauche axonaise se posera le problème de sa reconstruction, pour envisager les conditions de la reconquête, pour renouer avec l'électorat populaire qui a rallié le FN (tout le problème est là). Plus question de biaiser ou de nier : il faudra regarder la vérité en face, l'Aisne en face.

vendredi 27 mars 2015

Le mystère derrière la porte



La catastrophe aérienne a comme suspendu l'actualité, notamment les élections départementales. Les multiples médias n'ont parlé que de ça, depuis trois jours. L'énigme au coeur de la tragédie y est pour beaucoup. Notre société rationnelle n'accepte pas l'inexplicable et part en quête d'explications, au risque de forcer ses démonstrations. En quelques heures, les hypothèses se sont multipliées, sans rapport les unes avec les autres, parfois contradictoires entre elles.

L'acte terroriste était la thèse la plus conforme avec ce que nous pouvons comprendre et accepter, avec ce qui fait l'air du temps : un fanatique islamiste, dans la lignée des attentats de ces dernières années, depuis le terrible 11 septembre. Mais aucune revendication n'est venue corroborer cette possibilité. J'ai entendu à la radio un journaliste se demander si le pilote, seul aux commandes, priait durant les 8 minutes de descente fatale : non, le silence, simplement le souffle de sa respiration, normal, calme.

A défaut d'attentat, les explications se sont tournées vers le suicide : mais met-on fin ainsi à ses jours, en entraînant dans la mort 150 personne ? Ce n'est plus un suicide, c'est un crime de masse. Mais pourquoi ? Alors s'est fait jour l'hypothèse de la maladie, et d'abord le burn-out, c'est-à-dire, en bon français, le stress, le surmenage. Ca ne colle pas non plus avec la démesure meurtrière du geste, qui ne peut pas s'expliquer par une fatigue excessive ou extrême. Pour l'heure, il reste une dernière théorie : la dépression. Sauf qu'un dépressif n'est pas en soi un meurtrier. Nous tournons en rond, nous ne comprenons pas. Les recherches rationnelles se poursuivent, et nous aurons sans doute de nouvelles pistes dans les prochaines heures, dans les prochains jours.

La raison est notre divinité contemporain : nous pensons pouvoir rendre compte de tout, logiquement. Et si la vie était aussi faite de mystère, d'irrationnel, de folie, qui échappent à toute analyse scientifique ? Nous avons besoin d'être rassurés, de vivre en sécurité, de nous reposer sur des certitudes. Mais la réalité est-elle conforme à nos désirs ? Nous voulons connaitre la vérité : qui peut affirmer que celle-ci existe ? Autrefois, la religion était pourvoyeuse d'explications : les drames étaient renvoyés au Diable ou à Dieu, à un monde surnaturel qui était censé justifier les malheurs de l'humanité. Aujourd'hui, nous n'y croyons plus, il nous faut chercher ailleurs, et c'est beaucoup plus compliqué. La foi avait l'avantage de la simplicité, et réponse à tout.

Dans les journaux et émissions télévisés, il y a eu une inflation d'interrogations et d'explications techniques, très détaillées, parfois surprenantes. Devant l'énormité et l'anormalité de la tragédie, la technique est requise pour tenter de cerner le problème, repérer une irrégularité, désigner une responsabilité. Là aussi, l'obsession de vérité est vaine, n'apprend rien, décrit une situation mais n'explique pas. Les commentaires se veulent préventifs, en imaginant ce qu'il faudrait faire pour que l'horrible événement ne se reproduise pas.

La pensée fait de nouveau du sur place, piétine, aboutit à des paradoxes ou à des contradictions : la porte du cockpit doit-elle être accessible de l'extérieur ? Ce serait la solution, et ce n'est pas la solution, puisque la porte est close de l'intérieur pour éviter justement tout acte de terrorisme ! Hier soir, à C dans l'air, il a été débattu pendant de longues minutes pour savoir si les toilettes de l'équipage devaient se trouver à l'intérieur ou à l'extérieur de la cabine de pilotage, sans aboutir à une réponse pertinente et définitive. Quant aux psychologues et psychiatres, mobilisés sur les plateaux de télévision, ils ne parviennent pas, eux non plus, à nous convaincre.

Mais quelle importance ? Quand nous aurons compris ce qui s'est passé derrière la porte, notre curiosité rendra-t-elle la vie aux victimes et consolera-t-elle les familles ? Depuis le début de cette tragédie, l'indécence à réclamer des détails, à se gaver d'hypothèses s'étale un peu partout, sous couvert d'émotion, qui aujourd'hui absout tout. Peut-être faudrait-il, au contraire, ne rien dire, garder le silence, ne pas chercher à comprendre, pleurer les morts et attendre, avec patience, le résultat des enquêtes. Pour cela, il faudrait accepter que la nature humaine souffre d'une part irréductible d'obscurité, de maléfice et de mort. Le mystère derrière la porte ne sera peut-être jamais dissipé.

jeudi 26 mars 2015

Philosophie du fait divers



Je vous invite à me retrouver samedi prochain, de 15h00 à 16h30, dans le hall de la bibliothèque municipale Guy-de-Maupassant, où je donnerai une conférence sur le thème : Philosophie du fait divers. Le rapprochement des termes peut sembler incongru : les faits divers naviguent entre l'insignifiant et le sordide ; quoi d'intéressant la réflexion peut-elle en tirer ?

En matière de presse, le fait divers a plutôt mauvaise réputation, suscite souvent le mépris. Le magazine Détective est sans doute le meilleur symbole de cette opprobre. Pourtant, à la télévision, les émissions de faits divers se multiplient, et les actualités elles-mêmes s'ouvrent de plus en plus à ce type de sujets. Il est donc pertinent d'interroger le sens du fait divers, sa fonction dans la société et ce qu'il nous apprend sur la nature humaine. Cette conférence-débat aura lieu dans le cadre de la Semaine de la Presse.


En vignette : le Dictionnaire amoureux des Faits divers, de Didier Decoin, paru en décembre dernier, chez Plon.

0+0+0=FN



Il y a deux façons de s'opposer au Front national : soit partir de nos propres valeurs, républicaines, qui sont contraires à celles de l'extrême droite xénophobe ; soit partir des propos du FN, pour démontrer leur inanité et leur danger. C'est ce deuxième angle d'attaque que je choisis aujourd'hui, me basant sur les déclarations des candidats frontistes de Saint-Quentin, lors d'une conférence de presse, rapportée dans L'Aisne nouvelle du jour. Ces déclarations sont sidérantes d'incompétence et d'irresponsabilité. Il est inconcevable qu'un citoyen raisonnable, quelle que soit sa sensibilité, accorde ses suffrages à un tel parti et à de tels candidats. Je relève et commente les affirmations principales :

1- "Nous sommes inconnus de la vie politique, mais de vrais acteurs de la vraie vie !" (Sylvie Saillard) Un électeur raisonnable va-t-il confier le sort du département à des inconnus, qui ne connaissent eux-mêmes rien du Conseil général ? Non. Quant aux "vrais acteurs de la vraie vie", que signifie cette jolie formule ? Rien, rien du tout. A-t-on vu les candidats locaux du Front national engagés dans la vie associative ou syndicale, dans les événements publics de notre ville ? Non, jamais. Ils n'ont qu'une existence privée, sans aucun état de service auprès des Saint-Quentinois. Ils sont les mauvais acteurs d'une fausse vie, rien de plus.

2- "On ne sait pas qu'on peut venir vers vous" (Sylvie Saillard). C'est une bien piètre explication pour justifier leur absence de communication et de contact avec les journalistes. Or, le minimum qu'on puisse exiger d'un homme public, c'est qu'il s'adresse à la presse, qu'il rende compte de ce qu'il veut et de ce qu'il fait. Si les candidats du FN ne savent pas cela, qui va de soi, qui est connu de tous, c'est qu'ils ne savent rien, c'est qu'ils ne sont pas de taille à assumer des responsabilités publiques.

3- "Il faudrait moins de personnel, moins de frais de communication" (Christine Ledoray). Voilà l'unique mesure du FN s'il était à la tête du département. C'est le degré 0 de la politique. Quand on a rien à proposer, on propose ça : moins de personnel, moins de frais de communication. Sans se demander bien sûr si les personnels n'ont pas leur utilité, si la communication n'est pas un outil de développement dans la société moderne. Mais non : taper sur le personnel et sur la com, ça ne mange pas de pain, donc on y va gaiment. Sauf que cette réaction prouve la pauvreté du FN en matière de projets.

4- "Le Département, c'est la même chose qu'une mairie, mais en plus gros" (Christine Ledoray). C'est une formule digne d'un sketch. Dans la foulée, les candidats FN vont nous dire que la Région, c'est la même chose que le Département, mais en plus gros. Et que l'Etat, c'est la même chose que la Région, mais en plus gros. Eh non : chaque échelon a sa spécificité, qui interdit de le réduire à l'échelon inférieur ou de l'augmenter à l'échelon supérieur. C'est une facilité de l'esprit et une illusion de croire que ce qu'on comprend et fait à tel niveau est transférable à un autre niveau. Que les candidats du Front national voient les choses en gros n'étonnera pas : ce n'est ni le sens de la nuance, ni la précision technique qui les étouffent.

5- "Quand on s'intéresse aux choses, il n'y a pas besoin d'avoir une super-qualification. Le bon sens suffit" (Sylvie Saillard). Je veux, mon neveu. Le bon sens, c'est le dernier recours des ignorants, le repli des incompétents, l'argument des irresponsables. Le bon sens n'a aucun sens et n'est pas forcément bon. C'est une formule de radis creux, comme les frontistes en sont capables et qui trahit le vide de leur pensée. A l'opposé, je crois que la politique exige du métier, de l'expérience et des qualités, comme n'importe quelle activité. On ne se présente pas à une élection les mains dans les poches, le nez en l'air, escomptant d'une vague nationale pour obtenir des sièges et n'en rien faire, ou pire.

0+0=la tête à Toto, disions-nous quand nous étions enfants. Aujourd'hui, c'est évident : 0+0+0=la tête du FN, à travers ses trois candidatures locales, pour lesquelles je vous prie de ne pas voter, si vous êtes un tant soit peu sérieux.

mercredi 25 mars 2015

La mort habite François Hollande



La semaine dernière, dans un entretien au magazine Society, François Hollande a prononcé une phrase étrange, un peu choquante, qui ne lui ressemble pas, mais que personne n'a relevée ou commentée : "la mort habite la fonction présidentielle". C'est ce que le président répond à la question de savoir ce qui change lorsqu'on exerce le pouvoir suprême, lorsqu'on est à l'Elysée. A quoi pensait-il exactement ? Car cette réponse n'a rien d'évident, prête à contestation.

D'abord, c'est une formule très mitterrandienne, pas du tout hollandaise. Le premier François affichait des préoccupations métaphysiques, était obsédé par l'idée de la mort, visitait fréquemment les nécropoles, s'interrogeait sur l'au-delà. Ses derniers voeux aux Français étaient imprégnés d'une forme de spiritualisme ("je crois aux forces de l'esprit ; d'où je serai, je ne vous oublierai pas", cité de mémoire). On n'imagine pas notre actuel François, badin, guilleret, dans ce souci-là. Mais sait-on ? Peut-être que les fantômes du palais présidentiel lui inspirent de telles pensées.

Car l'Elysée est aussi un lieu où l'on meurt, ou presque : Pompidou bien sûr, de Gaulle et Mitterrand, un an après leur départ. Un homme y a même mis fin à ses jours, encore un François, de Grossouvre celui-là. La mort habite la fonction présidentielle, certes, mais elle habite chaque homme, président ou pas. Sauf que notre société n'en parle guère, refoule la mort et la vieillesse, prolonge la durée de l'existence, repousse au plus tard l'instant fatidique. La déclaration de François Hollande a donc quelque chose de décalé, d'inactuel, presque de déplacé, au regard de l'état d'esprit d'aujourd'hui. Notre chef d'Etat serait-il devenu comme l'un de ces empereurs romains, philosophes et stoïciens, méditant sur leur propre disparition, à la façon de Marc-Aurèle ?

Mais cette mort qui habite François Hollande, c'est peut-être celle des autres, surtout ces dernières semaines, qui ont été marquées par plusieurs événements dramatiques : les attentats terroristes de janvier, les victimes de l'émission Dropped, la tuerie de Tunis, la catastrophe aérienne d'hier. Nous avons l'impression, ces temps-ci, que le président de la République n'est plus dans la gestion quotidienne du pays, mais dans une autre dimension, celle de la tragédie humaine.

Je vois une autre explication à l'étrange formule : le chef d'Etat est chef de guerre, il a engagé la France dans des conflits extérieurs. Faire la guerre, c'est donner la mort. Et puis, sur son bureau, il y a le bouton de l'arme atomique : en matière de mort, voilà qui fait réfléchir ... Pourtant, François Hollande aurait pu s'exprimer autrement, dire que la puissance, la vie et, pourquoi pas, au choix, l'amour habitaient la fonction présidentielle. Je pense que le propos du président en dit beaucoup plus sur lui que sur la fonction qu'il occupe : et s'il avait cessé d'être ce "président normal" qui a fait son succès électoral, pour s'élever désormais à une certaine gravité, pour atteindre à quelque chose de plus essentiel, très au dessus des contingences ordinaires ?

mardi 24 mars 2015

Ne pas se tromper



Après l'élimination des candidats socialistes et communistes dans les trois cantons de Saint-Quentin dès le premier tour des élections départementales, on pourrait penser que la campagne est terminée pour la gauche. On pourrait même penser que cette gauche locale, battue pour la troisième fois par le Front national, après les cantonales de 2011 et les municipales de 2014, est en voie de disparition. Son électorat a de quoi être déboussolé, démobilisé, désespéré. Et pourtant, il n'en est rien. Une gauche qui échoue n'est pas une gauche qui disparait. Surtout, l'issue du vote, dimanche prochain, est entre les mains de la gauche, en position d'arbitre dans les trois cantons. Ce sont les prises de position de ses leaders et le choix de ses électeurs qui décideront de la victoire de l'UMP ou de la victoire du FN.

Evidemment, la situation a quelque chose de cornélien : la gauche qui vient en aide à l'UMP pour faire barrage à l'extrême droite ! Dans le canton sud, l'ironie du sort est encore plus cruelle : devoir voter pour Freddy Grzeziczak, longtemps à gauche, maintenant à droite, ce n'est plus Corneille, c'est Labiche. Heureusement, la politique n'est pas une affaire de sentiment mais de raison, ni tragédie, ni comédie. Il faut savoir ce que l'on veut : trois cantons à l'UMP ou trois cantons au FN, au risque de voir le département géré par l'extrême droite. Pour moi, le choix est vite fait : j'irai voter UMP, sans hésitation, sans ressentiment. Le pire, l'irresponsabilité absolue, ce serait de sortir de la campagne, ne plus se sentir concerné, demeurer indifférent à la suite des évènements, tourner la tête ailleurs : non, dimanche prochain, nous irons voter, nous continuerons à lutter contre le Front national, en attendant de préparer des jours meilleurs pour la gauche.

Il ne faut pas se tromper de vote : l'abstention serait une catastrophe. Il ne faut pas non plus se tromper d'analyse : la gauche n'a pas perdu à cause de la politique gouvernementale, dont le parti socialiste doit être fier et se faire l'ardent défenseur. Les gens ne votent pas à droite, encore moins à l'extrême droite, parce qu'ils trouvent que la politique du gouvernement ne serait pas assez à gauche : après Corneille et Labiche, ce serait Ionesco et son théâtre de l'absurde ! Non, la raison est beaucoup plus simple, beaucoup plus banale : les électeurs votent FN parce qu'ils sont séduits par le discours autoritaire, nationaliste et xénophobe de l'extrême droite. C'est un vote d'adhésion, pas un vote de protestation. Et c'est le devoir de la gauche de le combattre, d'en faire son premier adversaire. Le Premier ministre a montré le chemin : grâce à lui, le PS a limité les dégâts (certes encore trop nombreux). Il faut poursuivre dans cette voie, jusqu'à dimanche, et bien sûr au-delà, y compris à Saint-Quentin.

Ne pas se tromper de vote, ne pas se tromper d'analyse : enfin, ne pas se tromper de responsabilité. Parmi les trois cantons, un seul était vraiment gagnable par la gauche : Saint-Quentin sud. Si elle est disqualifiée dès le premier tour, ce n'est pas à cause de l'UMP, ni à cause du FN : c'est la faute de la gauche elle-même, qui n'a pas su se rassembler. On peut aller jusqu'à dire que son comportement a été suicidaire. Aucune responsabilité individuelle dans ce désastre électoral : comme toujours en politique, la responsabilité est collective.

Je peux comprendre que le PCF local, très hostile à la politique gouvernementale, ait pu faire cavalier seul. Mais le Front de gauche, dont les candidats ont déjà fait équipe avec le conseiller général sortant (par ailleurs IDG, et pas socialiste), aurait pu s'unir à lui, y gagner éventuellement un élu. Dans d'autres cantons, le Front de gauche a fait alliance avec le sortant (généralement socialiste). Pourquoi ne pas l'avoir fait à Gauchy? Et pour quel résultat, au final ? Devoir soutenir le candidat de l'UMP, l'ancien MRC Freddy Grzeziczak ! Nous voilà bien avancés ! Attention : je ne jette pas la pierre au Front de gauche, je rappelle que la responsabilité est imputable à l'ensemble de la gauche, qui n'a pas su anticiper cette déplorable situation. L'absence d'un leader fort sur le Saint-Quentinois, capable d'imposer une autorité, à l'instar à droite d'un Xavier Bertrand ou d'un Pierre André, n'est pas non plus étrangère à ce désastre.

On peut se tromper une fois, deux fois, trois fois, on ne peut pas se tromper toujours. Dimanche prochain, pour cette fois, ne nous trompons pas.

lundi 23 mars 2015

Tu aurais pu vivre encore un peu



Nicolas n'était pas un notable, ni un associatif, ni un élu : simplement un chanteur, un animateur, un champion de karaoké, un amateur de chansons françaises. Mais dans le coeur de bien des Saint-Quentinois, il était plus important qu'un notable, qu'un associatif, qu'un élu. Surtout parmi le petit peuple, qui lui a rendu un bel hommage, en fin d'après-midi, devant le café de l'Univers, où il venait souvent divertir. Ils étaient 200. Nicolas a eu droit aux honneurs de la presse, à la présence d'une conseillère générale, d'une adjointe au maire et d'un conseiller municipal.

Nicolas, c'était la modestie, la gentillesse, le dévouement. Il aimait faire plaisir dans l'art qui était le sien et sa passion. Pour le reste, la vie n'a pas toujours été tendre avec lui. Je crois qu'on peut lui décerner ce très beau titre, qui vaut toutes les médailles : chanteur populaire. Un mur de photographies rappelait les bons moments de son existence (vignette 1 et 3). Un écran de télévision faisait revivre ses interprétations (vignette 2). Un cahier de témoignages recevait nos derniers messages (vignette 4), pendant que des chansons passaient en boucle, dont celle de Jean Ferrat : Tu aurais pu vivre encore un peu. Qu'importe, Nicolas a bien vécu, et il nous a aidés à vivre. Nous garderons de lui sa voix et ses chansons. Au revoir Nicolas.

De la résistance à la reconquête



Dans la défaite, il n'est pas facile de rester digne. On se laisse souvent aveugler par l'échec. C'est le coup de sang, l'esprit de ressentiment, le déni de réalité. Le pire, c'est de se dégager de toute responsabilité, faire porter le chapeau à d'autres. Quand on est candidat et qu'on perd, on assume. Les analyses de fond viendront après, elles sont forcément complexes, notamment pour une élection qui se joue dans chaque canton. Pour l'instant, nous devons avoir une seule obsession : l'Aisne ne doit pas passer au FN !

Rien n'est perdu pour dimanche prochain. Dans plusieurs cantons, la gauche peut gagner. C'est la mobilisation qui va en décider. La majorité départementale peut-elle être sauvée ? Je n'en sais rien, personne ne sait, on peut craindre que non, il faut pourtant espérer que oui, faire tout dans cet objectif. Ce n'est pas le moment de baisser les bras. Au niveau national, Manuel Valls a réussi à freiner la montée du Front national, à réduire les pertes à gauche. Dans l'Aisne, il faut prolonger cette ligne, dénoncer le danger de l'extrême droite, ne pas se laisser tétaniser par ses succès. Ne pas prendre de gants, dire les choses telles qu'elles sont : le FN, c'est l'aventure, au plus mauvais sens du terme.

Je ne veux citer ce soir qu'un seul homme, un camarade, lui rendre hommage : Yves Daudigny, président du Conseil général de l'Aisne, chef de la majorité départementale. Il s'est battu, il a perdu, mais il a conservé cette dignité dont je parlais au début : Yves aurait pu se maintenir, être présent au second tour. Certains, à sa place, stupides, inconscients, aveugles, l'auraient fait. Pas lui, qui a assumé, qui s'est retiré. Il a désormais son bilan pour lui, qui est bon, à la tête du département. La vie continue, et le combat politique. Pour lui, pour nous. Résistance aujourd'hui, reconquête demain.

dimanche 22 mars 2015

Front républicain dès demain !



Dans les trois cantons de Saint-Quentin, tous les candidats de gauche sont éliminés, distancés de très loin par l'extrême droite et la droite (je ne donne pas les chiffres, directement accessibles sur les sites de la presse locale, auxquels je vous renvoie). Sur le canton de Gauchy, la défaite est un peu moins nette, mais sur une terre traditionnelle de gauche, la disqualification pour le second tour du conseiller général sortant est sévère. Surtout, la première place obtenue par le FN est catastrophique. Le PCF est à un niveau marginal, même s'il résiste mieux dans le canton nord, mais le PS n'y avait pas présenté de candidat.

Pour le second tour, la gauche ne peut pas demeurer spectatrice des duels UMP-FN dans les trois cantons. Il lui faut choisir, d'autant que les résultats obtenus par la droite et l'extrême droite sont très proches et l'issue incertaine. Le principe de front républicain s'impose : pas une voix supplémentaire pour l'extrême droite, barrage au FN, soutien actif aux candidats républicains ! C'est un impératif, surtout dans le canton de Gauchy, où le FN est en tête, de dix points.

Heureusement, ces résultats dramatiques ne sont pas à l'image de la France. La République est sauve, le FN n'est pas le premier parti de notre pays, le PS résiste assez bien, en tout cas mieux que prévu. Nous le devons à la stratégie de Manuel Valls : combat sans concession contre l'extrême droite, défense sans réticence de la politique gouvernementale. C'est peut-être ce qui aura manqué aux candidats de gauche dans les cantons de Saint-Quentin, qui ont seulement fait campagne sur la gestion départementale, alors que le scrutin se nationalisait et se politisait semaine après semaine. Mais, à ce niveau de défaite, l'explication est plus structurelle que conjoncturelle. Il faudra y revenir et prendre les décisions qui s'imposent.

La grande marée



Après le déclin du soleil vendredi matin, c'est l'océan qui s'est révolté hier, à travers la grande marée, comme si un phénomène en déclenchait un autre. La nature veut nous dire quelque chose, avec ses mots à elle, c'est certain ; sans doute nous lancer un avertissement. La lumière qui diminue, l'eau qui submerge la terre : ce sont des signes inquiétants.

La marée renvoie à Noë, au Déluge. La mer monte, elle pourrait, en continuant, engloutir toute la civilisation. Cette eau est violente, destructrice, meurtrière. Elle charrie des épaves, des cadavres, une écume malodorante. Même les digues qu'on croyait les plus puissantes ne suffisent pas à l'arrêter. Marée fait penser à marécage : l'impression d'un enlisement. Qu'est-ce qui est plus terrible que l'incendie ? L'inondation. On peut éteindre le feu, on ne peut pas vider la mer avec ses mains. La grande marée souligne notre impuissance devant ce qui est vécu comme une fatalité.

Je ne veux pas être aussi pessimiste. On nous dit que nous aurions affaire à la marée du siècle : c'est faux ! L'époque exagère tout. Ce genre de caprice naturel agite régulièrement l'océan. Et puis, aussi énorme soit la marée, elle atteint toujours une limite au-delà de laquelle elle ne peut pas aller. Enfin, fatalité pour fatalité, l'eau qui envahit est condamnée à refluer. Il n'y a donc pas à désespérer.


Résultats des élections départementales à Saint-Quentin ce soir sur ce blog

samedi 21 mars 2015

Au Salon du Livre (1)



J'ai passé toute cette journée au Salon du Livre de Paris. La langue française peut être honorée par des écrivains d'origine étrangère (c'est une leçon politique à méditer, en cette veille d'élections) : à l'exemple de Dany Laferrière, écrivain haïtien et membre de l'Académie Française (vignette 2). David Foenkinos a été distingué l'an dernier par le Prix Renaudot (vignette 1). La journaliste Florence Aubenas nous interpelle avec ses chroniques sociales (vignette 3) et Julia Kristeva est une de nos plus grandes psychanalystes (vignette 4). Vive la culture nationale et universelle !

Au Salon du Livre (2)



Le Salon du Livre, c'est le Festival de Cannes sans les marches. Il y a des stars qui attirent la foule, avec lesquelles on se fait photographier après leur avoir demandé un autographe, à la suite d'une longue attente : Amélie Nothomb (vignette 1), Marc Levy (vignette 2), Bernard Werber (vignette 3), Eric-Emmanuel Schmitt (vignette 4). Je vous laisse juge de la qualité littéraire des uns et des autres, car la star ne fait pas forcément le bon écrivain ...

Au Salon du Livre (3)



Au détour d'une allée, le Salon du Livre nous réserve des surprises, comme cette manif d'auteurs en colère (vignette 1), ou bien la rencontre avec des ... Saint-Quentinois ! (vignette 2, Benjamin et Thierry, en quête de nouvelles idées pour la bibliothèque municipale). Le manga inspire certaines visiteuses (vignette 3). Et lui, vous le reconnaissez (vignette 4) ? C'est François Busnel, l'animateur de La Grande Librairie, sur France 5.

Au Salon du Livre (4)



Pas besoin d'être écrivain de métier pour écrire et venir au Salon : ainsi les chanteurs Marc Lavoine (vignette 1) et Francis Lalanne (vignette 2), avec qui j'ai discuté Saint-Quentin, Fresnoy et foot. Les scientifiques aussi peuvent tenir la plume : Yves Coppens (vignette 3) et Bogdanoff ( vignette 4, Igor ou Grichka ?). Mais les étranges jumeaux sont-ils de vrais scientifiques ?

Au Salon du Livre (5)



Le Salon du Livre, c'est aussi les visites des politiques, au premier chef la ministre de la Culture, Fleur Pellerin (vignette 1), mais aussi le président de la République (vignette 2, sur le stand de France Télévision). Un moment de complicité avec le ministre de l'Intérieur, Bernard Cazeneuve (vignette 3), presque incognito au milieu de la foule. L'opposition n'est pas en reste : Alain Juppé ne donne-t-il pas l'impression de vouloir faire une déclaration (vignette 4) ? Pour séduire les milieux de gauche, très présents au Salon ?

vendredi 20 mars 2015

L'éclipse et la peur



Que faisiez-vous le 3 novembre 1975 en fin de matinée ? Peut-être la même chose que le 20 mars 2015. Moi, ce jour-là, il y a 40 ans, j'étais élève au collège de La Bourboule, et nous regardions, avec mes camarades, à travers la fenêtre de la salle de la classe, une éclipse solaire partielle, comparable à celle d'aujourd'hui. Notre professeur d'histoire-géographie avait ramené un bout de verre fumé, qu'elle avait dû noircir elle-même, à la flamme d'une chandelle. On se passait le truc, pour observer le phénomène. A l'époque, les lunettes spéciales, ça n'existait pas. Aujourd'hui, tout existe.

Je n'avais pas été très marqué par le spectacle, dont on parlait moins dans les médias que maintenant, où tout nous étonne. Aucune émotion particulière chez moi : un morceau de soleil qui devient tout noir, pas de quoi en faire une histoire ! Une heure après, j'avais oublié. Evidemment, en ce temps-là, aucune consigne particulière de sécurité n'avait été donnée. Le bon sens de la prof d'histoire-géo suffisait : ne regardez pas le soleil en face, ça fait mal aux yeux ! C'était tout. Heureuse époque.

40 ans après, c'est moi le prof, en philo, et j'avais cours ce matin, pendant l'éclipse. Mais tout a changé : les recommandations du rectorat sont strictes, multiples, précises, insistantes et argumentées. D'abord, fermeture de tous les volets de l'établissement, comme en temps de guerre, quand il y a un danger de bombardement nocturne. Ce matin, le lycée semblait être en congés. Ensuite, confinement des élèves à l'intérieur des classes, le même terme qu'avec les volailles, pour se protéger de la grippe aviaire. Mais là, ce n'est pas un virus, c'est une éclipse. Ce luxe de précautions a sa justification, qui n'existait pas il y a 40 ans : au moindre incident, des parents pourraient se tourner vers les tribunaux. Voilà la société actuelle.

Tout ça n'a pas servi à grand chose : ce matin, au dessus de nos têtes, il y avait un couvercle de nuages. Mais le fameux principe de précaution et la logique de prévention sont désormais les bases morales de notre société. Fini la prudence, la responsabilité et l'intelligence personnelles : la loi se charge de tout, pense pour nous. Avec son moteur nucléaire : la trouille, de tout, des parents, de la justice, de l'accident, du soleil. Pourtant, pourquoi craindre de devenir aveugles ? Nous le sommes déjà, aveuglés par l'obsession morbide et pathogène de sécurité.

Ce matin, j'ai donc fait cours sous le soleil artificiel de l'ampoule électrique. J'ai même eu envie de ne pas allumer, d'enseigner dans l'obscurité : après tout, en philo, on n'a besoin que de son cerveau, pas de ses yeux. C'aurait été une façon pour moi de faire mon rebelle, de résister à l'air vicié du temps, son juridisme forcené, son esprit sécuritaire, sa peur du moindre risque. Je ne l'ai pas fait : le collégien sage de La Bourboule a donné, 40 ans plus tard, le fonctionnaire discipliné de Saint-Quentin. Ironie du sort, le sujet de dissertation que j'ai traité avec les élèves était le suivant : "Suis-je seul au monde ?" Dans cette salle obturée, nous l'étions, et moi encore plus, tellement étranger aux soucis d'aujourd'hui, crainte, sécurité, réglementation.

Décidément, l'éclipse, à travers l'histoire, est un événement astronomique qui n'aura jamais cessé de faire peur aux hommes : mauvais présage sous l'antiquité, avertissement divin au moyen âge, menace sur notre santé à l'époque contemporaine. Quand arrêterons-nous d'avoir peur pour enfin nous émerveiller ? Attention : je ne fais pas mon malin, je suis tout aussi peureux que n'importe qui, mais ma présente trouille, c'est pour dimanche soir, où il n'y aura pourtant pas d'éclipse, mais peut-être pire : une apocalypse. Comme je ne suis pas devin, j'espère tout simplement me tromper.


En vignette : vers 10h30, au dessus de la rue Emile-Zola.

jeudi 19 mars 2015

Photo-mystère



Où se trouvent, dans Saint-Quentin, ces trois sympathiques visages enchaînés, pris cet après-midi ?

La politique fait-elle pschitt ?



A propos de la campagne des élections départementales, le Courrier picard d'aujourd'hui consacre un article aux "réunions qui font pschitt", à ces candidats, de gauche comme de droite, qui n'attirent quasiment personne dans les villages. A quoi s'ajoute, pour dimanche prochain, la menace d'une abstention massive et record. D'où la question : la politique intéresse-t-elle toujours nos concitoyens ? Si la réponse est non, comme nous aurions tendance à le croire, c'est catastrophique pour la démocratie. Mais, contre toute attente, je pense que la réponse est oui et que les apparences actuelles, très négatives, sont trompeuses. Pour plusieurs raisons :

D'abord, revenons sur ces fameuses réunions électorales où la salle demeure désespérément vide. C'était déjà le cas il y a 10 ans, quand j'étais candidat à ces mêmes élections. Et c'est normal : les gens ne vont pas se déplacer pour des rencontres qui ne sont pas vraiment politiques, qui relèvent de la gestion départementale, qui ne concernent que des publics très particuliers. Le transport scolaire, l'entretien des routes, l'aide aux collèges, aussi utiles soient ces sujets, sont d'une nature plus technique que politique. Il n'y a aucun enjeu idéologique, les clivages ne sont pas très marqués entre la gauche et la droite. De plus, le lien entre le conseiller général et la population n'est pas très fort, et assez peu politique. C'est un échelon de services, pas de débats politiques. Il n'est donc pas surprenant que le scrutin soit peu mobilisateur ; c'est dans la nature des choses.

Ceci dit, ce n'est pas parce qu'une élection est peu politique qu'il ne faut pas chercher à la politiser. C'est au contraire une bonne raison pour le faire, et d'intéresser ainsi les citoyens (qui ne boudent pas la politique, à l'inverse de ce qu'on croit). Si l'extrême droite a le vent en poupe, c'est parce qu'elle a politisé le scrutin. Voilà aussi pourquoi, de son côté, Manuel Valls a eu raison d'entraîner la gauche dans un combat de défense républicaine contre le Front national. C'est le seul moyen de mobiliser notre électorat, pas sur des histoires d'équipement ou de circulation, qui ne disent rien à personne. J'ajoute que la politisation du scrutin passe aussi, quand on est socialiste, par le soutien à la politique du gouvernement.

Enfin, l'apparent désenchantement des électeurs à l'égard de la politique interroge les nouveaux modes d'action politique, qui ne peuvent plus être ceux d'autrefois. Les citoyens apprennent beaucoup par les télévision, l'internet, les nouveaux moyens de communication. Si les partis ne s'adaptent pas à cette situation, ils laisseront croire que les Français se détournent de la politique, alors que ce n'est pas le cas. Simplement, l'intérêt s'exprime aujourd'hui différemment. Commençons donc d'abord par supprimer ces stupides réunions de village, qui ne servent à rien ni à personne, sauf à se faire plaisir en disant qu'on les a faites. Mais l'efficacité est nulle, la perte de temps et l'effort dispensé sont énormes, et surtout, en termes d'image, le résultat est désastreux. En politique comme ailleurs, il faut mettre fin aux traditions désuètes, qu'on reproduit seulement par routine.

mercredi 18 mars 2015

Ma France n'est pas celle du FN



Je suis Français de toutes mes fibres. Mes références sont françaises. Mon éducation, littéraire, historique, personnelle est française. Je ne parle, ne comprends, n'écris que la langue française. Ma famille est française, depuis des générations. Je ne connais pas vraiment d'autres pays. Je ne voyage plus à l'étranger. Cerise sur la gâteau : je suis né à quelques kilomètres du centre de la France (revoyez le début du film de Truffaut, "L'argent de poche"). Je suis complètement Français, et je déteste le Front national. Je ne comprends pas, je déteste que ce parti d'extrême droite se réfère à la France. Je ne m'y reconnais absolument pas. Il faut croire que nous n'avons pas la même idée de la France. Sur trois points fondamentaux :

1- Le peuple : la France, ce n'est pas une abstraction, c'est une population, le peuple français. Ce peuple n'est pas une race, une ethnie, une religion ou je ne sais quoi. C'est un ensemble de citoyens qui vivent dans un même pays, à l'intérieur de mêmes frontières. Ce peuple n'est pas homogène : ce serait d'une tristesse absolu, et un mensonge sociologique. Le peuple français est divers, multiple, dans ses origines, ses traditions et ses convictions. Sa part immigrée est importante, essentielle, utile, et je m'en réjouis. Elle a largement contribué à la construction de la France, à son histoire. Français de nationalité ou de citoyenneté, je m'en moque : pour moi, ils sont tous Français, tous égaux, je ne fais aucune différence entre eux. Ma France n'est pas celle du FN, inégalitaire, discriminatrice, xénophobe, ou plus simplement idiote, jalouse, mesquine.

2- L'autorité : La France, c'est un Etat, un pouvoir, comme dans n'importe quel pays. Je crois au bien fondé de la justice, au respect des lois, à l'utilité des forces de l'ordre. Je suis enseignant : je connais la valeur des règles, la force de l'obéissance, la nécessité de la sanction. Demandez à mes élèves : je ne rigole pas avec ça. Mais je ne réduis pas les problèmes de la France à des questions d'autorité, je ne suis pas préoccupé de sécurité, je n'ai aucun désir d'ordre. Faire de la sécurité un projet politique, c'est consternant, c'est minable. La France de toujours est soucieuse de liberté, pas de sécurité. De grands Français sont morts, en martyrs, pour la liberté. Aucuns n'ont donné leur vie pour la sécurité. Ma France n'est pas celle du FN, trouillarde, faiblarde, petite.

3- La nation : la France, c'est un territoire, des frontières, des paysages. Mais la France n'est pas une île. Et même une île n'est pas seule au monde. Etre Français n'est pas être borné, exclusif, fermé, replié sur soi. La France est dans le monde, elle a quelque chose à lui dire. Le nationalisme est une folie, une illusion, un danger, qui consiste à ne voir que la France. Notre pays n'existe, n'est grand, influent qu'avec les autres, au milieu des autres. Je suis complètement Français, mais je suis aussi complètement Européen, à fond pour la construction européenne, sans aucune réticence. Je suis aussi cosmopolite, internationaliste, mondialiste, appelez-ça comme vous voudrez. Je n'y vois aucune contradiction avec le fait d'être totalement Français. Au contraire, c'est une conséquence, une cohérence : l'humanité est faite de plusieurs appartenances, de multiples identités. Dans notre vie aussi : nous avons une identité personnelle, familiale, professionnelle, locale, etc. Ma France n'est pas celle du FN, riquiqui, nationaliste, anti-européenne.

Je vous ai expliqué ma France d'une manière un peu théorique, parce que c'est dans ma formation. Mais ma France n'est pas d'abord le produit d'une réflexion, d'un choix intellectuel : c'est une sensibilité, une affaire de tripes, d'émotions, d'intuitions, de plaisirs, de souvenirs, de rêves. Ma France n'est pas celle du FN, parce que la sienne me parait froide, haineuse, inhumaine. Je ne sais pas si mon témoignage peut servir à quelque chose en vue de dimanche prochain. Mais au moins je l'aurai dit.

mardi 17 mars 2015

La laïcité les rend fous



Quel parti politique, dans son programme pour les élections départementales, prône-t-il "la défense intransigeante de la laïcité" ? Le Front national ! C'est fou, non ? L'extrême droite antirépublicaine, longtemps catholique intégriste, cléricale, organisant une messe à l'ouverture de ses rassemblements, se prétend maintenant laïque intransigeante ! La laïcité, c'est la liberté, la paix, le respect : le FN en a fait une arme de guerre, liberticide et discriminatoire. C'est fou, c'est effrayant.

Mais il n'y a pas que le FN qui prône une laïcité folle, pervertie, dénaturée : il y a aussi le maire de Châlons-sur-Saône, qui supprime dans les cantines scolaires les repas sans porc. Les anciens laïques étaient respectueux des convictions de chacun : ils admettaient que le vendredi, fidèle à la tradition chrétienne, on ne consomme pas de viande rouge. Ca ne gênait personne, ça ne posait aucun problème. Et puis, le poisson, c'est bon. Mais l'extrême droite a inventé une laïcité monstrueuse, une laïcité de guerre civile, qui s'en prend aux enfants au sein des écoles, qui les exclut. Fou et dangereux !

Certains secteurs de la gauche sont même touchés par cette folie déclenchée par le FN. Une ministre, Pascale Boistard, se laisse aller à vouloir l'interdiction du voile, du simple voile (pas la burka), dans l'enseignement supérieur, au mépris des droits fondamentaux des citoyens. Le Premier ministre a été obligé de la recadrer : il est tout de même incroyable d'être obligé d'en arriver là ! De son côté, le Parti radical de gauche veut interdire les signes religieux dans les crèches privées qui reçoivent des subventions publiques. Là, c'est le Parti socialiste qui a dû intervenir pour repousser le dépôt du projet de loi. Ce qui est fou, c'est que la laïcité, qui milite pour l'émancipation, soit devenue synonyme d'interdiction et de répression.

Dernière folie, la polémique interne qui a secoué il y a quelques jours le Parti socialiste. Un document de travail, qui n'avait aucun caractère définitif ni officiel, proposait le développement des établissements scolaires privés sous contrat, de confession musulmane, par souci d'égalité avec l'enseignement catholique, en vue de permettre une meilleure intégration des jeunes musulmans. C'était une idée soumise à débat, qui s'est transformée en incompréhensible scandale : à ma connaissance, depuis l'échec du grand service public, laïque et unifié de l'Education nationale dans les années 80, le Parti socialise ne remet pas en cause le dualisme scolaire et l'existence d'écoles privées sous contrat. Alors, où est le scandale ?

A l'origine, la laïcité promeut le libre examen, l'esprit critique, la démarche rationnelle. Aujourd'hui, ce concept tourne comme une toupie, de folie, lancée par l'extrême droite, ravageant tout sur son passage. La laïcité a même été transformée en vecteur de la xénophobie, le contraire de ce qu'elle est ! Si ça n'est pas à rendre fou ...

lundi 16 mars 2015

Le soleil de l'Aisne



L'Aisne est souvent cité, ces derniers jours, comme un département que le Front national pourrait remporter lors des élections départementales. Marine Le Pen s'en est vantée plusieurs fois. Florian Philippot, ce soir, dans le débat organisé par RTL, a fait aussi référence à l'Aisne. La venue de Manuel Valls et d'une dizaine de membres du gouvernement corrobore qu'il y a péril en la demeure. Déjà, aux élections européennes, le signal d'alarme avait été tiré. Aujourd'hui, un sondage renforce la terrible menace : 41% dans l'Aisne pour le FN. Plus terrible encore : le vote d'extrême droite est un vote de classe, jeune et ouvrier. Il se substitue en partie au vote traditionnel de gauche.

La semaine dernière, au journal du matin de France-Inter, Jean-Christophe Cambadélis a demandé à la gauche de ne pas se tromper d'ennemi ni d'analyse : le vote FN n'est pas motivé par un rejet de la gauche en particulier, encore moins de la politique gouvernementale. Quand on vote à l'extrême droite, ce n'est pas pour reprocher aux socialistes de n'être pas assez à gauche ! Non, la raison n'est pas politique, mais idéologique : c'est un vote identitaire, une crise culturelle profonde, un rejet global de la représentation politique. Je ne suis pas certain que les partis républicains aient mesuré l'ampleur, la profondeur, la gravité de ce mouvement antirépublicain, qui ne peut pas se réduire à une simple protestation sociale.

L'analyse du premier secrétaire du parti socialiste peut être utilement prolongée par les réflexions que nous propose l'excellent hebdomadaire Le un, consacré cette semaine à la montée du vote FN. Le point de vue du démographe Hervé Le Bras est particulièrement intéressant et iconoclaste : "le vote FN n'est plus porté par la question de l'immigration, c'est terminé, mais par celle des inégalités sociales". Par cette dernière expression, il ne faut pas entendre ce que la gauche y mettait traditionnellement : les différences de salaires, le clivage entre les exploités et les nantis.

Non, c'est plutôt ce que j'appelle une crise culturelle, sociologique, que Le Bras traduit ainsi : "le vote FN, c'est un trouble avec les voisins, la disparition d'un rapport de confiance. Le fait de ne plus connaître les personnes qui vivent à proximité nourrit un sentiment d'inquiétude". Je ne donne ici qu'un petit échantillon, il faut lire l'ensemble de l'analyse. J'en retiens que la gauche ne peut plus récupérer l'électorat FN par les moyens classiques, les catégories de la gauche traditionnelle.

Vendredi prochain, dans la matinée, une éclipse aura lieu dans le ciel de l'Aisne. Le soleil va s'assombrir, la pénombre va endeuiller notre département. Les anciens Romains y auraient vu un signe effrayant, l'annonce d'un grand malheur. Nous n'adhérons plus aujourd'hui à ces superstitions, nous sommes rationalistes. Le déclin de l'astre solaire ne durera qu'un temps. Dimanche, il faut que l'Aisne reste dans la lumière, qu'elle ne se perde pas dans une terrible obscurité.

dimanche 15 mars 2015

C'est grave, docteur ?



J'espère que ce billet ne va pas me fâcher avec mes amis et mes voisins médecins, qui manifestent aujourd'hui dans les rues de Paris. Nous savons tous ce que nous devons à cette éminente profession, l'une des plus utiles aujourd'hui (et autrefois aussi). Mais je ne partage pas leur colère ni leur mouvement de grève contre, principalement, la généralisation du tiers payant.

D'abord, le principe n'est pas nouveau : ce n'est pas à proprement parler une réforme, encore moins une révolution. Le passage du remboursement des soins à la gratuité immédiate est dans la logique des choses, c'est un effet de cause à conséquence. La mesure n'est pas inventée, elle est généralisée. D'ailleurs, beaucoup de Français en bénéficient déjà. Le bruit fait autour rappelle le raffut déclenché par la réforme des rythmes scolaires : on revient à un malheureux matin de travail en plus, qui n'augmente pourtant pas le nombre d'heures à l'école, qui aménage mieux le temps scolaire, et c'est la levée de boucliers.

Nos amis médecins expliquent que ce tiers payant pour tous va compliquer leur métier, réduire le temps passé à exercer, se faire donc au détriment du patient, transformer les praticiens en administratifs. C'est là où il faut sortir les deux expressions qui tuent, bien connues : paperasserie, usine à gaz. Avez-vous remarqué ? Dès qu'une catégorie sociale est mécontente d'une réforme gouvernementale, elle utilise ces deux mots-là : paperasserie et usine à gaz.

Je me demande pourquoi les usines à gaz, les vraies, ont si mauvaise réputation ? A ma connaissance, ce sont des merveilles de technologie, qui ont fait leurs preuves. Aujourd'hui, au lieu de dire qu'on est contre, que tel projet est mauvais, on préfère l'accuser de complexité. Ce n'est pas un argument, c'est même un lapsus, et parfois une facilité : un dispositif peut être compliqué et à la fois juste, nécessaire, utile ; à l'inverse, la simplicité n'est pas en soi un gage d'efficacité, de performance ni de justice.

Et puis, de deux choses l'une : soit le tiers payant est d'une application épouvantable, et il faut alors le supprimer complètement ; soit le tiers payant est aisément praticable, comme il semble l'être jusqu'à maintenant, alors son extension ne pose pas de problème fondamental. Surtout, nous vivons dans un monde où l'informatique raccourcit les délais et simplifie les usages : le papier n'a pas disparu, mais il est très allégé. Le traitement informatique du tiers payant généralisé ne devrait donc, de ce point de vue, ne soulever aucune réticence.

Puisque l'argument technique ne tient pas, nos amis médecins se tournent vers l'argument moral (la morale étant le dernier refuge de ceux qui sont à bout d'arguments) : le tiers payant généralisé déresponsabilise les malades, qui n'auront plus conscience de la valeur de l'acte médical, qui consommeront à tout bout de champ des visites chez le médecin, engorgeant son cabinet. Là aussi, soyons logiques : si le tiers-payant est immoral, il l'est quel que soit le nombre de personnes qui en bénéficient, petit, moyen, grand ou total. Et puis, un tiers-payant qui attire beaucoup plus de patients, c'est beaucoup plus d'argent pour le toubib : pourquoi alors s'en plaint-il ?

Surtout, comme toujours en matière de morale, il faut admettre des présupposés très discutables : le malade serait potentiellement un malin, un inconscient, un profiteur qui abuserait forcément de la gratuité immédiate que lui permet le tiers payant. Au contraire de Jean-Jacques Rousseau qui pensait que l'homme était naturellement bon, nos amis médecins, à cette occasion philosophes, soutiendraient que l'homme est naturellement mauvais. Mais en quoi la gratuité différée, par remboursement, serait-elle, dans ce cas, plus vertueuse ?

A problème soi-disant moral, les syndicats de médecins proposent une solution morale : le tiers payant social, en direction des plus démunis. Je veux bien, mais ça existe déjà, les exonérations pour les catégories les plus défavorisées. Cette proposition ne règle d'ailleurs rien des prétendus abus que génèrerait le tiers payant, universel ou pas. Je la vois plutôt comme une façon de se couvrir, de se rendre irréprochable sur le plan moral, sachant que les Français ne peuvent être, dans leur grande majorité, que favorables à l'extension du tiers payant.

Nos amis médecins seraient-ils donc aveugles, sans coeur, corporatistes, conservateurs ? Non, je ne le crois pas. Quand on descend dans la rue pour manifester, c'est qu'il y a de bonnes raisons, que la réforme du tiers payant révèle, mais qu'elle ne crée pas. Cet admirable métier est en crise d'identité, de par les évolutions de la société et des mentalités, les changements de comportement à l'égard de la médecine, les transformations techniques de la profession. D'où une impression de déclassement, qu'on peut retrouver dans d'autres corps, je pense aux enseignants, qui ne sont plus aujourd'hui, surtout dans le secondaire et les lycées, ce qu'ils étaient autrefois. Le médecin est un notable qui craint de devenir un fonctionnaire (pourtant, les deux ne sont pas forcément contradictoires). L'enseignant est un fonctionnaire qui craint de devenir un simple employé.

Un problème politique ou technique, c'est assez simple à résoudre ; un problème d'identité, c'est plus compliqué. La société change, les mentalités évoluent, les techniques ne sont plus les mêmes : les médecins et les enseignants doivent-ils rester immobiles, dans le souvenir du passé ? (j'inclus ma corporation, pour qu'on ne croit pas que je suis de parti pris). Aujourd'hui, les médecins tiennent à leur confort, ne veulent pas travailler jusqu'à plus d'heure, ni dans des bleds pourris. Toute la société est comme ça, on ne peut pas le reprocher aux seuls toubibs. Autrefois, le métier avait une dimension oblative : c'est moins vrai. Ce n'est pas que les médecins soient moins généreux qu'avant : ils sont encore nombreux à ne pas réclamer immédiatement leur dû quand certains patients ne peuvent pas tout de suite payer. Se pencher sur des corps qui souffrent est une pratique qui incite à la générosité. Le problème n'est pas moral : il est culturel.

L'argent est le maître du monde, aujourd'hui beaucoup plus qu'autrefois. Il est devenu la valeur de toute chose. L'acte médical qui n'est plus tarifé ne vaut symboliquement plus rien (les psychanalystes en savent quelque chose : pour eux et pour eux seuls, le tiers payant ne devra jamais s'appliquer, car les maladies de l'âme sont incomparables aux maladies du corps). Avec le tiers payant généralisé, le médecin ne pourra même plus exercer sa générosité, celle d'un Céline envers ses malades, puisque la solidarité d'Etat y pourvoira.

Alors, ce tiers-payant pour tout le monde, c'est grave, docteur ? Non, ce n'est pas grave du tout, c'est une évolution naturelle et juste. Ce n'est pas plus grave que l'ouverture des lycées à une grande partie d'une classe d'âge, alors que ces établissements prestigieux étaient autrefois réservés à une élite. Notre société qui change aura toujours besoin de bons médecins et de bons enseignants, qui eux aussi changent, parce que le changement est le mouvement de la vie, et pas nécessairement un malheur.

samedi 14 mars 2015

Votez Jean Ferrat !



Il nous a quittés il y a cinq ans, et il nous manque autant. Pas besoin de faire l'éloge de Jean Ferrat : lisez le magnifique numéro spécial de L'Humanité de ce week-end (en vignette). Mais à huit jours du premier tour des élections départementales, il est important de réécouter ses chansons, autant sinon plus que de lire les programmes politiques.

Je le recommande surtout à ceux qui en ont marre : marre des impôts, marre de l'insécurité, marre des immigrés, marre de la gauche, marre de la droite, marre de leur pays, marre de la démocratie, marre de l'Europe, marre du monde entier, marre de tout, marre de n'importe quoi, marre d'un rien, marre de leur belle-mère, marre de leur voisin, marre d'eux-mêmes, et qui sont tentés de voter Front national.

A eux, je rappelle que le Front national c'est la xénophobie, le Front national c'est l'isolement économique, le Front national c'est l'Etat autoritaire, le Front national c'est la chasse aux pauvres, le Front national c'est l'anti-France, le Front national c'est l'anti-République, le Front national c'est Pétain, le Front national c'est l'OAS, le Front national c'est le colonialisme, le Front national c'est le néo-fascisme, le Front national c'est l'intégrisme catholique, le Front national c'est l'islamophobie, le Front national c'est à sa tête une famille bourrée de fric, le Front national c'est la peur, le Front national c'est le mensonge, le front national c'est l'aventure, le Front national c'est l'extrémisme, le Front national c'est la violence, le Front national c'est l'illusion, le Front national c'est la honte de notre pays.

A tous ceux-là qui sont tentés par le Front national, c'est-à-dire par le pire, à tous ceux-là qui viennent de la gauche (les électeurs de droite, je les laisse aux partis de droite), je demande de voter pour la gauche, n'importe laquelle : la gauche centriste, la gauche libérale, la gauche social-démocrate, la gauche socialiste, la gauche de gauche, la gauche radicale, la gauche communiste, la gauche citoyenne, la gauche écologiste, la gauche extrême, la gauche trotskiste, la gauche de gouvernement, la gauche d'opposition, la gauche modérée pas très à gauche, la gauche opportuniste et infidèle, la gauche pure et dure, la gauche tout court.

Ecoutez bien Jean Ferrat. Après, vous ne pourrez plus jamais voter Front national de votre vie, quelles qu'en soient les raisons, bonnes ou mauvaises. Ne votez pas à gauche pour la gauche : votez à gauche pour Jean Ferrat, pour sa France à lui, qui est la mienne, qui est la nôtre. Dans huit jours, ne livrez pas la France au Front national. Votez Jean Ferrat !

vendredi 13 mars 2015

Le meilleur des socialistes



Emmanuel Macron a participé hier soir à sa première grande émission de télévision, Des paroles et des actes, sur France 2. Le rendez-vous était très attendu. Le ministre de l'économie, depuis sa nomination, avait commis quelques bévues impardonnables en politique : il avait osé dire la vérité, appeler un chat un chat, un illettré un illettré et un pauvre un pauvre. Même les socialistes, qui devraient assumer ce vocabulaire social, ont du mal avec les mots et une patate chaude dans la bouche avant de l'ouvrir, se réfugiant dans des éléments de langage. Macron est direct, sans circonvolution : question de génération, aussi. L'homme politique à l'ancienne mode ne sortait de l'ambiguïté qu'à ses dépens, se faisait un point d'honneur de ne jamais répondre immédiatement à une question posée, ignorait le oui et le non tranchants, laissait ses propos libres d'interprétations, accumulait les deuxième, troisième, quatrième degrés et plus, pratiquait souvent l'ironie en guise d'argument.

Rien de tout ça chez le jeune ministre trentenaire, mais le contraire (à tel point qu'on se demande s'il est vraiment un homme politique) : l'oeil vif, la réplique facile, la concentration extrême, rien d'allusif, que de l'explicite, de la précision, de la technique. Un virtuose, quoi! Ce qui est logique pour un pianiste. Il en ressort quelque chose de neuf, de frais, qui fait du bien à la vie politique française, percluse par les rhumatismes. Je craignais un peu pour ces trois heures d'antenne en direct, trois débats et les questions des journalistes : j'ai été épaté, ébloui. Macron, c'est le meilleur d'entre nous.

Sa première qualité, à l'évidence, c'est sa supériorité intellectuelle, à faire blêmir les crapauds et les cageots du parti. Ses interlocuteurs, adversaires ou journalistes, il les écrase tous. D'ailleurs, les uns et les autres se tiennent à carreau, sentant qu'ils ne font pas le poids. Emmanuel Macron, c'est le premier de la classe qui a de la classe ! Moi qui n'ai jamais été bon élève et encore moins premier, je suis admiratif, je me laisse doucement dominer. C'est étrange : discuter avec un imbécile qui raconte n'importe quoi fatigue, mais écouter un homme intelligent qui dit des choses compliquées repose.

Je ne vous parle pas du contenu : rien de nouveau dans ce qu'il a dit. La vérité se passe de toute nouveauté. Quand on est honnête, on ne peut qu'être d'accord avec lui. C'est un technicien, mais pas non plus un technocrate. On sent la passion et la conviction en lui, il croit en ce qu'il fait et dit : c'est sa grande force, beaucoup plus que sa grande compétence. Macron, qu'on aurait pu croire lisse et consensuel, s'est révélé en réalité très offensif, ne laissant rien passer. Qu'est-ce que ses adversaires lui reprochent ? D'avoir été banquier ! A ce niveau d'argumentation, on peut dormir tranquille. Chacun son truc : pour gérer les comptes de l'Etat, je préfère un banquier d'affaires à un marchand de cacahuètes.

On se trompe en croyant qu'Emmanuel Macron est un séducteur. Ce n'est pas du tout ça : il ne compose aucun personnage, il n'a pas la volonté de plaire, il ne flatte personne, il insiste sur le collectif, ne se met pas en avant. Le ministre dit ce qu'il pense, se présente tel qu'il est, tout simplement. Un beau gosse n'est pas forcément un séducteur (c'est plutôt le crapaud qui rame en ce sens). Mais j'ai été séduit, je me suis dit : des petits Macron, il en faudrait des milliers à tous les étages du parti ...

Son premier contradicteur a été Philippe Martinez, le nouveau secrétaire général de la CGT, un type incroyable, tout droit sorti d'un film de Jean Yanne des années 70. Moustache contre sourire d'ange, quel catch ! Le gagnant ? Honnêtement, personne : l'un et l'autre ne boxent pas dans la même catégorie, évoluent dans des mondes différents, n'appartiennent pas à la même gauche. Difficile de les départager : le vainqueur, ce sera celui dont on se sent le plus proche. Martinez est un brave, mais Macron est un bon : mon choix est vite fait.

Avec Apparu, le débat était singulier. Ces deux-là, finalement, sont assez proches, autant que peuvent être proches le centre droit et le centre gauche. Ce qui les sépare, ce sont les logiques d'appareil, à quoi Macron se dit complètement étranger, à quoi il préfère les majorités de convictions. Oui, tout ça me va aussi. Et puis est venue la confrontation avec Florian Philippot, du Front national : Emmanuel Macron a torché le morveux, c'était un régal ! Le facho à cravate ne savait plus quoi répondre, à part réciter son bréviaire. Le morceau d'anthologie, qui fera date au zapping, c'est l'échange sur la Chine, ce con de Philippot prônant un protectionnisme intelligent, Macron lui expliquant magistralement que faire le malin devant la puissante Chine conduirait notre économie au chaos. J'aurais bien voulu que le combat se poursuivre, pour le plaisir de voir le n°2 du FN recevoir des gifles supplémentaires (il a la tête à ça).

A mes amis de gauche qui hésitent encore, je pose la question décisive : aimeriez-vous que votre fils ressemble à Macron ou à Mélenchon ? Je n'ai pas besoin de donner la réponse tellement elle va de soi. Les grands questionnements idéologiques se résolvent parfois par des constats existentiels. A la fin de l'émission, j'aurais bien vu quelques assistants amener sur le plateau un piano, où Emmanuel Macron se serait installé pour nous faire des gammes ou interpréter un morceau, avec autant d'aisance qu'il nous avait parlé de graves problèmes économiques et financiers, ne quittant jamais ce sourire qui le met à distance de la vie et des autres.

Le meilleur des socialistes a-t-il un avenir ? Il ne faut jurer de rien en politique, lui-même l'a très bien compris. Son principal défaut, c'est sa première qualité : la supériorité intellectuelle. On peut pardonner à quelqu'un beaucoup de choses, avoir fait une crasse, être infidèle, mentir, mais pas d'être supérieurement intelligent. La nature humaine n'est pas suffisamment humble et généreuse pour pratiquer ce genre de pardon. "Les ratés ne vous rateront pas", je ne sais plus qui disait cela. C'est pourquoi je formule tous mes voeux de réussite à Emmanuel Macron, je lui souhaite le plus bel avenir possible parmi les socialistes, mais je ne suis pas sûr non plus qu'il n'y laisse pas sa peau.

jeudi 12 mars 2015

Le droit à l'abstention



François de Rugy, co-président du groupe EELV à l'Assemblée nationale, a déposé un projet de loi pour rendre le vote obligatoire, sous peine d'amende. L'intention est louable (réduire l'abstention), la mesure est idiote, l'effet est contre-productif. Le parlementaire écologiste s'appuie sur le précédent du vote blanc, aujourd'hui reconnu et comptabilisé. Mais l'exemple est fâcheux : j'ai toujours été hostile à cette reconnaissance du vote blanc, contraire à l'esprit et à la lettre de la démocratie.

Le métier de citoyen comme de politique consiste à faire des choix, parmi des candidatures multiples, où toutes les sensibilités sont représentées, parfois jusqu'aux plus extrêmes ou aux plus folkloriques. Le vote blanc est anti-citoyen et antirépublicain : il institue le refus de choisir, il légitime l'ignorance, l'hypocrisie et la lâcheté. Dans l'avenir, il serait bon d'abroger cette possibilité, qui n'est qu'une facilité, une concession démagogique à l'air du temps et à ses revendications insensées.

Rendre le vote obligation est encore plus contestable, plus grave, du point de vue des principes républicains. Voter doit demeurer un droit, au sens juridique du terme, c'est-à-dire un moyen qu'on utilise ou qu'on n'utilise pas, selon son choix. En faire une obligation administrative viderait le vote de son sens politique : une libre décision du citoyen. La liberté, c'est le fondement de la République : forcer quelqu'un à voter, sous la menace d'une sanction financière, c'est un blasphème, un sacrilège, une hérésie, contre quoi tous les républicains authentiques doivent protester.

Certes, l'abstention est un tort, car si tous les citoyens restaient chez eux au lieu d'aller aux urnes, la République s'effondrerait, faute d'électeurs, en l'absence d'expression du suffrage universel. Outre le fait que cette hypothèse extrême n'est qu'une vue de l'esprit, il faut se demander si le tort de ne pas aller voter n'a pas ses raisons. On ne peut pas imputer l'abstention à la paresse, à la négligence ou à l'indifférence. Autrefois, les gens votaient ; il faut s'interroger pourquoi ce n'est plus le cas aujourd'hui.

Au lieu de punir les récalcitrants, mieux voudrait susciter chez eux le désir, l'envie et l'intérêt d'aller voter. Au lieu de culpabiliser l'électorat, la classe politique ferait mieux de se remettre en question. N'y a-t-il pas aussi une part de sa responsabilité dans la montée massive de l'abstention ? J'en reste à l'idée que cette abstention généralisée, qu'on redoute à juste titre pour les élections départementales, n'est pas une réaction irrationnelle, mais qu'elle a un sens, une logique, que les hommes politiques devraient comprendre au lieu de la blâmer, à laquelle ils devraient apporter une réponse au lieu d'une sanction. Ce n'est pas le malade qu'il faut critiquer, c'est la maladie qu'il faut combattre. De fait, la politique traverse une grave crise, qui exige de trouver un remède, pas un châtiment.

Je suis bien d'accord que voter n'est pas uniquement un droit, mais aussi un devoir. Mais c'est un devoir moral, pas une obligation légale. Pour ma part, je suis toujours allé voter, sans jamais hésiter, et m'abstenir est pour moi une décision inconcevable. C'est parce que je suis motivé, que j'y trouve du plaisir et de l'utilité. Si on me forçait la main, je n'aimerais pas du tout, et ce serait au contraire une bonne raison pour moi de rester à la maison. Un vote obligé perd de sa valeur, altère la sincérité du suffrage universel. A la limite, mieux vaut une franche abstention qu'un vote contraint et donc dénaturé. Les citoyens ne sont pas des enfants, qu'on conduit au bureau de vote avec une carotte ou un bâton.

Si on veut dégoûter définitivement les Français de la politique, instaurons le vote obligatoire ! Les uns se moqueront d'avoir à verser une petite amende et ne seront pas plus incités à se rendre aux urnes. Les milieux populaires, plus frappés que d'autres par le phénomène de l'abstention, se sentiront encore plus discriminés. La solution sera donc pire que le mal et ne règlera rien du tout.

Les partisans du vote obligatoire citent l'exemple de la Belgique. Ce sont de singuliers républicains, qui vont chercher dans un royaume ce qu'ils ne trouvent pas dans la République française ! Et pour cause : jamais la patrie des Droits de l'homme, jamais le pays de la grande Révolution n'a voulu rendre le vote obligatoire. Avant de faire des propositions, il faudrait peut-être se pencher sur notre histoire : si nos grands ancêtres ont laissé le vote libre et la possibilité de s'abstenir, c'est qu'ils avaient leurs raisons, qui sont celles que j'ai tenté d'exposer dans ce billet, et qui renvoient à l'attitude vraiment démocratique. J'ai discuté avec des amis belges : les pénalités envers les réfractaires au vote sont rarement appliquées ; ce ne sont pas elles qui augmentent le taux de participation. Il en est en réalité du vote obligatoire comme de la peine de mort : ça fait peur, ça donne bonne conscience mais ça ne dissuade absolument pas les premiers concernés.

François de Rugy, dans une misérable défense de son projet de loi, a eu cet argument consternant : "une petite amende, 35 ou 22 euros, comme quand on se gare mal". L'abstention électorale rapprochée du stationnement interdit, il fallait oser. Mais c'est révélateur de l'esprit du projet, bien dans l'air du temps : une conception purement juridique de la vie politique. L'abstentionniste n'est pas loin du petit délinquant. Et que fait-on des anarchistes, qui refusent en conscience de voter, parce que c'est contraire à leur idéologie que de participer au système électoral ? Le plus drôle dans cette histoire, c'est que la proposition de rendre le vote obligatoire provient d'un parti, EELV, dont les origines et l'idéologie sont soixante-huitardes, libérales-libertaires. Comme quoi l'air du temps, moralisateur, culpabilisant et procédurier, souffle aussi là où l'on ne s'y attendrait pas.

Pour me résumer : voter est un droit politique et un devoir moral, mais pas une obligation légale ou administrative assortie d'une amende. Le citoyen est libre de s'abstenir, c'est aux hommes politiques de le convaincre de participer.

mercredi 11 mars 2015

Manuel Valls dans l'Aisne



Alors, cette campagne pour les élections départementales ? Pas folichon, pour l'instant. Il reste onze jours. C'est paradoxal : ce scrutin aurait pu voir les passions politiques se déchaîner autour de l'institution du département, sa disparition, son maintien ou sa réforme, puisque c'est le chantier entrepris par le gouvernement. Mais non : c'est comme si rien ne se passait. La réforme territoriale a pourtant des conséquences concrètes importantes.

A Saint-Quentin, la seule personnalité nationale à avoir fait le déplacement, dont on se serait bien passé, c'est Marine Le Pen. Il faut dire qu'à droite, on joue à domicile : la personnalité, elle est déjà là, c'est Xavier Bertrand. Et puis, avec la droite locale, à chaque élection, c'est toujours la même chose : on ne se rend compte de rien, puisqu'elle est en permanence en campagne, de la fin d'un scrutin au début du suivant. Ses réseaux innervent assez bien la ville, elle n'a pas besoin d'en faire trop, il lui suffit de fonctionner à son régime normal. C'est l'eau qui dort : pas besoin de grosse tempête, elle est là, partout.

Pas de grande réunion publique non plus, à droite et à gauche. Mais, vendredi prochain, le Premier ministre viendra à Laon. Bien sûr, c'est un comité interministériel, décentralisé dans l'Aisne, pas une réunion électorale. Mais comment ne pas y voir une intention politique ? D'abord par le choix du département : celui où le Front national réalise ses meilleurs scores, alors que Manuel Valls lui a déclaré la guerre, en a fait l'ennemi principal. Ensuite, il y a l'ordre du jour de ce comité : la ruralité. Les élections départementales sont avant tout des élections rurales, et c'est la ruralité qui fait aujourd'hui les frais de la crise économique : désertification, petite délinquance, appauvrissement.

Tous les socialistes de l'Aisne seront donc attentifs à cette visite, qui leur fait honneur et qui leur met un peu de baume au coeur, au milieu d'une morne plaine aux horizons menaçants.

mardi 10 mars 2015

La mort n'est pas un jeu



Il est banal de reconnaitre que la mort est le dernier tabou de la société contemporaine. On ne meurt plus chez soi, entouré des siens, mais dans l'anonymat de l'hôpital. Les cimetières ont quitté nos villes depuis longtemps, les corps sont de plus en plus souvent brûlés pour qu'il ne reste plus rien de la mort, à part un petit tas de cendres. L'allongement de la durée de la vie, les progrès de la médecine ont repoussé très loin le moment fatidique, à tel point qu'il est devenu fréquent de s'étonner et de s'interroger à la nouvelle d'un décès. Comme si mourir avait cessé d'être quelque chose de normal et de naturel. Le reflux de la religion n'a rien arrangé : elle seule pouvait parler de la mort et lui donner un sens.

Autrefois, au contraire, la mort était un phénomène familier, provoqué par les maladies incurables, la violence des hommes et les catastrophes naturelles. La mort était présente dès le début de la vie, puisque beaucoup d'enfants disparaissaient à la naissance. On craignait Dieu ou le Diable, mais pas la mort, qui était dans l'ordre des choses. "Le roi est mort, vive le roi" : ça ne gênait pas. Aujourd'hui, la mort est devenue un problème et un scandale, auxquels la France a été confrontée, de plein fouet, deux fois depuis le début de cette année : avec l'attentat contre Charlie hebdo en janvier, avec l'accident emportant trois grands sportifs et leur équipe hier en Argentine.

Ironie du sort : la navigatrice Florence Arthaud, qui a vaincu l'océan, perd la vie en plein ciel. Double et tragique ironie : la mort frappe au milieu d'un jeu, dont les protagonistes se retrouvaient les yeux bandés, en hélicoptère, afin d'être livrés à la jungle. Depuis une dizaine d'années, la télé-réalité raffole de ce genre d'émission, où l'on soumet les candidats à des aventures filmées, à des épreuves de survie. Sauf que ce n'est pas tout à fait pour de vrai, que des mesures de sécurité écartent tout drame, que la télé-réalité est plutôt une télé-fiction. Chassez le réel, il revient au galop : l'aventure, c'est aussi le risque, le danger et la mort, avec lesquels il est impossible de jouer. A force d'oublier que l'existence est tragique, il y a des rêves qui se transforment en cauchemars.

lundi 9 mars 2015

PS contre FN



Depuis quelques jours, Manuel Valls se comporte, plus que jamais, en chef de la majorité et en chef de guerre. A deux semaines du scrutin départemental, cette montée en puissance est heureuse. Le Premier ministre prouve une fois de plus qu'il est un grand politique : il est maître du langage, ses expressions font mouche, l'adversaire ne peut pas s'empêcher de réagir. "Apartheid" et "islamo-fascisme" avaient déjà atteint leur cible ; "angoisse" et "peur" traduisent à la perfection les sentiments qui nous envahissent à la lecture des sondages, faisant à nouveau de l'extrême droite le premier parti de France, à la stupéfaction des autres démocraties dans le monde.

Tactique ? Dramatisation ? Oui, et c'est très bien ainsi, car le combat politique l'exige. Manuel Valls a désigné l'ennemi à abattre (électoralement) : le Front national. Il fallait en finir avec l'indulgence, la respectabilité dont bénéficie depuis quelques années ce parti xénophobe, nationaliste, autoritaire et antirépublicain. Le danger que représente le FN a été sous-estimé, relativisé, dédiabolisé : voilà la raison de son succès. Au lieu de fascisme, on a parlé de populisme, un terme beaucoup plus soft, acceptable. Avec Manuel Valls, les mots justes sont de retour, le déni de réalité prend fin. Le Premier ministre a dénoncé avec raison "une étrange accoutumance", "l'endormissement généralisé" qui ont assuré à l'extrême droite une forme de protection. C'est maintenant fini : feu sur la bête !

Avant, l'élection cantonale était un scrutin pépère, où des notables ou des aspirants à la notabilité faisaient la tournée des bleds pour discutailler sur un trou à boucher d'une route, un préau de collège à installer ou une rallonge de subvention à octroyer. A l'heure où l'extrême droite cherche à s'implanter, il faut politiser la campagne, "arracher" les électeurs à ses mâchoires, pour reprendre le terme fort pertinent et percutant du président de la République. Et puis, ne nous leurrons pas : dans 10 ans, le Conseil général aura disparu ou ne sera plus qu'une coquille vide. Il est révélateur que bien des politiques s'engagent plus aujourd'hui dans la bataille des régionales que des départementales : l'avenir est dans cet échelon supérieur, auquel on va transférer progressivement les pouvoirs.

J'entends dire que c'est le PS qui ferait monter le FN : mensonge et malhonnêteté ! Ce qui fait monter n'importe quel parti, ce sont uniquement les électeurs. Il faut beaucoup de vice pour prétendre que les premiers adversaires de l'extrême droite seraient ses meilleurs soutiens ! Se renvoyer la patate chaude est la pire des attitudes : je ne me permettrais jamais d'accuser par exemple l'UMP de faire le jeu du FN. Ce parti n'a pas besoin d'un autre parti pour prospérer et gangréner la République. Dans les 15 jours qui nous séparent du premier tour du scrutin, il serait bon que se multiplient les coups d'éclat contre le Front national, pour dissuader l'électorat de voter pour lui. A Saint-Quentin, une opération mieux anticipée et mieux organisée que le petit rassemblement contre la venue de Le Pen serait hautement souhaitable. PS contre FN, sans relâche. Sinon, ce sera le FN devant le PS.