mercredi 25 mars 2015

La mort habite François Hollande



La semaine dernière, dans un entretien au magazine Society, François Hollande a prononcé une phrase étrange, un peu choquante, qui ne lui ressemble pas, mais que personne n'a relevée ou commentée : "la mort habite la fonction présidentielle". C'est ce que le président répond à la question de savoir ce qui change lorsqu'on exerce le pouvoir suprême, lorsqu'on est à l'Elysée. A quoi pensait-il exactement ? Car cette réponse n'a rien d'évident, prête à contestation.

D'abord, c'est une formule très mitterrandienne, pas du tout hollandaise. Le premier François affichait des préoccupations métaphysiques, était obsédé par l'idée de la mort, visitait fréquemment les nécropoles, s'interrogeait sur l'au-delà. Ses derniers voeux aux Français étaient imprégnés d'une forme de spiritualisme ("je crois aux forces de l'esprit ; d'où je serai, je ne vous oublierai pas", cité de mémoire). On n'imagine pas notre actuel François, badin, guilleret, dans ce souci-là. Mais sait-on ? Peut-être que les fantômes du palais présidentiel lui inspirent de telles pensées.

Car l'Elysée est aussi un lieu où l'on meurt, ou presque : Pompidou bien sûr, de Gaulle et Mitterrand, un an après leur départ. Un homme y a même mis fin à ses jours, encore un François, de Grossouvre celui-là. La mort habite la fonction présidentielle, certes, mais elle habite chaque homme, président ou pas. Sauf que notre société n'en parle guère, refoule la mort et la vieillesse, prolonge la durée de l'existence, repousse au plus tard l'instant fatidique. La déclaration de François Hollande a donc quelque chose de décalé, d'inactuel, presque de déplacé, au regard de l'état d'esprit d'aujourd'hui. Notre chef d'Etat serait-il devenu comme l'un de ces empereurs romains, philosophes et stoïciens, méditant sur leur propre disparition, à la façon de Marc-Aurèle ?

Mais cette mort qui habite François Hollande, c'est peut-être celle des autres, surtout ces dernières semaines, qui ont été marquées par plusieurs événements dramatiques : les attentats terroristes de janvier, les victimes de l'émission Dropped, la tuerie de Tunis, la catastrophe aérienne d'hier. Nous avons l'impression, ces temps-ci, que le président de la République n'est plus dans la gestion quotidienne du pays, mais dans une autre dimension, celle de la tragédie humaine.

Je vois une autre explication à l'étrange formule : le chef d'Etat est chef de guerre, il a engagé la France dans des conflits extérieurs. Faire la guerre, c'est donner la mort. Et puis, sur son bureau, il y a le bouton de l'arme atomique : en matière de mort, voilà qui fait réfléchir ... Pourtant, François Hollande aurait pu s'exprimer autrement, dire que la puissance, la vie et, pourquoi pas, au choix, l'amour habitaient la fonction présidentielle. Je pense que le propos du président en dit beaucoup plus sur lui que sur la fonction qu'il occupe : et s'il avait cessé d'être ce "président normal" qui a fait son succès électoral, pour s'élever désormais à une certaine gravité, pour atteindre à quelque chose de plus essentiel, très au dessus des contingences ordinaires ?

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