jeudi 5 mars 2015

Militant à 32 ans



Quand je rencontre quelqu'un pour ce blog, j'ai toujours une idée en tête. Avec Michel Magniez (en photo), je me demandais ce qui pousse un jeune homme de 32 ans à s'investir en politique, tant décriée aujourd'hui, à se présenter à des élections départementales dans un contexte national aussi ingrat pour la gauche (il est remplaçant de Jean-Claude Cappèle, conseiller général sortant dans le canton de Saint-Quentin sud, membre d'Initiative démocratique de gauche).

Michel est écologiste depuis très longtemps, mais adhérent du parti EELV depuis quelques mois seulement. Qu'est-ce qui l'a amené à franchir le pas de l'engagement militant ? Les interventions publiques des députées vertes Barbara Pompili et Véronique Massonneau, le travail de Pierre Serne en Ile-de-France. Michel Magniez est donc un écolo très porté sur les questions sociétales, lui-même impliqué dans le mouvement associatif, responsable régional de SOS homophobie (mais il ne mélange pas les genres, en demeurant en retrait durant la campagne).

Qu'est-ce qui a motivé ce jeune professeur d'expression-communication à la faculté d'Amiens à devenir candidat ? La lutte contre le FN et l'esprit du 11 janvier (il a participé aux trois manifestations saint-quentinoises). A l'issue de négociations départementales, le poste de remplaçant lui a été proposé. "Mais je ne suis pas le pion du parti", me précise-t-il. Je lui fais remarquer que le logo d'EELV n'apparait pas sur la carte qu'il distribue : "nous avons choisi de mettre en avant l'union, sous l'étiquette majorité départementale, pas la différentiation partisane ; et puis, techniquement, faire figurer tous les logos, c'était compliqué".

Où en sont les Verts à Saint-Quentin ? On se souvient que Nora Ahmed Ali, ancienne conseillère municipale, avait eu des problèmes avec son parti lors des élections municipales (à la suite, elle aurait rejoint le PRG). Le responsable du groupe local est Gérard Panonceau, pas très connu du grand public. Peut-être qu'avec la candidature de Michel Magniez, EELV, peu présent sur la ville, va connaître un nouveau souffle.

J'interroge Michel sur l'incroyable et suicidaire division de la gauche dans le canton sud : "c'est regrettable", reconnaît-il. Comment en est-on arrivé là ? "Entre Front de gauche et PCF, chacun a envie d'exister ; c'est un phénomène très local". Et son adversaire soutenu par l'UMP, Freddy Grzeziczak, est-il un candidat dangereux ? "Non, mais c'est un candidat sérieux". Va-t-il dénoncer son passage de la gauche à la droite ? "Non, j'ai suffisamment à faire avec son présent ; qu'il gère lui-même son passé !" Et ce présent, pour Michel Magniez, c'est une campagne agressive, sur un ton catastrophiste en même temps que récupératrice du bilan du Conseil général de l'Aisne.

Et si la gauche est éliminée au soir du premier tour et qu'il lui faut choisir entre UMP et FN au second tour ? Michel Magniez ne croit pas à cette hypothèse. Pour lui, Saint-Quentin sud est un swing state, comme disent les Américains : si ce canton-là est perdu, c'est le département qui est perdu. Quoi qu'il en soit, les quatre membres de sa liste sont favorables au front républicain. Freddy, qui se prétend bigrement républicain, en ferait-il autant ?

Et puisque nous sommes dans les comparaisons américaines, je propose malicieusement à Michel un titre de campagne : "Il faut sauver le soldat Cappèle", qu'il récuse immédiatement. "Jean-Claude est un officier, pas un soldat. Nous sommes certes dans une bataille (électorale), mais le conseiller général sortant n'est ni seul, ni en péril". Il me fait aussi malicieusement remarquer que le film se termine bien pour le héros.

Yves Daudigny, le président de l'assemblée départementale, va-t-il venir soutenir son conseiller général ? "Ce n'est pas prévu, Daudigny fait campagne dans son propre canton, il ne peut pas se déplacer dans tous les autres. Mais une visite n'est pas non plus totalement exclue". Y aura-t-il une réunion publique ? "C'est en réflexion". Serge Monfourny, l'ancien maire de Gauchy et précédent conseiller général, apportera-t-il son soutien ? "Non, il respecte son engagement de ne plus intervenir dans la vie politique, depuis qu'il s'en est retiré".

Je termine cette sympathique rencontre sur ce qui a initialement motivé ma démarche : c'est quoi, aujourd'hui, être militant à 32 ans ? "Par rapport à la politique, je veux surtout rester lucide, dans l'humain, la cordialité, ouvert à tous, prêt à reconnaitre la valeur de l'adversaire, un peu comme le faisait Pierre André. Je suis dans le combat pour les idées, pas contre les personnes". Sachant que l'action politique ne se construit que dans la durée, je pose à Michel Magniez la même question qu'à Olivier Tournay, trentenaire comme lui (billet du 24 février) : sera-t-il encore présent dans 10 ans ? "Je resterai engagé tant que j'y trouverai du plaisir et que je me sentirai utile. Qui est capable de dire ce qu'il fera dans 10 ans ?" Et les prochaines élections municipales à Saint-Quentin, en sera-t-il ? "Je n'y pense pas, c'est trop tôt".

A l'issue de cette conversation, quelle impression ai-je d'un militant de 32 ans ? Très différente du militant des générations précédentes, que j'ai bien connu : chez ce dernier, la discipline était stricte, l'obéissance un peu béate, l'allégeance aux personnes très forte. C'était des mains pour coller, distribuer et voter : on suivait, sans trop réfléchir. Les débats étaient clivés, féroces, sectaires. Le militant trentenaire n'est pas dans ce bad trip : il est beaucoup plus autonome, plus ouvert. Le militantisme n'est plus vécu comme une épreuve, un sacrifice, mais un plaisir motivé par le service qu'on rend, les compétences qu'on apporte. Le militant d'autrefois était un moine-soldat ; celui d'aujourd'hui est un citoyen libre. Ce n'est pas plus mal.

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