samedi 18 avril 2015

La politique sans pouvoir



Beaucoup de choses nuisent à la politique : la division, l'absence de leader, l'indigence d'une équipe, le manque de projet. Mais tout ça est encore rien au regard de la perte du pouvoir. La division se surmonte, le leader se trouve, une équipe se constitue, un projet n'est pas si difficile à concevoir, mais être éloigné des responsabilités est rédhibitoire. Faire de la politique et n'exercer aucun pouvoir, c'est une contradiction dans les termes. Bien sûr, pour tout parti, il y a des périodes d'opposition. Mais elles n'empêchent pas d'exercer le pouvoir localement. Sinon, l'opposition n'est tenable que si l'espoir demeure de retrouver ou de conquérir le pouvoir dans un délai raisonnable.

Toutes les pathologies que j'ai évoquées au début, touchant l'unité, le leader, l'équipe et le projet, découlent de l'éloignement du pouvoir. A la limite, il n'y a plus de politique en dehors du pouvoir : il n'y a que du témoignage, de la simple présence ou du militantisme purement idéologique. C'est moins la division qui empêche d'accéder au pouvoir que la chute du pouvoir qui entraîne la division. Humainement, quel sens peut-il y avoir à faire de la politique quand on ne décide de rien, quand on exerce aucune influence sur le cours des choses ? Autant rester chez soi à commenter l'actualité ... Politique et pouvoir sont indissociables.

Ce sont des exemples récents qui m'amènent à cette réflexion. Pendant 17 ans, les socialistes ont géré le département de l'Aisne, dans une belle unité. Bien sûr, il y a eu des tensions, parfois des départs, mais ce sont des choses inévitables. Ce qui compte, c'est que globalement, le collectif a tenu, alors même que la majorité au Conseil général était plurielle (le PS était loin d'être hégémonique). A quoi faut-il imputer ce bon fonctionnement, cette cohérence interne ? Pas fondamentalement à la conscience individuelle des membres de cette équipe, mais par le fait que le pouvoir était solidement assuré par un triptyque : Yves Daudigny, président, Philippe Mignot, directeur de cabinet et Jean-Jacques Thomas, 1er vice-président et pendant 10 ans patron de la fédération socialiste. La réalité du pouvoir départemental, c'était celle-là, qui maintenait l'ensemble. Le pouvoir tombe, l'unité éclate.

C'est le départ de Michel Potelet, ainsi justifié dans L'Aisne nouvelle : "je ne me reconnais plus du tout dans le Parti socialiste". Oui, mais pourquoi maintenant ? Et pourquoi se faire élire avec le soutien du PS et le quitter juste après ? Il y a tromperie. La vérité, c'est quand le pouvoir s'en va, tout s'en va. A la Région, c'est pareil : le président Gewerc est encore là, mais plus pour longtemps. La Picardie va être rattachée au Nord, les places dans le nouveau Conseil régional vont devenir très chères, certains élus ne le seront plus. Le pouvoir disparait, la majorité se disloque. Boulafrad, Dardenne et Fillion-Quibel, comme Potelet, ont quitté récemment le PS, tout en formant un groupe au sein du Conseil régional. Leurs raisons politiques sont futiles, mais en termes de pouvoir, ils prennent leurs marques.

Dans leur tribune du magazine Agir en Picardie, les gaillards ont ce lapsus révélateur : "le vote Front national apparait malheureusement à beaucoup de nos concitoyens comme une solution raisonnable". Drôle de phrase pour d'ex-socialistes ! La fin est du même tonneau : "nous ne nous interdisons rien pour l'avenir et nous nous déterminerons en notre âme et conscience". Que ces types ne s'interdisent rien, absolument rien, qu'ils soient prêts à tout, ça je n'en doute pas, et ils l'ont prouvé. Qu'ils aient une âme, je n'en doute pas non plus, nous en avons tous une. Mais qu'ils soit dotés de conscience, je n'irai pas jusque-là. Quand on perd le pouvoir, on perd aussi la boussole.

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