vendredi 3 avril 2015

L'Aisne, otage du FN



L'assemblée départementale a élu hier son nouveau président, sans surprise : Nicolas Fricoteaux. J'ai souvent remarqué, en politique, que les meilleurs candidats étaient sans surprise. Leur nom est connu d'avance, ils ont déjà fait leurs preuves, la candidature fait consensus, elle devient naturelle. Quand on est obligé de chercher un candidat, de réfléchir à quelqu'un, c'est mal parti, ce sera généralement un mauvais candidat. Quand les ambitieux minaudent, quand les hésitants hésitent, quand tout le monde s'interroge ou fait semblant, quand un nom sort du chapeau au dernier moment, c'est fichu (c'est du vécu !). La droite axonaise n'a pas été soumise à ce genre de tourments : Nicolas Fricoteaux, depuis longtemps, par son enracinement local, par son positionnement politique (centriste) et surtout par ses interventions en séance (appréciées à leur valeur jusque dans les rangs de la gauche), était le seul président possible. Xavier Bertrand, pourtant de l'UMP, qui aurait pu pousser l'un des siens, l'a bien compris. Il est trop politique pour se livrer à une petite manoeuvre (Fricoteaux est UDI).

Le nouveau président n'a été élu qu'au 3e tour du scrutin, puisqu'il avait deux candidats contre lui (PS et FN). Sa majorité est relative et c'est, à mes yeux, ce qui assombrit ce début de mandat et rend fragile la suite. Le choix politique de Fricoteaux a été d'en rester à ses acquis électoraux, sans chercher à s'ouvrir, à élargir son assise. A mes yeux, il a eu tort. Yves Daudigny, avant même les résultats du second tour, avait proposé une majorité de gestion, autour des valeurs républicaines, qui aurait conduit à une entente entre droite et gauche, entre centristes et socialistes (dans l'ancienne opposition, centristes et UMP formaient des groupes distincts, actaient de leurs différences).

Avoir la majorité seulement relative, c'est ne pas avoir la majorité du tout. L'UMP pure et dure a dû renâcler à cette proposition. Je ne suis pas sûr non plus que tous les socialistes auraient été d'accord, surtout ceux qui fustigent, au niveau national, depuis toujours, tout rapprochement avec le centre, perçu (stupidement) comme une trahison. Moi, je suis pour, depuis longtemps aussi, tant au niveau local que national. Dans l'actuel contexte départemental, ce choix politique aurait été politiquement pertinent. En effet, l'extrême droite est désormais l'arbitre des grandes décisions. Elle pourra jouer des uns contre les autres, introduire du trouble dans les votes, de l'incertitude dans les résultats, obliger Fricoteaux à constamment consulter, négocier et, peut-être, se compromettre pour faire passer certains projets. Ce n'est vraiment pas la situation la plus confortable !

Le FN, qui est anti-républicain, va s'en donner à coeur-joie. Bien sûr, une majorité républicaine de gestion obligeait chaque parti à surmonter ses réticences légitimes et naturelles, de travailler avec l'adversaire, mais républicain comme lui. Et puis, cette communauté de travail existe déjà : le département n'est pas un échelon électoral aussi clivant que la région ou l'Assemblée nationale. Face au Front national, pour lui faire barrage, dans un département où l'extrême droite est à un niveau très élevé, cette majorité de gestion aurait été la bienvenue.

De toute façon, l'union entre les républicains se fera forcément, sur certains dossiers. Il aurait été préférable qu'elle soit notifiée par un contrat en bonne et due forme. A défaut, je vais employer un terme très fort, mais qui ne me semble pas non plus exagéré : l'Aisne est l'otage du FN ! Samir Heddar, dans son éditorial de L'Aisne nouvelle de lundi dernier, allait encore plus loin qu'une majorité de gestion, en préconisant une gouvernance de coalition, à la façon allemande, en ouvrant certaines vice-présidences à la gauche. Le social-démocrate que je suis ne peut qu'approuver. Mais Fricoteaux, tout centriste qu'il est, n'est pas social-démocrate ...

L'argument qu'on peut opposer, c'est qu'une majorité de gestion donnerait raison au slogan frontiste contre l'UMPS. Mais je ne me détermine pas par rapport au FN : sa formule doit se lire très exactement comme un rejet de la République et de ses deux grands partis de gouvernement. Voilà le sens à peine subliminal de l'UMPS. Pour le reste, chacun sait bien, objectivement, que Mitterrand et Giscard, Jospin et Chirac, Hollande et Sarkozy, la gauche et la droite, ce sont des lignes politiques différentes. Qu'il y ait des points communs, c'est normal, quand on dirige un même pays et qu'on est confronté aux mêmes difficultés : c'est même plutôt rassurant, on ne vit pas sur des planètes étrangères. Mais ça n'enlève pas les différences, qui sont très nettes. Que l'extrême droite les récuse et mette tout le monde dans le même sac pour le jeter à la rivière, c'est dans sa logique extrémiste. On ne va tout de même renoncer à une idée juste, la majorité de gestion, pour éviter de donner faussement raison au Front national !

La première décision de l'exécutif départemental a été de baisser de 10% les indemnités des élus et de réduire le nombre des vice-présidences. Pourquoi pas, ça ne mange pas de pain et ça économise un peu d'argent. Mais je me méfie de ces mesures symboliques, qui ne règlent rien au fond des problèmes de l'Aisne, qui donnent surtout raison à l'électorat le plus démagogue et le plus contestataire, car accréditant l'idée que les élus seraient trop payés. Curieusement, les conseillers départementaux du FN n'ont pas pris part au vote, qui s'est fait à l'unanimité. Il faudra s'en souvenir et le rappeler aux électeurs : la première réaction du Front national dans l'assemblée départementale aura été de se montrer indifférent à cette réduction des indemnités. Je crains que ce ne soit qu'un début, le mandat nous réservant bien d'autres surprises ...

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