mercredi 1 avril 2015

Pain blanc, pain noir



Quand je me suis installé à Saint-Quentin il y a 17 ans, c'était la période faste pour le parti socialiste. L'année précédente, Odette Grzegrzulka devenait députée. Une parlementaire socialiste dans la circonscription, c'était quasiment une première (ou alors il fallait remonter très loin dans le passé). Pour le parti, localement, une ère nouvelle s'ouvrait : celle de la rénovation ! Fini les terribles divisions du passé, du sang neuf arrivait, la section recrutait à tour de bras. L'année de mon installation, en 1998, le Conseil général de l'Aisne passait à gauche, présidé par Jean-Pierre Balligand : autre tournant historique enthousiasmant ! Dans la foulée, Anne Ferreira était élue conseillère générale dans le canton centre et, un an après, devenait députée européenne. A l'époque, la section socialiste avait même un conseiller régional, en la personne de Maurice Vatin.

Certes, nous ne disposions d'aucun élu municipal, mais nous étions sûr et certain que cette anomalie de l'Histoire serait rapidement corrigée. Fréquemment, je m'entendais dire, moi qui étais un nouveau venu dans la ville : "à Saint-Quentin, c'est une fois la gauche, une fois la droite". Fort de cette logique de balancier, riche d'élus influents, je ne doutais de rien, et surtout pas de la prochaine victoire. Avec nos camarades communistes, à peu près les mêmes qu'aujourd'hui, Jean-Luc Tournay, Corinne Bécourt, tout allait bien, on se retrouvait sur la même liste pour les élections municipales. Moi aussi, j'allais bien, mieux qu'aujourd'hui en tout cas : quelques mois après avoir emménagé, j'étais désigné par mes camarades secrétaire de section, et réélu un an plus tard. La vie était belle, parce que l'espoir était grand, aussi parce que c'était la période des commencements. Quelques années plus tard, j'étais candidat socialiste dans le canton nord, contre un certain Jérôme Lavrilleux, que personne ne connaissait encore au plan national.

Les voilà donc, en résumé, mes belles années, mes jours heureux, qui l'étaient politiquement, mais aussi humainement. Bien sûr, le ciel bleu n'empêche pas les sombres nuages. Mais ils étaient, alors, si peu nombreux, en comparaison avec aujourd'hui ! Aurais-je, un seul instant, imaginé la suite, 17 ans plus tard ? Franchement non, même dans mes pires cauchemars : la perte progressive de nos élus, l'échec répété à toutes les élections locales, l'hégémonie impressionnante de la droite (qui accédait même à la notoriété nationale avec Xavier Bertrand), le retour de ce terrible passé de division que nous avions pourtant cru exorciser, la disqualification dès le premier tour, l'élimination par le Front national à trois reprises, non, ce cauchemar était inconcevable, aurait passé pour de la très mauvaise politique-fiction. Et je passe les "détails" : la perte des adhérents, les exclusions à répétition, les ralliements à la droite, les problèmes de communication, les réunions désertées, l'effacement de la vie publique ... et tout ce que par pudeur je ne révèle pas.

Au niveau départemental, fédéral dans notre jargon, la dégringolade n'a pas été aussi dramatique, mais au fil des années, j'ai vu s'éloigner, pour des raisons diverses, de fortes personnalités du parti : René Dosière, Jacques Krabal, Dominique Jourdain, qui n'ont plus leur carte. Même Jean-Pierre Balligand a perdu l'influence qu'il avait au départ. L'appareil politique s'est rétréci, resserré. Le renouvellement et le rajeunissement ont été trop limités. Il y a eu des occasions perdues, des rendez-vous manqués : je pense en particulier à Claire Le Flécher, dont la venue dans l'Aisne était pour nous tous une promesse d'avenir, même pour ceux, comme moi, qui ne partageait pas sa sensibilité. Mais elle représentait, en son temps, il y a quelques années, un espoir de rénovation, de redynamisation. Les courants, c'est bien joli, mais les personnes, leur volonté, leurs capacités, ça compte aussi, et je me demande maintenant si ça n'est pas plus important que le reste (alors que j'avais plutôt tendance jusqu'ici à privilégier l'engagement idéologique, déformation professionnelle sans doute).

Où en sommes-nous aujourd'hui ? Nous avons perdu l'Aisne et ces villes principales, nous avons un redoutable présidentiable de l'UMP dans nos murs, nous avons l'extrême droite qui nous bouffe la laine sur le dos, nous n'avons plus au Conseil général les élus qui avaient du coffre, du genre Jean-Jacques Thomas. Alors, on fait quoi ? On refait tout ! C'est la roue qui tourne, qui ne cesse pas de tourner. Après la pluie, le beau temps ; après l'hiver, le printemps : excusez-moi pour ces banalités, mais la vie en général est quelque chose de très banal.

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