lundi 13 avril 2015

Une mauvaise nouvelle



C'est un lieu commun de prétendre que la division est le pire des maux en politique. L'histoire dément pourtant ce jugement hâtif : la gauche unie échoue aux présidentielles de 1965 et de 1974, mais l'emporte en 1981, alors qu'elle était divisée comme jamais. En 1995, le RPR gagne l'élection alors qu'il est déchiré entre deux candidats issus de ses rangs, Chirac et Balladur. En 1999, le Front national perd la moitié de ses cadres, emportés dans une scission par Bruno Mégret ; trois ans plus tard, Le Pen est qualifié pour le second tour des présidentielles et Mégret oublié. Je pourrais multiplier les exemples. Et puis, sur le fond, la division est parfaitement légitime : elle manifeste tout simplement des divergences d'opinions, qui sont normales en démocratie. C'est pourquoi il faut se méfier de la rhétorique autour de l'unité et du rassemblement.

Pourtant, la division est aussi un symptôme de crise, et nul en politique ne souhaite à loisir la cultiver. Car elle est un luxe qu'on peut s'autoriser quand on est fort. En 2002, la gauche plurielle était affaiblie et la division entre de multiples candidatures a contribué à la chute de Jospin. Dans un contexte de fragilité, un parti doit tout faire pour éviter la division. L'extrême droite aujourd'hui n'est pas dans une telle situation, mais dans une dynamique ascendante. La division affichée depuis une semaine dans la famille Le Pen ne va donc pas nuire au Front national ; au contraire, je pense qu'il va en tirer tout bénéfice.

D'abord parce que c'est une façon pour le FN de se libérer de son héritage le plus infâme, incarné par le père. Et pourtant, rien n'a changé : le programme du parti reste le même, imprégné de xénophobie, de nationalisme et d'autoritarisme. Fidèle à son slogan, Jean-Marie Le Pen n'a fait que dire tout haut ce qu'une bonne partie de ses troupes disent depuis longtemps tout bas. Mais la fille pourra continuer à laisser croire à un mensonger changement de cap.

Je vais dire quelque chose d'horrible mais de vrai (la vérité est rarement agréable) : sur TF1, la semaine dernière, Marine Le Pen a été bonne, elle a rendu convaincant son mensonge, elle s'est taillée une figure de femme politique crédible, indépendante. En termes d'image, son visage avait gagné en gravité, perdant ce sourire qu'elle a en commun avec son père, ses petites dents de rongeur, qui campent bien le facho dans l'imaginaire qu'on s'en fait, surtout à gauche. Terminé, le rire de bateleur d'estrade, qui disqualifie immédiatement tout prétendu responsable politique : le leader du FN montrait d'elle un visage posé et maîtrisé. Ca ne change rien à sa dangereuse idéologie, mais la politique est aussi faite d'images, et celle-là est redoutable d'efficacité électorale. C'est pourquoi la polémique qui agite le FN, loin de le discréditer, va sans doute le renforcer : cette affaire, contre toute apparence, est donc une très mauvaise nouvelle pour la gauche et la droite républicaine.

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