dimanche 3 mai 2015

Un droit au blasphème ?



L'émission de Laurent Ruquier "On n'est pas couché" est un bon divertissement, mais un mauvais débat d'idées. Elle cherche à faire le buzz, pas à faire réfléchir. C'est d'ailleurs très bien comme ça : la vie ne serait pas drôle s'il fallait sans cesse penser et renoncer à s'amuser. Mais le mélange des genres est impossible et fâcheux : on ne peut pas à la fois réfléchir et rigoler. Hier encore, la remarque s'est confirmée : l'essayiste Caroline Fourest était invitée, un clash monumental était annoncé avec l'animateur-vedette Aymeric Caron, il ne s'est en fait rien passé du tout, aucune confrontation digne de ce nom, simplement une basse et vulgaire polémique, comme notre société médiatique en déclenche toutes les 48 heures.

Dans cette affaire, je soutiens Fourest contre Caron. Celui-ci reproche à celle-là d'avoir des positions trop tranchées, de s'en prendre nommément à des personnalités, de critiquer une partie de la gauche antiraciste. C'est devenu désormais typique de notre société : avoir des convictions fortes, argumentées, se montrer déterminé, critique, combatif, c'est très mal vu, vous passez pour intolérant, agressif. Voilà ce qui irrite Aymeric Caron chez Caroline Fourest : plus une question de forme que de fond. Il est souriant, léger, cool ; elle est sérieuse, stricte, intransigeante : impossible de s'entendre. J'aime bien Caron parce qu'il est sympa, marrant, curieux, pas bête et de gauche. Mais je préfère, de très loin, Fourest, parce qu'elle est rigoureuse, engagée, indépendante, directe et de gauche.

Apprécier une personnalité, lui reconnaitre d'éminentes qualités intellectuelles, comme c'est le cas chez Caroline Fourest, ne signifie pas non plus qu'on est toujours d'accord avec elle, ni même qu'on partage l'essentiel de sa pensée. Je suis en désaccord total (oui, à mon tour d'être direct et critique !) avec le titre de son dernier ouvrage : "Le droit au blasphème". Un titre, ce n'est pas rien : c'est le concentré de ce qu'on veut dire, l'idée la plus importante, le message à transmettre. C'est quelque chose qu'on choisit avec soin, sur quoi on réfléchit longuement, qui doit être très clair, immédiatement compréhensible. Or, ce titre-là ne correspond pas à ce que je pense et à ce que je veux.

Le "blasphème" est une notion religieuse qui n'a de sens que pour les croyants : c'est une offense à Dieu, une profanation du sacré. Pour celui qui ne croit pas, il n'y a ni Dieu, ni sacré, donc pas de profanation ni de "blasphème". Il y a seulement la liberté d'expression, le droit de critiquer ou de rire comme on l'entend, parce qu'on est en République. Mais parler d'un "droit au blasphème" n'a aucun sens, ne peut être qu'incompris. C'est un peu comme si l'on défendait un invraisemblable "droit à l'anti-syndicalisme" au nom de la liberté: ça n'aurait aucun sens, ce serait très contestable. Le droit d'expression et la liberté de critiquer, moquer ou caricaturer sont universels : c'est ce qui fait leur force. Pour les religions, un "droit au blasphème" ne peut être perçu que comme une attaque les visant en propre, reprenant leur vocabulaire, le retournant contre elles. La laïcité n'entre pas dans ce jeu-là : elle est neutre, indépendante, rationnelle, elle ne reprend pas à son compte des concepts religieux.

Laissons à la religion ce qui revient à la religion, et que la laïcité repose sur ses propres valeurs, qui lui suffisent, sans qu'elle ait besoin d'aller chercher ailleurs ce qui est étranger à sa tradition. Bien sûr, je ne doute pas que Caroline Fourest emploie l'expression "droit au blasphème" avec d'invisibles guillemets, dans un second degré, récupérant et détournant un terme religieux qui limite la liberté d'expression, et que l'objectif de la journaliste est de mieux défendre celle-ci. Oui, je comprends, mais ce titre, tel quel, est équivoque, il prête à mésinterprétation. Quand on est, avec bonheur, du côté de la rigueur, de la justesse des mots, de l'argumentation, on ne choisit pas un titre ambigu, confus dans ce qu'il laisse entendre. En République, autoriser le blasphème est aussi inconséquent que l'interdire. Jamais nos anciens laïques, qu'il ne faut pas se lasser de citer, n'ont songé à cette incohérence, à cette petite monstruosité théorique et juridique que serait un "droit au blasphème". Mais contrairement à Aymeric Caron, je ne prends pas la mouche, je ne m'indigne pas : je respecte un point de vue et j'argumente un désaccord. Il est malheureux que nous devions, dans le débat public actuel, rappeler de telles évidences !

Un dernier mot : savez-vous qui est le plus grand blasphémateur de tous les temps, condamné à mort pour cette raison ? Un athée, un voltairien, un anticlérical, un bouffeur de curé, un libre-penseur ? Non, vous n'y êtes pas du tout : c'est Jésus-Christ, coupable devant les grands prêtres du judaïsme de se dire Fils de Dieu, le pire blasphème qui soit à leurs yeux.

10 commentaires:

Anonyme a dit…

Pourriez vous nous redire succinctement ce que vous appelez être de GAUCHE ...
Quant au blasphème c'est le registre de l'insulte , de la diffamation et la justice est là pour dire le droit ...
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Emmanuel Mousset a dit…

Si vous ne savez pas ce qu'est la gauche (et la droite), il faut retourner à l'école.

Le blasphème n'est pas une insulte : c'est un propos sacrilège, et le droit français n'en dit rien.

Anonyme a dit…

Si le blasphème n'existe pas en droit français, l'injure et la diffamation sont régulièrement saisies devant les tribunaux. Le délit existe en revanche dans d'autres pays d'Europe et est même passible de la peine de mort au Pakistan.

Manuel Valls l'a redit mardi après-midi devant l'Assemblée nationale, "le blasphème n'est pas dans notre droit, il ne le sera jamais". Le débat ressurgit alors que des autorités musulmanes ont reproché à Charlie Hebdo de se livrer à "des blasphèmes" avec la publication mercredi de nouvelles du prophète Mahomet, dont l'islam interdit toute représentation.

"C’est un blasphème pour un musulman. C’est lui qui est concerné par les préceptes de l’islam. Mais un non musulman, il a le droit de faire ce qu’il veut", juge de son côté l'imam Abdelali Mamoun, animateur de l’émission "L’Islam Aujourd’hui" sur Beur FM.
Le cas particulier de l'Alsace-Moselle

Dans son discours, Manuel Valls a oublié le cas particulier de l'Alsace-Moselle qui, contrairement à l'immense majorité du pays, reconnaît le délit de blasphème, rappellent les DNA. Le code pénal local, hérité du droit allemand de l’après-1870, contient ce motif mais cet article n'a jamais fait l'objet d'une publication officielle en français, ce qui le rend inapplicable, rappelle L'Alsace.

Coïncidence, les représentants des principaux cultes en Alsace-Moselle, y compris l'islam, avait demandé la veille de l'attentat contre Charlie Hebdo, que le délit de blasphème soit abrogé car "il est tombé en désuétude".
D'autres voies de poursuite

Si le délit de blasphème n'existe pas, les croyants qui se disent choqués peuvent néanmoins saisir la justice pour d'autres motifs. En France, la plupart des poursuites contre des propos antireligieux se font en effet sur la base des articles 24 et 32 de la loi de 1881 sur la presse.

Le premier institue le délit d’"incitation à la discrimination, à la haine ou à la violence […] en raison de l’appartenance […] à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée". Le second concerne la diffamation dans le même contexte, explique Nicolas Verly, avocat spécialisé en droit de la presse.

Les fameuses caricatures de Mahomet ont donné lieu à des procès très médiatisés, tous gagnés par Charlie Hebdo.
Le blasphème existe en Europe

Si Manuel Valls est sorti fièrement mercredi du Conseil des ministres avec un exemplaire de Charlie Hebdo sous le bras, certains de ses confrères européens ne peuvent pas faire de même. En effet dans huit pays membres de l'union européenne le blasphème est un délit. Ce terme est mentionné dans la législation grecque, alors que l'Allemagne et la Pologne préfèrent parler "d'offense au sentiment religion". En Espagne, il est question "d'attaque porté au dogme religieux".

De l'autre côté de la Manche, au Royaume-Uni, la loi contre le blasphème et le crime de blasphème n'existent plus depuis 2008. Depuis 2010, l’interdiction du blasphème a été renforcée en Irlande et s’applique désormais à l’ensemble des religions et plus seulement au catholicisme.
La peine de mort au Pakistan et en Iran

Mais si la liberté d'expression sert souvent de bouclier au blasphème en Europe, il n'en n'est pas de même partout dans le monde. En décembre dernier, le rédacteur en chef du Jakarta Post, journal indonésien anglophone, a été accusé de blasphème par la police pour avoir publié une caricature de l’Etat islamique quelques mois auparavant, rapporte Le Monde.

Et le 9 janvier dernier un blogueur saoudien a été condamné à dix ans de prison et mille coups de fouets pour avoir critiqué la police religieuse. Au Pakistan et en Iran, le blasphème est même passible de la peine de mort. En 2014, Asia Bibi, une Pakistanaise chrétienne a d'ailleurs été condamnée à cette peine.

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Anonyme a dit…

La religion est l' OPIUM du peuple ; c'est toujours d'actualité et de plus en plus ... Comment se défaire de cette contagion qui gangrène tous les peuples de la planète ...

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Anonyme a dit…

Où va - t - on ???

Le concours de caricatures organisé par l'association "American Freedom Defense Initiative", connue pour ses positions anti-islamistes, était présenté comme un événement pour la "liberté d'expression" auquel avait été invité 300 personnes dont l'homme politique néerlandais Geert Wilders.

L'organisation, qui avait pris possession du centre culturel Curtis-Culwell de Garland, promettait un prix de 10.000 dollars (près de 9.000 euros) pour le meilleur dessin représentant le prophète Mahomet.
La présidente de l'association, Pamella Geller, est réputée aux Etats-Unis pour ses positions anti-islam.
Ce terrible incident montre à quel point une conférence sur la liberté d'expression est importante", a déclaré à la Fox l'organisatrice.
"Le monde musulman doit arrêter d'imposer sa sauvagerie sur le monde non-musulman et laïc. C'est l'heure de se tenir debout", avait-elle lâché avant la tenue de ce concours.
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Emmanuel Mousset a dit…

Non, la religion n'est pas plus l'opium du peuple que n'importe quelle autre passion. Et puis, l'homme peut-il vivre sans drogue ? Chacun a la sienne.

Anonyme a dit…

Les milliers de morts à cause des soi disantes religions , ça vous fait marrer , nous pas !!

Emmanuel Mousset a dit…

Détendez-vous et réfléchissez : la guerre, la famine ou la dictature ont fait beaucoup plus de morts que la religion.

Anonyme a dit…

Justement tu écris vraiment sans réfléchir , la guerre , quelles guerres ??? Difficile souvent de faire la différence entre une guerre " normale" et une guerre de religion et aussi ethnique par dessus le marché .. Ta réponse polémique et simpliste n'arrange RIEN .....
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Emmanuel Mousset a dit…

Vous ne savez pas ce qu'est une guerre ? Achetez-vous un bon dictionnaire. Pour le reste, une guerre peut en effet avoir de multiples prétextes.
Je confirme : c'est surtout la guerre qui tue, beaucoup plus que l'alcool, la drogue ou la religion.