jeudi 3 septembre 2015

Indécentes images



C'est l'honneur de la presse française de n'avoir pas publié ce matin la photo d'un enfant mort, sur une plage, après avoir tenté comme bien d'autres migrants de rejoindre à la nage l'Europe. Les journaux du continent n'ont pas eu cette pudeur. Nos réseaux sociaux, bien sûr, n'ont pas hésité : mais est-ce qu'on peut attendre d'une auge à cochons qu'elle soit propre ?

Indécence, oui, car il y a des choses, dans la vie, qu'on ne montre pas, surtout à l'insu de ceux qui sont ainsi photographiés : un corps nu, un défunt. Le sexe et la mort sont des tabous, dans n'importe quelle civilisation, et qui doivent le rester. Sommes-nous encore civilisés ? Il y a quelques semaines, Paris Match a publié des photos de migrants en train de se noyer en Méditerranée : où sont les barbares ? La honte s'est-elle emparée des lecteurs, des voyeurs du célèbre magazine ?

Cependant, n'avons-nous pas le droit d'être informés, y compris des horreurs de ce monde ? Oui, évidement, mais pas de cette façon-là : la photo de cet enfant, dont on ne respecte même pas les derniers instants, l'absence inhumaine de sépulture, cette photo-là n'apporte aucune information qu'on ne connaisse déjà. Elle est inutile, gratuite. Sa diffusion, pour cette raison, est obscène.

Les mauvaises intentions ne sont jamais à court d'argument : cette photo n'est-elle pas au service du Bien, en vue de faire réagir les populations, de les amener à un peu plus de compassion à l'égard des migrants ? Non, la générosité ne repose pas sur l'émotion, surtout pas sur celle-là. Quant à l'accueil politique de ces pauvres gens (voir le billet d'hier), c'est une affaire de raison, pas de sentiment.

L'usage public de nos émois est une manière détestable, une hypocrisie, une manipulation. Les sentiments n'ont de sincérité que dans la sphère privée, de personne à personne. Etalés au grand jour, ils deviennent un mensonge, une comédie. Plus trivialement, nos indécentes images permettent de gagner de l'argent en exploitant la vicieuse curiosité qui est en chacun d'entre nous. La presse française, aujourd'hui en tout cas, a résisté à cette bassesse : bravo !

8 commentaires:

Anonyme a dit…

l'ensemble de la presse Française diffuse l'image du cadavre de l'enfant sur les versions dématérialisés de leurs journaux (le Monde, l'Express, Aujourd'hui en France,....)

Emmanuel Mousset a dit…

Je vais assez peu dans l'univers "dématérialisé", je me contente de notre monde de matière et de papier.

Anonyme a dit…

Non , la presse française n'a pas eu l'honneur que vous lui prêtez, hélas !! bien souvent par un bouclage déjà terminé et seule aujourd'hui " La Croix" s'en explique.

Emmanuel Mousset a dit…

Vous avez raison. Honneur à "La Croix", donc. J'en reparlerai dans le billet de ce vendredi.

C a dit…

Dans le plus droit fil de l'histoire, tout tabou finit par céder...

citoyen MF a dit…

.ah bon? il ne faut pas montrer l'horreur parce ce que ça peut choquer? tu as des pudeurs bien faciles mais il faut quelquefois "oser" (ce n'est pas ,on le sait,ton caractère );dans le cas présent j'aurais préféré moi aussi "ne pas voir" mais il est des circonstances où braver l'interdit est une nécessité:cet enfant est mort noyé parce que sa famille voulait fuir la guerre;qu'au moins sa mort serve à quelque chose et que nos sociétés occidentales du bien-être , de la paix, regardent en face ce qui se passe ailleurs et qu'on ne peut exonérer d'en être (un peu, beaucoup?) responsables

Emmanuel Mousset a dit…

1- Si tous les tabous finissent pas céder, quand va-t-on exterminer les vieux et les infirmes ?

2- "Les cons, ça osent tout, c'est à ça qu'on les reconnaît", Michel Audiard.

Anonyme a dit…

En quoi le décès d'un enfant, à circonstances identiques, ferait-il plus de "sens" que celui d'un être âgé ?
Où situer la barrière ?
Les morts des guerres moyenâgeuses, jeunes, adultes, vieillards et toutes les victimes collatérales rejoignent ceux des guerres ancestrales et ceux des guerres modernes comme celles qui restent à venir pour signifier seulement les quatre mots du poète :"Quelle connerie, la guerre !"