jeudi 5 novembre 2015

Un grand intellectuel français



Un grand intellectuel français nous a hier soir quittés : René Girard. Il était à la fois connu et méconnu, et surtout insuffisamment reconnu, n'appartenant pas à une coterie universitaire, à un réseau d'influence ou à une clientèle médiatique. Ce n'était ni Michel Onfray, ni Bernard-Henri Lévy, mais nonobstant le respect et l'estime que nous leur devons, René Girard leur était incomparablement supérieur, dans l'ordre intellectuel, bien sûr.

Ce grand intellectuel français était atypique, ceci expliquant aussi sa relative marginalisation. D'abord, il a fait toute sa carrière aux Etats-Unis, comme René Descartes a longtemps vécu en Hollande : la France, qui s'enorgueillit de sa vie intellectuelle, ne fait pas toujours bon accueil à ses penseurs. Ensuite, René Girard a adopté une démarche résolument interdisciplinaire, entre philosophie, littérature et sciences sociales. Notre pays aime les catégories et raffole des spécialités, en dehors desquelles le salut intellectuel devient incertain. Girard en a pâti. Enfin, sa pensée était chrétienne, ce qui n'est plus dans l'air du temps depuis longtemps : existentialiste, structuraliste, marxiste, freudien pourquoi pas, mais chrétien, c'en est presque suspect ... D'autant que René Girard prétendait à l'apologétique, comme Pascal en son temps. Mais l'auteur des "Pensées" est admiré : peut-être bien qu'un bon philosophe chrétien est un philosophe mort ? De ce point de vue, Girard a toute l'éternité devant lui ...

En quoi consiste sa pensée ? Le désir est malade, mimétique et violent, à la base pourtant de la civilisation. On ne veut quelque chose que parce qu'autrui le veut : l'humanité, c'est la rivalité et le conflit, elle ne s'en sort qu'en désignant un bouc émissaire, dont le sacrifice permet de ressouder les liens fragiles de la communauté. Une seule perspective permet de sortir de cet enfer collectif : le Christ, victime innocente et volontaire, qui se livre aux hommes pour les sauver et rompre le cycle de la violence.

Attention : pas besoin d'être croyant pour faire son miel de ce que nous dit René Girard (de rigoureux marxistes sont des pascaliens fervents). Regardez la vie politique contemporaine : une société en mal d'identité se cherche un bouc émissaire, par exemple l'immigré, pour tenter de faire son misérable salut. Le problème du monde actuel, et la limite de la pensée girardienne, c'est que les boucs émissaires se sont multipliés, que chacun a tendance à se présenter comme victime et que l'idée de sacrifice est refoulée, en même temps que la violence qui va avec. Quoi qu'il en soit, saluons la mémoire et l'oeuvre de ce grand intellectuel français.


En vignette, le hors-série de "Philosophie Magazine", paru en novembre 2011, une bonne introduction à la pensée de René Girard.

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