lundi 1 février 2016

Justice Sauvage



La grâce partielle accordée par François Hollande à Jacqueline Sauvage a signé la fin d'une certaine idée de la justice, classique, qui prévalait en France depuis très longtemps. Il était convenu que nul ne pouvait rendre justice lui-même, que cette tâche incombait aux tribunaux, composés de spécialistes et de citoyens, délibérant au nom du peuple. Jacqueline Sauvage n'a jamais fait appel à la justice, n'a pas porté plainte pendant des décennies de calvaire pour elle et ses filles, a décidé d'exécuter d'un tir de fusil dans le dos son salaud de mari. Aucune légitime défense : un choix de justice purement personnel, pour des motifs parfaitement légitimes, que l'institution judiciaire ne pouvait que condamner par plusieurs années de prison, conformément aux lois en vigueur.

Le droit de grâce est un déni de justice. Il suspend, relativise ou efface, appelez ça comme vous voudrez, le travail des tribunaux. C'est le bon plaisir du roi, le jugement de Dieu : acte personnel de Jacqueline Sauvage, décision personnelle de François Hollande ; à l'époque de l'individualisme-roi, personne n'y trouve à redire, aucun homme politique, pas même ses pires adversaires politiques, ne se sont opposés au chef de l'Etat. Jusqu'à présent, la justice fonctionnait à la raison. Dans le cas de Jacqueline Sauvage, c'est la compassion qui a tout emporté. L'opinion et ses passions auront été plus fortes que les magistrats et les jurés populaires. C'est bel et bien la fin de la justice telle qu'on l'a connue.

Parmi les partisans de Jacqueline Sauvage, lors d'une manifestation en sa faveur, une pancarte proclamait, un an après la tuerie de Charlie qui a généré le fameux slogan, dans une même calligraphie : "Je suis Jacqueline Sauvage". Oui, nous sommes tous cette femme, tous avides de faire justice par nos propres moyens, chacun disposant d'excellentes raisons. Les femmes maltraitées, encore trop nombreuses dans notre pays, se reconnaissent entièrement en Jacqueline Sauvage. C'est pourquoi elles exigeaient et ont obtenu sa libération. Un symbole a été sauvé. Mais la justice délibère sur des personnes, pas sur des symboles. Une autre pancarte réclamait, en lettres capitales : "Justice Sauvage". Joli lapsus : désormais, et depuis un certain temps déjà, la justice n'est plus ce qu'elle était, mais spontanée, émotionnelle, sauvage. Hélas, tant pis ou tant mieux.

4 commentaires:

Anonyme a dit…

Dois-je comprendre que vous souhaitiez la laisser en prison ? Il y quelques années, quand le premier acte des présidents de la République à peine élu était de faire voter une loi d'amnistie, cela ne choquait personne !

Emmanuel Mousset a dit…

1- Je souhaite qu'on respecte les décisions de la justice, qu'on la laisse agir en toute indépendance. Je ne me prononce pas sur le fond du dossier. Ce n'est pas ma place.

2- Une loi d'amnistie n'a rien à voir avec une grâce présidentielle : la première est un acte législatif, la seconde relève du fait du prince.

D a dit…

Pour avoir été juré d'assises, je suis très profondément choqué qu'une décision collégiale prise après de très longues heures de procès puis de réunion entre les jurés amateurs et les trois professionnels, puisse être balayée d'un trait de plume par une personne, qu'elle soit Président de la République ou non, sans avoir participé à ces débats contradictoires.
Aucune décision de justice ne devrait pouvoir être remise en cause autrement que par une autre décision de justice.
Le fait du prince n'est pas une décision de justice : c'est une injustice purement et simplement.
Je m'exprime ici sans passion ni compassion. Dans l'intérêt du bon fonctionnement de la justice en France en respect de la séparation des pouvoirs.

Emmanuel Mousset a dit…

D'accord avec vous, mais pas "choqué" : la grâce est une prérogative institutionnelle inscrite dans la Constitution. Il en faut un peu plus pour nous "choquer".