samedi 23 avril 2016

Je te tiens, tu me tiens ...



Nous vivons dans une étrange société, où un simple mot peut provoquer tout un débat, interpeller ministres et responsables politiques, susciter analyses et commentaires, applaudissements et approbations. Plus nous parlons mal, plus notre langage devient approximatif, plus les mots gagnent en importance. Voilà un curieux paradoxe. Jeudi, c'est le mot "obligé" qui a tenu la vedette, prononcé par la vedette de ces dix derniers jours, Emmanuel Macron. Qu'a-t-il dit exactement à la presse régionale ? Ceci :

"J'ai une loyauté personnelle envers François Hollande. Je lui dois de m'avoir fait confiance et de m'avoir nommé au gouvernement. En même temps, lorsqu'un président nomme quelqu'un ministre, il le fait parce qu'il pense que c'est bon pour son pays, pas pour en faire son obligé".

C'est très clair, c'est très juste. Franchement, qu'y a-t-il à reprocher à Macron dans cette déclaration ? Fidélité, loyauté, confiance : c'est dit. Mais que seraient ces vertus, nécessaires à la politique comme à la vie, si elles étaient contraintes, forcées, intéressées, obligées ? Elles perdraient de leur valeur, elle deviendrait suspectes. Il n'y a de fidélité, de loyauté et de confiance que dans la liberté, la sincérité. L'expérience montre que les obligés, qui courbent l'échine parce qu'on leur passe la main dans le dos, sont les premiers à trahir, lorsque tourne le vent, et il tourne très vite en politique. C'est l'honneur de Macron de dire ce qu'il a dit. C'est la fierté d'Hollande d'avoir un tel ministre. Qu'est-ce qu'un obligé ? C'est un courtisan qui a réussi et qui continue ses courbettes, jusqu'à faire un croc-en-jambe au moment où les circonstances l'exigeront.

Et puis, un homme de gauche, par nature, par sensibilité, refuse d'être l'obligé de quiconque. Car cette attitude renvoie au comportement féodal, au rapport entre le vassal et son suzerain, à tout un système archaïque et réactionnaire de services rendus et de protection assurée. Au mieux, c'est la chevalerie ; au pire, c'est la mafia. Quel homme authentiquement de gauche peut le cautionner ou le pratiquer ? Pourtant, que des socialistes aient pu s'étrangler en entendant un mot, un simple mot dont ils auraient dû se féliciter, doit avoir un sens. Lequel ?

C'est assez simple : notre vie politique, y compris à gauche, est marquée par la mentalité féodale. On parle d'une circonscription comme d'un fief, d'un successeur comme d'un dauphin, d'une élection comme d'un sacre, d'un chef d'Etat comme d'un monarque, de l'entourage comme d'une cour, etc. Ce ne sont que des images, des métaphores ? Non, pas seulement. Le langage n'est jamais innocent, il est traversé par du sens. Ce qui est vrai au sommet de l'Etat l'est aussi dans un parti, jusqu'à son plus bas niveau.

La politique est souvent faite d'un côté par des personnes en quête de reconnaissance, n'existant pas par elles-mêmes, cherchant le soutien d'un plus puissant, espérant de lui une place, et peut-être sa place, le moment venu. D'un autre côté, la politique est constituée de gens, beaucoup moins nombreux, qui sont en place, qui ont besoin des autres, des premiers, pour être soutenus, défendus. C'est le jeu de la barbichette : je te tiens, tu me tiens ... Le succès en politique, surtout quand on est médiocre, qu'on ne peut pas briller par ses compétences propres, consiste à se rendre indispensable auprès de plus puissant que soi, à qui l'on devient redevable. Contrairement à la fable, on n'y a pas besoin d'un plus petit que soi, mais d'un plus grand. C'est un jeu de contrainte mutuelle, d'interdépendance, de service et de servitude.

A tous les niveaux de la politique, ce système féodal perdure. A droite, c'est normal, c'est en phase avec sa culture historique. Mais à gauche, plus républicaine, libre et égalitaire, cet état d'esprit ne devrait pas être. C'est à travers la banalité d'une formule, franche et honnête, qu'Emmanuel Macron a levé ce lièvre. Si certains ministres et responsables socialistes ont vivement réagi, c'est qu'ils se sont reconnus : ils ont derrière eux, en eux, toute une vie, toute une mentalité d'obligé, j'ai presque envie de dire d'assisté, qui fait ce qu'ils sont, sans laquelle ils ne seraient plus rien du tout, dont ils souffrent quand elle se rompt. Alors que Macron, au fond, s'en fout : qu'il réussisse, tant mieux ; qu'il échoue, tant pis. Le gaillard a suffisamment de talents pour passer à autre chose, sans s'en s'émouvoir beaucoup plus.

Emmanuel Macron sourit, lâche la barbichette et reçoit une tapette, parce que personne ne le tient. Et c'est le drame, le désespoir pour les féodaux, qui auraient sûrement rêvé d'être comme lui, des hommes libres et talentueux, et pas de médiocres et ternes obligés. Macron renverse la table et le trône : il soutient que le recrutement politique doit se faire à la compétence, et pas à l'allégeance. On comprend le scandale auprès de ceux dont la compétence est pauvre mais qui disposent de trésors d'allégeance.

D'un point de vue plus directement politique, le ministre, de Pologne, a visé juste dans son explication : on cherche à affaiblir le président, à attaquer Hollande, on passe par Macron, on retient un mot qu'on monte en épingle, on invente une division au sein du gouvernement. C'est une technique vieille comme le monde politique, dont on voit bien à qui elle profite. Le plus surprenant, c'est que des socialistes participent à cet affaiblissement de leur propre camp.

6 commentaires:

D. a dit…

"Obligé, obligé... Est ce que j'ai une gueule d'obligé ?"
aurait-il pu dire...
Un autre a dit en son temps :
"Un ministre, ça ferme sa gueule ou ça démissionne"...
Deux ministres, deux attitudes.

Philippe a dit…

E.M. a dit : « Nous vivons dans une étrange société, où un simple mot peut provoquer tout un débat, interpeller ministres et responsables politiques, susciter analyses et commentaires, »

Il me semble qu'en ce domaine tout le monde participe.
Cela ne nous gêne que quand celui qui fait l'objet de ce type de réaction nous est sympathique ou parce que nous nous sentons proche de lui idéologiquement.
Cette déviance conduit en fait à des débats superficiels et non à des débats de fond argumentés et documentés.
Les commentaires en disent souvent beaucoup sur les pensées souvent affectives de leurs auteurs et souvent quasiment rien sur l'objet en discussion.

D. a dit…

Vous parlez de vous, vraisemblablement, Philippe...
S'il y a déviance, elle est de votre fait.
Et la superficialité, l'affectivité, allant avec...

Philippe a dit…

D.
Pourquoi échapperai-je à la condition humaine ?
Me perdre dans l'affectif m'est beaucoup plus facile et beaucoup moins consommateur d'énergie cérébrale que de tenter d'appliquer une méthode scientifique pour l'observation des phénomènes sociaux …
Les interventions dans les réseaux sociaux ne sont que déclarations d'affects
Se frotter/fritter aux autres « galopins » reproduit la cour de récré …
D'ailleurs un vocabulaire pauvre mais répétitif révèle ce côté ludique induit par les médias eux-mêmes ….
dérapage …. tacle …
D tacle Philippe qui tacle D en essayant de ne pas déraper !

Anonyme a dit…

Quand on est un homme politique, un vrai, voire un Homme d'Etat, on ne commente pas la politique intérieure de son pays de l'étranger. Ne vous en déplaise Macron est bien l'obligé de Hollande dans la mesure où ce dernier l'a lancé dans l'arène publique en le nommant ministre. Comme on lance une savonnette ou tout produit commercial qui repose sur une publicité médiatique et seulement elle. Macron essaie de s'émanciper de son tuteur mais il est plombé par le désastreux bilan de son mentor. Comme Valls auquel il fait de l'ombre.
Avec votre définition de la façon de faire de la politique il n'y aurait pas de grands hommes même à gauche comme Jaurès, Blum et Mitterrand mais uniquement des médiocres comme Hollande, Valls et Macron.

Erwan Blesbois a dit…

"Appliquer une méthode scientifique pour l'observation des phénomènes sociaux..." c'est en outre la définition du nihilisme selon Nietzsche.