vendredi 8 avril 2016

Prêtres, pécheurs, pédophiles



Une étrange et surréaliste polémique a retenu mon attention ces derniers jours, à la suite d'une intervention de l'évêque de Pontoise, qualifiant la pédophilie de "mal" mais hésitant à la qualifier de "péché". Cette nuance est toute théologique. Le "mal", c'est l'état du monde après la Chute. Le "péché", c'est la faute humaine commise en toute conscience et liberté. Pour le prélat, la pédophilie est condamnable en tant que "mal" incontestable, mais ne sachant pas si le pédophile a la pleine conscience de ce qu'il fait, ni la totale liberté de ses actes (qu'on peut ramener à la mécanique pulsion), l'évêque hésite à utiliser le terme de "péché", se réservant l'examen au cas par cas, refusant de généraliser.

Ce point de vue est purement de philosophie religieuse. Humainement, moralement, l'essentiel est que l'autorité catholique range sans ambiguïté la pédophilie du côté du "mal". Or, la ministre de l'Education nationale n'a pas apprécié cette position et a demandé à l'évêque de revenir sur ses propos, c'est-à-dire de nommer la pédophilie en tant que "péché". C'est étrange parce que la République n'a pas à se servir du vocabulaire religieux pour désigner un acte condamné. En régime de laïcité, les seuls mots qui prévalent sont ceux du droit, du Code pénal : la pédophilie est très exactement un crime, un viol, une agression sexuelle. Les psychologues et les psychiatres ajouteront éventuellement que c'est une névrose, une perversion. L'opinion publique actuelle (la doxa, comme disent les philosophes) utilise volontiers le mot de "prédateur". Mais la notion de "péché" et même de "mal" appartiennent à la sphère religieuse, dans laquelle l'Etat n'a pas à intervenir ni donner des leçons à ses clercs en ce qui concerne le bon usage du langage théologique.

L'Eglise et la pédophilie, quand on veut bien sortir ce débat de la polémique et y réfléchir sérieusement, c'est tout de même quelque chose de stupéfiant. Pendant des siècles, l'institution catholique a eu une image de répression sexuelle, qu'elle tirait de l'Evangile, qui condamne débauche et adultère. Le Christ va jusqu'à dire qu'on a déjà "péché" rien qu'en désirant, en regardant, sans même un passage à l'acte. En quelques années, cette image s'est totalement inversée : l'Eglise abriterait et absoudrait des criminels sexuels, et du pire des crimes sexuels qui soit, abuser d'un enfant innocent. Les répressifs apparaissent maintenant comme des laxistes. Comment a-t-on pu en arriver là ? L'autre paradoxe, c'est que cette critique qu'on adresse à l'Eglise catholique est faite par une société de grande licence sexuelle, depuis une quarantaine d'années, ce que confirme un rapide coup d'œil sur internet.

Mon explication, c'est que l'Eglise n'est pas de ce monde, que son message est moins compris que jamais, avec l'extrême sécularisation de notre société. Que dit l'Evangile, qui nous parait, aujourd'hui encore plus qu'hier, scandaleux ? Qu'il ne faut pas juger son prochain, qu'il faut aimer son ennemi, qu'il faut pardonner à ceux qui font du mal. Au nom de ces trois principes, je crois que l'évêque de Pontoise se refuse à juger, continue à aimer et s'apprête à pardonner au prêtre pédophile, sachant que le pardon chrétien s'accompagne d'une sévère pénitence, qui est même la condition du rachat. Qui aujourd'hui est apte à comprendre ce langage ? Je ne suis même pas sûr que tous les catholiques y adhèrent, influencés qu'ils sont par l'esprit du monde.

Si le prêtre est devenu suspect, c'est que son célibat dérange et inquiète. Pourtant, les statistiques sont formelles : la pédophilie, dans 9 cas sur 10, est une histoire de famille. Mais qui ose s'en prendre à cette institution, jugée "naturelle" ? Il y a quelques jours, l'émission "C dans l'air" titrait malhonnêtement : "Pédophilie : l'école et l'Eglise", surfant ainsi sur la mode anti-institutionnelle, dédouanant le simple citoyen et le bon père de famille. Incriminer l'instituteur ou le curé, c'est plus expéditif : "C dans l'air du temps", voilà comment il faudrait rebaptiser la populaire émission de Calvi.

Le tort de l'Eglise, c'est de ne pas être elle-même, de prendre des prudences à l'égard du monde. Autrefois, le prêtre pédophile aurait été qualifié de "possédé", de "démon", peut-être conduit au bûcher. Le Christ ne dit-il pas que ceux qui touchent à n'importe lequel de ses petits sera jeté à la mer, une meule autour du cou ? Au moins, là les choses sont claires. A l'évêque de Pontoise, je reprocherais aussi sa notion du "péché", car les prières de l'Eglise affirment sans ambiguïté que celui-ci est "volontaire" comme "involontaire". Faire le mal sans le savoir, ou pire en croyant faire le bien n'atténuent absolument pas la gravité ni la nature du "péché". A moins que l'évêque ne soit influencé par le jésuitisme, prompt à relativiser et à amoindrir la portée des "péchés", jusqu'à parfois les effacer. La Compagnie de Jésus n'a pas toujours œuvré à la pureté de la foi, Pascal était le premier à le lui reprocher.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Ce qui me frappe dans un sujet sensible à ce point c'est l'hystérie médiatique à traquer de présumés coupables pour des faits couverts par la prescription. A jeter en pâture à l'opinion un Cardinal qui a eut le tort de se prononcer contre le mariage pour tous alors qu'il était dans son rôle. La presse a bien peu de mémoire pour oublier l'affaire d'Outreau où un juge a servi à l'opinion des coupables en s'acharnant sur eux et en menant une enquête à charge, le contraire d'une justice exemplaire. Ce dernier a détruit par son amateurisme et ses préjugés de nombreuses vies bien mal réparées après par la "justice". Seul, le chroniqueur de "Vu du Droit", sur un site en ligne, Régis de Castelnau, a bien en évidence l'acharnement médiatique contre un présumé coupable et complice de prêtres pédophiles.

J a dit…

Quelqu'un aurait dit : "Que celui qui n'a jamais péché jette la 1ère pierre".
Le même aurait dit : "Rendez à César ce qui est à lui et à Dieu, ce qui est à Dieu"...
Ce type (Issa), s'il a vraiment dit cela, a défini exactement le cadre de pensée.
Les prêtres n'ont à parler qu'en tant que prêtres.
S'ils veulent parler en citoyens, qu'ils le précisent auparavant.
Les précautions oratoires ne sont ni vaines ni superflues.
En tant que citoyen, la pédophilie, c'est un crime à expier pour retrouver sa place dans la société à condition de ne pas recommencer.
En tant que croyant, c'est forcément un péché pardonnable si réellement confessé.
Ne pas sous-estimer l'importance de la confession dans la religion catholique.
La ministre de l'éducation, en l'occurrence aurait mieux fait de se taire sur ce sujet...
"La parole est d'argent mais le silence est d'or" dit-on.