samedi 7 mai 2016

A very good muslim



Depuis deux jours, c'est le battage médiatique autour de l'élection de Sadiq Khan, d'éducation musulmane et d'origine pakistanaise, au poste de maire de Londres. Les chaînes d'information continue donnent le ton, tout le monde suit et reprend, sans distance ni réflexion. Ce conformisme des images et des écrans m'horripile, y compris lorsqu'il est censé s'exercer pour la bonne cause, comme il semble. Allons voir un peu ce qui se cache derrière les meilleures intentions et les apparences.

D'abord, l'événement n'a pas l'ampleur politique qu'on lui prête. Khan va gérer les transports et l'urbanisme d'une grande métropole. Son pouvoir ne sera pas immense. Mais chacun a compris que ce n'est pas son programme qui bouleverse : c'est la personne et le symbole. Justement, c'est là où je suis gêné : en bon républicains et laïques qu'hélas nous ne sommes plus, nous ne devrions pas faire référence, encore moins nous extasier devant les origines ethniques ou confessionnelles des hommes politiques, chez nous ou ailleurs. Tout ce qui ramène à une identité strictement personnelle ne devrait pas avoir sa place dans le débat public, ne lui apporte rien, introduit au contraire une tendance préjudiciable à l'esprit républicain, qui ne considère que les citoyens, fait abstraction des racines familiales et spirituelles.

Les commentateurs ont longuement justifié leur engouement pour cette élection par son message positif : la réussite de l'intégration. Mais c'est l'arbre qui cache la forêt ou l'exception qui confirme la règle. La société britannique est profondément inégalitaire, les relations sociales y sont violentes, son communautarisme est exacerbé. Le cas de Sadiq Khan est tellement exceptionnel qu'il en devient insignifiant. C'est tout au plus une vitrine. Une politique d'intégration ne se mesure pas au succes story d'une personnalité, mais à des statistiques couvrant toute une société. Sans oublier que l'activité politique, comme un peu partout, demeure ouverte à la promotion sociale, beaucoup plus que le monde professionnel : on peut y réussir sans passer par les grandes ou les petites écoles, l'ascension s'y fait aux opportunités et aux qualités individuelles. En France aussi, nous pouvons le vérifier, dans bien des cas.

La belle histoire de Sadiq Khan relève du storytelling à usage des médias. En Amérique, cruellement inégalitaire elle aussi, on aime à se raconter des récits de self made man qui ne doivent rien qu'à eux-mêmes. On s'émerveille devant les ascendants du nouveau maire de Londres, père chauffeur de bus, mère couturière. Voilà qui nous rassure à bon compte sur la société contemporaine, capable de récompenser ainsi le mérite, sans s'interroger beaucoup plus sur la réalité et les conditions d'un tel triomphe : quand la surface des choses nous convient, on ne cherche pas à creuser plus loin. J'y vois aussi une pulsion encore moins positive : la haine des élites, le refus des héritiers, le populisme ambiant qui traversent l'opinion européenne et qui trouvent dans les médias une caisse de résonnance.

Et pourquoi tout ça ? Pourquoi le phénomène prend ? Parce que la société française a besoin d'exorciser ses démons, de faire oublier qu'elle met en tête des intentions de vote un parti extrémiste et xénophobe, qu'elle traîne depuis 10 ans un débat nauséabond sur le voile islamique, débouchant sur la stigmatisation d'une partie de notre population. La belle histoire de Sadiq Khan, c'est un exercice de catharsis nationale, une façon de se refaire une virginité. Depuis les attentats de l'an dernier, nous n'en finissons plus de fantasmer les musulmans en méchants terroristes. Miracle : outre-manche, voilà que nous apparaît un musulman présentable, propre sur lui, tellement européen, en fin de compte. Mais on ne rachète pas la réalité avec une légende.

Je suis très heureux que Sadiq Khan ait été élu maire de Londres. Non pas parce qu'il est pakistanais d'origine, non pas parce que sa religion est l'islam, non plus parce que son papa conduisait un bus, mais simplement parce que c'est un homme de gauche, un travailliste, comme on appelle là-bas les socialistes. L'unique raison de ma satisfaction est politique, pas ethnique, pas religieuse, pas sociologique : seulement politique.

2 commentaires:

Jean M. a dit…

Pour une fois que je suis d'accord avec vous sur un article, j'ai trouvé dommage qu'il n'y ait pas de commentaire. Voilà c'est fait.
Mon seul désaccord est que j'aurais préféré George Galloway élu. Ou pourquoi pas Lee Harris tiens, ça aurait été rigolo.

Philippe a dit…

"La belle histoire de Sadiq Khan, c'est un exercice de catharsis nationale, une façon de se refaire une virginité."
complètement d'accord
Le « vivre ensemble » est un exercice du même genre en France.
Ces deux pays ont en commun d'avoir été des pays dont les oligarchies dirigeantes furent à la pointe du commerce triangulaire ( https://fr.wikipedia.org/wiki/Commerce_triangulaire ) auquel a succédé immédiatement le colonialisme dont la fin ne date que de 1962 en ce qui concerne la France.
Le problème est complètement inverse dans les pays de l'UE de l'Est qui furent des pays colonisés par des musulmans.
Fracture européenne majeure dont personne ne désire parler.