jeudi 5 mai 2016

L'Ascension de Siné



Quand je fais visiter le cimetière Montmartre, à Paris, nous terminons par la tombe toujours très fleurie de la chanteuse Dalida, le cénotaphe d'Emile Zola, vide depuis que l'écrivain républicain a rejoint le Panthéon, et une dernière sépulture, assez étrange, un cactus géant en forme de doigt d'honneur, sans aucun nom, et pour cause : les concessionnaires sont encore vivants. Une seule inscription, dont l'humour interroge : Mourir ? Plutôt crever ! Encore vivants ? Non, pas tout à fait : le réalisateur saint-quentinois, Benoît Delépine, qui a choisi là sa dernière demeure, est toujours de ce monde ; mais son compagnon dans le grand sommeil nous a quittés tout juste ce matin, le dessinateur et polémiste Siné.

Cet anticlérical notoire, athée virulent, disparaît le jour d'une fête religieuse, l'Ascension du Christ, clin d'œil du hasard ou de la Providence. Il n'est pas monté au ciel des croyants, mais depuis plus d'un demi-siècle, au ciel de la célébrité. Siné avait réussi ce qui n'est permis qu'à un petit nombre : se faire un personnage, un style, accéder à la notoriété. Rien que pour ça, chapeau bas. Son coup de crayon était fin, son dessin s'accompagnait de commentaires en pattes de mouche. Il était autant artiste que chroniqueur. Son dernier texte date de pas plus tard qu'avant hier, sur son blog : au seuil de la mort, Siné écrivait encore, et sur ... la mort. Mon rêve ! Poster un ultime billet avant de rendre l'âme sur mon lit d'hôpital.

Bon, je ne vais pas me confondre en éloges, Siné n'aurait pas aimé. Si le personnage m'intéressait, si son écriture était estimable, je ne partageais pas ses idées, sa sensibilité, cette espèce d'anarchisme intégral qui détruit tout sur son passage, sauf quelques valeurs humaines, le plaisir, l'amitié, la rigolade, ce qui n'est pas rien non plus. Mais les valeurs transcendantes, convictions politiques, règles morales ou croyances religieuses, n'avaient pas leur place chez le vieil anar. C'est là où je me sépare de lui. En 2008, quand il est viré de Charlie hebdo pour un dessin tendancieux, considéré par certains comme antisémite, je me range farouchement du côté des pro-Val, le rédacteur en chef, social-démocrate, contre les pro-Siné, qui regroupent alors la crème des contestataires, Onfray, Bedos et quelques autres. Un nouveau magazine va en naître, Siné hebdo, devenu Siné mensuel. Je suis Charlie, je n'étais pas Siné.

Un athée qui meurt, c'est comme un voyageur sur le quai d'une gare, qui traîne une grosse malle, sa vie, dans l'attente d'un train qui ne conduit nulle part. Siné a vécu ses dernières années en roulant à ses pieds une bonbonne à oxygène, des tuyaux en plastique dans les narines. Son texte publié hier, la veille de l'opération qui allait le conduire dans la tombe, est marqué par cette fatigue, ce désabusement de celui qui va mourir sans espoir et sans gloire. Pour un athée, la mort est un non événement, un mauvais moment à passer, une péripétie banale. Pour Siné, il restera la mémoire publique que nous garderons de lui, et un drôle de cactus géant devant lequel passeront les visiteurs du cimetière Montmartre et les prochains groupes que je guiderai.

10 commentaires:

D. a dit…

Pour un athée, la mort est un non événement, un mauvais moment à passer, une péripétie banale. ..
Voilà une assertion péremptoire qui semble provenir de quelqu'un qui est sûr de détenir la vérité...
Et c'est quoi la vérité ?
Il faut aller au bout du propos, ne pas rester en chemin...
Instruisez nous, vous qui savez !
C'est quoi la mort pour un non-athée ?

Emmanuel Mousset a dit…

Il est important d'avoir des certitudes. On ne peut pas rester toute sa vie un adolescent hésitant. Mais n'attendez pas de moi que je vous impose quoi que ce soit : c'est à vous d'avoir vos propres certitudes, d'y réfléchir et de les défendre, comme je le fais sur ce blog depuis bientôt 10 ans. Courage, il n'est pas trop tard pour devenir adulte !

D. a dit…

Eh bien, au sujet de l'au-delà, les certitudes de SINE sont tout autant respectables que celles que vous n'exprimez pas.

Emmanuel Mousset a dit…

Ai-je dit le contraire ? Si j'ai consacré à Siné tout un billet, c'est pour lui rendre hommage, tout en ne partageant pas ses idées. C'est ce qu'on appelle la tolérance, qui n'est pas contradictoire avec la certitude, qui vont même ensemble.

Jean M. a dit…

Le dessin tendancieux n'était-il pas un prétexte à l'époque et le licenciement de Siné un souhait de Sarkozy ?
(Quel était ce dessin d'ailleurs ? Je ne retrouve plus)

Anonyme a dit…

Siné était un dessinateur férocement drôle avec lequel je n'étais pas toujours d'accord même en riant, son anarchisme intégral était la forme d'un individualisme total et complet comme pour tous les anarchistes, idem pour Léo Ferré. Lui, au moins, n'est pas allé à la soupe comme ce sinistre personnage de Philippe Val qui, selon certains fondateurs de Charlie-Hebdo et son prédécesseur Hara-Kiri, Cabu, Reiser, Cavanna, était un personnage autoritaire qui a fait évoluer Charlie vers une pente déclinante avant le sursaut temporaire engendré par l'attentat terroriste du 7 janvier 2015. Les animaateurs et dirigeants de ce magazine sont riches à n'en savoir plus que faire de cette richesse. Ils devraient la distribuer aux pauvres ce que les "socialistes" ne font plus.

Anonyme a dit…

Rien que votre titre est une insulte à la mémoire de Siné.

Emmanuel Mousset a dit…

1- Sarkozy n'a rien à voir dans cette affaire.

2- "Charlie hebdo" n'est ni Robin des Bois, ni l'abbé Pierre.

3- Vous êtes "choqué" pour pas grand chose.

A a dit…

Pour un athée, la mort est un non événement, un mauvais moment à passer, une péripétie banale.
Reprenons donc à partir de cette affirmation :
Pour un croyant, la mort est un événement, un bon moment à passer, une péripétie extraordinaire (qui vaut donc le coup d'être vécue)...
Après tous les attentats suicides et autres kamikazes de tout poil, il fallait oser ça.
Le billet en quatre parties en compte trois remarquables, d'une bonne veine mais malheureusement il se termine par une quatrième totalement incongrue et extrêmement discutable et même condescendante envers les non croyants condamnés à mourir idiots sans avoir rien compris de la vie alors que les autres, gloire à eux, ils ont tout compris de cette vie...
Nul n'est parfait, Siné ne l'était pas non plus.

Emmanuel Mousset a dit…

Les chrétiens sont pour la Résurrection, les athées pour la putréfaction : il n'y a pas photo, non ? Quant aux kamikazes, je ne vois pas ce qu'ils viennent faire ici.