jeudi 25 août 2016

Je m'appelle Edouard Philippe



C'est un formidable documentaire politique (un genre pas évident), diffusé sur France 3 le 10 août, "Edouard, mon pote de droite", de Laurent Cibien (2015). Edouard Philippe, un nom pas encore très connu, mais qui ne saurait tarder à l'être. Il était hier l'invité de la matinale de France Inter : maire du Havre et porte-parole d'Alain Juppé pour la prochaine présidentielle. L'intérêt de ce film passionnant, c'est qu'il a été réalisé par un ami d'enfance de l'homme politique, de gauche lui. Le générique donne l'ambiance : un pastiche d'Amicalement vôtre, avec les deux vies opposées qui se déroulent à l'écran en quelques dizaines de secondes. Le ton est annoncé : décalé, curieux, libre. La question : comment accède-t-on au pouvoir aujourd'hui ? L'occasion : les municipales de 2014. Un deuxième volet est prévu, sur la campagne de l'an prochain, nationale cette fois.

Le pouvoir aujourd'hui ? Pas si différent d'autrefois : le féodalisme. Quelqu'un vous chauffe la place, il suffit d'attendre. Après, bien sûr, il faut faire ses preuves, et ce n'est jamais gagné d'avance. Au Havre, Antoine Rufenacht a pris Edouard Philippe pour dauphin, qui a fort bien réussi, puisqu'il a été réélu dès le premier tour, dans une ville ouvrière et anciennement communiste (le parallèle avec Saint-Quentin est également intéressant). Quoi qu'il en soit, pas de self made man en politique française.

Edouard Philippe a fait les grandes écoles, mais ça ne se voit pas. Il veille à ne laisser apparaître aucun sentiment de supériorité intellectuelle, est sympa, cool, d'jeuns à la quarantaine. Ce sens du contact m'épate toujours, parce qu'il parait très simple, mais n'est pas évident du tout. Edouard Philippe s'en sort très bien : il serre les mains, n'oublie personne, fait un détour si nécessaire, ne s'attarde pas non plus à la causette inutile. C'est un art, et quel artiste ! Ce qui est fort, c'est que ce comportement qui n'a rien de naturel est fait avec un grand naturel, et même beaucoup de décontraction. Sans oublier le sourire : Edouard Philippe a sans cesse la banane.

A le suivre, à l'entendre, on comprend que la réussite politique découle d'une vertu essentielle : l'autorité. Parler, être écouté, être suivi, et sans forcer : voilà le coup de génie de la politique. Edouard Philippe n'est pas une personnalité exceptionnelle, singulière, pas même charismatique : il est mieux que tout ça, il entraîne, il est le meilleur dans son camp, et ça se sent. Deux moments sont particulièrement étonnants.

D'abord, la composition de la liste municipale : Edouard Philippe est seul, avec son bras droit, dans le calme de son bureau, comme la plupart du temps. Quand il vient dans une réunion, les décisions semblent déjà prises ; on discute pour la forme (j'ai connu ça aussi). Là, il passe en revue, sur l'écran de son ordi, l'équipe municipale, et clique sur ceux qu'il garde, ceux qu'il ne reprend pas et sur les nouveaux qu'il introduit. On a alors le sentiment palpable du pouvoir : décider, assumer, expliquer. Ensuite, Edouard Philippe prend son téléphone et appelle chacun de ses colistiers. C'est une scène très forte, qui met en avant le talent de l'homme, son caractère, son sens des responsabilités. Il est le chef, il se comporte en chef.

Le second passage qui a retenu mon attention, c'est une discussion avec des militants de son parti, Les Républicains, à propos d'un festival "gauchiste" qu'évidemment ses troupes souhaiteraient voir disparaître du Havre. Réponse catégorique d'Edouard Philippe : non, pas question, d'abord parce que les organisateurs font du bon travail, ensuite et surtout parce que le soutien à cette manifestation permet de "siphonner" des voix à gauche. La droite au Havre est dans la même situation que la droite à Saint-Quentin : devoir attirer une partie des voix de gauche pour se faire élire ou réélire. Edouard Philippe y parvient très bien.

Le générique de fin nous montre, non plus nos Danny Wilde et Brett Sinclair hexagonaux, mais le longiligne Edouard Philippe s'adonner à une nouvelle activité, pour laquelle il n'est pourtant pas "gaulé", selon ses dires : la boxe. Donner des coups, se protéger d'en recevoir, tenir bon, se relever, mettre à terre l'adversaire : ne serait-ce pas ça, la politique, depuis toujours ? J'attends avec impatience la suite de ses aventures, Edouard Philippe dans la bataille des prochaines présidentielles, une autre paire de manches cette fois.

2 commentaires:

CC a dit…

Ne serait-ce pas ça, la politique, depuis toujours ?
Je ne crois pas : la politique c'est administrer au mieux des intérêts de la cité ladite cité.
Et la démocratie, c'est associer tous les citoyens à cette administration qui les concerne.
Le reste, c'est du pouvoir et bien souvent de l'abus de pouvoir quand il s'agit de décider des choses dont il n'a pas été convenu lors de la campagne électorale et de l'élection.

Emmanuel Mousset a dit…

L'un et l'autre ne sont pas incompatibles.