lundi 16 janvier 2017

Le bon sens est-il de droite ou de gauche ?



"Bon sens et préjugé" : c'était le thème de ma conférence, mercredi dernier, devant l'Université du Temps Libre de Cambrai, au lycée Fénelon. Le bon sens, on accuse souvent le personnel politique d'en manquer, alors que les idées, au contraire, ne font pas défaut. Mais cette invocation me parait suspecte. Je crains l'effet de rhétorique. Parce que c'est quoi, au fond, que le bon sens ? J'ai tout de suite à l'esprit le slogan du Crédit agricole : "Le bon sens près de chez vous". Cette proximité, c'est le primat de l'expérience, un savoir qui se veut sagesse, une pratique qui prétend se passer de théorie. Le bon sens est rural, paysan, terrien. Les pieds sur terre ou terre à terre ? Son réalisme ne confine-t-il pas au conformisme ? Nous ne sommes pas très loin de "la terre ne ment pas" du maréchal Pétain.

Du coup, le bon sens nous semble conservateur, sinon réactionnaire. Je me souviens d'un petit parti politique, de droite, dans les années 70, qui s'appelait "Union des Français de bon sens". Ca me faisait rigoler. Dans le bon sens, il n'y a pas vraiment de recul, de question, de réflexion : c'est plus un sentiment qu'un raisonnement. Son monde, c'est celui du cliché, du lieu commun, de l'idée reçue. Flaubert nous explique que le bon sens est foncièrement bourgeois. Devant et avec mon public, j'ai taquiné quelques figures classiques du préjugé : pas de fumée sans feu, quand on veut on peut, la vie est courte.

J'essaie, comme à chaque fois, de faire le tour du problème. Dans le cas présent, je me suis rendu compte que le bon sens nait à droite, mais peut finir aussi à gauche. Tout un courant social et libertaire s'en réclame : Georges Orwell, Christopher Lasch, aujourd'hui Jean-Claude Michéa. Son idée, c'est qu'il réside, au fond du peuple, un sens inné de la justice, de la solidarité et de la décence.  On a pu parler d'un anarchisme conservateur, proudhonien, d'un socialisme des gens ordinaires, très hostile à la gauche des Lumières, rationaliste, bourgeoise et progressiste. Bon, je ne suis pas très convaincu et le sujet ne sera pas débattu à la primaire du PS. Mais c'est intéressant.


Merci à Jocelyne pour la photo

7 commentaires:

Philippe a dit…

« Devant et avec mon public, j'ai taquiné quelques figures classiques du préjugé : pas de fumée sans feu, quand on veut on peut, la vie est courte. »
A mon avis exprimer ces soit disant préjugés de cette façon … sous entend « mais qu’est-ce qu’ils sont bêtes les « populaires » ».
Cette façon de s’exprimer, selon le même raisonnement, pourrait être considéré aussi en soi comme étant un préjugé implicite de caste.
Pourquoi ?
Parce que implicitement ce locuteur dévoile peut être son préjugé.
Celui qui consiste à croire que celui qui dit «  pas de fumée sans feu » n’est pas capable de penser/compléter mentalement dans le même temps « en général oui mais il faut vérifier … je vérifie».
De même « quand on veut on peut » « le populaire » en général complète mentalement « compte tenu de ses possibilités » …
Au royaume des aveugles les borgnes sont rois … à condition d’être vraiment chez des aveugles et ne pas « croire » y être … et encore peut être roi seulement pour une course d’orientation et peut être pas pour toutes les activités !

Emmanuel Mousset a dit…

Vous avez sûrement raison. Il n'y a pas de fumée sans feu.

Philippe a dit…

en effet reste la vérification ...
de même le borgne doit vérifier que son environnement n'est peuplé que d'aveugles avant de s'y croire le roi ... etc.

Anonyme a dit…

Le bon sens c'est aussi comme le pragmatisme, un alibi pour se soumettre à la réalité qu'impose tous les puissants du moment, du jour et de tous les temps.

Erwan Blesbois a dit…

Pour l'avoir expérimenté dans un village de Bretagne dans les années 70, oui il existait une solidarité de village entre classes populaire, oui personne n'était exclu, oui les gens faisaient preuve de commune mesure et de "common decency", oui ils ne cherchaient pas toujours à écraser leur prochain et à "gagner" à tout prix au détriment de l'Autre.
La fameuse philosophie de l'altérité et du visage, que l'on dit "propre" à l'œuvre intellectuelle de Lévinas, existait dans le peuple, et pas seulement en mots aussi beaux et sublimes soient-ils ; mais en réalité et en acte, ce dont par ailleurs a témoigné notamment toute l'œuvre de Pasolini. Le problème avec les mots, aussi sublime soit le langage qui s'exprime par leur biais, c'est qu'à la différence des actes ils sont toujours susceptibles de tomber dans le "faites ce que je dis pas ce que je fais", c'est à dire dans un genre d'intellectualisme totalement hypocrite : c'est malheureusement la tendance lourde, humaine trop humaine, de la plupart des politiques qui usent et abusent de la duplicité.
C'est là que le bon sens populaire le plus souvent ne se laisse pas tromper. Faut-il le déplorer à l'instar d'un Emmanuel Mousset qui ne cessent de se répandre en jérémiades stigmatisantes du populisme, ou s'en féliciter comme dernier rempart à l'hégémonie d'une oligarchie au capitaux financiers et symboliques, sans volonté de partage avec les classes populaire d'un quelconque fragment de son "capital". En termes freudiens, sans volonté de céder le moindre fragment de son caca.
Le paradigme d'une société saine, c'est un village et non une ville, où la liberté individuelle finit toujours par se confondre avec la corruption, comme si la pente fatale de toute liberté individuelle, donc de tout individualisme poussé à son extrême, menait pratiquement toujours à l'égoïsme puis au narcissisme puis à la perversion qui est souvent le préambule de la décadence, ce qui finalement entraîna la chute du cosmopolitisme romain.
Ce sont bien les villages partout en Europe, les mœurs et les coutume du petit peuple des campagnes qui faisaient finalement vivre les grandes villes, qui les soutenaient charnellement et même spirituellement, et où un Rousseau pouvait toujours aller se ressourcer, et non l'inverse.
Maintenant que tous les mœurs et coutumes des villages ont disparu, remplacés par une grisaille uniforme de France périphérique, exclue moisie et rancunière, alors que les villes n'émettent plus qu'un grand mépris ironique quand ce n'est pas un sinistre ricanement de mépris ; alors que reste-t-il ? Un genre de néant susceptible de mener au chaos selon moi, car ce monde n'a plus rien de charnel et de viscéral ; mais il n'est pas exclu de penser qu'en surgira une renaissance, par une prise de conscience collective, alors qu'aujourd'hui tous les signaux, sociaux et environnementaux sont en rouge...

Erwan Blesbois a dit…

...Je ne réclame même pas une restriction de la liberté individuelle, qui déboucherait probablement sur une forme de totalitarisme pour réguler nos excès, car cela ne marcherait pas. Mais au fond on s'éprouvait, on se sentait beaucoup plus libre dans les campagnes d'autrefois, j'en ai la conviction et je l'ai ressenti viscéralement, charnellement et spirituellement, que dans les grandes villes stressantes et oppressantes d'aujourd'hui où quelques happy few tirent leur épingle du jeu, sans que leur succès individuel ne profite dans une quelconque mesure au reste de la communauté. La réussite de quelques uns au nom de la liberté individuelle est devenue l'arbre qui cache la forêt de la mondialisation de la misère spirituelle, devenu un universalisme dans un cadre mondialisé. Dans un contexte de totale carence sociale effectif, à moins que vos parents soient prêts à se sacrifier pour vous et votre réussite individuelle, ce qui au fond n'est pas normal et n'est pas sain, vous êtes condamné à un genre de relégation dans la grisaille de la France périphérique et à une carence spirituelle, matérielle, psychologique, affective... Le progressisme, l'individualisme, la liberté individuelle, dans un tel contexte de destruction du paradigme du terroir par notamment certains intellectuels surmédiatisés, c'est de la foutaise, et le peuple le sent bien : pourquoi au sein d'une famille n'y aurait-il qu'un élu par exemple, au détriment et par le sacrifice de tous les autres, relégués et méprisés par la doxa bobo, leurs pairs et ceux ou le plus souvent celui de la famille qui a réussi ? S'agit-il encore de réussite mais pas plutôt de nihilisme ?
Une telle société au fond élitiste et exclusive, n'est absolument pas saine, et repose sur des bases pourries et vermoulues par quatre cents ans de métaphysique occidentale, consistant en l'exaltation de l'individu coupé de toute relation intersubjective et qui trouve finalement sa pleine mesure aujourd'hui. Car effectivement on ne pourra pas aller beaucoup plus loin dans l'exaltation de l'individu roi, dont l'aboutissement est la figure du pervers narcissique, dont le type pullule dans tous les médias, et dont la popularité n'a jamais été aussi flagrante, par décence commune inutile de citer des noms...
Aujourd'hui les gens ne font plus corps, et le rêve de chacun est de s'extraire de la masse fétide et malsaine aux relents populistes, tous les jours stigmatisée par l'élite bobo, car susceptible de voter FN ; alors que cette élite bobo est davantage responsable de la situation actuelle, que les classes populaires qui en sont globalement les victimes.
Désormais, quand un quidam s'extraie de la masse, de la plèbe, de la glaise uniformément grise, ce n'est plus pour nous offrir des œuvres à la Victor Hugo ou encore à la Chaplin, mais le triste spectacle de l'hystérie médiatique et pipolisée, dont même un Houellebecq a du mal à échapper.
L'enjeu pour l'avenir sera de rendre leur spiritualité, leur viscéralité aux classes populaires, car le progressisme sera social ou ne sera pas...

Anonyme a dit…

<< L'enjeu pour l'avenir sera de rendre leur spiritualité, leur viscéralité aux classes populaires, car le progressisme sera social ou ne sera pas... >>

Sauf que avec le numérique et tous les artifices sociaux ; il n'y a plus réellement de classes !!!!!!!!!!!!!!!!!!!