mardi 28 février 2017

Hamon n'est pas socialiste



Si j'étais seul à le penser, ce serait risible. Mais qu'une figure du Parti socialiste, membre du gouvernement, le pense aussi et le déclare ce matin sur RTL, ça change tout. "Benoît Hamon, c'est un programme de rupture avec sa famille politique", a gravement affirmé Jean-Marie Le Guen, un proche de Manuel Valls et de François Hollande, un ami de Lionel Jospin, un socialiste de longue date, incontestable. Il a raison : Hamon ne fait plus partie de la famille socialiste.

Entendons-nous bien : tout dépend de la définition qu'on donne au mot. Le socialisme du PS, depuis 30, c'est la social-démocratie européenne.  Mitterrand l'a assumée depuis 1983, Jospin l'a appliquée, Hollande à son tour l'a pratiquée. Voilà avec quoi Hamon est aujourd'hui en "rupture". J'ai 20 ans de Parti socialiste derrière moi ; je ne peux pas me reconnaître dans ce candidat. Si Hamon se prétend encore socialiste, c'est comme Mélenchon l'est, qui n'a plus rien à voir avec le PS de ces 30 dernières années, devenu un parti de gouvernement.

Alors, si Hamon n'est pas socialiste, qui est-il ? Là aussi, Le Guen répond clairement : "Il s'est isolé en tenant un discours extrêmement radical. C'est un socialisme de rupture qu'il nous propose. Nous, nous sommes pour la réforme". Oui, le socialisme du PS a toujours été réformiste. Il ne peut pas se reconnaître dans la ligne politique que défend Hamon. Le Guen est encore plus précis : "Benoît Hamon ne peut pas s'adresser à 20% des Français. Nous ne sommes pas un parti altermondialiste, là pour mener la contestation sociale". On ne saurait mieux dire.

Hamon, c'est la gauche d'opposition, qui n'est pas faite ni prête pour le pouvoir. Hamon, c'est une terrible régression, qui ramène la gauche aux temps anciens où elle n'exerçait aucunes responsabilités nationales, où sa seule influence était locale et municipale, où l'espoir de gagner était nul, purement utopique. Hamon, c'est la gauche rêvée par la droite : critique mais inoffensive, puisqu'on ne l'imagine pas à la tête de l'Etat.

Enfin, Jean-Marie Le Guen souligne et dénonce "l'impasse stratégique" de cette gauche radicale représentée par Hamon (et par Mélenchon) : elle est incapable de s'unir. Pourtant, Hamon s'est fait élire sur ce mandat-là : rassembler la gauche, de Macron à Mélenchon. Il l'a promis, il ne l'a pas fait. Il a même trainé des pieds, mener en bateau les gogos. Un mois de fausse négo pour revenir au point zéro. Aujourd'hui, Hamon a le bec dans l'eau, avec Jadot pour seule prise de guerre, ce qui n'est pas très guerrier. Il conduit le PS droit dans le mur.

Jean-Marie Le Guen a annoncé ce matin que plusieurs dizaines de parlementaires socialistes ne donneraient pas leur parrainage à Benoît Hamon. C'est la fronde à l'envers, l'histoire de l'arroseur arrosé. Si ce n'était pas dramatique, on pourrait se dire que Hamon et ses copains l'ont bien mérité. Aujourd'hui, les proches de Manuel Valls se réunissent à l'Assemblée nationale, pour étudier quelle position adopter. Un seul mot d'ordre me semble valable : arrêtons le massacre !

lundi 27 février 2017

Effrayant !



Cette élection présidentielle pourrait faire mon bonheur. Pour la première fois depuis que je m'intéresse à la politique, un candidat est au plus près de mes idées. Avec Emmanuel Macron, nous avons enfin une social-démocratie décomplexée, débarrassée de son surmoi gauchissant. Ce que Rocard n'a pas pu faire, ce que Jospin à commencer de faire, ce que Hollande a fait à moitié, Macron se propose de le réaliser complètement. Qu'est-ce qui gâche mon bonheur ? Les scores annoncées du FN.

Oui, c'est effrayant, mais je me demande si les Français en ont vraiment conscience. Il faut lire la presse étrangère : elle est stupéfaite et inquiète de ce qui se passe au pays des droits de l'homme. L'extrême droite arrive largement en tête de tous les sondages, la dynamique est en sa faveur, son électorat est déterminé, les partis de gouvernement sont discrédités. Il y en a encore pour se rassurer en disant que Le Pen est donnée perdante au deuxième tour : mais avec quel résultat ! pas loin de 45% dans certains sondages ! C'est affolant. Sommes-nous encore en France, dans une République, quand on constate un tel score, quand on réfléchit à ses conséquences ?

A qui la faute ? Qu'est-ce qui fait que nous en sommes arrivés à ce désastre (car c'en est un, quelle que soit l'issue de la présidentielle) ? Les torts sont partagés. La droite a trop tiré sur la corde identitaire et sécuritaire, elle a trop présenté l'immigration comme étant un problème. La gauche a pu aussi céder à cette tentation populiste, démagogique, irrationnelle. Surtout, elle a renoncé à s'attaquer frontalement au FN, sous le prétexte, très répandu, que le critiquer revenait à assurer sa publicité (argument particulièrement vicieux).

La gauche est allée jusqu'à considérer le vote FN comme étant l'expression d'une souffrance, d'une protestation sociale, ce qui est une façon de légitimer l'extrême droite tout en la condamnant. Enfin, la gauche a rompu avec l'ancienne rhétorique antifasciste, parce que celle-ci était soi-disant contre-productive. Je veux bien croire qu'elle avait ses limites et qu'elle ne pouvait pas être exclusive. Mais les rappels historiques ont du bon. La meilleure preuve, c'est que le FN s'efforce de les effacer (ce qu'on appelle la dédiabolisation).

Je pourrais être heureux et je suis effrayé. J'aimerais que cette frayeur soit commune au plus grand nombre. Car je crains que non pour le moment. Le réflexe républicain s'émousse, la lassitude l'emporte, l'extrême droite se banalise. Dans l'instant, il n'y a un seul recours : le vote Macron pour empêcher la victoire du FN.

dimanche 26 février 2017

Les choses seraient plus simples



"The sky is the limit", disait-il. Il avait tort : Macron approche des étoiles. Le sondage publié par France 2 lui donne 25%. Un record, pas trop surprenant : l'alliance avec Bayrou a relancé la machine, déjà bien emballée et très huilée. Le Pen est à 27% : encore un coup de reins et on l'aura ! Fillon est distancé, à 19% : quoi qu'il fasse, il est grillé. Il ne se sortira pas de son affaire. Le mal est fait. Les autres sont très loin. Hamon, à 13%, est bas de plafond : il n'imprime pas, ne rassemble pas. Avec Mélenchon, 12%, ils sont dans un couloir : la compétition pour ces deux-là est entre eux, pas pour l'Elysée. Et pour l'un des deux, ce sera le couloir de la mort. Je devine lequel, et ça ne m'enchante pas plus que ça.

Najat Vallaud-Belkacem tient des propos amusants, pleins de bon sens, dans Le Parisien. "Les choses seraient plus simples sans Macron", affirme la ministre. Je pense à peu près la même chose, mais formulée autrement : "Les choses seraient plus simples sans Hamon". Je suppose que pour Najat, tout serait encore beaucoup plus simple s'il n'y avait qu'un seul candidat, Benoît Hamon. C'est toute une philosophie de la vie qu'on peut en tirer : en général, l'existence serait beaucoup plus simple sans la présence des autres. Ah ! si on pouvait faire de la politique avec des "si" ...

Empreinte d'une même simplicité, la ministre énonce une autre imparable vérité : "Benoît Hamon n'a pas le soutien évident de tout le parti". Je te crois Benoît. Mais Najat Vallaud-Belkacem, qui a le mérite de reconnaître des évidences, devrait se poser la question : pourquoi ? Parce qu'un candidat investi par son parti et qui n'est pas soutenu par lui, ce n'est pas normal, c'est que quelque chose ne va pas. Il faut donc voir ça, y réfléchir, corriger le tir si c'est encore possible. Mais je ne le pense pas.

samedi 25 février 2017

Il faut que ça marche



Emmanuel Macron, fidèle à sa démarche de présentation progressive de son programme, a exposé hier ses mesures économiques et budgétaires. Le 02 mars, il dévoilera l'ensemble de son projet présidentiel. Il y a beaucoup à dire tellement la matière est riche, il faut faire des choix. Essayons de retenir les grandes lignes :

Contre le ni gauche ni droite qu'on lui attribue à tort (et qui renvoie à un centre introuvable, toujours voué à l'échec en France), Emmanuel Macron est plutôt sur une ligne et gauche et droite, retenant ce qui marche, sans a priori idéologique, préférant le clivage aujourd'hui plus pertinent entre progressistes et conservateurs.

Le programme de Macron est-il de droite ? Oui, puisqu'il supprime des postes de fonctionnaires, allège l'impôt sur les sociétés et fait 60 milliards d'économies dans la dépense publique. Le programme de Macron est-il de gauche ? Oui, lorsqu'il donne l'équivalent d'un 13ème mois aux smicards, supprime la taxe d'habitation pour 80% des ménages et rembourse à 100% les lunettes et les prothèses dentaires et auditives.

Et quand Emmanuel Macron veut recruter 10 000 policiers et gendarmes supplémentaires pour la sécurité des Français, est-il de droite ou de gauche ? J'en envie de dire qu'il est des deux, la protection des citoyens n'étant pas le privilège d'un parti. Une autre mesure est emblématique du positionnement de Macron, de son mode de penser, de l'originalité de son projet : il élargit l'assurance chômage à tous les Français, pas uniquement aux salariés licenciés. Ce bouclier social est incontestablement de gauche (même les plus radicaux à gauche ne le défendent pas).

La contrepartie, c'est qu'un demandeur d'emploi ne pourra refuser qu'une seule offre ; après, il cessera d'être indemnisé. Prise en tant que telle, isolée du reste, cette disposition est de droite. C'est pourquoi les malhonnêtes, de gauche et de droite, pourront s'en donner à cœur joie, retenant du programme de Macron ce qui peut nourrir leur bile, en oubliant tout le reste. Nous les attendons de pied ferme, pour rétablir ce qu'il n'aime pas : la vérité.

On présente souvent Emmanuel Macron comme un OVNI politique. C'est totalement faux.  Son identité est très marquée, sa filiation saute aux yeux : il est dans l'héritage historique des sociaux-démocrates Tony Blair et de Gerhard Schröder, qui ont réalisé dans leurs pays respectifs de grandes et utiles réformes, en rencontrant un large assentiment des électeurs. C'est ce qu'on a pu appeler, il y a une quinzaine d'années déjà, la stratégie de triangulation ou de troisième voie.

La philosophie d'Emmanuel Macron, c'est le pragmatisme : depuis bientôt 40 ans, nous vivons dans un insupportable chômage de masse, qu'aucune solution, de gauche ou de droite, n'a su faire notablement reculer. Macron ne s'engage pas à un simple inversion de la courbe, mais à un retour à 7% de chômage à la fin de son mandat, en 2022. Droite ou gauche, droite et gauche, ni droite ni gauche, peu importe : l'essentiel est que ça marche.

Il y a une autre filiation chez Macron, qui peut paraître surprenante mais qui éclaire le sens de son projet : c'est sa fidélité à François Hollande, dont le seul reproche qu'on puisse faire à sa politique, c'est qu'il n'ait pas pu la pousser plus loin, c'est qu'il en ait été empêché par les frondeurs. Pour moi, soutenir Macron, c'est soutenir un président qui aurait dû mais qui n'a pas pu se présenter.

En revanche, voter Hamon, ce serait trahir, puisque ce candidat n'a pas cessé de critiquer la politique du gouvernement. De plus, au lieu de se rapprocher aujourd'hui du Parti socialiste dont il est censé être le candidat, il cherche à s'unir avec Jean-Luc Mélenchon, qui veut la mort du PS ! J'appelle donc mes amis socialistes à la cohérence, à la fidélité et à l'instinct de survie : votez Macron, pas Hamon !

vendredi 24 février 2017

Les Verts nous manquent déjà



Il n'y aura pas de candidat écologiste à l'élection présidentielle. Yannick Jadot a retiré hier sa candidature, au profit d'une alliance avec le candidat socialiste, Benoit Hamon. C'est une première depuis 1974 : à chaque élection présidentielle, il y a toujours eu un candidat écologiste. Ma réaction personnelle va d'abord à la nostalgie : je remonte dans le passé, je revois toutes ces figures de l'écologie politique, souvent hautes en couleur, toujours intéressantes.

L'écologie, qui ne m'a pourtant jamais tenté, est la seule sensibilité nouvelle à être apparue ces cinquante dernières années dans le paysage politique. Son utilité et même son urgence ne sont plus à démontrer. C'est pourquoi je ressens un regret à ne pas voir, durant la présidentielle de cette année, l'écologie représentée. Et puis, c'est une question de démocratie : il est bon que concourent toutes les familles politiques. En s'effaçant, EELV a pris une lourde décision. L'avenir dira si elle était judicieuse.

Ah ! les écolos. Le premier, en 1974, ne pouvait que me marquer, avec sa chevelure blanche, son pull rouge et son verre d'eau. L'année d'après, j'étais interne au collège de La Bourboule, en classe de 3ème, et je devenais ami avec son neveu, dont l'illustre oncle était souvent le centre de nos conversations. En 1981, Brice Lalonde offrait un profil complètement différent : jeune, fringant, nettement à gauche. Oui, il me plaisait bien. En revanche, à la présidentielle de 1988, patatras ! Le candidat écolo s'appelait Antoine Waechter, en costume cravate, l'air tristounet, sans provocation, sans originalité (et pour moi, sans intérêt). Une écologie de fleurs bleues et de petits oiseaux, peu politisée. Pourtant, c'est avec lui que les Verts vont décoller électoralement et commencer à devenir une véritable force politique, avec laquelle la gauche va songer à faire alliance (quelle drôle de chose que la politique !)

En 1995 et 2007, le candidat Vert est une Verte ! Dominique Voynet : retour à une écologie plus politique. Voynet est proche de la gauche, mais pas gauchiste (ce qu'étaient quand même, un tantinet, Dumont et Lalonde, qui auraient tout aussi bien pu se retrouver au PSU). Voynet, c'est l'écologie réformiste, responsable, l'écologie de gouvernement : d'ailleurs, elle deviendra ministre. En 2002, ce n'est pas un écologiste historique qui représente les Verts, mais le journaliste de télévision, défenseur des droits de l'homme, Noël Mamère. Ce qui me stupéfait à l'époque, c'est que le candidat initial, désigné par les Verts, n'était pas celui-là, mais l'économiste Alain Lipietz, de renom et de qualité. Je ne sais plus quelle bourde il a dû faire, toujours est-il que le parti écologiste l'a évincé !

En 2012, ce n'est toujours pas un historique qui représente les Verts à la présidentielle, mais l'ancien magistrat Eva Joly, qui nous ramène à une écologie de contestation. Autre stupéfaction chez moi : Nicolas Hulot n'est pas choisi, alors qu'il avait toutes les qualités pour faire un bon candidat ! C'est ce côté coupeur de têtes que je n'aime pas trop chez les écolos. Cette année, pour la première fois, c'est le candidat lui-même qui s'est sacrifié.

Hamon y gagnera-t-il quelque chose ? Oui, un peu. Mais l'alliance vraiment profitable pour lui, c'est celle qui est impossible : avec Mélenchon. L'écologie et le socialisme sont deux histoires, deux cultures politiques très différentes. Il est nécessaire qu'elles se rapprochent, qu'elles s'allient et qu'elles gouvernent ensemble. Mais leur dissolution en une seule candidature n'est pas évidente, peut-être même pas fructueuse. Sur le terrain, la jonction entre les équipes militantes ne sera pas faciles : d'un côté un mouvement très libre, parfois imprévisible, de l'autre un appareil politique avec ses notables, son électoralisme.

Il n'y a pas de parallèle possible entre l'alliance Macron-Bayrou et l'alliance Hamon-Jadot. L'écologie, c'est un courant de pensée, qui gagne à demeurer autonome, à exister par lui-même. Le centre, c'est un homme, Bayrou, qui s'est déjà présenté trois fois, qui ne peut pas prendre le risque d'un quatrième et cinglant échec. Surtout, Macron et Bayrou sont d'une culture politique assez proche : l'un des deux aurait été de trop dans cette échéance électorale. Quoi qu'il en soit, Macron-Bayrou ou Hamon-Jadot, bonne chance à tous, donnez-nous une campagne de qualité et que le meilleur gagne !

jeudi 23 février 2017

Les dieux sont avec nous



Comment appelle-t-on ça ? La chance, le hasard, les circonstances, le flair ? Emmanuel Macron crée un nouveau mouvement, En Marche ! C'était risqué, et c'est un succès. Le ministre quitte le gouvernement, pouvant ainsi se retrouver isolé : non, il est renforcé. Si Hollande se présentait, entre Macron et lui, il y aurait eu un problème de fidélité et de cohérence : le présidence de la République renonce. Si les primaires de la droite désignaient Juppé, le centre droit échappait à Macron : c'est Fillon qui l'emporte, quelques semaines plus tard discrédité dans une affaire d'argent.

Si les primaires de gauche avaient désigné Valls, le créneau de la social-démocratie aurait été occupé. Hamon désigné, radicalisé et peu crédible, c'est du gâteau pour Macron. Et maintenant la cerise : Bayrou qui n'y va pas, qui marche avec nous, qui se range derrière Macron : inespéré ! Et pour finir ce qui n'est pas encore fini : l'écologiste François de Rugy qui se met à marcher, lui aussi, depuis hier. On dit : c'est trop beau pour être vrai. La preuve que non. On dit aussi qu'il y a un dieu pour les alcooliques. Il y en a un, ou son ange gardien, pour Emmanuel Macron.

La voilà maintenant qui se met en place, la Belle Alliance, qui n'est pas celle de Cambadélis : l'arc-en-ciel sociaux-démocrates, centristes et écologistes, que nous attendions depuis si longtemps, qui annonce le printemps de notre vie politique, comme dans d'autres pays d'Europe. Tout ça est logique : Bayrou est un Macron de droite, Macron est un Bayrou de gauche. François Bayrou a beaucoup perdu ces dernières années, mais il a encore de beaux restes. Quand on a fait 18% il y a 10 ans à l'élection présidentielle, on conserve un potentiel. Macron-Bayrou, c'est de la dynamite qui va faire exploser le système. C'est aussi le seul rempart contre le Front national.

Je retiens deux choses de Bayrou, qui provoquent ma sympathie. En 2007, il a le courage de faire campagne sur un thème impopulaire mais fondamental pour l'avenir de notre pays : le redressement des déficits publics. Hollande reprendra ce thème 5 ans plus tard. En 2012, Bayrou a le courage de rompre avec la vieille habitude centriste : il appelle à voter pour le candidat socialiste.

Dommage que François Hollande n'ait pas pris la juste mesure de cette évolution, en proposant à Bayrou d'entrer au gouvernement, en passant un accord électoral en bonne et due forme pour les législatives avec le MoDem. La recomposition politique qui n'a pas eu lieu alors se fait aujourd'hui. Face à une gauche radicale Mélenchon-Hamon qui n'arrive pas à s'entendre, qui étale en public son immaturité, qui pinaille sur un café, une lettre, un rendez-vous et un coup de fil, Macron et Bayrou, rapidement, autour d'un projet, scellent une alliance. Les dieux sont avec nous, je vous dis. Fasse qu'ils le soient jusqu'en avril, mai et juin.

mercredi 22 février 2017

Une démocratie sans convictions



Nous avons appris hier une innovation dans la campagne présidentielle, jamais vue sous la Vème République : l'organisation de deux débats télévisés entre tous les candidats, avant le premier tour de l'élection. A première vue, on ne peut que se réjouir de cette extension de la démocratie. Après réflexion, on ne peut que le déplorer. D'abord, posons-nous la question : pourquoi, jusqu'à présent, depuis bientôt 60 ans, notre République et ses postulants n'avaient-ils pas ressenti le besoin d'un tel débat, préalable au premier tour ? Ce n'est pas un oubli ou un hasard : il y a une raison profonde, liée à la nature de la démocratie, aujourd'hui altérée par cette innovation.

En démocratie, un vote politique repose sur quoi ? Sur des convictions politiques. Il en est le produit, le résultat. Que sont nos convictions politiques ? Des idées, des intuitions, des rencontres, une éducation, une histoire personnelle, différentes d'un individu à un autre. En ce qui me concerne, j'ai toujours été socialiste, même si je n'ai pas toujours voté socialiste, même s'il m'arrive de critiquer certains socialistes, même si je peux apprécier d'autres personnes que des socialistes. Les convictions sont intérieures : c'est une affaire de conscience.

Les convictions politiques, c'est aussi une question de fidélité. Je sais bien que le socialisme n'est pas parfait, que la vérité ne se résume pas à lui, qu'on peut lui reprocher bien des choses. Mais je reste, envers et contre tout, socialiste, tendance réformiste, social-démocrate, "progressiste" comme dirait Macron. Je crois que tout individu à des convictions, à des degrés différents. Même celui qui rejette la politique et ne va pas voter, même celui-là a des convictions, qui consistent à condamner le système politique et à refuser d'y participer (au profit de rien du tout ou d'une utopie). On n'échappe pas à ses convictions.

Mais je veux en venir où, et quel rapport avec ma désapprobation des deux débats avant le premier tour ? C'est que lorsqu'on a des convictions, on ne choisit pas ! Car le choix est fait, depuis longtemps, depuis toujours ! En tant que social-démocrate, je n'ai jamais hésité sur mes votes et mes soutiens : Rocard, Delors, Jospin, DSK, Hollande, aujourd'hui Macron. On ne vote bien que les yeux fermés, avec seulement sa tête, et surtout pas en trainant des pieds. Je n'attends rien d'un débat, puisque je sais déjà. Je ne suis jamais déçu, puisque mes convictions sont inaltérables. Je suis sûr que quelqu'un de droite, convaincu, ressent et raisonne comme moi.

Les débats avant le premier tour dénaturent la démocratie, qui devient une sorte de foire à la farfouille, où chacun va faire son marché en recherchant le mieux-disant. C'est rabaisser la politique à une sorte de consumérisme. D'ailleurs, il est fréquent de parler maintenant d' "offre politique", comme en économie. L'esprit citoyen, c'est la décision, l'engagement, pas la comparaison. Ce qui doit nous préoccuper, nous plaire ou nous rebuter, c'est ce que dit tel candidat de notre choix ou tel autre que nous rejetons : pas la concurrence entre eux. La logique de marché, avec sa nécessaire compétition, ne s'applique pas au débat politique.

Les primaires de gauche et de droite nous ont offert un triste spectacle : des candidats en rang d'oignons, dans un décor de jeu télévisé, où il ne manquait plus que le buzeur sur les pupitres. Ces candidats se regardent rarement entre eux : le point focal, le maître du jeu, c'est le journaliste-animateur. Et le petit jeu comparatif peut commencer, dans lequel les nuances deviennent énormes et les précisions techniques déterminantes, au détriment des convictions générales. Résultat des courses : les électeurs sont encore plus indécis, et quand ils ne le sont pas, c'est que la forme de l'intervention l'a emporté sur le fond.

J'ai connu des gens qui hésitaient entre Bayrou et Besancenot, entre Le Pen et Mélenchon, ce qui est aberrant. Un centriste de convictions n'est nullement attiré par un trotskiste, un communiste de convictions ne confond pas le discours social du FN avec la tradition révolutionnaire. Qu'il y ait un débat entre les deux tours, confrontant les finalistes, c'est habituel et légitime, car si "au premier tour on choisit, au second on élimine", selon l'adage bien connu. Mais lorsqu'il faut choisir, c'est toujours par rapport à soi, ses intérêts, ses aspirations, ses convictions, pas en passant en revue les opinions de tous les candidats, dans une mise à égalité qui n'a aucun sens.

Ce que j'écris-là allait de soi il y a 20 ou 30 ans. Plus maintenant, et depuis quelques années. Les causes sont profondes, sociologiques : l'individualisme a brisé l'esprit collectif, l'infidélité s'est transformée en vertu, l'insatisfaction est devenue un mode de vie, la rumeur l'emporte sur la vérité, la psychologie prime sur la politique, les sentiments, d'enthousiasme ou d'animosité, se substituent aux convictions, les médias remplacent les partis. Pour moi, nous assistons à un naufrage de la démocratie. Mais je me trompe peut-être : une nouvelle démocratie, qui n'est pas la mienne, émerge et nous devons apprendre à vivre avec.

mardi 21 février 2017

L'homme sans providence



J'ai dîné une fois avec Benoît Hamon. Nous étions une petite dizaine à table. C'était à Château-Thierry, il y a quelques années. A l'époque, Hamon était surtout connu à l'intérieur du PS. Les autres clients dans le restaurant ne se retournaient pas sur lui. Claire Le Flécher, alors étoile montante de l'aile gauche dans le département, l'avait fait venir pour un meeting. Lui et elle sont de la même génération politique, ont fait leurs premières armes au MJS, se connaissent bien. Qu'est-ce que je faisais là, moi strauss-kahnien ? C'était le temps des reconstructeurs, un rassemblement hétéroclite autour de Martine Aubry (dont Hamon a été proche). J'aimais bien, humainement, Claire. Et puis, il n'est pas interdit de manger ensemble quand on est socialistes et qu'on appartient au même parti.

Pourquoi cette anecdote ? Parce que pendant une bonne heure, j'ai pu observer, écouter et discuter directement avec celui qui aujourd'hui aspire à devenir président de la République. Mes impressions, c'était que Benoît était un gentil garçon, ouvert, sympathique, intéressant, mais un peu effacé, pas transcendant du tout : rien d'un chef, d'un leader, simplement un animateur de courant, un GO, comme on dit au Club Med. Jamais je n'aurais cru qu'il voudrait un jour devenir chef d'Etat, pas plus que vous ne me verriez vouloir être Souverain Pontife. Hamon se débrouillait, mais ne marquait pas. Même ministre, je ne l'imaginais pas.

Il faut tout de même se rappeler qui est et d'où vient Benoit Hamon : c'est une âme de lieutenant, de second rôle. Il a suivi Aubry. Au NPS, un courant critique du Parti socialiste, il était n°3, derrière Montebourg et Peillon. Au MJS seulement, il était chef. Mais chef des jeunes, ce n'est pas vrai chef. Le problème de Hamon, toute idée mise à part, c'est qu'il n'a pas l'étoffe d'un leader. Lui-même d'ailleurs le dit, à travers à la fois une théorie et un lapsus : "Je ne veux pas être l'homme providentiel". Voilà pourquoi, malgré toutes ses qualités et la valeur de son projet, il ne sera pas élu président de la République, il ne passera peut-être même pas le premier tour.

Que cela plaise ou non, notre régime est de nature monarchique, taillé par de Gaulle à sa dimension. Chaque élection présidentielle est la recherche d'un homme providentiel. Le nier, c'est couper la branche sur laquelle on vient de s'asseoir. Macron est christique et messianique, Mélenchon est charismatique et lyrique. Mais Hamon ? On ne le verra jamais les bras en croix, il ne fera pas vibrer une salle. Sa démarche est un peu gauche, sa parole est hésitante, il revient sur ce qu'il a dit, se lance dans des thèmes inappropriés. Sa campagne avance à pas de canard. La bonne volonté est incontestable, mais on sent bien qu'il n'a pas le niveau. Hamon devait appeler Mélenchon juste après son élection, pour rassembler la gauche ? Il ne le fait pas, parce qu'il ne le peut pas. Il avait juré qu'il abrogerait la loi Travail ? Maintenant, il parle uniquement de l'amender.

Dans les années 70, Mitterrand était un homme providentiel, aux yeux d'une gauche qui depuis un quart de siècle était écartée du pouvoir, allait d'échec en échec. Sarkozy a été un homme providentiel, au terme d'une chiraquie épuisée. Ségolène Royal est apparue ô combien comme une femme providentielle, en 2006-2007. L'homme providentiel le doit aux circonstances, mais aussi à sa personnalité : grand seigneur chez Mitterrand, boule d'énergie chez Sarkozy, singularité étrange chez Royal. Benoît Hamon n'est que gentil garçon : ça ne le fait pas. Après le candidat normal (mais Hollande avait tout de même été pendant 10 ans chef du PS), c'est l'homme ordinaire, qui se préoccupe de perturbateurs endocriniens, de burn out et de fumette.

Bien sûr, ces thèmes peuvent plaire à tous les hommes ordinaires qui constituent l'électorat. Mais, au moment décisif, lorsqu'il est question de pouvoir suprême, les citoyens, même ordinaires, sont en demande de transcendance (qui est l'autre nom de la providence). Ne voulant pas endosser les habits de majesté de l'homme providentiel, Benoit Hamon s'interdit lui-même de gagner. Au fond, il n'y a jamais songé, déjà lorsqu'il me passait un bout de pain et que je lui versais un jus d'orange, un soir dans un restaurant de Château-Thierry.

lundi 20 février 2017

Les mots qui choient, les mots qui choquent



Le débat public, depuis quelques années déjà, se réduit à des querelles de mots, où les idées et les faits passent au second plan, sinon sont complètement ignorés. Du coup, la confrontation politique est faussée, et même souvent inexistantes. La semaine écoulée en a donné à nouveau deux parfaits exemples, à travers les prises de position d'Emmanuel Macron.

Le candidat à la présidentielle condamne la colonisation française. C'est un point de vue qu'on peut très bien ne pas partager, discuter et contester. Mais qu'on le fasse avec des arguments, pour que l'échange soit intéressant et que les citoyens se fassent leur idée. Eh bien non : on chicane Macron sur l'expression "crime contre l'humanité", qui ne serait pas juridiquement appropriée. Mais qu'en avons-nous à faire ! Nous ne sommes pas dans un prétoire, entre juristes, mais dans un débat politique. On a bien compris ce que Macron voulait dire, crime contre l'humanité ou pas.

Le candidat lui-même, qui ne peut pas faire abstraction de son époque, s'est senti obligé d'entrer dans la précision sémantique, en rectifiant que par crime contre l'humanité il entendait un crime contre l'humain, ce qui change tout, vous en conviendrez ... Dans la même veine, on a cherché des noises à Macron, en dénonçant sa prétendue contradiction : dire que la colonisation a été à la fois civilisatrice et barbare. Eh bien non, il n'y a pas contradiction, de même qu'Hitler, sans contradiction, a réduit l'inflation, créé des emplois , construit des logements et des routes et instaurer un régime totalitaire, barbare, criminel.

Emmanuel Macron est trop bon. Sa bienveillance peut-être le perdra, dans ce monde de brutes, de cyniques et d'hypocrites qu'est la politique. Il s'est fendu d'une nouvelle distinction sémantique : ne pas s'excuser pour les propos tenus, mais s'excuser auprès de ceux qu'il a pu blesser. D'une certaine façon, c'est une confirmation de l'adage : il n'y a que la vérité qui blesse. Aujourd'hui, nous voulons des mots qui cajolent et qui caressent. On ne cherche pas à être convaincu, mais à être consolé. Espérons qu'Emmanuel Macron y soit parvenu.

Autre problème langagier auquel le candidat a été confronté : dans L'Obs, son propos sur les anti-mariage homosexuel, qui se sont sentis, selon lui, "humiliés". Le mot a fait bondir, parce que l'humiliation est la marque de la victime, qu'il y a une surenchère en la matière, que tout individu cherche sincèrement à se faire reconnaître comme victime de quelque chose, notre nouvelle Légion d'honneur. Dire des partisans de la Manif pour tous qu'ils se sont sentis humiliés, leur accorder donc le statut de victimes, c'est paraître épouser leur cause, sembler se mettre de leur côté : voilà comment les propos de Macron ont été perçus. Les pro-mariage se sont sentis humiliés d'entendre que les anti-mariage se sentaient humiliés. Le sentiment devient un argument et un contre-argument. Mais un sentiment est aussi loin de la vérité que les températures ressenties sont éloignées des températures réelles (avez-vous remarqué que la météo, qui est pourtant une science, insiste surtout sur les premières ?).

Ce qui devrait seulement nous préoccuper, c'est la vérité : oui ou non, Macron est-il favorable au mariage homosexuel ? La réponse est sans aucune hésitation : oui, Macron a toujours été, sans réserves, le défenseur de cette loi. Alors, quels poux dans la tête va-t-on lui chercher ? Le candidat s'est mis dans une autre tête que la sienne, celle des manifestants contre ce mariage, qui ont été, de fait, traumatisés, se sont sentis humiliés. Le reconnaître, est-ce les approuver ? Bien sûr que non !

Mais alors, pourquoi Macron fait-il ça ? Pour la même raison que moi, sur ce blog, il y a quelques années, avais écrit et déploré que l'adoption de cette loi se fasse dans ces conditions-là. Car une large majorité de l'opinion était favorable à l'extension du mariage aux couples homosexuels. De plus, les anti-PACS d'il y a 15 ans ne l'étaient plus, en grand nombre, aujourd'hui. Il m'a donc toujours semblé que cette réforme aurait pu se faire autrement, sans conduire à jeter des centaines de milliers de personnes dans la rue, provoquant un regain d'homophobie chez les plus extrêmes.

Macron ne critique pas à l'évidence le mariage homo, mais les conditions dans lesquelles il a été instauré. Pour être honnête jusqu'au bout, peut-être que l'affrontement aurait été inévitable, même en adoptant un souci d'apaisement. Mais du moins les pouvoirs publics auraient-ils tout tenté pour une évolution en douceur. Le problème de la France, c'est qu'elle vit dans le drame politique en permanence, qu'elle va jusqu'à s'en inventer lorsque le consensus est possible, comme ces gens qui ne se sentent à l'aise que dans le conflit. Emmanuel Macron veut rompre avec cette culture-là, et il a raison.

dimanche 19 février 2017

Les Témoins de Macron



Ce matin, sur le marché du Faubourg d'Isle, le chaland trouvait des patates, des endives et du Macron. Pourquoi je distribue ? Par intérêt ? Non, je n'ai pas besoin de Macron. Par devoir ? Non, Macron n'a pas besoin de moi. Par conviction ? Non, les citoyens n'ont besoin ni de Macron ni de moi pour se faire leur opinion, souvent devant la télévision. Alors, pourquoi distribuer ? Ne le répétez pas : par plaisir. Plaisir de quoi ? D'être là, sous un ciel bleu, dans l'air vif, au milieu des gens, à les rencontrer, les écouter, discuter avec eux. 

Ce n'est pas tant le prospectus distribué, avec Jean-Marc, qui est important, mais notre présence et notre disponibilité. Voilà un florilège des réactions entendues : - Macron, je l'aime bien, je voterai pour lui. - Ah ! non, pas ce pédé-là. - C'est tous des brigands. - Macron, y s'ra bon pour dans cinq ans. - Moi, c'est Le Pen. Vive la France ! - Macron, il a pas le temps d'avoir eu des casseroles. - Il y a encore du lait qui coule de son nez. - Fillon, il est cuit. - C'est bien, ce que vous faites dans le journal. - 10 élèves par classe en CP et CE1, c'est utopique, c'est trop petit. - Je ne vote plus. - Votre soutien à Macron, j'ai cru que c'était sarcastique. - C'est truqué, les élections. - Hamon, il doit tout à Hollande, et maintenant il lui crache à la gueule. - J'apprécie Macron mais je suis pour Mélenchon. - etc.

Tonalité d'ensemble : bienveillance générale envers Macron, beaucoup de passants prennent le papier, sourient et remercient. Mais beaucoup d'indifférence aussi envers les élections, un rejet de la politique et des élus, le dégoût envers le pouvoir et l'argent. La droite se rend-t-elle compte des dégâts provoqués par l'affaire Fillon dans l'opinion ? C'est terrible ... Et puis, sous-jacente, pas toujours clairement exprimée mais effleurant souvent, perceptible : la tentation de l'extrême droite, par écoeurement.

A quelques mètres de nous, deux Témoins de Jéhova sont là, eux aussi, debout, présents tous les dimanches. A chacun sa table, à chacun son dieu, à chacun son espérance. Nous terminons au café L'Ostende, à l'entrée du marché. Des clients ont laissé le tract sur la table : "En marche, la France ! Emmanuel Macron président."

samedi 18 février 2017

Jacques Brel, ce beau salaud



Depuis très jeune, à l'époque des magnétophones et des cassettes, j'aimais Jacques Brel. Avec le temps, cette passion s'est confirmée. L'artiste ne m'a jamais déçu. Hier soir, France 3 nous a gratifiés d'une très beau documentaire, signé Philippe Kohly, un inédit de cette année : Jacques Brel, fou de vivre. Nous avons passé deux heures dans sa vie plutôt qu'avec son œuvre. Comment et pourquoi quelqu'un, artiste ou politique, rencontre-t-il à un moment donné le succès ? C'est l'une des questions les plus mystérieuses qui soit, et la réponse est difficile.

Brel passe de la chanson boy scout, genre catho à guitare, à quelque chose de très personnel, surtout de très physique, entre le déchirant et le grotesque. On dit de certains chanteurs qu'ils sont une voix ; Jacques Brel, c'est un corps. Il abandonne la gratte et son tabouret un peu ridicule, il libère ses mains, ses bras semblent s'allonger, l'homme devient une incroyable présence. Les dernières années, c'est stupéfiant : visage en sueur, grimaçant, corps presque démantibulé.

Alors, pourquoi ce titre à mon billet ? Où est le salaud ? Oh, pas pour moi, qui ne fait pas dans la morale. Mais aujourd'hui, Jacques Brel serait condamné par l'opinion publique, sommé de rendre des comptes en direct sur BFMTV. Jugez-en plutôt : il abandonne sa famille en Belgique pour vivre en bohême à Paris. Dans ses tournées en province, passé minuit, il va voir des prostituées dans les hôtels de passe. Ses compagnes déclarées sont délaissées au bout de quelques années. Il néglige ses trois filles, va même virer l'une d'entre elles de son bateau, pour ne plus jamais la revoir.

Et puis, il y a ses chansons, qui ne sont pas plus que sa vie des modèles de moralité. Ne me quitte pas, qui passe pour sa plus belle chanson, et la plus belle des chansons d'amour, m'a toujours semblé une atroce chanson sur l'humiliation (ce qui n'enlève rien, au contraire, à sa beauté). Brel préfère la présenter comme une chanson sur la lâcheté des hommes. Il en sait quelque chose, de cette lâcheté masculine envers les femmes. Et puis, il y a ce qu'il dit des vieux, qui ferait scandale aujourd'hui. Jacques Brel est un magnifique chanteur de la cruauté. Politiquement, il n'est pas très clair non plus, quand il caricature le jeune bourgeois gauchiste, dans la deuxième version, quelques années plus tard, des Bonbons.

Ce qui est admirable chez Brel, c'est que cet artiste qui n'est pas un intellectuel, qui n'a pas fait d'études, qui se destinait à vendre du carton dans l'usine de son père, tient des propos profonds, précis et originaux : sur l'art, qui ne relève pas du talent mais du travail ; sur le bourgeois, qui ne pense qu'à un avenir tranquille ; sur l'amitié, qu'il place au-dessus de tout. Son regard sur les femmes l'accuserait aujourd'hui de misogynie. Brel, paradoxalement, se présente comme un sentimental. Il fait de l'amour un absolu, pas à la hauteur des femmes. Ces mots feraient de nos jours hurler. Allez savoir si Jacques Brel ne risquerait pas un procès pour discrimination ? En tout cas, la société actuelle, imprégnée par la morale du respect, rejetant toute forme de mépris et d'humiliation, serait choquée, indignée.

Oui, Jacques Brel est un salaud, un beau salaud, un salaud magnifique. Pour le dire autrement, c'est un homme libre (tiens, je l'écris au présent, comme s'il était encore vivant). Il a rompu avec la gloire alors qu'il était en pleine gloire. Il est sorti de son personnage de chanteur pour faire du théâtre, du cinéma et même réaliser des films (pas très réussis). Il a pris la mer et les airs, il n'a été arrêté que par la maladie.

Un beau salaud, c'est peut-être un homme libre, qui prend des risques, qui ignore les convenances, qui va jusqu'au bout. Mais au bout de quoi ? Et pour trouver quoi ? C'est sans doute la définition de l'absolu : aller jusqu'au bout de quelque chose, l'art, la foi, la passion, ... L'immense majorité des êtres humains ne vont jamais jusqu'au bout. Ils craignent de passer pour des salauds, ils préfèrent être des bourgeois, vrais ou faux. La liberté mène à l'absolu. La société contemporaine, refusant la souffrance, obsédée par la sécurité, la  prévention et le bien-être, ne peut plus se reconnaître en Jacques Brel.


Une anecdote personnelle pour terminer : j'ai travaillé plusieurs semaines comme gardien à l'entrée de l'usine Bendix, à Drancy, en 1988. Je contrôlais les entrées et sorties des visiteurs. Juste en face de ma cahute, il y avait l'hôpital Avicenne, où Jacques Brel venait se faire soigner du cancer. Mes collègues gardiens, dix ans après sa disparition, avaient toujours en mémoire les passages du chanteur.

vendredi 17 février 2017

Faux frères



Benoit Hamon et Jean-Luc Mélenchon vont enfin se rencontrer, aujourd'hui même. Prendront-ils un café, comme le Français insoumis l'a suggéré ? Je ne leur conseille pas. C'est trop vite bu, la discussion va tourner court. Une mousse conviendrait mieux : la dégustation est plus longue, on peut remettre une tournée, l'alcool détend, c'est bien. Mais l'alcool excite aussi, et c'est moins bien. Je ne proposerais pas un whisky ou un cognac, qui sont des boissons de droite. La vodka est réservée au FN poutinien. Alors, un jus de fruit ? Non, c'est pour les écolos. Je pencherais plutôt pour un verre de vin, rouge ou rosé. Surtout pas du blanc ! Souvenir fâcheux de la cuvée du redressement, qu'Hamon avait siroté en compagnie de Montebourg, avec pour résultat de se faire virer tous les deux du gouvernement.

Benoit Hamon et Jean-Luc Mélenchon vont se rencontrer aujourd'hui, mais au fait pourquoi ? Pour échanger, négocier, se rassembler, voir si une candidature commune à la présidentielle est possible ? Oui, je pense que c'est pour ça. Sinon, à quoi bon se rencontrer, surtout quand on est des hommes en campagne, très occupés ? Au soir de sa désignation, Hamon l'avait promis : dès ma victoire, j'appelai Mélenchon et Jadot (le candidat écolo). Macron, tintin ! Pas à gauche pour lui. Mais le coup de fil, aux dires de Mélenchon, n'est jamais venu. Hamon dit pourtant qu'il lui a déjà "parlé". Le candidat insoumis ne s'en souviendrait plus ? Il a des problèmes d'oreilles, mais tout de même ...

Bon, l'essentiel est que Benoit Hamon et Jean-Luc Mélenchon se rencontrent aujourd'hui. Mais pour aboutir à quoi ? A rien, bien entendu. Hamon ne va pas renoncer à son programme, ni Mélenchon renoncer à sa candidature. Même en vue des législatives, l'un et l'autre ne sont pas prêts à s'effacer l'un pour l'autre. Alors, à quoi bon perdre un temps précieux à une rencontre inutile ? Parce que Hamon et Mélenchon sont les deux candidats de la gauche vintage, l'un un peu plus rouge que l'autre. Cette gauche-là vit dans la nostalgie de l'union de la gauche, du Programme commun. Pour elle, l'union est un combat, aujourd'hui autour d'une tasse de café. Elle doit sacrifier au rituel, pour continuer de croire en elle-même.

Drôle d'histoire : c'est Mélenchon qui finit par fixer la date, de guerre lasse, et Hamon qui s'y rend en trainant des pieds. A l'issue, ils vont se mettre d'accord sur le fait qu'ils ne sont pas d'accord. Mais Benoit Hamon pourra toujours dire qu'il a rencontré Jean-Luc Mélenchon, et Jean-Luc Mélenchon pourra toujours dire qu'il a rencontré Benoit Hamon. En politique, il n'y a parfois que les intentions qui comptent.

jeudi 16 février 2017

La colonisation est un crime



La déclaration d'Emmanuel Macron sur la colonisation, hier à Alger, est politiquement aussi importante que celle de Jacques Chirac, président de la République, sur le régime de Vichy. Dans les deux cas, les crimes sont reconnus, la mémoire n'est pas effacée. La France a souvent des problèmes avec sa propre histoire, qu'il faut solder si on veut avancer. Macron, en ayant ce courage, en faisant ce choix, endosse les habits d'homme d'Etat. Qu'a-t-il dit exactement à propos de la colonisation ? Trois choses essentielles :

1- La colonisation est barbare. Elle prive un peuple de son indépendance, elle fait de ses membres des citoyens de seconde zone, elle est de ce fait incompatible avec la démocratie. De plus, elle instaure un système d'exploitation économique indigne. Macron est allé jusqu'à parler de crime contre l'humanité, terme qu'on réserve habituellement au génocide juif. Peu importe les mots, c'est l'idée qui compte : la condamnation de la colonisation.

2- La colonisation a apporté les droits de l'homme, l'école, la République, mais sur le papier, puisque dans la réalité, c'est l'inégalité, l'injustice et la discrimination qui prévalaient. Il n'empêche qu'on peut reconnaître des bienfaits à un système détestable, qui n'altèrent pas le jugement négatif qu'on porte globalement sur lui, et la condamnation qui s'ensuit. Déjà, en octobre dernier, dans Le Point, Emmanuel Macron admettait qu' "il y a eu des éléments de civilisation et des éléments de barbarie" dans la colonisation. Les seconds l'ont hélas emporté sur les premiers.

3- La condamnation ferme et définitive de la colonisation ne doit pas reposer sur la culpabilisation morale, mais sur les faits historiques et l'intention politique. Macron l'a souligné : on ne fait rien de bon dans la culpabilisation. Il n'y a que la vérité qui compte. C'est à partir d'elle qu'on peut construire et envisager l'avenir. Qui aujourd'hui souhaiterait revenir sur la condamnation de Vichy et la responsabilité de l'Etat dans ce régime, si bien reconnues et énoncées par Jacques Chirac en son temps ? Personne ! Il en sera de même pour Emmanuel Macron avec sa condamnation de la colonisation, première réaction d'un chef d'Etat qui n'est pas encore chef d'Etat.

Dans cette affaire, la riposte la plus violente est venue de l'extrême droite, en forme d'hommage involontaire à Macron, puisque cette famille politique a toujours défendu avec ferveur la colonisation, jusqu'à comprendre, sinon soutenir, la factieuse et criminelle organisation terroriste, l'OAS. A ce propos, le débat illustre parfaitement l'idée chère à Emmanuel Macron : certains sujets politiques transcendent le clivage droite/gauche. La colonisation en fait partie. Au XIXème, une partie de la gauche républicaine était colonisatrice, au nom de l'émancipation des peuples. Au XXème, c'est une partie de la droite, avec le général de Gaulle, qui a décolonisé.

C'est du passé, mais qu'il est bon d'avoir en mémoire. Et puis, le passé, surtout récent, ne passe jamais vraiment : des millions de citoyens français d'origine maghrébine ont droit à réparation. Beaucoup d'hommes politiques y pensaient, Emmanuel Macron hier l'a fait.

mercredi 15 février 2017

L'argent, l'argent, l'argent !



Dans Le Canard enchaîné de ce matin, nous apprenons que Thierry Solère, porte-parole de François Fillon, aurait dissimulé de l'argent au fisc. L'argent, l'argent, toujours l'argent ! Après le candidat, c'est au tour de son porte-parole ... Je suis gêné : la politique, ce ne sont pas des histoires d'argent, mais des débats d'idées. L'argent, l'argent, l'argent ! Mais est-ce que le monde, et pas seulement la politique, ne tourne pas depuis toujours autour de l'argent ? On dit souvent que c'est le sexe. Mais non, c'est l'argent ! Le sexe ne fait tourner que les têtes, pas le monde.

Cette campagne des présidentielles accorde pour l'instant une place importante à l'argent. Mais par le passé, n'était-ce pas un peu la même chose ? Les scandales immobiliers sous de Gaulle et Pompidou ? L'argent ! La feuille d'impôt de Chaban ? L'argent ! Les diamants de Giscard ? L'argent ! Les amitiés de François Mitterrand avec l'homme d'affaires Roger-Patrice Pelat ? L'argent ! Le prêt sans intérêt de Bérégovoy ? L'argent ! Les emplois fictifs de Chirac ? L'argent ! Les frais de campagne de Sarkozy ? L'argent ! L'appartement de Lepaon, les chaussures d'Aquilino Morelle, le coiffeur de Hollande ? L'argent, l'argent, l'argent !

Petites sommes ou grosses fortunes, ce qui semble intéresser les gens, ce sont les questions d'argent. Du métal dans la poche, du papier dans le portefeuille, des chiffres qui s'alignent sur un compte : voilà l'objet des passions et des discussions. Dans la vie la plus ordinaire, on ne pense qu'à ça (qui encore une fois n'est pas le cul, mais le fric) : tout augmente, je n'ai pas d'argent, entend-t-on souvent. La mesure de toute chose semble être l'argent. C'est pour moi très suspect : contrairement au sexe, où celui qui en parle le plus en fait le moins, l'argent sans cesse condamné prouve l'obsession d'argent de celui qui condamne.

Emmanuel Macron, à qui on a visiblement pas grand-chose à reprocher, voit les hyènes tourner autour de son porte-monnaie ou de son coffre-fort : le prix de ses costumes, son passage à la banque Rothschild, les donateurs de sa campagne. L'argent, l'argent, l'argent ! Même Benoît Hamon finit par devenir suspect : sa compagne ne travaille-t-elle pas dans l'industrie du luxe ? Je souhaite que l'actuelle élection présidentielle cesse de parler d'argent. L'argent, comme le sexe et la religion, relèvent de la sphère privée, de la vie intime. Quand il y a usage délictueux de l'argent public ou irrégularité, c'est à la seule justice d'en traiter : l'argent n'a pas à devenir un enjeu polémique du débat politique.

Dans la rue, par hasard, regardant au sol, il nous arrive de tomber sur une petite pièce d'argent, un centime d'euro par exemple. Que faisons-nous ? Jamais nous ne la négligeons, en continuant notre chemin. Nous la ramassons, nous la mettons précieusement dans notre poche. Les plus superstitieux d'entre nous croient qu'elle va leur porter bonheur. Les autres savent bien qu'elle ne va rien leur apporter du tout. Mais ils l'ont pourtant prise et ils la gardent. Comme dit l'adage populaire : un sou est un sou. L'argent, l'argent, l'argent !

mardi 14 février 2017

Hamon et Mélenchon font du Macron



Cette élection présidentielle, hors-norme, nous fait craindre le pire. Ce n'est pas plus mal : la peur peut être bonne conseillère, quand elle fait réagir. Mais il y a des évolutions positives, mal perçues parce que apparemment anecdotiques, ou inaperçues au milieu des polémiques négatives. Par exemple, lorsque Benoît Hamon présente son équipe de campagne, une nouveauté, assumée par le candidat socialiste, frappe l'attention des habitués : pas de savants dosages entre courants ralliés, à la mode ancienne. Exit les Lienemann, Filoche et consorts. Plus de logique clanique. Hamon n'a même pas cherché à intégrer à son organigramme ses anciens concurrents, Montebourg et Peillon. Il a choisi de s'entourer d'intellectuels, qui ne forment pourtant pas la catégorie la mieux appréciée de France : l'économiste Thomas Piketty, la philosophe Dominique Méda, entre autres. Ca n'a l'air de rien, mais c'est une évolution. La logique ancienne, c'était de s'entourer des siens. Là, Hamon élargit. Je m'en réjouis, même si je continue à ne pas partager ses idées.

Autre évolution notable, celle de Jean-Luc Mélenchon, lorsqu'il repousse les appels du pied de Benoît Hamon, avec l'une de ses formules dont il a le secret : "avant, l'union était un combat ; maintenant, l'union est une combine". Le candidat de la France insoumise privilégie les idées aux marchandages électoraux : renoncer à telle proposition au profit de telle circonscription. C'est étonnant, parce que la culture politique de Mélenchon a longtemps été celle des négociations d'appareil et du partage des places, surtout des meilleures. J'applaudis : les convictions l'emportent sur la distribution des mandats. Mais là où Mélenchon se trompe, c'est qu'à l'époque du grand Mitterrand, c'était déjà la course au pouvoir qui structurait la vie politique, sous couvert d'idéologie. Aujourd'hui, le roi est nu et les ambitions, désormais visibles, sont devenues insupportables quand elles n'ont plus pour moteur que l'intérêt personnel.

Dernière exemple d'une prise de conscience positive : les récents propos de Julien Dray, complétés ce matin par ceux de Stéphane Le Foll sur France Inter. Tous les deux ont sonné l'alarme : le grand danger, c'est le Front national. Il y a péril en la demeure, et ce n'est pas par lyrisme mal inspiré que je le dis. Mais je vais plus loin qu'eux : depuis une vingtaine d'années, la gauche a renoncé à se battre contre l'extrême droite, au prétexte que son électorat était populaire, qu'il ne fallait pas le braquer, le culpabiliser. Du coup, on l'a déresponsabilisé, on a rendu possible la dédiabolisation du FN. C'est une faute politique grave. Contre l'extrême droite, beaucoup d'angles d'attaque sont envisageables ; l'essentiel est qu'on l'attaque, qu'on ne renonce pas au nom du motif hypocrite, paresseux et vicieux (souvent entendu dans les rangs de la gauche) que critiquer le FN, ce serait assurer sa publicité, argument dégueulasse. J'ai toujours cru que la vieille rhétorique antifasciste avait encore son utilité, parce qu'elle parle à l'imaginaire populaire, mais que bien sûr elle ne suffisait pas.

La gauche évolue sans qu'on s'en rend bien compte. La droite aussi, sans doute, mais ce n'est pas ma famille, donc j'y suis moins sensible, je remarque beaucoup moins. D'où vient cette évolution de la gauche ? La réponse peut paraître incroyable, mais la dynamique lancée par Emmanuel Macron n'y est pas pour rien, elle produit son influence : lui le premier a mis à l'honneur les idées, lui le premier s'est dégagé des logiques d'appareil. Et son succès en partie énigmatique vient de là. A la différence de monsieur Jourdain qui, chez Molière, faisait de la prose sans le savoir, Hamon et Mélenchon font du Macron en ayant probablement conscience de cette inspiration, puisqu'elle est celle de nombreux Français, qu'on ne peut pas ignorer quand on songe à se faire élire. 

lundi 13 février 2017

René Dosière ne se représente pas



J'ai deux nouvelles à vous annoncer : une bonne et une mauvaise. Normalement, dans ce genre de situation, on commence par donner la bonne. Je vais donc vous la dire : René Dosière ne se représente pas à la députation, il l'a révélé ce matin, à Laon, lors d'une conférence de presse. C'est la voix de la sagesse : après cinq mandats, dont quatre consécutifs, sa vie parlementaire a été pleinement remplie et réussie.

Voir les électeurs renouveler ainsi leur confiance, c'est de l'or pour un homme politique. D'autant que René Dosière a acquis une notoriété nationale et médiatique, ce que peu de députés parviennent à faire : il s'est taillé une spécialité dans l'étude du financement politique et la dénonciation de ses abus. Enfin, à 75 ans, quoique en parfaite santé, il est raisonnable de laisser la place et leur chance à d'autres, plus jeunes.

Bonne nouvelle pour René Dosière, qui part en laissant de lui une excellente image, bonne nouvelle pour la démocratie, puisque ce parlementaire exemplaire donne encore l'exemple en ne s'accrochant pas à son mandat. Savoir arrêter, c'est une marque d'intelligence dont tous les élus ne font pas preuve, au risque souvent de s'abimer. Jean-Pierre Balligand, dans d'autres circonstances, a su lui aussi arrêter à temps.

Maintenant, après la bonne, il faut que je vous livre la mauvaise nouvelle : René Dosière ne se représente pas à la députation ! Non, ne croyez pas en une facétie ou une contradiction de ma part : c'est très sérieux, la première circonscription de l'Aisne était détenue par la gauche depuis 1997, le départ de Dosière crée un grand vide, qui risque d'être comblé par n'importe qui et conduire à la défaite, dans des conditions nationales pas très favorables.

Pourtant, la circonscription est sociologiquement et historiquement ancrée à gauche. Mais l'histoire politique est pleine de basculement. Fawaz Karimet, un ex-PS lui aussi, va-t-il enfin avoir une revanche qu'il cherche depuis longtemps, et la place qui va avec ? Même si je savais que Dosière soutenait Manuel Valls, j'aurais rêvé qu'il rejoigne Emmanuel Macron et soit le candidat d'En Marche !

René Dosière ! La première fois que je l'ai rencontré, c'était au printemps 1999. Je ne le connaissais pas du tout. Nous devions tenir une conférence de presse ensemble pour présenter la candidature d'Anne Ferreira à l'élection européenne (dont j'étais pompeusement le directeur de campagne, seul moment dans mon existence où j'ai été directeur de quelque chose). Nous étions au restaurant rue de Paris, anciennement Le Sabayon. Je suis entré dans la salle où se tenait, assis dans un coin, un homme silencieux, d'apparence timide, massif, en train de lire le journal. Au début, je n'ai pas pensé à lui, n'ayant pas son visage. C'est au bout de quelques minutes que j'ai compris !

De cette rencontre, il m'est resté l'article de presse et sa photo, que je regarde de temps en temps avec une sorte de mélancolie. Que du beau monde : Bernadette Bourdat, première secrétaire départementale du Parti, Maurice Vatin, conseiller régional, Odette Grzegrzulka et René Dosière, députés de l'Aisne, Anne Ferreira, vice-présidente du Conseil général de l'Aisne, et moi, militant. C'était les jours heureux, le temps des victoires, l'époque des grands élus.

Jamais je n'aurais imaginé, quelques années après, la suite dramatique des événements. Sur cette photo, nous sommes unis, quoique de sensibilités différentes et avec d'inévitables animosités personnelles. Mais l'union était plus forte que tout. Jamais plus je n'ai revu, depuis, une photo comparable. C'est pourquoi je la garde précieusement. Le pire, c'est que des six présents, une seule est encore au Parti socialiste, mais elle a arrêté la politique : Anne Ferreira. Les autres sont partis ou ont été exclus.

Bon, stop à la nostalgie et revenons à Dosière : après cette mémorable rencontre, nous avons mené plusieurs combats, essentiellement en interne, au sein du Parti socialiste, pour donner à la fédération de l'Aisne une majorité réformiste. Jean-Pierre Balligand était de ces combats pas faciles et perdus, tant l'appareil départemental était marqué par l'aile gauche ou les socialistes critiques envers la direction nationale.

Sinon, deux autres actions nous ont réunis : la campagne européenne de 2005 et le soutien à DSK. Echecs là aussi ! René Dosière n'a pas les qualités d'un homme d'appareil, mais il s'est illustré ailleurs, plus noblement, dans le travail parlementaire. Tant pis et tant mieux. C'est un peu comme mon histoire de départ, la bonne et la mauvaise nouvelle. Bravo et salut à René !

dimanche 12 février 2017

Onfray en pleine décadence



Je n'ai jamais aimé Michel Onfray, le philosophe à succès. Pas le bonhomme : il est intéressant, intelligent, passionnant même, et très pédagogue, et j'invite à le lire. Non, ce sont ses idées, ses méthodes, ses références que je ne partage pas. Pourtant, je me sens nietzschéen comme lui, mais pas de la même façon. Son dernier ouvrage, "Décadence", confirme mon hostilité. Sur cinq points de désaccords fondamentaux, que j'ai notés hier soir, en le regardant chez Ruquier :

1- La philosophie procède par constat. Onfray n'arrête pas de dire qu'il ne juge pas, mais qu'il constate. Non, la philosophie n'est pas une science de l'observation : elle juge, elle délibère, elle tranche. Sa dimension critique est essentielle. Onfray prend la posture d'un scientiste, d'un naturaliste qui se contente de décrire la civilisation, son évolution et sa décadence : je n'y crois pas, toute philosophie est engagée, partisane, militante, mercenaire. Il n'y a pas de point de vue qui soit extérieur à son objet (c'est d'ailleurs ce que pense Nietzsche, contrairement à Onfray). L'auteur de "Décadence" procède plus par recension de lectures que par pensée personnelle, théorie, concepts. Ses références sont parfois douteuses, quand il présente l'abbé Meslier comme un "philosophe" que les Lumières auraient pillé, ou comme le "premier athée" de notre histoire. Non, Meslier était un curé défroqué se vengeant sur son Eglise, comme les anticommunistes les plus caricaturaux viennent du Parti communiste. Ce n'était pas un philosophe digne de ce nom. Quant à l'athéisme, il remonte à l'Antiquité.

2- La civilisation est une expression du vivant. Onfray réduit l'humanité à la biologie, comme il réduit l'homme à une "poussière d'étoiles". Philosophiquement, c'est donc un matérialiste, choix que je ne partage pas, mais qu'il présente comme une évidence, alors qu'il est très discutable. Pour moi, il y a une singularité humaine qu'il faut penser en tant que telle, non la rabattre sur des métaphores biologisantes. La civilisation n'est pas comparable à un organisme vivant qui naît, croît et meurt. Une pensée métaphorique n'est pas une pensée philosophique. Elle ne fait pas son travail, en économisant le concept au profit de l'image ou de l'analogie.

3- Jésus n'a pas existé. C'est une vieille lune du XIXème siècle, que les historiens et même les athées les plus sérieux n'ont pas reprise. Bien sûr, nous ne savons quasiment rien du Jésus historique, et celui des Eglises résulte de la foi des croyants. Mais il est inconcevable de douter de l'existence du personnage, à l'origine des communautés qui ont très vite essaimé en Méditerranée. Onfray a cette étrange parole : "Jésus mange du symbole". Quand les Evangiles le décrivent dans sa vie ordinaire, tout ça n'est que de l'image, pour Onfray : c'est proprement invraisemblable. Ce n'est pas parce que notre philosophe pense par images que les premiers chrétiens font de même en rédigeant leurs témoignages (paraboles mises à part). On dirait que Onfray a besoin de tuer le Christ pour fonder son antichristianisme.

4- Saint Paul hait le corps. Là aussi, Onfray va chercher dans ce qu'il y a de moins solide : le père du christianisme, ce n'est pas Jésus, mais Paul, le méchant, le fanatique, le misogyne, qui n'aimait pas son corps, celui des femmes, celui des autres. La psychologie prime donc sur la philosophie : c'est très actuel, mais je conteste. Non, une lecture sérieuse des Epitres de Paul ne confirme pas cette approche, mais elle confirme que Michel Onfray a des comptes à régler avec le judéo-christianisme. En tant que religion de l'incarnation et de la résurrection, le christianisme défend le corps, certes pas n'importe lequel (celui du débauché est condamné). Notre corps est un membre du Christ et le temple du Saint Esprit, répète saint Paul. Comme haine du corps, on fait mieux ! Au contraire, l'apôtre divinise le corps, le transfigure.

5- Hitler était catholique. Là, Onfray met la gomme pour dégommer le christianisme ! Faire du führer un catho, il faut quand même oser. Tout ça parce que Mein Kampf cite l'épisode des marchands du Temple, où Hitler se réjouit que Jésus ait frappé des commerçants juifs ! Non, ça ne tient pas : Jésus était juif, ses partisans aussi. Ce n'est bien sûr pas aux juifs qu'ils s'en prennent, mais à un certain judaïsme, pharisien. D'ailleurs, Onfray est pris à son propre piège : ce judéo-christianisme qu'il ne cesse de critiquer, dont il annonce la disparition, mélange le judaïsme et le christianisme. Hitler n'a rien à voir avec tout ça : il n'allait pas à la messe, ne priait pas et ignorait le Nouveau Testament. Qu'il manipule le christianisme, oui ; qu'il y adhère, non, c'est gros comme une maison.

Un dernier mot sur Michel Onfray, politique cette fois-ci : je ne vois vraiment pas où il se situe. La "gauche libertaire" dont il se réclame est pour moi un mystère, un rêve, encore plus improbable que l'existence de Jésus. Amen.

samedi 11 février 2017

Macron n'a pas de programme



Macron n'a pas de programme, Macron n'a pas de programme. C'est une chose entendue, un fait, un constat, une réalité, une évidence, une vérité, un dogme, un acquis, un principe. Macron est intéressant, séduisant, intelligent, mais quel dommage : Macron n'a pas de programme. Des dizaines de milliers de personnes viennent l' écouter dans ses meetings, mais Macron n'a pas de programme. Il écrit un livre de 265 pages, mais Macron n'a pas de programme.

Macron n'a pas de programme, puisque la télévision dit que Macron n'a pas de programme, que la radio dit que Macron n'a pas de programme, que la presse écrit que Macron n'a pas de programme, qu'un ami vous dit que Macron n'a pas de programme, qu'un collègue dit de même que Macron n'a pas de programme. Votre cousin aussi remarque que Macron n'a pas de programme. Ses adversaires, bien sûr, l'attaquent sur ce point : Macron n'a pas de programme. Quelques-uns de ses partisans vont jusqu'à s'en inquiéter : Macron n'a pas de programme. Les réseaux sociaux, évidemment, le répètent à l'envie : Macron n'a pas de programme.

C'est bizarre : quand on fait de la politique, on a toujours un programme, puisque faire de la politique, c'est proposer un programme. Un parti, un candidat ont nécessairement un programme. Alors, pourquoi Macron fait-il exception, pourquoi n'a-t-il pas de programme ? Parce qu'il n'a pas de programme ! Depuis quand ? Depuis toujours. Macron n'a jamais eu de programme. Et Macron n'aura jamais de programme, même quand il sera devenu président de la République. Après sa mort, Macron n'aura encore pas de programme. Je crois bien qu'il est né comme ça : sans programme. C'est vraiment bizarre, exceptionnel. A se demander si Macron n'est pas allergique au programme, anti-programme.

C'est d'autant plus bizarre que je trouve chez Macron ... un programme. J'en cite quelques points, en vrac, de mémoire :

- ne pas modifier un même impôt durant le quinquennat
- réduire les cotisations patronales sur les bas salaires
- diviser par deux le nombre d'élèves dans les classes de CP en ZEP
- supprimer les cotisations maladie et chômage du salarié (augmentation de 504 euros nets mensuels pour un couple de salariés au SMIC)
- financer la précédente réforme par la hausse de la CSG de 1,75 points
- mettre à contribution les revenus du capital et les retraites confortables, en exonérant les petites retraites (40% des retraités) et les indemnités chômage
-permettre aux accords majoritaires de branches et d'entreprises de pouvoir déroger à la loi, afin de redonner une marge de manœuvre aux syndicats
- instaurer un régime universel d'assurance chômage, en l'ouvrant aux indépendants, commerçants et artisans
- faire reposer son financement davantage sur l'impôt et moins sur les cotisations sociales
- nationaliser l'Unedic
- verser des indemnités chômage aux salariés démissionnaires
- attribuer un pass culture, crédité de 500 euros, à tout jeune dans l'année de ses 18 ans
- recruter dans les trois ans 10 000 fonctionnaires de police et de gendarme supplémentaires
- créer un budget de la zone euro et un poste de ministre des finances
- lancer, à l'automne 2017, des conventions démocratiques dans chaque Etat de l'Union européenne, pendant six à dix mois
- introduire une dose de proportionnelle aux élections législatives
- limiter le cumul des mandats dans le temps
- subordonner l'accès aux fonctions ministérielles à l'absence d'inscription au casier judiciaire B2
- soumettre chaque texte de loi à une clause d'abrogation automatique à l'issue d'une évaluation non probante

J'arrête là la liste, je pourrais la poursuivre, c'est un peu austère à parcourir, comme tout programme, Emmanuel Macron va la compléter et la finaliser le 02 mars. Mais alors, pourquoi dit-on que Macron n'a pas de programme ? Parce que c'est plus simple comme ça : pas besoin d'argumenter contre un programme qui n'existe pas. Quand on a fait ce reproche-là, plus aucun autre n'est à faire, on est tranquille.

Et puis, on dit que Macron n'a pas de programme parce que quelqu'un nous a dit que Macron n'a pas de programme, ce quelqu'un en ayant rencontré un autre qui lui a dit que Macron n'a pas de programme. Chacun peut d'ailleurs se convaincre lui-même que Macron n'a pas de programme en répétant pour soi, plusieurs fois : Macron n'a pas de programme, Macron n'a pas de programme, Macron n'a pas de programme. Si, par hasard, par miracle, Emmanuel Macron avait un jour un programme, je crois bien qu'on continuerait à dire : Macron n'a pas de programme

vendredi 10 février 2017

Hamon y a l'téléfon qui son



Alexis Corbière, porte-parole de Jean-Luc Mélenchon, s'est plaint ce matin sur LCI que Benoît Hamon, depuis quinze jours qu'il a été désigné, n'a pas daigné téléphoner à Mélenchon. La politique est faite aussi de petites susceptibilités. Celle du coup de fil est bien connu. Elle laisse une blessure narcissique qui a du mal à cicatriser. Il y a une quinzaine d'années, à Saint-Quentin, un candidat, dissident socialiste aux élections cantonales, a longtemps trainé le souvenir douloureux d'un appel du secrétaire de section PS qui n'est jamais venu : "j'attends encore", répétait-il souvent, dans un mélange de dérision et de ressentiment.

Revenons à Corbière l'amer. Il interprète le silence téléphonique de Hamon comme "une forme d'arrogance". Ah ! l'arrogance ... Quand vous ne savez pas quoi dire d'un adversaire politique, faites-lui le coup de l'arrogance et du mépris : effet garanti ! Il faut dire aussi que les hommes politiques ont un rapport passionnel au téléphone. Les importants l'ont toujours à portée de main ou collé à l'oreille. Les vaincus du suffrage universel souffrent de ne plus entendre sa sonnerie : son silence est le signe de leur déchéance. Les moins importants, qui veulent cependant le paraître, font même semblant qu'on les appelle, en parlant à un téléphone muet.

Revenons à Mélenchon. En réponse à Hamon et à son souhait de rassemblement, il accepte de "prendre un café" avec lui. Un café ! Si ça n'est pas du mépris ... En politique, quand on veut sérieusement s'unir, ce n'est pas autour d'un kawa, mais d'un robuste déjeuner, qui laisse le temps de discuter et de digérer les propositions. Un café, c'est un lapsus : une fin de non recevoir. Tout comme le "Monsieur Hamon" que répétait systématiquement, hier soir sur BFMTV, un autre porte-parole de Mélenchon, Danielle Simonnet. Si ça n'est pas du mépris là aussi, mais tout sourire, la pointe d'arrogance qui va avec, chez ceux qui sont prompts à la dénoncer en même temps qu'à la pratiquer. "Monsieur" : fausse politesse et vraie distance, preuve indiscutable que Mélenchon et Hamon ne sont pas près de s'allier.

Hamon y a l'téléfon qui son, Mélenchon y a jamais person qui y répond. Car la vérité, c'est que nous sommes dans une pathétique comédie. Aucun des deux candidats ne se retirera, ils se disputeront au contraire âprement le même électorat. Tous les deux font ce qu'ils savent très bien faire : semblant. Le but flagrant de Jean-Luc Mélenchon, c'est de détruire le Parti socialiste et de construire sa propre boutique sur les ruines. Ce n'est pas parce que Benoît Hamon a trahi François Hollande et rompu avec le gouvernement qu'il va forcément s'associer à l'entreprise de démolition que mène Mélenchon. Le fil du téléphone n'est pas non plus la corde du pendu.

jeudi 9 février 2017

Ils sont chez eux



Marine Le Pen sera ce soir l'invitée de L'Emission politique, sur France 2. Je ne regarderai bien sûr pas, je tiens à mon honneur et j'ai mieux à faire. Dimanche dernier, à Lyon, la candidate nous a offert un triste spectacle, guère étonnant de sa part : son discours a confirmé la xénophobie d'Etat qui fait le cœur de son programme. Avec elle, la préférence nationale, vieille revendication de l'extrême droite, sera inscrite dans la Constitution. Emploi, logement, aide sociale : l'étranger, le métèque sont visés. Il est devenu malséant de dire que le vote FN est raciste, et cet interdit n'est pas pour rien dans son expansion électorale. Ses électeurs sont décomplexés, peuvent sans vergogne se défouler.

Durant le meeting lyonnais, il y a eu un moment effrayant, dans la salle, quand le public nombreux a beuglé : on est chez nous ! on est chez nous ! S'il y a une preuve de la nature raciste de cette foule, c'est bien ce cri-là. C'est où, chez nous ? C'est qui, nous ? Et ceux qui ne sont pas nous et qui sont chez nous, on les met où, on en fait quoi ? Pas besoin de réfléchir longtemps : cette meute en chaleur et en chasse, c'est de la graine de fachos, qui ne demande qu'à lever. Constater que Marine Le Pen arrive, dans tous les sondages, en tête du premier tour de la présidentielle est une honte et une souffrance pour la France. Imaginez que cette femme parvienne au pouvoir ... On ne peut hélas plus rien exclure.

Il est fréquent de comparer Le Pen à Trump et Poutine, les assimilant à une même famille idéologique. C'est non seulement faux, mais c'est accorder à Le Pen une certaine crédibilité en l'élevant à un tel niveau, croyant la rabaisser. Trump est un opportuniste, un affairiste, anciennement membre du Parti démocrate, aujourd'hui au Parti républicain, amuseur public à la télévision, surfant sur la vague populiste. Le Pen, c'est autre chose, qui n'a rien à voir : toute une vie à l'extrême droite, parmi les marginaux et les radicaux du nationalisme, en dehors de la République. Poutine est un ancien cadre communiste,  fonctionnaire de l'espionnage en quête de pouvoir, cherchant à redonner à son pays une fierté perdue. La trajectoire et l'idéologie sont sans filiation avec le chef actuel du FN. S'il y a quelques rapports entre eux, ils sont très relatifs, de simples circonstances, motivés par de temporaires intérêts.

On est chez nous ? Oui, ils sont chez eux, et c'est un pays qui n'est pas beau à voir : celui du ressentiment, de la méchanceté et de la haine. Si mon fils était voyou, escroc ou antisocialiste, je m'en remettrais ; mais électeur frontiste, ce serait pour moi un drame. A l'heure qu'il est, un seul peut stopper l'ascension de Marine Le Pen : c'est Emmanuel Macron. Et lorsqu'elle le désigne comme son principal adversaire, qu'elle souhaiterait l'affronter au second tour de la présidentielle, une vérité est dite : c'est le grand combat entre ceux qui sont chez eux, ne veulent pas des autres et ceux qui ouvrent, intègrent, rassemblent. Ils sont chez eux ? Qu'ils y restent !

mercredi 8 février 2017

Vivre et exister




Les douze lycéens, participant hier soir au concours d'expression orale du Rotary Club, avaient bien du courage, à leur âge, d'affronter un public pour traiter de sujets difficiles. Morgan, Maeva et Sophie (vignette 1) ont concouru pour le lycée Henri-Martin. Mais c'est Laurie, du lycée Pierre-de-La-Ramée, qui l'a emporté, avec une prestation originale et humoristique (vignette 2).

Deux candidates, sans s'être concertées, ont défendu le même sujet : la cause LGBT. Clovis, de Saint-Jean La-Croix, s'est lancé, non sans risques, dans la parodie d'un discours lepéniste, qui pouvait prêter à confusion, mais qui s'est avéré très réussi. Le sujet imposé était un aphorisme d'Oscar Wilde : "Vivre est la chose la plus rare du monde. La plupart des gens ne font qu'exister".

Clovis, de nouveau surprenant, a commencé son discours en tournant le dos au public et l'a terminé en pleurs (non feints), à l'évocation de son grand-père disparu. Il y a aussi ces intervenants qui se perdent dans leur propos, ne savent plus que dire, restent suspendus sur scène entre ciel et terre : on de la peine pour eux, on s'imagine à leur place et on souffre. Quoi qu'il en soit, bravo à tous !

mardi 7 février 2017

40 ans dans les tuyaux



Ce week-end, nous avons parlé du nouveau succès de Macron, de l'hologramme de Mélenchon, de l'investiture d'Hamon, de l'argent de Fillon, du discours brutal de Le Pen. Mais l'essentiel était ailleurs : les 40 ans du Centre Pompidou, qui sera toujours pour moi "Beaubourg", que j'ai tenu à honorer par ma visite. Comme nous sommes loin de la polémique initiale contre la "raffinerie" ! On vient du monde entier voir son musée, ses expositions, ses activités, l'unanimité a fini par s'imposer.

J'ai fréquenté Beaubourg, sa bibliothèque, la plus belle de France en accès direct, deux ans après son ouverture. J'y ai passé des heures passionnantes et heureuses, j'y retourne avec autant de plaisir, de temps en temps. Le seul désagrément, c'était la file d'attente parfois très importante, ou l'absence de place à l'intérieur, qui obligeait de s'asseoir inconfortablement au sol. La lecture n'en prenait que plus de valeur ! Allez, bravo Beaubourg, longue vie à la "raffinerie", très bon anniversaire !

lundi 6 février 2017

Fillon toujours pas protestant



Hier soir, à 23h45, j'ai eu une révélation, en regardant BFMTV. L'affaire Fillon, qui n'en finit pas de passionner le public et les médias, était à nouveau au centre des commentaires. Une animatrice, sourire ravi et yeux écarquillés, a tenu ce propos lumineux : "Il faut que François Fillon fasse son mea culpa, qu'il ne soit plus hyper-catholique [sic], mais devienne protestant [re-sic]. Ce n'est pas une question de légalité, mais de morale". Tout est dit : l'état d'esprit actuel de l'opinion s'exprime parfaitement dans cette réflexion, d'une sincérité et d'une pertinence remarquables.

Depuis Mai 68 et la libération des mœurs, la morale était jugée bourgeoise, conformiste, répressive, contestée et condamnée à ce titre. La déploration d'une perte des valeurs était constante. En réalité, il n'en est rien. Jamais la morale n'a été aussi forte et influente qu'aujourd'hui dans notre pays. Cette affaire Fillon en est l'illustration. La politique, l'idéologie, l'économie sont reléguées au second plan. Le jugement moral prévaut. Même le suffrage universel n'a pas le premier et le dernier mot : après tout, ne serait-ce pas, en démocratie, aux seuls citoyens électeurs de trancher à l'occasion du scrutin présidentiel ?

Ce n'est pas l'erreur politique qu'on dénonce, mais la faute morale qui choque. Toute morale recherche une religion qui puisse la justifier, réduire ou annuler sa part d'arbitraire. Dans notre monde, le protestantisme fait l'affaire. Importé avec l'américanisation de la France, il a l'avantage de produire une pure morale, dotée d'une transcendance et d'un culte réduits au minimum, qui convient à une population sceptique ou mécréante. Cette morale repose sur la condamnation de l'argent mal acquis et le mensonge public, y compris par omission. Voilà ce qui a fait tomber Fillon. Comme toute morale, celle-ci ne va pas sans hypocrisie. Car ce n'est pas l'argent et ses inégalités en tant que tels qui sont critiqués (un sportif professionnel ou un amuseur de télévision qui gagnent un fric fou et injustifié ne soulèvent pas l'indignation). Ce n'est pas le mensonge en soi qui est condamné, tant on sent bien qu'il est inévitable à la vie : c'est le fait de se faire prendre.

Ce qui a perdu François Fillon, ce qui a déclenché toute son affaire, c'est sans doute son aveu déplacé, à propos de la réforme de la Sécurité sociale : "Je suis chrétien". Comme si c'était un argument ! Comme si un engagement personnel et spirituel avait sa place dans le débat politique ! Le général de Gaulle allait à la messe tous les dimanches et n'a pourtant jamais dit, pour appuyer aucune de ses prises de position : "Je suis catholique". Fillon reçoit en pleine figure le bâton qu'il a agité : les Français retiennent de la religion chrétienne qu'elle récuse le mensonge et l'argent.

Alors, François Fillon a t-il satisfait au vœu de BFMTV, est-il devenu, lors de sa conférence de presse de cet après-midi, protestant ? Non, pas vraiment, ou à moitié, c'est-à-dire pas du tout, car la morale n'accepte pas la demi-mesure ou le moyen terme. "Je présente mes excuses aux Français", a-t-il déclaré. C'est une formule de politesse, pas un acte de contrition, une confession publique (les protestants n'admettent pas la confession privée), un repentir en bonne et due forme. Il a émis des regrets, pas des remords. Pour le dire à ma façon, Fillon s'est excusé d'être catholique, mais n'a pas épousé la foi protestante, puritaine et morale. Sinon, il aurait démissionné depuis longtemps.

samedi 4 février 2017

On va gagner !



On va gagner ! C'est le plus beau mot du vocabulaire politique. A Saint-Quentin, je n'ai pas eu souvent l'occasion de le clamer. Aujourd'hui, je prends ma revanche, avec la candidature d'Emmanuel Macron à l'élection présidentielle. Après son grand meeting de Lyon, qui vient de se terminer, l'évidence s'impose peu à peu : le prochain président de la République, ce sera lui. On va gagner !

Le discours de cet après-midi a renforcé cette intuition : Macron a été plus présidentiel que jamais. Ce n'est plus le candidat d'un camp contre un autre camp, c'est déjà le candidat du rassemblement, le candidat de tous les Français, comme en leur temps le général de Gaulle ou François Mitterrand. Oui, on va gagner : c'est à cette exclamation que le candidat a été plusieurs fois interrompu.

Qu'a-t-il à craindre désormais ? Sur sa droite, un candidat plombé, que son propre parti cherche à remplacer. Sur sa gauche un poids léger, qui en est à rechercher des alliances avec Jean-Luc Mélenchon, comme si on pouvait tendre la main à celui qui vous mord ... Tout ça, ce n'est pas de la graine de chef d'Etat. Mais restons bienveillant, puisque Emmanuel Macron nous le demande, faisant taire les sifflets contre l'adversaire, ce qui ne s'est jamais vu dans un meeting politique, où l'on s'efforce plutôt de les susciter. Contentons-nous de crier : on va gagner !

On va gagner, parce que nous avons pour nous la force du nombre, la puissance des idées, la popularité du candidat ... et l'effondrement de la classe politique, qu'il faut déplorer mais aussi constater, en en tirant les leçons. Qui sera le véritable adversaire de Macron dans cette campagne ? L'extrême droite, évidemment. Le grand danger, c'est elle. Et c'est lui, seul, qui peut la stopper. Au niveau où Emmanuel Macron est arrivé, à quelques semaines du premier tour, il ne peut plus reculer ou s'effondrer. La dynamique est là, elle emporte tout, rien ne pourra l'arrêter, les ralliements seront de plus en plus nombreux. On va gagner : j'aurais pu, ce soir, me contenter de ces trois mots pour rédiger et résumer tout mon billet.

vendredi 3 février 2017

François et Benoit sont mal partis



C'est du jamais vu dans l'histoire des présidentielles : les deux principaux candidats, désignés par les partis de gouvernement lors de primaires, ne sont pas pour le moment en situation de l'emporter, y compris au premier tour. Nous pourrions nous retrouver avec un duel Macron-Le Pen, ce qui n'est pas pour me déplaire, même si je préfèrerais un affrontement plus classique entre un candidat conservateur et un candidat progressiste, plus conforme à l'idée que je me fais de la démocratie.

François Fillon, dont je laisse sans commentaires le fond de l'affaire à la seule justice, a commis deux erreurs de communication. "J'aime ma femme", a-t-il lâché sur TF1, en guise de défense. Pendant son grand meeting, il a amoureusement posé sa main sur la main de son épouse. C'est humainement très beau, mais pas très politique. Car que ne ferait-on pas par amour ? Jusqu'à cacher, mentir, un soupçon mal venu dans cette polémique. Bien sûr, Fillon a voulu jouer sur la corde de l'émotion, qui n'est pas non plus mal venue, mais peut se retourner contre lui. Le sentiment n'est pas un argument.

Autre erreur de com' : les 15 jours de patience qu'il demande pour faire la lumière sur son affaire. 15 jours, c'est, dans notre société, une éternité ! BFMTV ne supporte même pas un délai de 15 heures, trop long encore. 15 minutes pour répondre, à la rigueur. 15 secondes, ce serait parfait !

Benoit Hamon n'est pas mieux loti. Il s'est rendu à l'Elysée, pour rencontrer ce président qu'il a tant critiqué. A quoi rime cette visite ? Sur le perron du palais, il était seul en entrant, il était seul en sortant. Cette solitude est la marque du candidat, que François Hollande, à l'évidence, ne soutiendra pas. Hamon a déclaré en partant : "c'était ... euh ... chaleureux". Tout est dit, dans l'hésitation et l'antiphrase. Car la seule chaleur dans le bureau du président ne pouvait venir que des radiateurs.

François et Benoit sont mal partis, et c'est dommage pour la démocratie, qui ne gagne pas à voir ces candidats discrédités. Mais les citoyens sont en forte demande de renouvellement. Emmanuel Macron est le seul candidat qui y réponde décemment. Quelques autres nous conduiraient à l'aventure. Le candidat d'En Marche ! tiendra demain à Lyon son plus important meeting de campagne. Il faudra être attentif à l'événement, ce sera une étape essentielle dans la conquête du pouvoir, en attendant la victoire. Parce que lui, Macron, est très bien parti.

jeudi 2 février 2017

Une nouvelle philosophie, le dégagisme



C'était dimanche soir, lors de la soirée électorale des primaires, à la télévision. L'un des invités était la porte-parole du Parti de Gauche, la France insoumise de Jean-Luc Mélenchon. La personne a employé un mot que je n'ai pas d'abord bien compris, croyant avoir mal entendu : le dégagisme. Mais non, c'était bien ça. Des idéologies à gauche, j'en ai connues et j'ai beaucoup lu : le socialisme, le communisme, le radicalisme, le républicanisme, le progressisme, l'écologisme, le trotskisme, le maoïsme, l'anarchisme ... Mais le dégagisme, je n'en avais jamais entendu parler. Voilà, c'est fait, depuis dimanche soir. Il y a un commencement à tout.

Quelque chose aurait dû pourtant me mettre la puce à l'oreille. Avez-vous remarqué le logo de la campagne de Mélenchon ? Il est bizarre, énigmatique, incompréhensible et difficile à décrire. Il faudrait que je vous fasse un dessin : c'est une sorte de serpent ou de ruban qui termine en haut par une boucle sur lui-même. Il faut être un fin lettré pour savoir qu'en réalité c'est une lettre, en grec ancien, phi, qui a donné phi-losophie, dont c'est le symbole. Attention les yeux : le dégagisme est bel et bien une nouvelle philosophie, un système de pensée. Mais en quoi consiste-t-il ?

C'est assez simple : comme le socialisme met en avant la question sociale, comme le communisme prône une mise en commun des moyens de production, comme le républicanisme défend le régime républicain, comme le progressisme milite pour le progrès, comme le trotskisme et le maoïsme se réclament respectivement de Trotski et de Mao, le dégagisme repose intellectuellement sur un principe, une idée, un slogan : dégage !

La pensée est dans le mot, comme le poussin est dans l'œuf ou le ver dans le fruit. A l'origine, la formule est apparue pendant le Printemps arabe, lorsque les peuples sont descendus dans la rue pour chasser les dictateurs. En France, nous n'avons pas besoin, les élections remplacent la rue ; nous n'avons pas de dictateurs mais des présidents. Ca ne fait rien, l'idée marche quand même : dégage !

Dégage ! Mais dégager qui ? N'importe qui, tous ceux dont on a envie qu'ils dégagent. C'est une idéologie pulsionnelle. Les mélenchonistes en font leur grille de lecture du monde et de la société, que la réalité selon eux confirme : Sarkozy a dégagé, Hollande a dégagé, Valls a dégagé et il se pourrait bien que Fillon, qui a dégagé Juppé, ne soit en train de dégager à son tour.

Mais dégager pourquoi ? Pour rien, parce qu'ils sont ce qu'ils sont, des hommes de pouvoir, qui l'occupent, l'ont occupé, veulent l'occuper. Leur politique est relativement secondaire. Le dégagisme est une philosophie qui s'en prend autant aux responsables de la droite que de la gauche. L'important n'est pas ce qu'ils font, ont fait ou feront : non, l'essentiel est qu'ils dégagent.

Même si vous n'êtes pas dégagistes, prononcez ce mot, bien fort : dégage ! Après, on se sent mieux, comme quand on prend une pastille Valda parce qu'on est enrhumé. A Marine Le Pen, on pourrait aussi crier : dégage ! et je ne serai pas loin de m'y associer. Mais il y a un petit problème : ceux qui lancent ce mot d'ordre puissant, dégage ! ne risquent-ils pas de se voir l'entendre dire à leur propos, à la façon du boomerang qui nous revient en pleine figure ou de l'arroseur arrosé ? Voilà la limite, peut-être la contradiction de cette nouvelle philosophie, le dégagisme.

mercredi 1 février 2017

La République dans le dos



Notre démocratie est en crise. Ce n'est pas une formule convenue. Des faits récents attestent de la gravité de la situation. Qu'y a-t-il de plus précieux en démocratie ? L'élection. C'est la prunelle de ses yeux. Le principe électif est simple ; aujourd'hui, il est altéré. Quelques derniers exemples :

1- Le vote insincère. La démocratie ne fonctionne normalement que si le vote de chaque citoyen s'exerce en toute sincérité, conformément aux convictions personnelles. Or, lors des deux dernières primaires de la droite et de la gauche, des électeurs ont ouvertement assumé et justifié des votes tactiques, altérant les résultats du scrutin (je n'avais jamais vu ça de ma vie politique). On ne vote pas Juppé parce qu'on est d'accord avec Juppé, mais pour écarter Sarkozy. On ne vote pas Hamon parce qu'on est d'accord avec Hamon, mais parce que sa désignation arrange Macron. Des gens de droite participent à la désignation du candidat de gauche, des gens de gauche participent à la désignation du candidat de droite. Nous sommes en pleine Absurdie.

2- Hamon, Mélenchon et Jadot se partagent un même créneau électoral, la gauche de gauche, entre la gauche de gouvernement et l'extrême gauche. Tous les trois risquent d'être éliminés dès le premier tour. Qu'à cela ne tienne : une pétition circule depuis hier, à l'initiative notamment de Susan George, pour demander que deux d'entre eux se retirent, et à défaut d'accord, en procédant à un tirage au sort. Oui, vous avez bien lu : le possible président de la République va se décider au "pouf pouf ce sera toi qui sera le candidat" !

3- François Fillon est en difficulté, à cause d'une affaire privée. Seule la justice peut disposer des informations et porter un jugement. Mais non, tout le monde s'en mêle, s'agite, au mépris du droit : la présomption d'innocence est bafouée, tout comme la séparation des pouvoirs entre politique et justice. Le principe républicain du vote majoritaire est ignoré : au mépris du choix des électeurs, un possible remplacement du candidat est envisagé, sans que cela ne heurte personne.

4- Les sociaux-démocrates du PS sont très embarrassés après la victoire de Hamon. On les comprend. Mais pourquoi avancent-ils un absurde "droit de retrait" ? Cette procédure n'appartient pas à la politique, mais au droit du travail : c'est la possibilité pour un salarié de quitter momentanément son poste quand il y a un danger imminent. Rien à voir avec la situation des élus qui sont en désaccord avec la ligne politique de Benoît Hamon. Ils savent bien que celle-ci sera complétée, enrichie mais que ses grandes orientations ne seront pas modifiées. Le "droit de retrait" pour un élu, ça n'a aucun sens. Pourtant, le choix est simple : quand on n'est pas d'accord avec le candidat d'un parti légitimement désigné, on quitte le parti. Je ne vois pas d'autre alternative.

Toutes ces situations extrêmement différentes sont très préoccupantes par leur point commun : ignorer les règles de base de la démocratie, privilégier les choix individuels, préférer les procédures aux convictions. Je ne sais pas où on va comme ça, mais on tourne le dos à la République.