samedi 10 juin 2017

Rappel des principes démocratiques



A la veille du premier tour des élections législatives, deux inquiétudes se font jour, qui ne sont pas directement politiques (sinon, je n'en parlerais pas, comme le veulent la règle et la tradition de neutralité à 24 heures d'un scrutin), mais qui portent sur le bon fonctionnement de notre démocratie : le taux de participation qu'on annonce très faible, inférieur en tout cas aux élections précédentes de même type ; la majorité écrasante que prédisent les sondages à La République En Marche. Dans l'un et l'autre cas, plusieurs commentaires y voient un problème posé à la démocratie. Je ne pense pas que ce soit le cas.

D'abord, d'un point de vue général, nous avons le tort d'anticiper sur les résultats, accordant foi aux sondages. Je respecte le travail de ces instituts, mais on ne peut pas considérer leurs pronostics comme des résultats. Toute réflexion qui s'appuie sur ces projections est nulle et non avenue. Lors de la dernière présidentielle, un faible taux de participation était annoncé : ça n'a finalement pas été le cas. Il est impératif, en démocratie, de laisser la décision entre les mains des citoyens et de ne pas la préempter. Bien sûr, chacun reste libre de faire ses estimations. Mais on ne peut en tirer aucune conclusion certaine.

Ensuite, la participation à une élection, quelle que soit son ampleur, n'invalide pas ni n'affaiblit la légitimité des élus. Elle ne pose aucun problème en droit constitutionnel. Politiquement, il faut en tirer des leçons, mais juridiquement le suffrage universel s'est exprimé, et c'est l'essentiel. Aux Etats-Unis d'Amérique, dont la démocratie est plus ancienne et plus solide que la nôtre (ce pays ne souffre pas d'un millénaire derrière lui de culture et d'institutions monarchiques), la moitié des électeurs, depuis longtemps, ne participent pas à l'élection présidentielle : jamais il ne viendrait à l'idée d'un américain que ce retrait puisse poser problème.

Nous nous faisons en France une idée fausse du devoir électoral. Ce n'est ni une obligation, ni une contrainte. Certains de nos concitoyens, certes très minoritaires, sont d'opinions monarchistes ou anarchistes, qui leur font s'abstenir de participer au système électoral : la République, dans sa grande mansuétude, ne leur en fait pas le reproche. Un nombre plus important de nos concitoyens ne voient pas l'intérêt d'aller aux urnes : je pense qu'ils ont tort, qu'ils donnent un mauvais exemple mais je respecte leur position. Voter n'est pas un devoir d'ordre moral, mais civique. C'est un devoir ET un droit. C'est d'abord un droit, qu'on a la liberté d'utiliser ou pas (c'est le principe du droit). Ce n'est ensuite un devoir que pour ceux qui se sentent impliqués, concernés.

Voilà pourquoi un faible taux de participation n'est pas problématique, encore moins dramatique, quoiqu'il ne soit pas évidemment souhaitable. C'est aussi pourquoi le résultat d'une élection ne vaut que par rapport aux suffrages exprimés, pas par rapport aux électeurs inscrits. Les abstentionnistes se mettent d'eux-mêmes hors-jeu : ils se retranchent volontairement du corps électoral, qui ne prend tout son sens que lorsqu'il se mobilise, pas quand il reste passif chez lui.

Enfin, une forte majorité parlementaire nuit-elle à la démocratie ? Drôle de question, mais l'actualité oblige d'y répondre. J'ai entendu employer les mots de "parti unique" et même de "dictature", au cas où La République En Marche obtiendrait une majorité écrasante. Ces réactions sont ahurissantes. La démocratie repose sur le choix du peuple. Si celui-ci est ultra-majoritaire, où est le problème ? Nulle part ! Tant mieux si le suffrage universel est clair, net et massif : la démocratie ne peut au contraire que mieux s'en porter.

Certains craignent une absence d'opposition. Mais non ! La démocratie ne fonctionne pas à l'unanimité, mais au principe majoritaire, qui implique ipso facto une opposition, qui aura toute latitude pour s'exprimer, résister, contester, qu'elle soit nombreuse ou pas. Relative, absolue ou écrasante, une majorité est une majorité, c'est-à-dire l'expression de la volonté générale. Vouloir lui assigner un certain pourcentage, des limites considérées comme raisonnables n'a strictement aucun sens. Il y a un mois, on ne craignait pas une trop forte majorité présidentielle, mais au contraire une trop faible, qui aurait empêché le président de la République de gouverner !

Il est malheureux d'avoir à rappeler des principes démocratiques de base, dont aucun républicain ne devrait douter. Mais ceux qui les remettent en cause ou ne les comprennent pas s'inquiètent sans doute moins pour la République que pour eux-mêmes.

5 commentaires:

Erwan Blesbois a dit…

Gaspiller tant d'énergie pour une mauvaise cause, quel gâchis ! Le "règne" de Macron sera un désastre... Comme le disait Finkielkraut nous avions le choix entre la catastrophe et le désastre au second tour des présidentielles. De toute façon c'est un désastre depuis le tournant libéral de Mitterrand et plus généralement du monde "libre", depuis 1983 en France, un peu avant dans les pays anglo-saxons.

Emmanuel Mousset a dit…

Depuis le début du monde, il y a toujours des Blesbois pour prédire la fin du monde.

Erwan Blesbois a dit…

Tout au moins des cycles. Le progrès continu ça n'existe pas, encore une autre illusion macronienne. Le problème d'une 3ème guerre mondiale est qu'elle poserait effectivement la question de la fin du monde. La "fin du monde" il en est question dans énormément de livres, de films, qui imaginent tous d'effrayantes dystopies, alors que la question de l'utopie posée dans les années 70 ne se pose pratiquement plus du tout. Toi qui est nietzschéen, tu devrais souscrire à une vision cyclique de l'histoire (l'éternel retour), plutôt que de la considérer comme une ligne droite, un progrès continu vers un avenir radieux. C'est non seulement absurde, mais même néfaste : cela encourage l'arrogance du genre humain (qui l'est déjà beaucoup trop même à l'état de nature), et la destruction des types anthropologiques (types liés à des cultures qui nous précèdent et nous dépassent, envers lesquelles nous avons une dette) au nom de la destruction créatrice ou innovation destructrice (le corollaire du "progrès"). Les gens sont perdus et ne savent plus "qui" ils sont au nom du "progrès", en réalité à cause de la destruction qu'il implique.
Ce dont tu devrais parler, c'est comment tu tiens le coup spirituellement, quel est le secret de ta constance dans un monde aussi destructeur : là tu ferais preuve de probité et d'honnêteté intellectuelle. Comment tu as pu éviter cette fantastique tentative de destruction de toute la variété des types anthropologiques jusqu'en dans les pays occidentaux dits exploiteurs, alors que jusqu'à il y a peu cette destruction se cantonnait aux pays exploités, c'est-à-dire colonisés notamment ?
Il faut dire que comme le remarquent énormément de tes lecteurs tu es très à l'abri de par ta fonction et des valeurs qu'elle porte, en contradiction totale avec les valeurs d'innovation destructrice du "progrès". Facile de donner des leçons à tout le monde lorsqu'on ne peut logiquement avoir aucun souci concernant sa vie (sauf accident imprévisible). Moralement c'est très confortable car tu t'es forgé en outre une réputation solide et locale, et tu peux ainsi consacrer ton temps libre à t'enrichir spirituellement. Tu me diras que ce n'est pas donné à tout le monde et que tu as dû consentir à d'énormes sacrifices et à des efforts colossaux pour arriver à cette situation sociale dominante et enviable.

Emmanuel Mousset a dit…

Viens chez moi et consulte mon compte en banque : tu verras si ma situation sociale est "dominante et enviable". Je ne suis pas un bourgeois, moi, monsieur : ni petit, ni grand.

Erwan Blesbois a dit…

"Viens chez moi" j'habite chez une copine
Sur les bords au milieu c'est vrai qu'je crains un peu...
Un vrai populo l'Manu !